Afrique aux épines

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Afriques aux épines ou Afrique maudite depuis le fameux Cham, le saint patronyme de la race noire selon la Sainte Bible !? On dirait – au vu des calamités qui l’accablent depuis plus de cinq cents - dès ses premiers contacts traumatisants avec une Europe à peine sédentarisée, qui renoue aussitôt avec les démons du nomadisme par la sanglante, la presque génocidaire exploration du Nouveau Monde suivie du Commerce Triangulaire, d’une corrosive colonisation du Continent Noir, phénomène de nos jours en train de se démultiplier en Mondialisation.
Un regard tant soit peu appuyé révèle l’Afrique encore échouée dans une situation qui ne cesse de préoccuper ses peuples, de les amener à douter de leurs possibilités, à croire (plus ou moins sincèrement) au fatalisme climatique, à la hiérarchie des races établie par Gobineau et proclamée en termes de sang par Hitler : aggravation grandissante de l’aliénation collective par un système d’enseignement resté essentiellement colonial, une démocratisation en trompe-l’œil qui amène parfois à souhaiter autres formes du même malheur, moins ruineuses économiquement, moins honteuses pour tout homme sensible – surtout si elles avaient quelque part des velléités nationalistes - un despotisme éclairé, par exemple. A la place sévit une dictature apparemment civile, mesquine à souhait, sans perspectives (rareté des ambitions collectives), au service de sordides intérêts étrangers peu avouables – notamment dans les métropoles occidentales quelque peu respectueuses de l’opinion nationale.
Dans le présent ouvrage de Monsieur Hilaire Sikounmo, la corruption structurelle et conjoncturelle de l’appareil d’État s’engraisse de la promotion entêtée de la médiocrité, du tribalisme, du faux et usage de faux : l’honnête gendarme et puni en lieu et place du voleur intrigant ; on fait une carrière de cauchemar aux rares agents de l’État qui hésitent à prendre joyeusement place dans le cercle des profiteurs arrogants, qui osent signifier à ces Messieurs et Dames « modernes » que la survie du pays passe par un minimum de respect du bien public, du mérite qui sauve dans la vie en société. Sans ces valeurs incarnées par des adultes donnés en modèles et adroitement inculquées à l’enfance et à la jeunesse, il y a lieu de pousser à la déchéance la communauté nationale et désespérer à jamais de son avenir en tant que peuple promoteur ou créateur de civilisation viable.
En attendant, le constat du Jean de La Fontaine continue de s’imposer ; sous les Tropiques plus que partout ailleurs : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Les forces de l’ordre ne se font nullement prier pour le démontrer au quotidien, au point d’amener progressivement le voyageur à ne pas pouvoir établir de distinctions nettes entre les bandits de grands chemins à la gâchette facile, puissamment armés appelés coupeurs de routes et les compatriotes « formés » et payés pour assurer la sécurité du citoyen. S’ils ont quelque part l’impression que leurs complices civiles leur en imposent dans la course frénétique à l’enrichissement personnel – en saignant à blanc le pays – ils cherchent à prendre les devant de la scène du Pouvoir. Du sang doit couler à flot, jusqu’à l’atteinte d’un nouvel équilibre entre les clans mafieux du néocolonialisme

Repères
Nom de l’auteur : Hilaire Sikounmo
Titre de l’ouvrage : Afrique aux épines
Genre littéraire : nouvelles
Edition : L’Harmattan France
Nombre de pages : 297
Année d’édition : juin 2010
Nationalité : camerounaise
Profession : professeur de Lycée à la retraite
Prix unitaire : 27 euros
Points de vente : les librairies L’Harmattan et partenaires
Du même auteur
1-Au Poteau, L’Harmattan, 2010
2- Débris de rêves, L’Harmattan, 2010
3- Jeunesse et éducation en Afrique noire, L’Harmattan, 1995
4- L’Ecole du sous-développement : gros plan sur l’enseignement secondaire en Afriq L’Harmattan, 1992

En cas d’incertitude sur l’issue à terme de la chicane sanglante, l’intervention étrangère se manifeste de diverse manières : apport de mercenaires, de troupes régionales et dans certains cas françaises, et toujours contre espèces sonnantes et trébuchantes. Tant pis si la situation dégénère en guerre civile. En attendant de pouvoir tirer définitivement son épingle du jeu, la puissance néocoloniale peut vendre les armes – à toutes les parties belligérantes, s’il vous plaît. Suivez mon regard … en Afrique centrale et du Centre Ouest !
Roman et histoire. Comment l’auteur de Au Poteau s’y prend-il pour concilier deux genres qui semblent s’ignorent, s’ils ne s’excluent pas ? Gaston Bachelard parle d’« imagination concrète », pour dire qu’on ne saurait imaginer à partir de rien. Créer c’est modifier l’allure, les dimensions du réel, du vécu, du ressenti. C’est les réorganiser les disposer à volonté dans l’espace et dans le temps. Le rêve tend à insuffler à une réalité inextricablement insupportable une âme pour tenter de la clarifier au regard de lecteur distrait ou peu formé à la découverte des sombres détours des faits sociaux comme de la condition humaine.
Junior Etienne Lantier

A l'oral du Bac
Lycée de Nala. Bâtiment C. Sous-Jury 40. Dans un coin semi-obscur de la salle 11 réservé à l’épreuve de philosophie. C’est le tour de la candidate Djolo Candace d’affronter le professeur.
« Mam’selle approchez ! … Votre pièce d’identité, s’il vous plaît… Bon ! Mademoiselle Djilo Candace du Lycée Bilingue de Mapanda… Vous avez dix-huit ans révolus. Donc, il vous faut une carte nationale d’identité.
- La voilà, Monsieur.
- Bien ! Vous êtes en règle… Quelle charmante créature ! Quelle belle enfant ! Dites-donc ! Vous êtes bien faite, faite pour rayonner, drainer tous les cœurs sensibles après vous. D’abord ce prénom, parlons-en, Candace. Qui vous l’a choisi ?
-  Mon père, Monsieur.
- Vraiment ! Il a des ambitions pour vous ; beaucoup d’ambitions ! Vous le savez ?
- Je ne comprends pas bien Monsieur.
- Bien ! Que savez-vous de Candace ?
- Monsieur, je crois savoir que c’est une reine d’Ethiopie célèbre.
- Bien ! En quoi consiste sa célébrité, Mademoiselle ?
- … C’était peut-être un… un général d’armée et chef d’Etat.
- C’est une femme non ?
- Oui, Monsieur.
- Tant pis pour les féministes qui pensent avoir tout à apprendre à la femme africaine ! C’est fini avec la générale Candace, Mademoiselle ?
- … Elle aurait perdu un œil au cours d’un combat célèbre, Monsieur.
- Ah, oui, oui ! C’est exact. C’est candace qui a empêché la puissante armée romaine commandée par l’empereur Auguste d’envahir la Corne de l’Afrique après la conquête de l’Egypte sous Cléopâtre. J’ai lu une page où quelqu’un la traite de généralissime, pour mieux magnifier son génie militaire. Enfin tout est bon, excellent chez cette honorable Candace, sauf qu’elle s’est fait arracher un œil. Ce n’est pas bon, vraiment pas bon ! Toi, je ne te vois pas un œil en moins ; ah non ! Jamais, jamais de la vie ! J’en mourrais de compassion ! … Etait-elle mariée la célèbre Candace ?
-… Je ne sais pas Monsieur.
- En tout cas je n’aurais pas souhaité être à la place de son mari. Un œil … un beau visage défait ! Rien ne vaut la beauté d’un visage de femme ; même pas le destin d’un pays, d’un peuple. N’est-ce pas Mademoiselle Djilo ?
- C’est ça Monsieur.
- Pardon ! Une mise au point qui vaut son pesant d’or : l’oral n’a pas encore commencé ; nous nous saluons seulement. On peut même l’éviter, cette histoire de l’oral ; ça dépend de toi. Seulement de toi hein ! Comment va le Lycée Bilingue ?
-  Bien Monsieur.
- Il est célèbre par la beauté de ses filles, leur grande disponibilité. J’espère que vous ne ferez pas exception… Mais prenez place, Mad’moiselle ! … Pas là, plutôt ici à ma gauche, à côté de moi… tout contre moi… N’aie pas peur. Voilà ! On y est. On se tutoie n’est-ce pas ?
- …
- En face de moi là, à deux tables-bancs de distance, c’est la place des candidats quelconques. Je te fais occuper une position de choix. Tu le mérites… Je crois que nous pouvons commencer. Qui vous a tenus en philo cette année Mad’moiselle ?
- Monsieur Lampala.
- Lampala ! ? Celui-là alors ! Tu es contente de ses services ?
- Oui Monsieur.
- Ça signifie que tu es vraiment en danger, si tu n’as pas fourni assez d’efforts personnels en philo. Avec certains collègues ; les élèves ne peuvent réussir que par l’autodidactie ; mais l’issue finale dépend de toi, hein ! De ce que tu es disposée à faire maintenant là. Tout s’arrange dans ce bas monde… Au fond, Mademoiselle, à quoi sert le Bac ?
- … C’est pour… c’est pour entrer à l’Université, Monsieur.
- Donc tu ne songes pas au mariage ! ? Avec un grand type… Enfin ! Ta définition manque de pittoresque, elle n’est pas imagée. Procédons à son illustration concrète. Connais-tu un homonyme au mot Bac ?
- Oui Monsieur. Il y a le bac pour traverser une rivière.
- Très bien ! Nous sommes en bonne voie ; les deux bacs jouent exactement le même rôle. L’embarcation motorisée te conduit de la rive dont tu ne veux plus à celle où se profilent tous tes projets d’avenir. De même le bachot, diplôme unique en son genre, t’est nécessaire pour traverser, sans problème, la mer houleuse de l’existence. Il fait passer du côté des envieux à celui des enviés, du camp des exploités à celui des exploiteurs, du prolétariat à la bourgeoisie. Tu comprends très bien, n’est-ce pas ?
- Pas tout à fait, Monsieur.
- Bon ! Ecoute-moi bien. Ouvre largement tes belles et appétissantes oreilles. Tu reconnais quand même que sans le Bac tu ne peux rien à l’heure actuelle ; tu demeures un être anonyme. Malgré ta splendide beauté alors condamnée à rester sauvage. Une condition on ne peut plus inconfortable, indigne de ta personne, n’est-ce pas ?
- Oui Monsieur.
- Bien entendu, le tableau social que je viens de brosser n’est pas aussi clair chez nous que partout ailleurs dans le monde. Nous avons encore de nombreux illettrés qui tiennent le haut du pavé chez les enviés. Mais c’est une situation transitoire liée aux phénomènes perturbants de la colonisation et de son succédané, le néocolonialisme. L’avenir va être différent, fatalement. Nul ne pourra plus percer, atteindre la plage dorée des gens biens, sans emprunter le Bac. Ta génération est condamnée à cela. Tu vois bien ce que je veux dire Candace ?
- Oui Monsieur.
- … Mais ! Qu’est-ce que vous foutez là ; les gars ? Vous venez nous épier ou quoi ! ? Allez-vous-en, bande d’hurluberlus ! Ne repassez pas avant une heure d’horloge ; vous avez les autres matières à passer. Je reviens à toi Candi. Excuse-moi pour ce petit énervement, bien justifié d’ailleurs, car le Noir est trop curieux. La curiosité est un défaut ; n’est-ce pas ma chère ?
-  Oui Monsieur.
- Vraiment ! Comment des êtres sensés, civilisés, peuvent-ils venir suivre avec attention ce qui se dit entre un homme et une jeune femme ! ? Songeraient-ils à me couper les pieds ? Quel culot ! Les jeunes d’aujourd’hui sont mal élevés. Enfin revenons à nos moutons. Je crois avoir réussi à te faire pleinement soupeser l’importance capitale du Bac dans la vie de nos jours. N’est-ce pas ma chère Djilo ?
-  Oui Monsieur.
- Alors décide-toi. Réagis en conséquence… Montre que tu es intéressée. Rien n’est pour rien en notre monde-ci.
- …
- Toi-même tu avoues que tu n’as rien appris en philosophie puisque c’est Lampala, un incapable, un vaurien, qui t’a tenue toute l’année. Il te faut pourtant passer ton examen, n’est-ce pas ?
-  Oui Monsieur.
- Je te le souhaite. Ardemment ! Les personnes faites comme toi ne devraient jamais échouer, en quoi que ce soit. On a un tel plaisir à les servir qu’on serait heureux d’être pour toujours leur esclave. Moi, je suis disposé à te donner le Bac. Avec mention, si tu veux. Quel que soit ton niveau. Il suffit de ta part d’un tout petit geste de sympathie (presque rien pour toi, mais tout l’or du monde pour moi), et je suis prêt à affronter pour toi tous les périls. Tu saisis bien l’enjeu, n’est-ce pas Candi ?
-  Non, Monsieur.
- C’est pourtant simple ! Tout à fait simple ! Je te propose ceci : à midi, tu passes me voir à l’Hôtel des Flambeurs, chambre 127. Je te donnerai alors le détail de ce que j’attends de toi. Voici ce que je vais faire si tu te montres gentille. Regarde cette fiche portant la liste des candidats à interroger ce matin. C’est ça ton nom, tu as vu ?
-  Oui Monsieur.
- Je te donnerai 18/20. C’est-est ça ! Si tu te révèles coopérative, je maintiens la note… Affectée du coefficient deux, cela te fait 16 points de gagnés au-dessus de la moyenne. C’est important… Je peux même faire plus. Je n’aurai qu’à voir mes collègues pour que tous te mettent de bonnes notes. J’ai aussi le moyen de te faire décrocher une bourse substantielle,  pour aller poursuivre tes études en France, à Paris… Que dis-tu de tout cela, Candou ?
- Je ne sais pas, Monsieur.
- … Comment tu ne sais pas ! Il va de soi que si tu démérites, la note 18 est facilement transformable en 03. Un devient zéro ; et huit prend la forme de trois. Regarde un peu sur ce brouillon comment je procède…Tu vois que c’est parfait, hein ! Et je connais des compagnons qui peuvent m’aider dans le sens inverse de tout à l’heure, à te châtier. Voilà le marché tel qu’il se présente. C’est du donnant-donnant. Tu viendras ? C’est dans ton intérêt bien compris.
- … Je verrai, Monsieur.
Hilaire Sikounmo, Afrique au épines, P.186-191