Témoignage : « J’ai vu de mes propres yeux des êtres humains traités comme des animaux »

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Une Franco-camerounaise, Me Lydienne Yen Eyoum, partage son quotidien avec les rats, cafards, bandits de grand chemin, à la prison centrale de Kondengui, l’une des geôles les plus infectes de Paul Biya
Lydienne Yen-Eyoum, avocate franco-camerounaise dont mon confrère Charrière-Bournazel et moi assurons la défense, est détenue à la prison de Kondengui à Yaoundé depuis 3 ans. Les autorités camerounaises l’accusent, sans le prouver, d’avoir détourné des fonds publics alors qu’elle assurait la défense de l’État du Cameroun qui l’avait mandatée pour récupérer une énorme somme due par la filiale d’un établissement bancaire. Elle clame son innocence et affirme en outre que c’est au contraire l’État camerounais qui lui doit des sommes colossales au titre de ses honoraires.
L’arrestation en janvier 2010 de cette femme de 53 ans s’est faite dans ces conditions spectaculaires : des dizaines d’hommes en armes déployés autour de sa maison de Douala l’ont interpellée début janvier 2010, mitraillettes au poing, comme s’il s’était agi d’une terroriste susceptible de faire sauter le pays. Cette arrestation ne pouvait qu’être spectaculaire car elle devait marquer les esprits : c’est en effet dans le cadre de l’opération dite « Épervier » que cette interpellation a eu lieu : Paul Biya, président du Cameroun de façon ininterrompue depuis plus de 30 ans (au prix de quelques petites manipulations constitutionnelles) a décidé de faire bonne figure et de montrer à la communauté internationale (FMI et autres pourvoyeurs de fonds) qu’il luttait contre la corruption qui ronge le pays.

Il s’est engagé, en 2005, à poursuivre et faire interpeller quiconque susceptible d’être soupçonné, de près ou de loin, de corruption. Intention louable en apparence qui lui a surtout permis de mettre à l’écart toute personne dérangeante. « Épervier » s’est en effet vite avérée être un fourre-tout pratique permettant au dictateur qu’est Paul Biya de se débarrasser de pas mal de monde : opposants politiques de tous bords, prétendants à l’alternance, anciens ministres ou dirigeants de grandes entreprises, personnalités sachant trop de choses… Des dizaines de Camerounais ont fait les frais de cette opération et se retrouvent, comme Lydienne, derrière les barreaux pour des motifs officiels plus ou moins flous, sommairement ou pas du tout jugés. Certains se sont retrouvés condamnés à 30 ou 40 ans de prison, voire à la prison à vie, pour d’obscures raisons de corruption pas toujours prouvée.
Je rentre du Cameroun où je suis allée rencontrer Lydienne dans son pénitencier effrayant. Je suis bouleversée de ce que j’y ai constaté. C’est dans une véritable succursale de l’enfer que croupit aujourd’hui notre concitoyenne, une prison prévue pour 800 détenus mais qui en fait en abrite 4000, au milieu des rats et des cafards.
Elle dort chaque nuit dans une cellule de 12 mètres carrés en compagnie de 15 autres femmes, entassées dans des cages superposées où règne une chaleur étouffante.
J’ai vu de mes propres yeux des êtres humains traités comme des animaux, j’ai vu des pieds enchaînés et des détenus obligés de vider à main nue la fosse septique commune de la prison. J’ai pu apercevoir le quartier des hommes où les prisonniers sont contraints de dormir à tour de rôle, à même le sol, et d’effectuer leur détention debout en plein soleil par manque de place. Dans cette ignoble prison sont mélangés les adultes et quelques mineurs, des femmes enceintes, des criminels de droit commun et des opposants politiques, des malades mentaux parfois très violents. Le choléra décime les prisonniers, le sida les envoie régulièrement à la fosse commune toute proche. Y règnent la terreur, la faim, la violence poussée à son extrême… et bien entendu, aussi, la corruption à tous les étages. J’y ai croisé le regard désespéré de ces centaines d’êtres humains qui n’ont plus d’espérance depuis qu’ils ont franchi les portes de cet antre de l’horreur. « Lasciate ogni speranza, voi ch’entrate », aurait dit Dante Aligher.
Lydienne Yen-Eyoum est française mais les responsables camerounais s’en moquent éperdument car elle est devenue française par mariage, et ne reconnaissent de toute façon pas la double nationalité. Le Code pénal du pays dispose que la détention provisoire ne peut jamais excéder 18 mois même en matière criminelle. Mais au Cameroun le code pénal, comme tout texte de loi, n’a pas plus de sens que dans n’importe quelle dictature : il reste lettre morte dès lors qu’il s’agit de maintenir le pouvoir en place et de ne pas menacer la politique menée d’une main de fer par Paul Biya.
Ces 18 mois étant écoulés, voilà donc maintenant un an et demi que notre cliente est détenue sans titre, donc séquestrée arbitrairement, dans des conditions parfaitement inadmissibles tant au regard du droit français que de celui des conventions internationales ratifiées par le Cameroun lui-même. En France, une instruction va s’ouvrir prochainement pour séquestration arbitraire et actes de torture et de barbarie, puisque cette femme française peut bénéficier de la protection des juridictions françaises et avoir un statut de partie civile. La Cour de cassation s’apprête à appliquer à Lydienne la fameuse jurisprudence dite des Français de Guantanamo et permettre ainsi à un juge d’instruction français d’enquêter sur ce qui se passe là-bas. Notre concitoyenne a tout récemment reçu la visite de François Zimeray, ambassadeur de France aux Droits de l’homme, qui est s’est dit « choqué » par ses conditions d’incarcération et a rappelé aux autorités locales « qu’un présumé innocent est un innocent ». Cette démarche est une excellente chose, mais s’avère manifestement insuffisante. Il est indispensable que le cas de ma consœur franco-camerounaise soit traité sur le plan politique par l’Elysée et le Quai d’Orsay, avec autant d’égard que ceux de Florence Cassez, de Clothilde Reis voire d’Ingrid Bettancourt. Ça n’a pas été le cas jusqu’à présent, la « Françafrique » (ou France à fric peut-être) aux relents putrides ayant jusqu’à présent bloqué le processus normal de la justice française.
Me Caroline Wassermann, du Barreau de Paris

 

Source: http://laregledujeu.org