Prisons camerounaises : des univers de non-droit - Page 32
Survivre à tous les prix
Cette recherche de la survie pousse certains à se livrer, souvent malgré eux, à des pratiques d’homosexualité, prohibées par le règlement intérieur de la prison. "Très souvent, ça commence par des petits gestes de générosité. Un détenu attire un Pingouin et lui donne aujourd’hui 100 FCfa, demain 200 ou 500 Fcfa, et ainsi de suite. Après quoi il lui demande de le retrouver dans son ‘Kito’ (cellule personnelle). Ça se passe généralement dans la nuit", explique un gardien de prison.
A la prison de New-Bell, des dizaines de pensionnaires de même sexe partagent une cellule commune. En violation des règles minima pour le traitement des détenus, qui stipulent que "les cellules ou chambres destinées à l’isolement nocturne ne doivent être occupées que par un seul détenu", et qu’en cas de dérogation à cette règle, "on devra éviter de loger deux détenus par cellule ou chambre individuelle". Pour préserver leur intimité, certains détenus aménagent au sein de la cellule commune un local privé, en se servant de planches comme cloisons. C’est ce local intime qu’ils appellent "kito"
L'article 347 bis de la constitution du Cameroun puni "d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20 000 à 200 000 F toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe". Les détenus, influencés par le caractère tabou de l’homosexualité au Cameroun, sont homophobes dans leur grande majorité. Des pensionnaires ainsi surpris en flagrant délit de pratique homosexuelle, sont lynchés par les autres personnes privées de liberté et peuvent être tués si les gardiens de prison n’interviennent pas promptement. "Très souvent nous arrivons quand les détenus ont bien tabassé le suspect", témoigne un gardien de prison.
Drogue et sodomie
Ces dix dernières années, se souvient le Dr Germain Amougou Ello, médecin de la prison de New-Bell, deux détenus, dont l’âge était compris entre 25 et 30 ans, ont été sodomisés de nuit par d’autres détenus, qui n’ont pas été identifiés. Ils ont par la suite été jetés dans la grande cour intérieure de la prison où ils ont été retrouvés au lever du jour par d’autres détenus, dans un état d’inconscience. "Une fois on a amené à l’infirmerie un détenu qui s’était évanoui. Il avait des déchirures au niveau du sphincter et le sperme dégoulinait de son anus. On l’a transporté à l’hôpital mais on n’a pas pu le réanimer. Le second cas était similaire mais grâce à la prompte réaction des parents de la victime et aux moyens qu’ils ont déployés, on a réussi à le sauver", atteste le médecin. Selon les résultats des tests médicaux effectués, les deux victimes avaient préalablement été droguées, puis sodomisées par leurs "bourreaux", inconnus jusqu’à ce jour. "Pour le premier cas par exemple, on ne pouvait pas mesurer la quantité de drogue qu’il avait ingurgitée, mais la certitude est que la dose était importante. D’où son décès", diagnostique Dr Amougou.
De nombreux cas, fondés sur des rumeurs ou la suspicion et difficiles à prouver sont ainsi régulièrement signalés aux autorités de la prison. "Le suspect est immédiatement mis en cellule disciplinaire pendant quinze jours et sa peine est renouvelable", martèle un gardien de prison. Une façon pour les autorités pénitentiaires de sensibiliser les autres détenus, et de les mettre en garde contre une éventuelle reproduction de la pratique de l'homosexualité.
Théodore Tchopa (Jade)
Pr Same Kolle: "Personne n’est à l’abri de l’homosexualité"
Chef du département de psychologie à l’université de Douala, l'enseignant explique les contours de l’homosexualité en milieu carcéral.
Comment expliquez-vous que des détenus entretiennent des rapports sexuels avec d’autres détenus de même sexe ?
La prison est un cadre fermé et ses relations avec l’extérieur sont très réduites. Il peut donc s’y développer certains types de comportement qui peuvent prédisposer à cette pratique. Mais ce n’est pas seulement dans les prisons qu’on peut rencontrer ces pratiques d’homosexualité consentie, on peut les retrouver dans tous les milieux fermés : les casernes militaires, les couvents, les monastères, bref tout ce qui peut constituer un milieu fermé, et où des personnes de même sexe se retrouvent. La question que vous posez est relative à l’élément d’explication de la pratique homosexuelle.
Il y a des arguments d’ordre historique et archéologique, qui consistent à observer la pratique homosexuelle dans toutes les sociétés du monde. Ces pratiques ont toujours existé. Il y a ensuite un argument biologique, qui tient à ce qu’on appelle la théorie de la bisexualité de l’homme, élaborée au début du 20ème siècle. Et d’après celle-ci, tout être humain ou animal sécrète les deux types d’hormone : d’un côté les hormones mâles, qu’on appelle androgènes, et de l’autre les hormones femelles ou œstrogènes. La différence entre l’homme et la femme est que l’homme sécrète beaucoup plus d’androgènes et la femme plus d’œstrogènes. Si on injecte à un homme des hormones femelles, son comportement va tendre progressivement vers la féminité, et inversement.
Le 3ème argument scientifique peut être l’argument psychanalytique, lié à la nature de la pulsion sexuelle ou libido. Pour Freud, la pulsion sexuelle n’a pas d’objet et ce point est capital. Cela veut dire que la satisfaction de la libido sexuelle n’est pas liée à un objet spécifique, la pulsion sexuelle peut être satisfaite par tout type d’objet. Cela signifie que je peux avoir un orgasme uniquement par masturbation et être sexuellement satisfait. Je peux avoir un orgasme par fétichisme sexuel, c’est-à-dire le fait d’obtenir un orgasme en relation avec un objet non humain. Il y a ce qu’on appelle la zoophilie. Tout cela rend compte du caractère non spécifié de la sexualité. Evidemment, on va dire qu’une poule ne peut pas aller avec une poule mais dans un contexte de conditionnement (c’est-à-dire la création d’une relation artificielle mais observable), on peut obtenir ce type de comportement même chez les animaux.
Faut-il donc y voir une pratique normale ?
Propos recueillis par: