La plupart des brigades de gendarmerie à Douala ont des cellules sans toilettes. Autant de nids à maladies pour les gardés à vue, qui ne bénéficient pas des règles minima de détention des Nations Unies. Pour la première fois, Michel Fotsing, réputé être un homme courageux dans son quartier, vient de baisser la garde devant une épreuve. Poursuivi pour escroquerie en septembre dernier, ce quinquagénaire a été incarcéré à la brigade territoriale de Ndogbong à Douala où il a passé "les quatre jours les plus longs de sa vie".
"Je voyais déjà ma mort proche, raconte t-il. C’était vraiment pénible avec une cellule de 15 mètres carrés pour vingt personnes. La nuit, on se couchait sur le sol dénudé dans le sens de la largeur à cause de l’étroitesse de la cellule ; il y avait des bouteilles en plastique où chacun urinait une fois par jour pour éviter qu’elles ne se remplissent trop vite", raconte le quinquagénaire, le visage sombre.
Chaque matin, un gardé à vue choisi par le groupe était conduit sous forte escorte pour aller vider les bouteilles dans les toilettes situées à l’extérieur de la brigade. "Puisque la vidange se faisait une fois par jour, il fallait être fort psychologiquement pour retenir longtemps les besoins naturels de son corps",explique Michel Fotsing.
"Une odeur insupportable "
Sévère Mbenoun a vu pire à la brigade de gendarmerie de l’aéroport. Accusé d’abus de confiance par son bailleur qui lui réclamait quatre mois de loyer impayés, il a été interpellé et immédiatement jeté dans une cellule sombre, sans être entendu. "La cellule était éclairée de jour comme de nuit par un petit orifice. Il n’y avait pas de fenêtre. La chaleur y était étouffante. Certains déféquaient dans des sacs plastiques qu’ils allaient vider avec la permission des gardiens. L’odeur était vraiment insupportable", explique t-il.
La plupart des brigades de gendarmerie de la capitale économique disposent de cellules sans toilettes. Les gardés à vue sont contraints de faire leurs besoins dans des seaux, des bouteilles ou des papiers plastique, devant leurs compagnons d’infortune. Dans certains cas, ils se mettent à l’aise au sol ou sur les murs avant d’être soumis de force au nettoyage de la cellule. Selon un officier de gendarmerie qui a requis l’anonymat, "hormis la nouvelle brigade de gendarmerie de Deido, la plupart des unités ne disposent pas, à l’heure actuelle, d’installations sanitaires pour les gardés à vue. Elles louent généralement des locaux qui ont été construits sur le modèle des maisons d’habitation", indique-t-il.
En juillet 2011, Mathieu Kengne Talla, maréchal des logis en service à la brigade de gendarmerie de Nkoulouloun, a comparu devant le tribunal militaire de Douala pour complicité d’évasion. On lui reprochait d’avoir laissé partir un gardé à vue. Un matin, alors qu’il l’escortait à la corvée "caca", cet homme a lancé dans la direction du gendarme le seau d’excréments qu’il venait de vider dans un bac à ordures. Il a profité du moment d’hésitation du fonctionnaire pour prendre la fuite. Dans sa déposition, celui-ci s’est défendu en indiquant que si la brigade avait eu des toilettes réservées aux gardés à vue, cette évasion n’aurait peut-être pas eu lieu.
Droits humains bafoués
Dans ses règles minima de traitement des détenus, les Nations unies exigent que les locaux de détention doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d’air, l’éclairage, le chauffage et la ventilation. Les installations sanitaires doivent aussi permettre au détenu de satisfaire ses besoins naturels au moment voulu, d’une manière propre et décente.
C’est loin d’être le cas dans beaucoup d’unités de gendarmerie à Douala. Les gardés à vue en ressortent souvent malades. "Après quatre jours de détention, j’avais atrocement mal aux poumons parce que certains fumaient et me balançaient la fumée au visage", se souvient Michel Fotsing. "Un jeune qui ne pouvait supporter cette maltraitance est tombé malade. On a refusé que sa famille le sorte pour le faire soigner. C’est finalement un gendarme qui lui a acheté du paracétamol".
Comme les familles, les défenseurs des droits humains ne sont parfois pas les bienvenus dans les gendarmeries. "Nous avons à maintes reprises écrit aux autorités pour visiter les commissariats et gendarmeries dans le cadre de notre travail; elles refusent systématiquement. C’est pourquoi nous visitons ces unités clandestinement afin de produire des rapports pour dénoncer les traitements inhumains en vigueur dans ces endroits", explique Jean Tchouaffi, président de l’Association Camerounaise des droits des jeunes.
Christian Locka (Jade)