Hommes, femmes et mineurs cohabitent, malgré eux, dans l’unique quartier de la prison principale d’Edéa. En violation des dispositions du Code de procédure pénale.
Prison principale d’Edéa : la cour grouille de détenus. Certains jouent au Ludo; d’autres alimentent les commentaires. Un peu plus loin, quelques-uns ont les yeux braqués sur l’unique écran de télé du pénitencier. Difficile de distinguer le condamné à mort du simple prisonnier, le mineur de l’adulte, le condamné du prévenu parmi ces visages tantôt souriants, tantôt fermés.
La séparation commence dans les cellules, collées les unes aux autres, et libres d’accès à tout à chacun. "Hormis la cellule disciplinaire, les mineurs, les condamnés à mort et les femmes ont des cellules différentes. Toutes les cellules donnent dans la cour. Ce qui fait qu’en journée, nous sortons pour nous amuser les uns avec les autres", indique, en sueur, Guillaume Bahileck, en détention depuis quatorze ans.
En cet après-midi ensoleillé de janvier 2012, il n'y a cependant pas l’ombre d’une femme dans la cour de cette prison. Les neuf prisonnières d’Edéa sont enfermées dans une cellule. Elles ne sortent que pour des occasions précises. "Je suis dehors parce que j’ai demandé la permission de suivre des enseignements bibliques. Je suis obligée de rester avec des hommes comme il n’y a pas un endroit réservé aux femmes pour apprendre la parole de Dieu. On sort aussi quand il faut aller aux toilettes. C’est gênant parce que pendant que tu traverses la cour, ton pagne peut tomber et ce n’est pas bien pour l’intimité de la femme", explique veuve Tchatchoua entourée par des hommes dans la chapelle catholique de la prison.
Grossesses non désirées
Depuis qu’elle a été créée en 1933 pour accueillir les détenus expatriés et mineurs de la prison centrale de Douala, la prison principale d’Edéa ne dispose que d’un seul quartier pour tous les prisonniers. D’une capacité d’accueil de quatre-vingt détenus à l’origine, elle compte aujourd’hui trois cent dix hommes, femmes et mineurs qui se partagent la cour, la cuisine et les toilettes.
Selon le superintendant Hamidou Pekariekoue, régisseur de cette prison, la séparation des détenus par catégorie préoccupe son administration. "La hiérarchie est au courant de nos besoins. Elle vient de nous octroyer des moyens pour la construction d’un forage d’eau potable. Les devis ont été transmis pour que la séparation des quartiers des mineurs et des femmes soit effective. Entre temps, nous n’avons pas croisé les bras. Nous avons sollicité des élites afin de régler ce problème, mais personne n’a encore réagi positivement", indique le régisseur.
Ce geste de l’État ou des âmes de bonne volonté est d’autant plus attendu que, par le passé, la non-séparation des détenus par catégorie a été à l’origine de grossesses non désirées en prison. Une situation épineuse qui a obligé l’administration à prendre des mesures restrictives pour réduire la promiscuité entre hommes et femmes. "Nous enfermons les femmes dans leur cellule en journée. Quand elles sortent le matin pour aller aux toilettes, c’est au tour des hommes de rester enfermé. Cela empêche le contact", ajoute le régisseur.
Les plus vulnérables en danger
Au départ salutaire, ces mesures n’arrangent plus les détenues qui se plaignent des conditions de détention qu’elles jugent insupportables au quotidien. "Nous sommes enfermées avec des réchauds à pétrole dans une cellule étroite. La fumée abîme nos vêtements ; certaines se plaignent de problèmes de vue. La semaine dernière, certaines d’entre nous avaient de la diarrhée parce que la nourriture de la prison avait été mal faite par les hommes. Nous avons demandé qu’on nous donne même une petite quantité de nourriture que nous allons préparer nous-mêmes ; l’administration n’a pas encore réagi", raconte veuve Tchatchoua.
En attendant, les femmes continuent de bouder la cuisine des hommes en préparant leur propre cuisine dans leur cellule.
Cette non-séparation des catégories de détenus n’agace pas que les femmes. Elle entraîne souvent des conflits entre mineurs et adultes. "Parfois, certains grands frères nous empêchent de prendre notre bain quand ils n’ont pas fini de se laver. Dans ce cas, nous appelons notre chef intérieur qui trouve souvent des solutions pour arranger tout le monde", explique, Alain Ngombe, un jeune de 17 ans.
On assiste à des effets plus graves encore. "La non-séparation des catégories des détenus expose les plus vulnérables (mineurs, femmes, malades, personnes du troisième âge.) à la violence physique, au viol, à la pratique de la pédophilie, à la transformation de délinquants primaires en redoutables criminels, à l’insertion des jeunes délinquants dans les gangs, à l’asservissement de certains détenus, etc. ", explique Maxime Bissay, coordinateur pour le Littoral de l’Action chrétienne pour l’Abolition de la Torture (Acat) .
Et pourtant ! Le code de procédure pénale condamne ce mélange des catégories de détenus. Selon l’article 555 de ce texte, " les condamnés à une peine privative de liberté sont répartis dans différentes catégories de prisons. Les conditions d’exécution des peines privatives de liberté […] doivent tenir compte de la nature de l’infraction, du quantum de la peine, du sexe, de l’âge, de l’état de santé mentale ou physique et de la conduite du condamné, de manière à concilier la nécessité de la réinsertion sociale de celui-ci et les impératifs de la discipline".
Ce n’est pas encore le cas à la prison principale d’Edéa. C’est pourquoi Maxime Bissay pense que "cette absence des infrastructures doit amener les responsables politiques à construire de nouvelles prisons qui répondent aux standards internationaux de protection des droits des détenus".
Christian Locka (Jade)