Les conditions de détention dans les prisons camerounaises donnent froid dans le dos. En juillet dernier, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a exprimé "ses préoccupations au sujet de la persistance du problème de la surpopulation et des mauvaises conditions de vie dans les prisons". Selon les statistiques officielles, 70% de mineurs et 60% d'adultes incarcérés ne sont pas encore jugés. Bien que présumés innocents, ils gonflent les effectifs des 72 prisons du pays, qui renfermaient fin 2009 plus de 23 000 détenus pour seulement 15 000 places.
Cette situation est contraire au principe de la présomption d’innocence consacré par le préambule de la Constitution, et repris dans le Code de procédure pénale. Pour le ministère de la Justice, "la présomption d’innocence se manifeste également par l’affirmation du caractère exceptionnel de la détention, la liberté étant le principe". C'est dans cet esprit que le gouvernement prône le respect des textes, notamment "la mise en liberté avec ou sans caution depuis la phase de l’enquête policière jusqu’à celle du jugement et la limitation du délai de détention provisoire pendant l’instruction à six mois qui peut être prorogé une fois en cas de délit et deux fois en cas de crime".
Corruption Pour le Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui s'en inquiète dans un rapport daté de février 2009, "le délai maximal de préventive qui est de 12 mois en cas de délit et de 18 mois en cas de crime n'est pas respecté dans la pratique". Le ministère de la Justice explique ces pratiques contraires à l'esprit de la loi par le sous-effectif des personnels (magistrats, greffiers, personnel d’appui, officiers de police judiciaire, personnels de l’Administration pénitentiaire), le besoin de leur formation, le manque de salles d’audiences et des établissements pénitentiaires, et la corruption qui "malgré les avancées que l’on note ces dernières années, demeure une gangrène que le gouvernement devrait éradiquer".D'après le Programme d’amélioration des conditions de détention et respect des droits de l’homme (Pacdet) du ministère de la Justice, financé sur fond européen, "un manque de suivi des procédures en cours, une lenteur judiciaire, une tendance à la systématicité de la délivrance de mandats de dépôt, des durées anormalement longues de détention préventive et de garde à vue contribuent à l’engorgement des prisons". De nombreux autres problèmes se posent dans nos prisons, selon le Pacdet : la vétusté et le délabrement des structures, l’incapacité des prisons à garantir la sécurité, un taux d’occupation de plus de 400% dans certaines prisons, la malnutrition et la précarité des conditions d’hygiène, l’insuffisance des effectifs en personnels, le manque de professionnalisme, le vieillissement, l’absence de plans rationnels de gestion des ressources humaines et des carrières, la modicité des ressources financières, etc.
Huit ans sans jugement Pour les défenseurs des droits humains, dans la pratique, les dossiers des détenus sont suivis par leurs avocats. Mais pour les démunis en détention préventive qui n'ont ni relation, ni de l'argent pour se payer les services d'un conseil, "ils peuvent rester deux ans , quatre ans, voire huit ans sans jugement!". Autre problème qu'ils évoquent, "les résultats des audiences n’arrivent pas souvent en prison parce que les greffiers exigent de l’argent aux détenus pour les informer des décisions de leurs jugements". Du coup, des personnes libérées, non informées, restent en détention. Le ministère de la Justice avance également que "les rapports entre le procureur de la République et le juge d’Instruction demeurent difficiles notamment, en matière d’exécution des ordonnances et des mandats ainsi qu’au sujet des détentions provisoires et des mises en liberté". Un conflit de compétence qui nuit au droit à la liberté reconnu à la personne faisant l’objet d’un procès pénal puisque la liberté provisoire est la règle, la détention l’exception.L'Onu recommande au Cameroun d'enquêter sur les allégations d'exécutions extrajudiciaires, de traduire les coupables en justice et de permettre aux victimes d’avoir accès à des recours efficaces. Il exhorte le Cameroun à veiller à ce que "les victimes de torture aient facilement accès à des mécanismes leur permettant de signaler les violations", que "des enquêtes impartiales et indépendantes soient menées", et les auteurs sanctionnés. Il recommande également que "le Cameroun porte son attention sur les conditions dans les prisons en prenant des mesures pour améliorer qualitativement et quantitativement la situation en ce qui concerne la nourriture et l’accès aux soins de santé et pour assurer la séparation des détenus hommes et femmes, mineurs et adultes, en détention provisoire et condamnés".
Etienne Tasse (Jade)
Statistiques carcérales pour l’année 2009
Catégorie des détenus par âge et par sexe
|
Majeurs |
Mineurs |
Total |
||
Hommes |
Femmes |
Garçons |
Filles |
||
Prévenus |
13 255 |
347 |
655 |
8 |
14 265 |
Condamnés |
8 481 |
160 |
290 |
0 |
8 931 |
Total |
21 736 |
507 |
945 |
8 |
23 196 |
Sources : Ministère de la Justice