Ils peuvent devenir porchers et se monter à leur compte, une fois libérés : la prison d’Edéa leur apprend le métier. Hélas, ce projet de réinsertion est menacé par les évasions répétées des détenus en corvée.
Insensible aux grognements d’une douzaine de porcs, il met en tas du fumier dans une pièce aux murs noircis. Le cœur à l’ouvrage en cette matinée ensoleillée, il joue la montre, à trente minutes de sa pause. "On fait ces efforts pour mettre gratuitement ces déjections à la disposition des agriculteurs qui s’en servent comme engrais dans leurs champs. Avant, les gens se bousculaient, mais, depuis quelques mois, ils ne sont plus intéressés et ça fait sale", regrette, un brin abattu, Ndon Mbassi Alain.
Agé de 20 ans, il est le seul détenu à travailler à la porcherie d’Edéa en espérant rapidement trouver preneurs pour le fumier qu’il entasse. "Dès le matin, je nettoie la porcherie et je tourne la nourriture des porcs que je sers ensuite dans des cases. Je vais ensuite couper des herbes fraiches et ramasser les déchets de macabo. Je n’aime pas beaucoup que les femmes me demandent de nettoyer le marché avant de prendre les déchets de macabo", ajoute-t-il.
Des détenus réinsérés
Créée par l’Etat du Cameroun dans le cadre du projet Pays Pauvres Très Endettés, la porcherie de la prison principale d’Edéa occupe une partie de l’annexe qui avait été réservée aux femmes et aux mineurs. "Ce projet vise à préparer les détenus à leur insertion sociale après la prison. Il nous permet également de remplir les objectifs économiques de l’administration pénitentiaire parce que nous gagnons de l’argent", explique Hamidou Pekariekoué, régisseur de cette prison.
Depuis son lancement en 2008, cette porcherie a permis à Bayemi NLend Blaise et Botman Péril, deux ex-détenus de la prison d’Edéa, de devenir porchers, et de s’installer à leur propre compte. Ils sont cités en exemple par l’administration de la prison pour motiver les prisonniers. "Au départ, je ne savais pas comment mélanger la nourriture des animaux, maintenant je le sais. Je crois qu’avec un peu de moyens, je peux élever des porcs", affirme Ndon Mbassi Alain.
L’administration pense justement au soutien financier à fournir aux détenus travailleurs, à la fin de leur peine ; à condition que la porcherie continue à remplir son rôle économique. Actuellement, elle compte douze bêtes ; il y a quelques mois, trois ont été vendues à environ 60.000 f CFA l’animal. "Après la vente, nous prélevons 5% pour motiver le détenu en corvée qui travaille à la porcherie ; nous versons le reste d’argent dans un compte ouvert afin de poursuivre ce projet", précise le régisseur.
L’impact des évasions
Mais au fil du temps, ces succès de réinsertion et de vente sont moins mis en avant par l’administration. "Les détenus qu’on envoie à la porcherie ont tendance à fuir. Au lieu de trois détenus, il n’y en a actuellement qu’un seul; c’est pourquoi vous voyez la saleté partout. J’ai peur de m’engager à en prendre d’autres, car, en cas d’évasion je dois en répondre", indique le gardien de prison Azée Takeda Voltaire, en charge de la porcherie. En février dernier, un détenu a profité d’un moment de pause pour s’évader. Toutes les tentatives de l’administration pour le rattraper ont été vaines.
Lepoum Augustin a été moins chanceux. Ce prisonnier avait pourtant utilisé la même ruse pour tromper la vigilance des gardiens. Mais, il a été rattrapé quelques jours plus tard. "Je me suis évadé parce j’étais malade; j’avais la sinusite. Je voulais me faire soigner dehors parce qu’il n’y avait pas assez de médicaments en prison", raconte le détenu repris.
Malgré ces incidents de parcours, l’administration de la prison centrale d’Edéa entend poursuivre dans cette voie de la formation professionnelle des détenus qui pourront ainsi gagner honnêtement leur vie après leur libération, comme le recommandent les Nations Unies.
Christian Locka (Jade)