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Du trottoir à la rue comme en Tunisie et en Égypte - Page 7

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Index de l'article
Du trottoir à la rue comme en Tunisie et en Égypte
Donner du sens à l’espérance
Pour une conscientisation des étudiants en mal d'action
Le logement estudiantin en crise au Cameroun
Au bonheur des petits métiers.
Campus : l’univers de l’insécurité
Génération sacrifiée Vs Génération privilégiée : Un débat vicieux
Du trottoir à la rue comme en Tunisie et en Égypte
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"Génération sacrifiée"  Vs "Génération privilégiée" : Un débat vicieux

Au Cameroun, on parle de « Génération privilégiée » en référence aux « privilèges » qu’avaient les jeunes de la génération postindépendance et qui n’existent plus de nos jours. Il s’agit des facilités que l’on pouvait avoir dans le cursus éducatif, l’emploi, la qualité de vie, etc. Par opposition, on parle aussi de « Génération sacrifiée » en référence aux jeunes nés sous le Renouveau dans les années 1980 et qui connaissent un problème d’identité et d’intégration socioprofessionnelle. Ainsi, on relève à foison dans l’imaginaire populaire des accusations des jeunes ou de leurs parents allant dans le sens de ce que : « l’école d’aujourd’hui n’est plus l’école », « Paul Biya a coupé la bourse aux étudiants », « le travail est devenu njindja [rare] », « tu boulot, tu boulot mais, où sont les dos [le travail n’est pas rémunéré à sa juste valeur] », « le dehors est gâté [les temps ont changé] », « on ne ya plus sa tête sur ce pays [on est désillusionné par les réalités du pays] », « on est là mon gars, on va faire comment ? [on a marre de subir les difficultés du quotidien] », « le Cameroun me fatigue [décourage inlassablement] », « le Cameroun est pourri [invivable] », « on va aller se chercher [il n’y a plus d’espoir au Cameroun] », etc. De telles représentations de la réalité de la vie sociale au Cameroun font appel à la recherche d’un bouc-émissaire. Et comme le montrent les sociologues, le tort est prioritairement rejeté sur le pouvoir en place.

Cela nous permet d’avoir la deuxième acception du mot « sacrifié ». En effet, la spécificité du Cameroun sur le plan polico-administratif (interaction entre les acteurs ou « politics ») est l’abondance des gens de la « Génération Biya [plus de 70 ans] » dans le cercle du pouvoir. On entend dire : « ce sont les gens qui sont là jusqu’à la mort ». Cela révèle l’existence des états d’âme qui se sentent écartés, voire même « marginalisés » de la gestion de l’Etat. Par conséquent, les lésés se disent « sacrifiés » pourtant, ils sont la plaque tournante de la vie active. On estime que les jeunes de moins de 35 ans constituent environ 75% de la population active en Afrique centrale. Cette polémique trouve sa justification chez Machiavel ou encore plus loin, dans la société antique d’Athènes où les adversaires de la démocratie conçue comme Loi de la majorité faisaient état de ce que cette ordre des choses est contre-nature car, disent-ils, « c’est toujours la minorité qui dirige la majorité ».

D’autre part, ceux qui sont à la « mangeoire suprême » et qui sont accusés d’avoir « sacrifiés » les jeunes du Renouveau estiment plutôt que les jeunes « d’aujourd’hui » appartiennent à une « Génération privilégiée » en référence au fait que les bienfaits de la libéralisation en général et de la liberté d’expression en particulier qui sont l’œuvre du « Père du Renouveau [Paul Biya] », n’existait pas à l’époque du parti unique dirigé de main de fer par le Président Ahidjo. De plus, ils estiment que les bienfaits du développement technologique dans la facilitation de la vie sociale sont un « privilège » que les jeunes qui vivaient « autrefois dans la barbarie » d’après les paroles de leur hymne nationale, n’ont pas connu. Dans l’imaginaire des membres de la « mangeoire », C’est souvent ridicule d’entendre : « aujourd’hui, tu peux tourner sur un boulon au mûr et l’eau coule, est-ce que nous avions ça ? », « ils ont les routes et ils se plaignent ! », « tu prends ton téléphone et tu appelles quelqu’un ; nous, on devait parcourir des kilomètres à pied pour transmettre nos messages ! », « aujourd’hui, vous avez l’école à côté, bref, tout est facile pour vous ! »

Ce débat est fondé sur une base de comparaison biaisée parce que, tel que présenté, il n’est pas faisable d’isoler la variable « jeune » avec l’évolution du contexte. De même, ceux qui, dans l’évaluation de la politique de la jeunesse sous le Renouveau postulent que le Président Paul Biya est la cause du désœuvrement des jeunes de nos jours, ne peuvent pas s’appuyer sur les standards d’évaluation car, la variable « Paul Biya [mauvaise gouvernance et corruption] » n’est pas la seule variable explicative. Il convient donc, dans un modèle de causalité plus fiable, d’étendre la réflexion sur les racines du problème. En d’autres termes, il n’est pas juste, comme le postulent les défenseurs acharnés de l’alternance au pouvoir, de faire penser que le remplacement de la variable « Président Biya » par « Président X » sera la solution plausible aux problèmes de la jeunesse. Toutefois, nous respectons le point de vue de ces personnes en espérant pour eux qu’après Biya, le hasard conduira Jésus ou Mohammed au pouvoir. Sinon, il est plus plausible de se concentrer sur les vrais problèmes d’ordre opérationnel.

Pour des personnes qui revendiquent leur appartenance aux raisonnements pragmatiques, il convient pour elles d’être sensible aux fonds de la pensée de Charles Sanders Pierce, fondateur du pragmatisme, qui pose quatre piliers susceptibles de permettre de bâtir une réflexion crédible sur le fonctionnement sous-jacent de la société : il s’agit de l’autorité, de la ténacité, de l’a priori et de l’empirisme. En gros, la logique de la gestion de la société n’est pas objective et équitable. En effet, si l’on prend une question comme celle de la justice sociale, Pierce nous incite à envisager que ce qui est juste, n’est juste que par rapport à l’autorité de ceux qui le disent, à la ténacité qu’ils utilisent pour défendre leur point de vue, à la force des a priori rendant favorable leur vision et à la place de leur vision dans les connaissances empiriques sur le sujet. Cela permet de mieux comprendre un certain nombre d’assertions qui existent et qui renseignent à suffisance sur le fonctionnement sous-jacent de notre société : « tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit », « ce qui est bon pour la France est bon pour l’Afrique », « les occidentaux sont civilisés », « les Africains ne sont pas encore entrés dans l’histoire », etc.

En clair, si nous voulons résoudre le problème de notre jeunesse, nous devons, dans une espèce de démarche générativiste, admettre l’existence d’un archi-trait sous-jacent ou d’un facteur majeur qui chapote tous les autres facteurs mineurs qu’on déplore en surface au niveau national. Nous ne parlons pas ici en termes de facteurs endogène et exogène. Nous indexons la « mafia » souterraine qui conditionne la mise en œuvre officielle des politiques publiques. Il est légitime de penser que le problème du Cameroun en particulier et de l’Afrique Noire en général, n’est pas celui du manque du savoir ou du savoir-faire. Peut-être, il s’agit d’un manque du savoir-être. Mais, à toute évidence, en ce jour, fort est de constater qu’on sait exactement ce qui ne marche pas et les solutions appropriées. Le problème réel réside dans le manque de volonté opérationnelle de mettre en œuvre les vraies solutions. On prescrit expressément le faux médicament au malade. Ou mieux, on lui donne des solutions palliatives au lieu de le guérir définitivement. Pourquoi cette « mafia [méchanceté] » ?

Une hypothèse plausible est de reconnaître que nous vivons aujourd’hui dans un monde acquis à la cause d’une « Autorité malsaine » qui défend avec une Ténacité déloyale ses intérêts partout où cela est nécessaire en diffusant à profusion des « Idées reçues » sur le Tiers-monde et en s’appuyant sur un Empirisme qu’il fabrique lui-même (« L’Afrique n’est pas encore entrée dans l’Histoire »). Il est à penser que les « Autorités nationales » échouent de résister à « l’Autorité internationale » malsaine ou écrasante et que les premiers finissent par mettre sur pied les mêmes types de fonctionnement malsains au sein de leur pays. Nous sommes dans un cercle vicieux préoccupant. Si l’on remplace le Président Biya par un Président X, ce dernier sera obligé de se soumettre à « l’Autorité internationale » malsaine pour régner. Kakdeu (2010c) qui a étudié le discours des putschistes en Afrique Noire Francophone révèle que ceux des putschistes qui ont pu régner sont aussi ceux qui ont finalement arrimé leurs discours aux normes des « idées reçues » promues par l’Autorité internationale malgré le fait que leur motivation de base était de lutter contre le chao social. Ils disaient : « Les militaires veillent à la défense de l’intégrité du territoire », « Nous avons pris en main nos responsabilités ». Et ils finissent par dire : « Nous voulons instaurer la démocratie », « nous respectons la volonté de la communauté internationale ». Les deux derniers putschistes en date à savoir Sékouba Konaté de la Guinée et Salou Djibo du Niger faisaient ressortir dans leurs discours, la soumission aux « pressions » de la Communauté internationale d’une part et de leurs peuples d’autre part. Et quand on sait que les intérêts des membres de la Communauté internationale qui sont encore ceux qui pratiquent l’impérialisme, sont souvent drastiquement opposés aux intérêts des populations africaines, on comprend pourquoi, même les militaires qui « prennent leurs responsabilités », n’arrivent pas à mettre fin aux chaos sociaux vécus en Afrique. Dans les faits, quand ils prennent le pouvoir, ils finissent toujours par « entrer dans la danse » à défaut de se faire assassiner ou renverser. Ceci nous inspire que la politique de la jeunesse doit être stratégique et minutieusement orientée vers le développement de leur pays.

Une autre hypothèse plausible est de penser que la solution viendra de la rue comme en Tunisie. Mais, la rue peut renverser même le meilleur Président du monde à cause de la traversée d’une mauvaise conjoncture. La vraie et meilleure solution reste la consolidation des institutions souveraines. Il ne faut jamais oublier qu’une grande démocratie est faite des institutions fortes. Les institutions sont fortes lorsque tout le monde les respecte malgré les soutiens et connaissances personnelles que l’on peut avoir au sein de la communauté internationale. Les institutions sont toujours critiquables ou perfectibles mais, on doit les respecter pour accomplir les exigences de la démocratie. La jeunesse du Cameroun en particulier et de l’Afrique Noire Francophone en général, doit être préparée au respect des institutions et non à la descente dans la rue. Elle doit être formée à la maîtrise des outils institutionnels qui permettent de faire recours. C’est le seul gage de la stabilité et c’est le seul gage de l’épanouissement social.

Louis-Marie Kakdeu

Chercheur



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