Enoh Meyomesse parle de son arrestation et de son incarcération

Imprimer
Note des utilisateurs: / 0
MauvaisTrès bien 

L'air un peu hagard, un peu amaigris, cheveux grisâtres, chemisette rayée tachetée, pantalon légèrement sombre et sandales aux pieds, Enoh Dieudonné, alias Enoh Meyomesse, affiche un léger sourire et un visage radieux lorsque, sortant de la cellule de passage où il est logé depuis le 22 décembre 2011 , il aperçoit dans un angle de la cour des visites de la prison centrale de Kondengui, le reporter de Germinal qui venait juste de franchir la grille qui sépare ce lieu de la cour de cérémonie où est logée l’administration de ce pénitencier malfamé de la capitale politique du Cameroun. Du coup un gardien de prison se rapproche du reporter et essaie d’écouter discrètement ce qu’il dit au nouveau pensionnaire. Il ne cesse d’ailleurs de les regarder à la dérobée. Comme tous les dimanches, les mardi et les jeudis de chaque semaine, jours consacrés aux visites, cette cour des visites grouille de monde ce jeudi 29 décembre 2011.
Très ému, celui qui est aujourd’hui présenté comme étant le chef d’un gang qui aurait perpétré

un braquage à main armée dans localité de Betaré Oya (Est-Cameroun) il y a environ deux mois se jette dans les bras du reporter de Germinal en lui souhaitant la bienvenue dans cet enfer sans nom. D’emblée, il exprime sa reconnaissance envers les médias et les compatriotes de la diaspora pour le travail de sensibilisation de l’opinion publique nationale et internationale. Aussi évoque-t-il avec émotion la situation surréaliste et l’univers kafkaïen dans lesquels il se trouve actuellement. « J’avoue que, déclare-t-il, sans les médias et des compatriotes, surtout ceux de la diaspora, je serais déjà mort. Le travail d’alerte et de sensibilisation qu’ils ont abattu m’a donné de l’espoir ».

Lorsque le reporter cherche à savoir ce qui s’est réellement passé, Enoh Dieudonné devient assez prolixe. « J’étais allé au Singapour rencontrer des partenaires afin de les convaincre de venir investir au Cameroun. À mon retour le 22 novembre 2011, si mes souvenirs sont exacts, dans le hall de l’aéroport international de Nsimalen, j’aperçois deux personnes qui brandissent une de mes photos qui habituellement se trouve dans ma chambre. Je me dirige vers ces personnes pour chercher à savoir ce qui se passe et tenter de comprendre d’où leur vient ma photo. Soudain, l’une des personnes me fait savoir que je suis en état d’arrestation. C’est plus tard que j’apprends qu’il s’agissait du colonel Oumarou Ngalibou, commandant de la légion de gendarmerie de l’Est-Cameroun. Je suis conduit manu militari au secrétariat d’État à la défense (Sed) à Yaoundé où on me livre à deux enquêteurs pour exploitation. C’est au moment de l’interrogatoire, quand les enquêteurs me demandent de leur indiquer notre cache d’armes que j’apprends que je serais à la tête d’un gang de braqueurs et qu’en complicité avec des forces étrangères, nous serions en train de fomenter un coup d’État. Aussi, après plusieurs minutes d’interrogatoire serré, les deux enquêteurs me demandent-ils de bien parler quand le colonel sera là, autrement dit de négocier ma libération en lui proposant de l’argent, car soutiennent-ils, le colonel aime de l’argent.

Quelques instants après, le colonel arrive. Il me soumet également à un interrogatoire musclé qui dure un peu plus de deux (2) heures ou trois (3) heures, durée au cours de laquelle nous nous affrontons. Malgré les intimidations, les insinuations, les menaces et les déclarations selon lesquelles mes ‘’complices’’ avaient déjà avoué et connaissant leurs méthodes, je refuse de céder. De manière récurrente, il fait allusion au coup d’État en préparation et aux armes qui seraient cachées pour parvenir à cette fin. Pendant ce temps, autour de moi, les enquêteurs gesticulent et me font des signes indiquant qu’il me faut proposer quelque chose au colonel Oumarou Ngalibou. Très épuisé, et juste pour faire baisser cette pression et atténuer son acharnement, je cède à cette tentation et lui propose une somme 10 000 dollars pour arrangement. Il soupire, lâche prise et déclare : ‘’voilà ce qui est bien dit. 10000 dollars, ça fait 10 000 0000 de FCfa ‘’. Je précise en lui disant que cela fait un peu plus de 4 500 000 FCfa. Il me demande de ne pas m’inquiéter.

Par la suite, le lendemain 23 novembre 2011, je suis conduit à Bertoua où je suis jeté dans une cellule obscure et infecte de la légion de gendarmerie de l’Est. C’est dans cette cellule que je faisais mes besoins. Je ne voyais la lumière du jour qu’au moment où j’allais déverser mes déchets (fèces et urines) à l’extérieur. J’ai même failli perdre ma vue qui a d’ailleurs pris un sérieux coup. C’est quand j’apprends aujourd’hui que j’ai tenté de corrompre le colonel Oumarou Ngalibou que j’ai la certitude que les ‘’conseils’’ à moi prodigués par les enquêteurs étaient un traquenard. D’ailleurs, j’avais eu un pressentiment.

Le 21 décembre 2011, un gendarme vient nous demander de nous apprêter. Quand nous sortons de nos cellules, nous sommes surpris de nous retrouver au milieu d’un attroupement dans la cour de la légion de gendarmerie de l'Est à Bertoua. Une mise en scène destinée à nous présenter au public comme de vulgaires malfrats. Il se dit que presque toutes les autorités de la ville de Bertoua étaient présentes. Les populations, les journalistes, les photographes y étaient également. Menottés, ils ont donné à chacun de nous des papiers sur lesquels ils avaient pris soin d’écrire nos nom, âge et le soi-disant motif de notre arrestation. Comme stock d’armes destinées soit à faire le coup d’État ou utilisées pour voler et sur lequel ils auraient mis la main après perquisition de nos domiciles, ils ont également présentés au public: une tenue militaire neuve, une kalachnikov et un pistolet automatique neufs. Un véritable trésor de guerre digne d’une légende, tu conviendras avec moi.

C’est après cette mise en scène que nous avons été transférés à Yaoundé. Le jeudi 22 décembre 2011, nous sommes passés brièvement devant le tribunal militaire qui a décidé de nous placer en garde-à-vue à la prison centrale de Kondengui »

Plainte

Des sources crédibles soutiennent que le voyage effectué par Enoh Dieudonné au Singapour a été entièrement financé par ses partenaires. Aussi le militant engagé et candidat recalé à la présidentielle de 2009 ne dispose-t-il ni compte bancaire, ni argent pouvant lui permettre de corrompre les enquêteurs. Ces sources indiquent également que le jour de son interpellation à l'aéroport international de Nsimalen, il ne disposait sur qu'une modique somme de 79€, une information confirmée par son avocat Me Jacques Mbuny. Selon ces  même sources, «pour payer la caution de 5 millions de francs CFA exigée pour être candidat à l'élection présidentielle, un militant du parti qu'il dirige Parena avait dû hypothéquer son titre foncier afin d'obtenir un prêt auprès de sa banque».

Dans cette affaire, souligne un avocat, en présentant publiquement Enoh Dieudonné et les autres comme des coupables de vol aggravé, il y a violation flagrante du principe de la présomption d'innocence. Selon l'article 8 du code de procédure pénale (Cpp), «(1) Toute personne suspectée d'avoir commis une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui seront assurées. (2) La présomption d'innocence s'applique au suspect, à l'inculpé, au prévenu et à l'accusé». Compte tenu du temps mis par les présumés coupables de vol aggravé à la légion de gendarmerie de Bertoua (lire ci-dessous), un autre avocat souligne la violation des dispositions des articles 118 et suivants relatifs à la garde à vue (lire l'extrait du code de procédure pénale).

Très remonté contre le colonel Oumarou Ngalibou , Enoh Meyomesse devrait consulter, dans les jours à venir, ses avocats afin de voir dans quelle mesure il portera plainte contre cet officier supérieur de l'armée camerounaise qui se serait introduit dans son domicile sans mandat de perquisition dûment signé par le procureur de la République. Pour le candidat recalé à la présidentielle du 09 octobre 2011, « le colonel Oumarou Ngalibou s’est introduit chez moi par effraction sans mandat de perquisition dûment signé par le procureur de la République. Mes avocats et moi décideront de ce que nous allons faire. Nous allons certainement porter plainte contre lui. Il faudrait bien qu’il réponde de ses actes».

Un détenu qui a écouté l’entretien que nous avons eu avec Enoh Dieudonné ne croit ni à la thèse du braquage ni à celle d’une tentative de coup d’État. « Grand frère, dit-il, je suis ici pour braquage et vol à main armée. Quand j’ai lu cette histoire dans la presse, j’ai tout de suite dit à mes codétenus que c’est un montage. La kalach et la tenue neuves, le pistolet neuf trahissent ceux qui ont monté cette histoire. Mais où sont les couteaux ? Qu’on nous dise qu’ils ont acheté de l’or issu d’un braquage, cela se comprendrait. Mais qu’ils ont braqué avec ce matériel neuf, ça fait sourire. Quatre personnes, une tenue militaire, une kalach, un pistolet automatique : devaient-il utiliser ce matériel à tour de rôle ? C’est trop gros. De plus, dans quel pays au monde peut-on faire un coup d’État avec ça ? Seulement au Cameroun ».

Un gardien de prison qui a requis l’anonymat ne croit pas lui non plus à la tentative de corruption : « Cette affaire me semble complexe. Elle doit avoir des relents politiques. vous comprenez pourquoi je ne peux pas vous recevoir dans mon bureau. Peut-être est-ce une tentative d’intimidation, un message lancé en direction de tous ceux qui rèvent de faire bouger le Cameroun ou un règlement de compte. J’ai rencontré Enoh Dieudonné deux fois ici à la prison centrale. À chaque fois, il me demandait de lui trouver 200 FCfa (0,30 €) pour manger. Cette tentative de corruption semble avoir été un piège tendu par les enquêteurs pour accréditer une thèse. Laquelle? », s'indigne-t-il, visiblement choqué.
Au moment où nous étions à la prison centrale de Kondengui, Enoh Dieudonné était encore dans la cellule de passage. Certains détenus ont affirmé que dans les prochains jours, il devrait être transféré au Kosovo, c’est-à-dire soit au quartier 8, soit au quartier 9, lieu où le journaliste Germain Cyrille Ngota Ngota, alias Bibi Ngota avait trouvé la mort.

Faut-il le souligner, les quartiers 8 et 9 (Kosovo) avaient été construits pour accueillir au maximum 400 détenus chacun. De nos jours, chaque quartier du kosovo compte plus de 1200 détenus. Un véritable goulag tropical où chaque jour plus de 200 détenus dorment à la belle étoile et où il n’est pas rare de constater que des détenus démunis, en guenilles, rongés par la gale et autres maladies de la peau, pour se nourrir et se vêtir, vont fouiller dans les poubelles.

Jean-Bosco Talla

Repères

 

Noms et prénoms

Dates des interpellations

ou des arrestations

Date du déférement au

Tribunal militaire

Nombre jours détenus

en garde à vue

1 Manda Bernard 11 novembre 2011 22 décembre 2011 42
2 Song Kanga 15 novembre 2011 22 décembre 2011 39
3 Ndi Benoît 18 novembre 2011 22 décembre 2011 37
4 Enoh Dieudonné 22 novembre 2011 22 décembre 2011 30

 

Extraits du Cpp: Titre II, Section 5, De la garde à vue

Article 118: (1) La garde à vue est une mesure de police en vertu de laquelle une personne est, dans le cas d'une enquête préliminaire, en vue de la manifestation

de la vérité, retenue dans un local de police judiciaire, pour une durée limitée, sous la responsabilité d'un officier de police judiciaire à la disposition de qui il doit rester.

 

(3) En dehors des cas prévus aux alinéas (1) et (2) ci-dessus, toute mesure de garde à vue doit être expressément autorisée par le Procureur de la République. Code de procédure pénale
(4) Mention de cette autorisation doit être faite au procès-verbal.
Article 119: (1) a) Lorsqu'un officier de police judiciaire envisage une mesure de garde à vue à l'encontre du suspect, il avertit expressément celui-ci de la suspicion qui pèse sur lui et l'invite à donner toutes explications qu'il juge utiles.
b) Mention de ces formalités est faite au procès-verbal.
(2) a) Le délai de la garde à vue ne peut excéder quarante huit (48) heures renouvelable une fois.
b) Sur autorisation écrite du procureur de la République, ce délai peut, à titre exceptionnel, être renouvelé deux fois.
c) Chaque prorogation doit être motivée.
(3) En tout état de cause, l'audition d'un témoin ne peut seule, justifier une prorogation de garde à vue.
(4) Sauf cas de crime ou de délit flagrant, la mesure de garde à vue ne peut être ordonnée les samedi, dimanche ou jour férié. Toutefois, si elle a commencé un vendredi ou la veille d'un jour férié, elle peut être prorogée dans les conditions précisées à l'alinéa (2).
Article 120: (1) Nonobstant les dispositions de l'article 119 alinéa (2), le délai de la garde à vue est prorogé, le cas échéant, en fonction de la distance qui sépare le lieu d'arrestation du local de police ou de gendarmerie où elle doit être exécutée.
(2) La prorogation est de 24 heures par 50 kilomètres.
(3) Mention de chaque prorogation est faite au procès-verbal d'arrestation.
Article 121: Le délai de la garde à vue court à partir de l'heure à laquelle le suspect se présente ou est conduit dans les locaux du commissariat de police ou de la brigade de gendarmerie. Cette heure est mentionnée dans le registre de main courante et au procès-verbal d'audition.
Article 122: (1) a) Le suspect doit être immédiatement informé des faits qui lui sont reprochés. Il doit être traité matériellement et moralement avec humanité.
b) Au cours de son audition, un temps raisonnable lui est accordé pour se reposer effectivement.
c) Mention de ce repos doit être portée au procès-verbal.
(2) Le suspect ne sera point soumis à la contrainte physique ou mentale, à la torture, à la violence, à la menace ou à tout autre moyen de pression, à la tromperie,à des manoeuvres insidieuses, à des suggestions fallacieuses, interrogatoires prolongés, à l'hypnose, à l'administration des drogues ou à tout autre Code de procédure pénale procédé de nature à compromettre ou à réduire sa liberté d'action ou de décision, à altérer sa mémoire ou son discernement.
(3) La personne gardée à vue peut, à tout moment, recevoir aux heures ouvrables la visite de son avocat et celle d'un membre de sa famille, ou de toute autre personne pouvant suivre son traitement durant la garde à vue.
(4) L'Etat assure l'alimentation des personnes gardées à vue. Toutefois, ces personnes sont autorisées à recevoir quotidiennement de leur famille ou de leurs amis les moyens nécessaires à leur alimentation et à leur entretien.
(5) Tout manquement, violation ou entrave à l'application des dispositions du présent article expose son auteur à des poursuites judiciaires sans préjudice, le cas échéant, des sanctions disciplinaires.
Article 123: (1) La personne gardée à vue peut, à tout moment, être examinée par un médecin requis d'office par le procureur de la République. Le médecin ainsi requis peut être assisté d'un autre choisi par la personne gardée à vue, et aux frais de celle-ci.
(2) Le procureur de la République peut également requérir cet examen médical à la demande de l'intéressé, de son avocat ou d'un membre de sa famille. Il est procédé audit examen médical dans les vingt-quatre (24) heures de la demande.
(3) A la fin de la garde à vue, il est obligatoirement procédé à l'examen médical du suspect à ses frais et par un médecin de son choix si l'intéressé, son conseil ou un membre de sa famille en fait la demande. Dans tous les cas, il est informé de cette faculté.
(4) Le rapport du praticien requis est versé au dossier de procédure et copie en est remise au suspect.
Il peut être contresigné par le médecin choisi qui, le cas échéant, y formule des observations.
Article 124: (1) L'officier de police judiciaire mentionne au procès-verbal les motifs de la garde à vue et des repos qui ont séparé les interrogatoires, le jour et l'heure à partir desquels il a été soit libéré, soit conduit devant le procureur de la République.
(2) Les mentions prévues à l'alinéa (1) doivent être visées par le suspect dans les formes prescrites à l'article 90 (3), (4), (5) et (7). En cas de refus, l'officier de police judiciaire en fait mention au procès-verbal.
(3) Les mêmes mentions doivent figurer sur un registre spécial tenu dans tout local de police judiciaire susceptible de recevoir des suspects ; ce registre est soumis au contrôle du procureur de la République.
(4) L'inobservation des règles édictées au présent article entraîne la nullité des procès-verbaux et des actes subséquents sans préjudice des sanctions disciplinaires contre l'officier de police judiciaire.
Article 125 (1) Lorsque l'officier de police judiciaire se trouve éloigné du siège du tribunal, les demandes de prorogation de garde à vue sont faites par voie téléphonique,
message-radio, message-porté, télécopie, courrier électronique et tout autre moyen de communication rapide.
(2) La décision du Procureur de la République est donnée par les mêmes voies et, le cas échéant, confirmée par écrit. Elle est immédiatement notifiée au suspect par l'officier de police judiciaire.
(3) Si l'officier de police judiciaire ne peut entrer rapidement en communication avec le Procureur de la République, il doit remettre le suspect en liberté avec ou sans caution. Toutefois, en cas de crime ou de délit flagrant, ou si le suspect n'a pas de résidence connue ou ne peut fournir une des garanties prévues à l'article 246 (g), l'officier de police judiciaire peut, nonobstant les dispositions des articles 119 et 120, proroger la garde à vue pour une durée maximum de huit (8) jours.

(4) Mention de cette prorogation est faite au procès-verbal.

Article 126: Lorsque la prorogation de la garde à vue est refusée, les dispositions de l'article 117 alinéa 2 sont applicables.

Un prix Nobe et des écrivains demandent la libération de Enoh Meyomesse

C’est la deuxième fois qu’ils l’arrêtent en un an. Le 30 janvier 2011, Enoh Meyomesse, président de l’Association Nationale des Ecrivains Camerounais, se rendait en Côte d’ivoire quand il fut interpellé à l’aéroport de Nsimalen, à Yaoundé, et son passeport saisi. Il lui fut alors interdit de sortir du territoire pendant plusieurs jours. Ce 22 novembre, c’est au retour de Singapour qu’il fut arrêté au même aéroport. Mené d’abord au SED, dans les services secrets de sécurité, puis à la gendarmerie de Bertoua, il est emprisonné depuis à la prison de Kondengui, après la prison militaire de Yaoundé. De quoi l’accuse-t-on ? D’être associé à l’attaque de la mine d’or de Bertoua, en bref, d’association de malfaiteurs, de braquage, d’escroquerie et de trafic de minerais, sinon d’organisation d’un coup d’Etat.

Qui est Enoh Meyomesse ? Voici ce qu’en dit un de ses compatriotes, artiste : c’est un ‘prototype rare, d'une intelligence incontestable, argument pointu et rigoureux, il m'a donné l'envie d'être camerounais et un sentiment d'appartenance à ce pays. Petit, j'entendais parler de lui. En devenant adulte il a forcé mon admiration. Vivement qu'il sorte de là saint et sauf. Enoh ne s'appartient plus, il est la propriété de toute une génération qui se sent libérée du joug colonial et des mentalités postcoloniales. Sa franchise débordante affiche clairement son honnêteté intellectuelle, c'est le Jean-Paul Sartre camerounais, franc jusqu'au bout des ongles, et d'une humilité sans pareil.’

Ce Jean-Paul Sartre camerounais ne serait-il donc qu’un malfrat de la pire des espèces ? Cet auteur de nombreux articles dont l’influent ‘Accentuer la lutte pour la chute de Paul Biya’ (2009), cet historien courageux, auteur de livres comme Um Nyobé, le Combat Interrompu (2011) ; Discours sur le tribalisme (2010), Le Sous-developpement politique au Cameroun (2010), Le retard de la démocratie en Afrique centrale : Le cas du Cameroun (2009), ne serait-il donc qu’un bandit? Candidat à l’élection présidentielle du 9 octobre 2011 sous la bannière du Front National Uni (FNU), sa candidature ne fut pas ‘validée’ par la Cour suprême – se serait-il donc retrouvé quelques semaines après braquant une mine d’or à Bertoua et en trafiquant le contenu avec des malfaiteurs en Asie ?

Rocambolesque que cette histoire ! Et pourtant : les leaders de l’indépendance camerounaise, Ruben Um Nyobé, Ernest Ouandié furent traités eux aussi de ‘bandits’, avant d’être arrêtés et exécutés dans la brousse. La littérature africaine témoigne de cette ignominie, elle aussi : il y a quelques années, Ken Saro-Wiwa était accusé de ‘meurtre’ et paya de sa tête le prix d’une humanité encore incrédule. Bien avant lui, Wole Soyinka, futur prix Nobel de littérature, était accusé de ‘vol à main armée’, puis acquitté ; d’avoir ‘acheté des armes pour le Biafra’, et plus tard condamné pour ‘haute trahison’, puis acquitté. Avant lui, Jacques Rabemananjara, chantre de la négritude, était condamné à perpétuité pour ‘haute trahison’. Il passera neuf ans en prison à la fin. Assassinat de caractère avant l’assassinat ! Jusqu’à quand allons-nous laisser faire ? Ici les mots catégoriques que Senghor écrit dans l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache en 1948 pour introduire Rabemananjara alors prisonnier raisonnent vivement, parce qu’ils sont les seuls qui vaillent devant la prison de l’écrivain camerounais: une âme aussi grande ne peut pas participer par ses actions, de ce crime si bas dont il est accusé. Libérez Enoh Meyomesse !

J.M.G. Le Clezio, écrivain, prix Nobel de littérature, France

Patrice Nganang, écrivain, Cameroun

Kossi Efoui, écrivain, Togo

Eugène Ebodé, écrivain, Cameroun

Nicolas Martin-Granel, critique, France

Jean-Luc Raharimanana, écrivain, Madagascar

Ken Harrow, critique, Etats-Unis

Koulsy Lamko, écrivain, Tchad

Muepu Muamba, écrivain, République Démocratique du Congo