A quoi pourrait-on comparer les écrivains camerounais ?

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René Philombe, Mongo Beti, Elisabeth Tchoungui, Léonora Miano, Calixthe Beyala, Gaston-Paul Effa n’ont jamais eu besoin d’une séance de dédicace au Hilton pour rendre inoubliables leurs œuvres. Ils ont pourtant les éditeurs les plus riches et des fortunes personnelles qui leur permettraient un tel déploiement de puissance économique. L’hôtel Hilton n’est pas connu comme un haut lieu de la littérature camerounaise. Ceux qui y organisent des cérémonies littéraires veulent être vus, ceux qui y participent, auxquels souvent a été gracieusement adressé un exemplaire du livre en vedette, comme par hasard introuvable en librairie, veulent voir : personne dans ces milieux ne s’intéresse véritablement à la littérature.

L’exemple qui vient du bas

ATEBA EYENE CHARLES 1. Franc-tireur faiseur de livres (bric-à-brac de phrases préfabriquées). 2. De l’art de remplir l’espace laissé vide par du vide 3. Divinité camerounaise des idées reçues : N’est pas, comme lui, écrivain populaire qui veut.
Contestable sur le fond et la forme de son discours, il ne s’impose pas moins comme l’une des plumes les plus productives du Cameroun :

on a les intellectuels qu’on peut, que voulez-vous ! Cet évangéliste des lieux communs a des lacunes évidentes (exposer n’est-il pas indissociablement s’exposer ?). Il a beau être convaincu de plagiat par le regretté Séverin Cécile Abéga ou le Directeur des éditions Clé Marcelin Vounda Etoa, le bonhomme n’en vend pas moins.
Il est respecté par l’opinion publique pour ce qu’il croit être, même sans l’exprimer en ces termes : un entrepreneur moral, plus exactement un entrepreneur politico-moral (C’est avec le club éthique qu’il s’était signalé à l’attention de ses compatriotes). Son succès est d’autant plus grinçant que ceux qui hier le regardaient de haut sont parfois comme obligés de se compromettre, en le commentant ou en le critiquant, alors qu’ils rêveraient simplement de l’ignorer.
Il faut replacer cet homme à sa place : s’il peut parler c’est parce que ceux qui doivent le faire n’en ont pas le talent... On a droit à un ersatz de communication politique, un ersatz d’écrivain, un ersatz de militant, un ersatz de membre du comité central (suppléant !), c’est tout lui : il est peuple, c’est-à-dire facile, non dénué d’intelligence politique, c’est-à-dire opportuniste, ne répugnant pas à la réflexion, mais accédant difficilement à la hauteur.

 

« Camerouniaiseries » ?

A la poste centrale, un paraplégique s’approche d’une 4*4 rutilante et frappe sans ménagement sur la carrosserie, en réclamant l’aumône… Le chauffeur regarde à peine et l’ignore ; le « patron » assis sur la banquette jette un regard furtif et inattentif avant de se replonger dans la lecture de son « Jeune Afrique ». « Voleurs ! » assène le mendiant aux super radins. A côté, dans un taxi, un autre chauffeur et ses passagers se font des gorges chaudes de la scène quand le frétillant paraplégique leur revendique une espèce de droit de passage sans insulte. Au chauffeur de taxi qui démarre en trombe, le mendiant lance un courroucé : « Malheureux ! Ta mère pond ! »
L’attitude des chauffeurs, des passagers, du mendiant a un nom : camerouniaiserie. Voilà un camerounisme de plus en plus répandu pour désigner des comportements identifiés comme typiquement camerounais.
Il faut en finir avec l’autoflagellation permanente, les critiques systématiques et sans ménagement « erga omnes » : les Camerounais sont comme-ci, les Camerounais sont comme-ça… ! L’homme camerounais n’a pas un ADN particulier, il n’est pas une sous-espèce d’homme, une dégénérescence d’homo sapiens, il n’est pas plus cupide, plus méchant, plus corrompu, plus paresseux que l’homme français ou l’homme américain. Au contraire, les Camerounais sont ingénieux, travailleurs, courageux, aimants, créatifs, il faut que cela se sache et que cela se dise à suffisance !
Ceux que l’on nomme « journalistes du Hilton », c’est-à-dire ces débrouillards de la plume, ces « journaleux » indépendants, ces chroniqueurs « free lance » travaillent souvent dans la même précarité que ceux qui ont investi le confort douteux des conférences des rédactions qui ont pignon sur rue. Ceux-ci réclament comme des droits absolus l’augmentation des subventions allouées à la presse qui ne font l’objet d’aucun contrôle a posteriori, d’aucune espèce de contrepartie, comme dans le cas des financements public des partis politiques ; ceux-là sont rémunérés en dossiers de presse et cocktails raffinés, ceux-ci sont instrumentalisés « contre une partie de leur gré » : tous valent mieux que les écrivains du Hilton !

Etiez vous au Hilton le 25 novembre dernier ?

Lors d’une conférence-débat que certains intervenants (des « ami-rateurs » triés sur le volet ) ont réussi à transformer en conférence-spectacle, l’on a vu l’éminentissime Jean Emmanuel Pondi, (re)connu pour être un spécialiste des relations internationales revêtir les frocs de spécialiste littéraire ad hoc. Il a été amené à s’exprimer sur un « roman international » : quelque mois plus tôt il avait pourtant confessé dans un plateau de la CRTV ne lire que très rarement les romans.
Le roman dont il est question n’avait manifestement pas été lu. Il s’est ainsi fendu d’une première remarque qui vous décrédibiliserait n’importe quel chef d’œuvre de Mongo Beti : « Ce roman a une bonne syntaxe ». Voici un extrait du commentaire de la même œuvre, fait par madame Paule Janine, quelqu’un qui au moins a lu l’œuvre, même si on peut contester l’extrême purisme de sa critique : « Syntaxe : Règles de construction d’une langue notamment l’arrangement des mots, des propositions et des rapports logiques entre elles. Des majuscules où il n’en faut pas et forcément ça change tout. ’’La Sybille’’ s’est donc réincarnée en une jeune dame du côté de Nkongsamba qui prédit l’avenir à son retour du marigot. Cette bonne vieille Nkong d’où il est même possible d’apercevoir le Sud, (la région du Sud si l’on s’en tient à l’usage de la majuscule) »
Ce soir-là, le lecteur improvisé de roman et critique du dimanche, l’éminentissime Pondi a ajouté pince-sans-rire : « le roman de Christelle est plein de rebondissements » (contrairement sans doute à ses publications scientifiques : car entre une situation initiale et un dénouement, il y a toujours dans un roman une combinaison dramatique faite de péripéties, de « rebondissements » : faut-il avoir lu l’œuvre pour le deviner ?)
Sans aller jusqu’à accréditer le commentaire d’une lectrice exigeante, Paule Janine, qui a pu écrire dans son blog, au sujet du roman L’empreinte des choses brisées « Pour des choses brisées, il y en a pas mal dans ce roman et on n’en trouve pas que les empreintes. Des cadavres entiers y sont encore, jonchant les pages désespérément désertes de tout intérêt », il faut reconnaître que les « spécialistes » invités pour parler de ce roman dont on a précédemment vanté les qualités, qui sont réelles, n’ont rendu service ni à l’auteur ni à son roman. Certains ont pu parler d’escroquerie par rapport au sujet annoncé « Déconstruire l’empreinte des choses brisées » : je renonce, moi, à trouver un nom qui exprime le désastre qui a eu lieu.
Dans la peau d’un agent commercial davantage que d’un lecteur, encore moins d’un chroniqueur littéraire, l’inénarrable Jean Emmanuel Pondi, essayant laborieusement de dissimuler l’ignorance qu’il avait du contenu du roman, a avancé une thèse pour le moins hardie … Il a voulu défendre le point de vue inattendu que parler du contenu d’un roman, c’est hypothéquer son succès commercial.

Lettre à un jeune écrivain camerounais

Tous les auteurs cités dans les lignes liminaires de ce texte ont brillé par leur esprit plutôt que du fait de la lumière des projecteurs. Si vous êtes talentueux, cela finira bien par se savoir, il est inutile d’aller brader son âme à des suceurs de sang comme les Editions Universitaires Européennes ou toutes ces boîtes commerciales qui fabriquent surement des livres mais certainement pas des écrivains.
La matière grise, votre folle du logis, votre plume, voilà votre capital ! Vous n’avez pas à casquer pour être publié. Les maisons d’édition prêtes à vous publier à compte d’auteur fleurissent, mais si vous êtes mangé par l’ambition, si vous avez des économies et qu’il vous tarde d’accéder à la notoriété, imitez Charles Ateba Eyené qui, quoiqu’on en dise, produit des œuvres plus intemporelles, plus utiles que cette littérature grise produite par des bandes de copains qui se craignent plus qu’ils ne s’admirent, des universitaires qui, trop peu doués pour produire des œuvres personnelles, s’y mettent toujours à quarante-six dans des ouvrages dont l’unité thématique ou stylistique est tirée par les cheveux. Résultat des courses : Karthala, éditeur scientifique, les ayant rejetés une fois pour toutes, ils se rabattent sur des éditeurs locaux, généralistes… La preuve que l’on peut être prophète chez soi ! Peu importe la syntaxe, tordez-là, piétinez-là, si vous la maîtrisez, tout vous sera permis, c’est bien d’art qu’il s’agit. Dostoïevski, l’un des plus grands romanciers russes n’est pas un styliste inoubliable… En littérature ce qui compte, c’est la capacité de votre texte à déterminer le comportement des gens, à influencer les vues de vos lecteurs, à les transformer, à laisser des émotions inédites. Si l’on parle de votre roman, si l’on en débat, c’est que, au-delà du succès de librairie qui n’est pas tout, vous aurez eu un succès d’estime, voire un succès de scandale qui n’est pas mal du tout non plus.
N’affligez pas votre production d’un préfacier ou d’un postfacier de prestige, soyez assuré de votre valeur qui doit tenir au seul texte de votre livre plutôt qu’à la caution paratextuelle d’un « spécialiste » qui ne saurait être mieux que vous-même le spécialiste de votre ouvrage. Ecrivez, c’est « en écrivant qu’on devient écriveron » ! La publication viendra en son temps et la reconnaissance pourrait très bien survenir après votre mort. Luttez, madame, monsieur, pour n’être jamais un écrivain du Hilton, c’est au-dessous de tout, cette race-là !
Eric Essono Tsimi
Écrivain ou presque