Des millions enterrés pour faire un deuil

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Les obsèques  des grands de la République  ou de  leurs proches prétextes aux dépenses somptuaires.
Le 5 mai 2007, Gilbert Edouard Andzé Tsoungui était porté sous terre. Pour son dernier voyage vers l'éternité, l'ancien vice premier ministre chargé de l'Administration territoriale a eu droit à tous les honneurs de la nation et de ses proches. Et comme dernière demeure, le grand commis de l’État a hérité d’un luxueux caveau familial qui  a impressionné beaucoup à Nkolondom I,  son village natal qui, en l’espace de deux jours a vu passer un parterre impressionnant de personnalités camerounaises dont le représentant personnel du chef de l'État, Chief Inoni Ephraïm. Mais avant l’acte final de Nkolondom I, beaucoup avaient déjà été frappés par la qualité des obsèques auxquels avait droit  l’ex vice –premier ministre. Dont la dépouille mortelle dès le tarmacadam de l’aéroport de Nsimalen avait fait une escale dans une chapelle ardente spécialisée dressée à cet effet. La suite du programme prévoyait également une veillée funèbre à la basilique mineure de Mvolyé. Où une messe pontificale dite par un collège d’évêques (Mes Victor Tonye Bakot Jérôme Owono Mimboe et Athanase Balla), et de prêtres est venue rehausser la dimension de l’homme disparu quelques semaines plus tôt (le 8 avril 2007) en terre belge. Dans ces moments graves, un abbé, Jean Marie Bodo, manque généralement à l’appel. Et sa présence au cours d’un office funèbre signifiait  que l’on était dans un « grand deuil », minutieusement organisé, comme c’est désormais la règle, par un comité d’organisation constitué d'élite du département d’origine du défunt que présidait le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé, Gilbert Tsimi Evouna.
Pour la réussite des obsèques de Gilbert Édouard Andzé Tsoungui, la salle des actes de l’Hôtel de ville de Yaoundé a abrité de nombreuses réunions du comité d’organisation au cours desquelles, les diverses  commissions (finances, restauration, communication…) faisaient, en liaison avec la famille du défunt, le point des préparatifs. Au bout du compte, des faire part de plus de dix pages, des banderoles, des tenues et autres accessoires ont été confectionnés. Au finish, une démonstration de force comme celle vécue quelques mois avant, lors des obsèques du général de brigade Blaise Benae Mpeke. Les cérémonies d’adieu de l’ex-chef d’état-major particulier du président de la République ont marqué Kribi,  sa ville natale.  
A tous les coins de la rue, des banderoles lui rendaient hommage. Et dans sa concession de Mboamanga,  le décor avait été planté pour des obsèques cinq étoiles. Quelques jours, après son inhumation, l’enterrement de madame Ngouah Ngally  était venu s’ajouter à la liste des grands deuils  du département de l’Océan. Avec son lot de chapelle ardente, de banderoles en tissu haut de gamme, des pagnes, et autres gadgets haut de gamme.
Dame Céline Edoa, spécialisé à Yaoundé dans l’organisation des grands deuils présente leurs caractéristiques. « Généralement, une chapelle ardente abrite la bière placée sur un socle  qu’entourent des gerbes de fleurs et des photos. Une haie de sécurité oriente le public. Les murs et le plafond de la maison endeuillée sont entièrement décorés de rideaux blancs ou pourpres. Ça fait partie du décor », explique-t-elle avant de préciser que l’habillement d’une maison  mortuaire va souvent chercher dans les 250.000 FCfa. Et pour les autres accessoires : banderoles,  foulards, macarons,  tenues, pagnes imprimés et autres gadgets confectionnés en la mémoire des illustres disparus, les familles mettent du prix.
Mais ce n’est pas tout. Au cours des grands deuils, certaines familles au plus grand bonheur des couturières font confectionner des tenues d’ensemble.   Une tenue faite de satin blanc est de mise  pour les cérémonies de mise en bière et l`inhumation. Et  les pagnes pour la veillée mortuaire. Et dans la cour des cérémonies, des tribunes distinguent les catégories des personnes invitées aux obsèques. Personnalités, amis de la  famille, belle-famille, collègues, presse. Peut-on y lire. La ripaille qui suit l’inhumation est l’occasion de faire tout l’étalage de la puissance financière de la famille du défunt qui n’hésite pas à solliciter à grands frais des services traiteurs.
Pour accueillir dignement les invités, le comité d’organisation d’un grand deuil coiffé par l’élite la plus en vue du département d’origine du défunt prendre souvent sur lui, de construire en quelques jours,  une maison que le mort de son vivant n’avait eu le temps d’ériger  au village natal. Il est vrai que l’enveloppe présidentielle désormais rituelle suffit souvent pour régler les derniers détails.
Serge Alain Ka’abessine

Séverin Cécile Abéga
"Les grands deuils sont une stratégie d'ostentation et un jeu de rivalités"
Qu'est-ce qui peut expliquer que des familles dépensent beaucoup d’argent pour enterrer un proche ?
Le deuil est organisé pour les vivants et non pour les morts. Donc les vivants vont utiliser ça pour montrer ce qu’ils sont. C’est une stratégie sociale et politique, pour montrer ce qu’ils sont en terme politique et social. C’est une stratégie d’ostentation et jeu de rivalités parce qu’on veut comme voir mieux que les autres. C’est aussi une stratégie de capture. En donnant à boire et à manger aux gens, on les attire. Et au moment venu, on peut les utiliser à d’autres fins
Est-ce que cette façon de faire entre dans nos mœurs ?
Le deuil au départ préparait et accompagnait l’esprit du défunt vers son Nouveau Monde. Le mort va un Nouveau Monde parce que la vie ne s’arrête pas avec la mort. On prépare le voyage. C’est ainsi qu’en jouant du tam-tam, l’on appelait les esprits à accueillir le monde, à faciliter la traversée du fleuve qui sépare le monde des vivants de celui des morts. En fait, on organise l’insertion du mort dans le monde des ancêtres. C’était ça le sens premier des rites funéraires : préparer le voyage du mort, l’accompagner et accompagner son insertion. En même temps, il famille réorganiser la famille éprouvée par la perte d’un être cher qu’il fallait remplacer. Enfin, il y avait une prise en charge morale parce que les gens qui sont en deuil sont généralement affectés sur le plan psychologique. Il fallait les aider à surmonter le coup. Ces rôles aujourd’hui, on a tendance à les oublier
Qu’est ce que l’anthropologue  pense de cette évolution des mœurs?

L’anthropologue ne juge pas, il observe. Néanmoins c’est une évolution qui est nouvelle. Mais qui a des répercussions sur le plan économique et social. La famille endeuillée reste souvent endettée parce qu’elle a dépensé des millions. Ce sont des ressources littéralement détruites. Sur le plan politique, il y a un surgissement des tensions par ce que je viens de décrire qui cristallise souvent les rivalités. Reste aussi que la fragilité psychologique des familles est négligée. C’est plutôt l’estomac qui est privilégié.
Propos recueillis par
Yvana Clair Owona

* A titre posthume