Pour arrondir des fins de mois difficiles
Des gardiens de prison participent à des trafics
Mal rémunérés et parfois sans perspectives d'avancement, des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire font rentrer des produits illicites dans les prisons. Les trafiquants leur graissent la patte.
Au Cameroun, le personnel de l'administration pénitentiaire et surtout les gardiens de prison comptent parmi les hommes en tenue les plus mal lotis, côté salaire. Postés devant, à l'intérieur ou dans les bureaux de chaque prison du pays, ils n'hésitent pas à rançonner visiteurs et détenus, ou à nouer des complicités avec certains d’entre eux pour introduire des produits illicites. Une activité des plus lucratives.
Une source pénitentiaire concernée par la situation soutient ainsi qu'au moins 80 % des gardiens de la prison centrale de Douala coopèrent avec des détenus impliqués dans la vente de cocaïne, de chanvre indien, de comprimés, de whisky en sachet, de cigarettes.... "Un matin, j’ai vu un prétendu visiteur entrer avec quatre sachets contenant du whisky blanc frelaté, appelé "fôfo". A vue d’œil, ça ressemblait à de l’eau ensachée, ce qui était faux ",témoigne un gardien de prison qui avoue avoir fermé les yeux, sachant que ses collègues étaient sûrement dans le secret.
Des affaires bien protégées
Il n'est pourtant pas aisé de pénétrer dans une prison. Multiples sont les barrières de fouille corporelle et de test de tous les produits. Pour y introduire des produits prohibés, le trafiquant incarcéré doit donc obtenir au préalable la caution d’un ou de plusieurs gardiens contre des espèces sonnantes et trébuchantes. "Des portiers laissent entrer des stupéfiants contre 300 000 Fcfa par exemple. Ce qui peut rapporter au trafiquant 1 million de Fcfa. Certains détenus allant jusqu’à donner 200 000 Fcfa et même plus au chef", confie sous anonymat un gardien. Selon l’un de ses collègues, des ex-détenus continuent à trafiquer avec des personnes encore incarcérées.
Connaissant très bien la prison et ses différents circuits d’affaires, ces ex-détenus organisent le ravitaillement en toute impunité. "Ils glissent des colis à l'intérieur de la prison, à travers la barrière. Un gardien, posté au mirador et au parfum de l’opération, facilite la réception du colis qui disparaît aussitôt", explique-t-il. Des détenus réalisent de telles bonnes affaires qu'ils ne souhaitent même plus être libérés.
Les gardiens gagnent aussi de l'argent en escortant des personnalités interpellées dans le cadre de la campagne de lutte contre la corruption, initiée par les pouvoirs publics et baptisée Opération Epervier. Une fois, en dehors de la prison, le gardien joue les garçons de course auprès du détenu VIP, lui donne l'opportunité de se mouvoir à sa guise et de profiter de la vie. Il reçoit en contrepartie jusqu'à 200 000 Fcfa en fonction des circonstances et du service rendu. "Le chef qui désigne un gardien de prison pour escorter un détenu Vip, attend en retour sa part du gâteau. Si le chargé d’escorte a reçu de l’argent du pensionnaire, il peut glisser jusqu'à la moitié du montant à son chef", confie un gardien.
Des salaires minables
Le personnel pénitentiaire justifie son comportement véreux par ses difficultés à joindre les deux bouts. "Vous louez un appartement avec deux chambres, un salon, une douche et une cuisine. Vous payez mensuellement 35 000 F Cfa. L’électricité vous revient à 5 000 F/mois et l’eau à 2 000 F. Vous habitez à Japoma et travaillez à New-Bell, le taxi vous coûte 1000 F/jour, soit 30 000 F/mois. Ration et maladie étant exclues. Ça fait 100 000 F/mois et ça ne résout pas votre problème", énumère un gardien.
Les salaires du personnel de l'administration pénitentiaire et surtout des gardiens de prison sont des plus modiques. Au sortir de l’école, le gardien élève stagiaire touche 45 000 Fcfa par mois. Un à deux ans plus tard, titularisé comme gardien de prison, il reçoit 75 000 Fcfa par mois. "Certains majors de la police sortis de l’école la même année que nous, un mois avant, sont aujourd’hui des principaux, c’est-à-dire 3V en or ou majors, alors que nous sommes au même grade. Je suis sorti de l’école avec 2V blancs", fulmine un gardien, ayant sept ans d’ancienneté et qui touche 90 000 Fcfa par mois. Les gardiens reçoivent en plus 20% de leur salaire en guise d'indemnité de non logement, zéro prime d’escorte, zéro indemnité de risque ou d'heures supplémentaires.
"Nos responsables font tout pour bloquer le concours interne, parce qu’ils savent que s’ils le lancent, des intellectuels pourront se retrouver à leur niveau et les rivaliser. Ils préfèrent les concours directs parce qu’ils savent que nous, les intellectuels déjà dans le corps (nous avons présenté le concours avec le niveau Cep), nous ne pouvons plus les passer. Et parce qu’ils négocient les places pour leurs enfants. Ils en achètent même. Nous avons essayé de constituer des dossiers pour le concours direct mais nos dossiers ont été rejetés. Le dernier concours interne a été lancé en 1986". Il y a vingt cinq ans !
Quant au statut spécial du corps des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire signé le 29 novembre 2010, il n'est toujours pas en vigueur. Il prévoit pourtant des dispositions qui amélioreraient les conditions de travail et de vie des agents de l’administration pénitentiaire. Mais en attendant… Il faut bien vivre !
Théodore Tchopa (Jade)