Lenteurs administratives, contrainte par corps…
Pas facile d’être graciés par le président
Le décret présidentiel graciant les détenus a pris effet un mois après sa signature. En outre, des détenus, pourtant concernés par cette libération, restent en prison pour non-paiement de la contrainte par corps.
La prison centrale de Douala affiche fière allure ce jeudi, 1er décembre 2011. Dans la cour de ce pénitencier, deux tentes sont dressées, des chaises y sont alignées, la fanfare apprête ses instruments de musique. Massés dans un coin de la cour, les détenus observent. A 12h30, le procureur près le tribunal de grande instance du Wouri, ceux des tribunaux de première instance de Bonanjo et Ndokoti, le délégué régional pour le Littoral de l’Administration pénitentiaire, le régisseur et quelques autorités administratives arrivent. La cérémonie de libération des condamnés définitifs peut commencer. Ils ont été graciés par le décret présidentiel du 03 novembre 2011, portant commutation et remise des peines des détenus. Signé depuis le 03 novembre, ce n’est que le jeudi 1er décembre 2011, soit 28 jours après sa signature, que ce décret présidentiel entre en application.
Trois quarts restent
"Un seul jour de plus passé en détention est un jour de trop. Pour expliquer les lenteurs administratives, on brandit l’argument selon lequel il fallait faire le recensement pour établir l’état du dossier. Mais, cela devrait être réalisé au jour le jour. Le Président de la République ne surprend personne. On sait qu’il accorde des grâces, au moment des élections présidentielles. Il suffit de tenir une liste des détenus qui peuvent en bénéficier. Des gens peuvent perdre leur vie pour un seul jour de détention", fustige Me René Manfo.
"Je suis en prison depuis 2007. C’est avec joie que je quitte ce milieu. Je vais me réinsérer dans la société et j’espère ne pas remettre les pieds en prison", se réjouit Takoké Mekui Paterson Lélé. Lui, il sort, mais certains parmi les 461 bénéficiaires de cette remise de peine ne franchiront pas les portes de la prison. " 107 détenus toute catégorie confondue seront immédiatement remis en liberté ; 104 autres resteront pour non paiement de la contrainte par corps ; 210 seront également retenus parce qu’il leur reste encore un quantum de peines à exécuter en plus de la contrainte par corps qu’ils devront payer" explique Engongang Mintsang, régisseur de la prison centrale de Douala. Résultat : sur les 461 détenus graciés, 354 resteront encore en prison pour non paiement de "la contrainte par corps". Le code de procédure pénale en son article 557 la définit comme une mesure qui vise à obliger le condamné à exécuter les condamnations pécuniaires ou à effectuer les restitutions ordonnées par une juridiction répressive. Elle consiste en une incarcération au cours de laquelle le débiteur est astreint au travail et est applicable sans mise en demeure préalable, à la diligence du Ministère Public, en cas de non-exécution des condamnations pécuniaires ou de non-restitution des biens.
Pas de quoi payer
Cette mesure ne va pas améliorer les conditions de détention des détenus, "ni promouvoir les droits humains en milieu carcéral", comme devait le regretter le régisseur. Construite pour une capacité de 800 places, la prison de Douala abritait en début décembre, 2 603 détenus dont 722 définitivement condamnés, et 1 881 autres en attente de jugement.
Dans cette affaire de "contrainte par corps", Me René Manfo parle de violation de l’esprit même du décret et de la loi. "Ce décret est basé sur une ancienne loi qu’il faudrait réexaminer afin de faire bénéficier d’une libération immédiate les détenus condamnés par la contrainte par corps. Comment ceux qui n’ont pas de famille vont-ils faire pour payer cette contrainte ?", s’interroge l’avocat.
Il explique par ailleurs que l’on a perdu de vue les dispositions légales du code de procédure pénale (Cpp) qui font que la contrainte par corps est devenue automatique lorsqu’on est condamné aux dépens. "C’est une violation légale des droits des libertés parce que le texte régissant la remise des peines n’a pas prévu les dispositions du Cpp qui, au départ, faisaient prévaloir la présomption d’innocence. Avec l’application immédiate de la contrainte par corps, on en revient à la présomption de culpabilité", conclut l’avocat.
Blaise Djouokep, (Jade)