Débris de rêves

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Rêves « insensés », « songes creux », interminable chapelet d’hallucinations que l’illusion de découvrir enfin le chemin qui mène au Paradis perdu de l’Egypte pharaonique nègre, de pouvoir renouer avec le génie de la civilisation négro-africaine aujourd’hui disséminé dans les multiples stations de la Passion nègre à travers les siècles de son sinistre déploiement partout où le Conquistador aux yeux bleus a décidé de « mettre en valeur » la Planète !
Cependant sans cette vitale sève culturelle rassemblée et assaisonnée aux besoins de la modernité, le développement tant soit peu harmonieux du Continent Noir, comme de sa diaspora, se trouve gravement hypothéqué ; par la carence d’une éducation de masse enracinée dans le terroir, la réhabilitation d’une condition féminine jadis humainement exemplaire, d’une religion des plus tolérantes, à l’époque lointaine où les esprits les plus profonds ne disposaient de rien de palpable pour entrevoir les affres actuelles de la Françafrique et semblables paralysantes projections du néocolonialisme.

C’est à travers une grande sensibilité, une longue patience à peine consciente que l’auteur se dispose à capter les effluves d’un passé ancestral depuis longtemps évanoui, enfoui sous les cendres d’une histoire à tortueuse douloureuses péripéties, puis sous les gravats d’une savante et incessante désinformation pour achever de se noyer dans le somnambulisme idéologique d’une aliénation culturelle en rapide progression.

Le reste de cette moisson hétéroclite, de labyrinthique complexité et de fulgurance poétique, paraît avoir suinté goutte à goutte, à intervalles très irréguliers, d’un sens aigu d’observation, d’analyse, d’échange dont l’auteur fait remarquablement montre, toujours aiguillonné par une curiosité apparemment débridée – certains diraient perverse, ceux notamment qui se sentent à découvert de verve critique, visés par ses dénonciations et insinuations de divers ordres.

Ils sont plus nombreux comme cadres de l’Education Nationale qui semblent tourner le dos à l’énormité comme à la gravité de leur mission essentielle à la renaissance spirituelle de la race, au sain bourgeonnement de la nation assis sur des rapports équitables entre citoyens, en marche vers moins d’injustice dans le monde – entre les Etats qui, dit-on, n’ont que des intérêts, plus ou moins mafieux, à défendre. Comme ce bien précieux, pourtant devenu rarissime, la paix entre les hommes et les peuples n’était pas indivise. C’est depuis longtemps connu : qui perturbe le sommeil d’autrui, des voisins n’est pas en train de dormir. Le maître d’esclave qui le demeure obstinément ignore les bienfaits de la liberté. L’illusion perverse de son bonheur repose sur son assassine inclination à inférioriser l’autre, à tout casser comme « obstacle » sur le chemin dangereusement plat de ses velléités de la toute puissance égoïste.

La femme est au centre de tout progrès véritable qui dure. Quand elle est bien éduquée la nation a toutes les chances de le devenir. La femme africaine moderne semble moins libre, moins responsable que son ancêtre d’Ethiopie, que sa grand-mère du Dahomey : l’égalité qu’elle réclamait et avait obtenue, elle la voulait virile, dans une responsabilité équitablement partagée. L’égalité de jouissance, de pouvoir réglementaire, se ramasse plus rapidement sur le champ de la corruption, de la trahison joyeuse des intérêts les plus vitaux de la famille, du pays, dans la promptitude de la femme « émancipée » à flirter avec l’auto aliénation.

La spiritualité de l’Afrique ancestrale a longtemps constitué un atout primordial pour asseoir la paix entre familles, entre nations. L’histoire ne mentionne point chez les peuples noirs des traces de guerres saintes. Tout péché consommé exposait tôt ou tard son auteur à la fatalité d’une sanction immanente. La confession, essentiellement publique consistait à égrainer le plus long chapelet possible des torts que l’on s’est jusque-là abstenu de causer à autrui, au corps social, à l’humanité. A l’inverse, un système religieux qui promet d’effacer finalement n’importe quel péché, ouvre grandement la porte au laisser-aller moral des croyants, à la vénalité des préposés à l’absolution, vu la permanence et à l’ampleur grandissante de leur tâche.

Le lecteur est invité à partager avec l’auteur des flots de pensées, d’observations, d’analyses de ce genre. Surtout à les prolonger, s’il est en quête permanente d’un bien-être humanisant qui n’a de chance du durer, d’approcher du bonheur à  la taille de l’homme que équitablement laissé à la portée des citoyens, de tous les hommes nourrissant de saines intentions pour la vie en société.
Serge Alain Ka’abessine

Pensées
On ressent la crise à l’estomac
5- Un professeur de lycée s’adapte au contexte de crise multiforme qui s’est abattue sur son pays ; il loue depuis la fin de sa très lointaine lune de miel une étroite chambre dans un quartier populeux - uniquement pour les besoins de son bas-ventre.
Depuis quelques mois, presque tous les jours, il descend de plus en plus seul, non plus suivi ni accompagné de sa partenaire du moment, mais plutôt les bras chargés de provisions qu’il va consommer en cachette. Ceux qui le connaissent mieux prétendent qu’il se soustrait ainsi aux agacements d’une nombreuse progéniture piaillante de famine à la maison ; comme si son insatiable appétit ne lui causait pas déjà d’énormes problèmes de subsistance.
Pour pouvoir sauver autrui, il faut d’abord se maintenir en vie, comme l’a dit justement un sage réaliste. Eh oui ! Surtout lorsque l’instinct exacerbé de survie individuelle à tout prix ravale à l’échelle de la bête brute.
On n’a pas vu la Crise venir ; on ne la ressent qu’à l’estomac ; on ne songe point à mettre sur pied une stratégie en vue de la surmonter, nourrissant seulement l’espoir d’être le dernier des siens à succomber. Le monde noir se meurt de la multiplicité - par le biais d’une école travestie - des cadres de conception de ce calibre. 18/7/1994
p.37

Silence de recueillement
23- Je ne veux point de discours, point de prière, point de messe de requiem ; cependant toutes sortes de musiques profondément religieuses, expression poétique des ineffables douleurs existentielles, seront les bienvenues à mon enterrement - si je devais en avoir un. La seule alternative sera le silence, un silence de recueillement, de méditation. 03/9/1998

Souvenir
39- Souvenir d’une mort d’enfant, de nourrisson, chez un vieux célibataire du voisinage. L’une des jeunes femmes qui viennent de temps en temps lui tenir charmante compagnie n’a pas quitté sa chambre depuis près d’une semaine. Elle a sur les bras un gosse de quelques mois, qui ne cesse de geindre. Il ne tète plus. Apparemment, il ne mange pas encore. Il est pourtant avec sa mère dont les seins augmentent de volume à vue d’œil. Parfois ils dégorgent et mouillent abondamment son corsage de cotonnade jaune.  
Le petit malade est nourri au lait de vache, concentré sucré, acheté à l’échoppe d’à côté et délayé dans de l’eau tiède à laquelle la mère ajoute du sucre. D’heure en heure, il fond comme de l’huile de palmiste au soleil des montagnes. Les cris se raréfient avec le temps. Il ne bouge plus tellement, le petit moribond.
Ses parents l’emmènent vers une destination inconnue, un après-midi, avec le taxi que conduit le père. Ils sont revenus tard dans la nuit. Sans leur rejeton, pour renouer aussitôt avec le rythme habituel de leur existence, comme si rien ne s’était passé. Pas une bribe d’information à l’intention de leurs voisins, des étudiants. Il n’y a pas eu de pleurs ni d’émotions décelables. 27/5/2006
p.65-66