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Prisons camerounaises : des univers de non-droit - Page 32

Prisons camerounaises : des univers de non-droit - Page 32

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Index de l'article
Prisons camerounaises : des univers de non-droit
Il a un métier dans la tête: la prison transforme la vie du voleur
Prison centrale de Yaoundé : deux médecins et neuf infirmiers pour 4600 détenus
Prison d’Edéa : des détenus apprennent à élever des porcs
Dérives de la garde à vue : en caleçon, dans des cachots infects
Mal nourris par la prison : les séropositifs abandonnent leur traitement
Pour l’empêcher de se suicider, Elle vit enchaînée à la prison d’Edéa
Prison de Mbouda: l’État investit pour adoucir le sort des détenus
À Bafang et Bangangté, les régisseurs agissent
Prison principale d’Edéa: petits métiers, petits sous et réinsertion
Dangers de la promiscuité carcérale: hommes, femmes, mineurs dans le même quartier
Depuis les émeutes de 2008: Pierre Essobo Andjama croupit en prison
Après des années de prison: ces détenus attendent le verdict du tribunal
Prison de New Bell: Les femmes logées à bonne enseigne
Plus de 80 mois derrière les barreaux
Copies de jugements égarées: Il a déjà fait neuf ans de prison en trop
Garde à vue abusiveà Bafoussam: Huit jours de calvaire dans une cellule puante
Faute de soins et menotté, un suspect meurt dans une gendarmerie de Douala
Pas facile d’être graciés par le président
Des détenus de Yabassi vivent de la corvée
En prison selon l'humeur du préfet
En prison selon l'humeur du préfet
Des gardiens de prison participent à des trafics
Un commerçant armé, abattu par la police
Cellules sans toilettes à Douala : des nids à maladies pour les gardés à vue.
Plus de trois ans en prison sans jugement
Ils distribuaient des tracts politiques : Dix sept jeunes arrêtés et torturés à Douala
Accusé de tortures : un commissaire de police devant le tribunal
Accusé de tortures : un commissaire de police devant le tribunal
Détention provisoire abusive: Il passe 21 mois en prison sans être jugé
Droit de vote: des détenus
Prison de New-Bell : des détenus victimes des pratiques sexuelles non consenties
A la prison de New Bell : Des parloirs pour riches et des
A la prison de Yabassi: adultes et mineurs logés à la même enseigne
Prison de Kondengui :
Interpellation abusive: Il paye 360 000 Fcfa pour être libéré
Des militaires abattent un jeune homme à Nkongsamba
Le trafic d’armes dans les prisons camerounaises
Douala: Hommes, femmes, enfants, entassés dans les mêmes cellules
La mort rôde dans les prisons camerounaises
Un prisonnier enchaîné se pend dans sa cellule
Mort suspecte du chef de Batcham en 2007
A l'’expiration du mandat de détention provisoire
Les droits des suspects souvent bafoués
Ces prisons où la cellule est un privilège
Me Emmanuel Pensy: Les prisons camerounaises sont des écoles de crime
Prison de Mbanga : Pauvre ration pour les pauvres
Interpellation illégale : Une victime d'arrestation abusive raconte son cauchemar
Prison de New Bell : Une visite qui peut coûter cher
Univers carcéral : les prix flambent à la prison centrale de Yaoundé
Atteinte aux droits humains : Un réfugié gardé à vue pendant sept jours à Yaoundé
Menaces sur la libération de Michel Thierry Atangana en 2012
Rapports sur le Cameroun: La vie des détenus menacée dans les prisons camerounaises
Garde à vue: des prostituées victimes de rackets policiers
Réinsertion: Jean T., ancien détenu, reprend ses études
Conditions de détention : Prisons surpeuplées et vétustes
Me Jacques Mbuny témoigne
Toutes les pages
Prison de New-Bell : des détenus victimes des pratiques sexuelles non consenties
Des détenus démunis se livrent, souvent malgré eux, aux autres pensionnaires plus nantis, en échange de gratification. D’autres sont drogués et sodomisés contre leur volonté.
De nombreux détenus de la prison centrale de Douala vivent dans l’indigence. Certains n’ont pas de proche parent dans la ville de Douala où ils ont commis l’infraction les ayant conduit en prison, ou ont été abandonnés par leurs familles suite à leur incarcération. Parmi eux, des anciens enfants de la rue, condamnés ou en attente de condamnation, ainsi que des déficients mentaux. Ces démunis, condamnés au quotidien à la débrouillardise, sont communément appelés des "pingouins", dans le jargon pénitentiaire. Faute de moyens, ils ne peuvent manger à leur faim et doivent multiplier des astuces au quotidien pour subvenir à leurs besoins essentiels.

Survivre à tous les prix
Cette recherche de la survie pousse certains à se livrer, souvent malgré eux, à des pratiques d’homosexualité, prohibées par le règlement intérieur de la prison. "Très souvent, ça commence par des petits gestes de générosité. Un détenu attire un Pingouin et lui donne aujourd’hui 100 FCfa, demain 200 ou 500 Fcfa, et ainsi de suite. Après quoi il lui demande de le retrouver dans son ‘Kito’ (cellule personnelle). Ça se passe généralement dans la nuit", explique un gardien de prison.
A la prison de New-Bell, des dizaines de pensionnaires de même sexe partagent une cellule commune. En violation des règles minima pour le traitement des détenus, qui stipulent que "les cellules ou chambres destinées à l’isolement nocturne ne doivent être occupées que par un seul détenu", et qu’en cas de dérogation à cette règle, "on devra éviter de loger deux détenus par cellule ou chambre individuelle". Pour préserver leur intimité, certains détenus aménagent au sein de la cellule commune un local privé, en se servant de planches comme cloisons. C’est ce local intime qu’ils appellent "kito"
L'article 347 bis de la constitution du Cameroun puni "d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20 000 à 200 000 F toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe". Les détenus, influencés par le caractère tabou de l’homosexualité au Cameroun, sont homophobes dans leur grande majorité. Des pensionnaires ainsi surpris en flagrant délit de pratique homosexuelle, sont lynchés par les autres personnes privées de liberté et peuvent être tués si les gardiens de prison n’interviennent pas promptement. "Très souvent nous arrivons quand les détenus ont bien tabassé le suspect", témoigne un gardien de prison.

Drogue et sodomie

Ces dix dernières années, se souvient le Dr Germain Amougou Ello, médecin de la prison de New-Bell, deux détenus, dont l’âge était compris entre 25 et 30 ans, ont été sodomisés de nuit par d’autres détenus, qui n’ont pas été identifiés. Ils ont par la suite été jetés dans la grande cour intérieure de la prison où ils ont été retrouvés au lever du jour par d’autres détenus, dans un état d’inconscience. "Une fois on a amené à l’infirmerie un détenu qui s’était évanoui. Il avait des déchirures au niveau du sphincter et le sperme dégoulinait de son anus. On l’a transporté à l’hôpital mais on n’a pas pu le réanimer. Le second cas était similaire mais grâce à la prompte réaction des parents de la victime et aux moyens qu’ils ont déployés, on a réussi à le sauver", atteste le médecin. Selon les résultats des tests médicaux effectués, les deux victimes avaient préalablement été droguées, puis sodomisées par leurs "bourreaux", inconnus jusqu’à ce jour. "Pour le premier cas par exemple, on ne pouvait pas mesurer la quantité de drogue qu’il avait ingurgitée, mais la certitude est que la dose était importante. D’où son décès", diagnostique Dr Amougou.
De nombreux cas, fondés sur des rumeurs ou la suspicion et difficiles à prouver sont ainsi régulièrement signalés aux autorités de la prison. "Le suspect est immédiatement mis en cellule disciplinaire pendant quinze jours et sa peine est renouvelable", martèle un gardien de prison. Une façon pour les autorités pénitentiaires de sensibiliser les autres détenus, et de les mettre en garde contre une éventuelle reproduction de la pratique de l'homosexualité.
Théodore Tchopa (Jade)
Pr Same Kolle: "Personne n’est à l’abri de l’homosexualité"
Chef du département de psychologie à l’université de Douala, l'enseignant explique les contours de l’homosexualité en milieu carcéral.
Comment expliquez-vous que des détenus entretiennent des rapports sexuels avec d’autres détenus de même sexe ?
La prison est un cadre fermé et ses relations avec l’extérieur sont très réduites. Il peut donc s’y développer certains types de comportement qui peuvent prédisposer à cette pratique. Mais ce n’est pas seulement dans les prisons qu’on peut rencontrer ces pratiques d’homosexualité consentie, on peut les retrouver dans tous les milieux fermés : les casernes militaires, les couvents, les monastères, bref tout ce qui peut constituer un milieu fermé, et où des personnes de même sexe se retrouvent. La question que vous posez est relative à l’élément d’explication de la pratique homosexuelle.
Il y a des arguments d’ordre historique et archéologique, qui consistent à observer la pratique homosexuelle dans toutes les sociétés du monde. Ces pratiques ont toujours existé. Il y a ensuite un argument biologique, qui tient à ce qu’on appelle la théorie de la bisexualité de l’homme, élaborée au début du 20ème siècle. Et d’après celle-ci, tout être humain ou animal sécrète les deux types d’hormone : d’un côté les hormones mâles, qu’on appelle androgènes, et de l’autre les hormones femelles ou œstrogènes. La différence entre l’homme et la femme est que l’homme sécrète beaucoup plus d’androgènes et la femme plus d’œstrogènes. Si on injecte à un homme des hormones femelles, son comportement va tendre progressivement vers la féminité, et inversement.
Le 3ème argument scientifique peut être l’argument psychanalytique, lié à la nature de la pulsion sexuelle ou libido. Pour Freud, la pulsion sexuelle n’a pas d’objet et ce point est capital. Cela veut dire que la satisfaction de la libido sexuelle n’est pas liée à un objet spécifique, la pulsion sexuelle peut être satisfaite par tout type d’objet. Cela signifie que je peux avoir un orgasme uniquement par masturbation et être sexuellement satisfait. Je peux avoir un orgasme par fétichisme sexuel, c’est-à-dire le fait d’obtenir un orgasme en relation avec un objet non humain. Il y a ce qu’on appelle la zoophilie. Tout cela rend compte du caractère non spécifié de la sexualité. Evidemment, on va dire qu’une poule ne peut pas aller avec une poule mais dans un contexte de conditionnement (c’est-à-dire la création d’une relation artificielle mais observable), on peut obtenir ce type de comportement même chez les animaux.

Faut-il donc y voir une pratique normale ?

Il faut aussi donner une explication par le fait de la puissance de la libido humaine. Une pulsion cherche toujours à se satisfaire. En dehors d’un cadre comme la prison qui est un cadre de privation de la liberté, il y a des conditions de satisfaction de la pulsion. Quand on se retrouve dans un cadre comme la prison, la satisfaction des pulsions va prendre des formes liées au contexte, parce qu’évidemment dans une prison, les hommes vont se retrouver entre eux et les femmes entre elles. Etant donné la nécessité de la satisfaction de la pulsion, beaucoup d’individus vont chercher différentes formes de cette satisfaction. Dans la prison beaucoup de personnes, pour épancher leurs pulsions sexuelles, vont se masturber. Des perversions vont se développer pour obtenir la satisfaction sexuelle. La pratique de l’homosexualité va ainsi s’observer et, étant donné ces paramètres biologiques et psychanalytiques dont nous avons parlé, il va se développer une sorte de penchant de l’homme vers l’homme, ne serait-ce qu’à cause de la proximité qu’ils vivent entre eux. Parce que l’un est proche de l’autre, il y a une pulsion qui va se développer dans la tête et la pulsion sexuelle n’ayant pas d’objet, le détenu estime qu’il peut se satisfaire de cet individu qui est à ses côtés.
Propos recueillis par:
Théodore Tchopa (Jade)