Comprendre les enjeux de la réforme universitaire en formations des sciences de la santé au Cameroun

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À l’origine de cette réforme, il y a l’ordre des médecins du Cameroun qui incite le MINESUP à évaluer les instituts privés qui forment en sciences de la santé. Pourquoi ? Par ce qu’il s’inquiète à juste titre de la prolifération des autorisations accordées à tour de bras à des promoteurs sans aucun contrôle de la qualité de formation. Et par ce que certains établissements forment dans ces disciplines sans aucune autorisation. L’ordre redoute la piètre qualité des médecins qui seront issus de ces établissements privés et préconise une reprise en mains de ce secteur par l’État.
Le MINESUP intelligemment accède à cette demande d’évaluation, mais exige qu’elle soit faite pour tous les établissements formant en sciences de la santé, y compris les établissements publics. D’où la création de la commission d’évaluation appelée commission Sosso. Le MINESUP a doté cette commission des moyens financiers importants  lui  permettant d’être indépendant afin de produire un rapport objectif. Ce rapport de 200 pages est aujourd’hui disponible.
Les conclusions de ce rapport sont accablantes pour tous les établissements. Et ce ne sont pas les établissements publics qui s’en sortent le mieux, mais tout au contraire !!! Et contrairement à ce qu’on pouvait imaginer, l’UDM s’en sort mieux que les autres et est pionnière dans plusieurs domaines dont notamment celui d’odontostomatologie où elle est la seule à disposer d’un laboratoire répondant aux normes académiquement admises.
Les principales recommandations de ce rapport sont donc reprises dans les arrêtés ministériels rendus publics en juillet 2013. Ces arrêtés :
- Instituent le numerus clausus (500 médecins, 150 pharmaciens et 150 dentistes à former par an au Cameroun)
- Créent une commission nationale de la formation médicale regroupant l’État et les deux promoteurs privés retenus,
- instituent un concours unique pour l’accès en première en quatrième année, à la sortie en 7e année, et un concours spécial d’accès à l’internat dès la 6e année pour les meilleurs, etc.

Une injustice pour l’UDM ou les dessous de la précipitation de ces arrêtés
Les caciques du régime (cette sorte de ESSIGAN) n’ont pas apprécié de voir l’UdM échapper à tout contrôle de l’État, et ont particulièrement vu d’un mauvais œil que l’UdM bénéficie des appuis financiers extérieurs que l’État camerounais était incapable de lui accorder. Ils ont donc voulu à tout prix permettre à l’État de se réapproprier les formations en sciences de la santé. Or ces sciences de la santé constituent le socle des formations à l’UdM et représentent à peu près 75% de l’ensemble des formations. Comme ils ne pouvaient pas avoir des arguments objectifs de fermeture à opposer aux établissements privés qui ont pris leur travail au sérieux en se dotant d’outils leur permettant de former leurs étudiants selon les standards internationaux, ils ont pondu ces arrêtés que le MINESUP a signés contre son gré. Arrêtés qui leur donnent les outils pour tuer ces établissements privés crédibles (et plus précisément l’UdM) à petit feu.
C’est ainsi qu’en dehors de l’UdM et de l’ISST de Nkolodom, tous les autres promoteurs privés se sont vus retirer leurs autorisations pour ceux qui en avaient.
Ces promoteurs privés ont essayé de frapper chacun à une porte dans le système qui nous gouverne afin de sauver chacun sa tête sans succès. Et c’est ce genre de comportement qui montre un caractère étrangement égoïste et incompréhensible des Camerounais. Ces promoteurs se seraient réunis en association et auraient parlé d’une seule voix que l’Etat aurait sans doute revu sa copie. Mais comme chacun comptait sauver sa tête tout seul, toutes ces têtes ont été coupées tout de suite, et l’État a pu ainsi faire ce qu’il voulait quand il voulait et comme il voulait.
Or il y a au moins 1500 étudiants inscrits dans ces établissements privés appelés à fermer dont certains depuis 5 ans qui sont incertains pour leur avenir. L’État leur a dit qu’ils pourront être admis par voie de concours dans les établissements restés ouverts. Mais c’est une escroquerie. Ce que l’État ne dit pas c’est qu’aux dernières nouvelles il a décidé de ne recruter que 200 étudiants, et se fiche pas mal du sort des 1300 autres. Donc les 1500 étudiants vont se précipiter pour payer des frais de concours de 20000 FCFA chacun avec 13% de chance d’être admis. Ce n’est pas grave et ça fait toujours 30 millions dans les caisses de l’État ou ailleurs.
Et pour mieux comprendre le bienfondé de la précipitation dans la mise en application de ces arrêtés ministériels et le projet de baisser les frais de scolarité dans le privé à 600 000 FCFA , nous avons posé la question à un des tenants de la reforme de savoir quel rôle l’UdM pouvait avoir joué dans ces fermetures ? En précisant qu’il ne pouvait quand même pas être reproché à l’UDM d’avoir bien fait son travail et le  punir pour l’échec des autres !!
Sa réponse a été édifiante. Il nous a dit que l’UdM doit comprendre que c’est politiquement gênant de la voir réussir tout seul. Et il ajoute qu’en réalité, ils ont ajouté l’ISST de Nkolodom à la liste des établissements autorisés à ouvrir  parce qu’il fallait retenir quelque chose dans le Centre !  Et qu’ils savent que Nkolodom ne peut pas tenir longtemps surtout si la pension est maintenue à  600 000 FCFA. Et puis, il ajoutait que dans certaines filières, l’UdM  était pratiquement la seule Université à en dispenser. Raison de plus pour la mettre en difficultés selon nous !
Lorsque le MINESUP, visiblement étranger à cette réforme (du moins dans cette forme) a voulu protester, les caciques du régime lui ont sorti le dossier de l’arrimage de la CRTV sur le satellite et son audition au TCS dans certains journaux pour le calmer.
Et pourquoi le MINESUP pouvait-il protester ? Parce qu’il est lui-même un des principaux soutiens d’une de ces Universités privées qui était en pourparlers avec l’UdM pour un partenariat. Or cette université qui formait aussi en sciences de la santé a été fermée. Imaginez –vous un ministre de la République qui signe un arrêt de mort d’un établissement d’enseignement supérieur dont il est lui-même un des principaux soutiens et qu’il a autorisé à fonctionner il y a quelques années avant. C’est se faire harakiri, ou tout au moins avouer son incompétence ou celui de ses services, et justifier les inquiétudes de l’ordre des médecins qui n’est pas toujours en bons termes avec lui. Ce n’est pas l’ancien Doyen de la FMSB de Yaoundé qui nous démentirait.
Les bruits du couloir disent que lui-même n’a pas pu savoir d’où est partie la décision de mettre en place cette réforme. Et que ce serait le cercle le plus réduit auprès du dieu qui nous gouverne qui aurait ainsi agi.
Nous persistons à croire que ces mesures ont été prises trop précipitamment et sont très orientées. Comment peut-on rendre publics des arrêtés ministériels transformant radicalement le paysage universitaire camerounais en sciences de la santé avec une entrée en vigueur en trois mois ? On se serait attendu que le ministère donne au minimum un an voire deux à tous les établissements concernés soit pour se conformer, soit pour fermer, de manière à permettre aux étudiants qui y sont inscrits de se recaser ailleurs. Et ce à défaut d’avoir entamé une concertation avec tous les acteurs concernés.
Tout s’est passé comme s’il fallait que l’Etat prive très vite le privé de certaines ressources financières et organise vite ces concours pour en tirer le plus rapidement possible les avantages financiers liés aux frais de concours. L’État les a fixés à 20000 FCFA alors que dans le privé par exemple ils sont de 10000 FCFA au plus. Considérez qu’il y aura des milliers de candidats pour comprendre pourquoi certains fonctionnaires peuvent avoir des appétits. On a ainsi vu une grande bagarre entre certains services du  MINESUP pour le contrôle de la Direction de ces concours et la gestion des finances qui en découlent.
Cette précipitation est tout de même étonnante, car dans l’un de ces arrêtés rendus publics en juillet 2013, la date du concours est déjà fixée au 17 octobre 2013 alors même que rien n’est encore organisé. C’est plus tard que le MINESUP se rapproche de certains privés pour les solliciter dans la mise en place de ce concours unique. Qui plus est les épreuves de sélection diffèrent de ce qui se passait dans certains  privés avec des conditions aléatoires de sélection ou plus souples. Aucun établissement n’est en mesure de garantir la qualité des étudiants qu’il reçoit, et plus particulièrement, le privé n’a aucune garantie quant à la solvabilité des étudiants qui lui seront affectés, et risque d’accueillir essentiellement ceux qui n’auraient pas le choix que d’aller dans le privé après la saturation des établissements publics.
Ces concours d’entrée dans les établissements privés qui échappaient au contrôle de l’État ont été nationalisés, avec les soupçons et les risques de dérapage que nous savons en vigueur dans les autres concours de la fonction publique et des établissements sous administration de l’état.
L’état fixe unilatéralement le nombre des étudiants à former dans les établissements privés et publics. Les critères de cette fixation sont à sa seule discrétion, alors qu’une commission nationale est désormais instituée. Et rien ne permet de garantir à chaque établissement la pérennité du nombre des étudiants à former. En clair tout est soumis au bon vouloir d’un ministre qui peut à tort ou à raison priver un établissement d’étudiants à former.
On se serait attendu à ce que l’État arrête les conditions d’accès aux formations en science de la santé, communique un chiffre permanent d’étudiants à former et laisse chaque établissement autorisé d’organiser ses recrutements conformément à ses propres conditions ou suivant ses propres critères.
L’Etat aurait dû arrêter les programmes et les objectifs des enseignements et des stages de formation à respecter dans tous les établissements, et faire soit une évaluation intermédiaire comme c’est actuellement prévu, soit faire une évaluation à la sortie comme c’est aussi prévu.
L’État a l’intention de fixer les frais de scolarité dans les instituts privés à 600 000 FCFA, alors qu’il reconnait lui-même que la formation d’un étudiant en médecine au Cameroun coûte minimum 1 200 000 FCFA avant investissement au Cameroun et 1 500 000 FCFA en Afrique centrale (confère rapport Sosso). Il prétend que c’est pour faciliter l’accès du plus grand nombre à ces formations. Mais combien de familles Camerounaises peuvent payer par an 600 000 FCFA pour l’éducation de leur enfant ? Quand sait-on que certaines familles ne parviennent même pas à payer les 50 000 FCFA de frais d’inscription dans les facultés d’État ?
Pendant qu’on y est, il faudrait réinstaurer l’attribution systématique des bourses à tous les étudiants accédant à l’enseignement supérieur comme c’était le cas avant 1992. Bouses que le même État avait arbitrairement supprimées dans les années 1990 par ce qu’il voulait punir certains  étudiants qu’il accusait de ne pas soutenir son régime et qui osaient réclamer de meilleures conditions de formation pour tous les étudiants. Les caciques du régime étaient à l’époque convaincus qu’ils pourraient envoyer leurs enfants ou ceux qui soutenaient le régime se former dans les meilleures universités étrangères aux frais du contribuable. On connait la suite.
Il faudrait par la suite que l’État supprime les frais d’inscription et de scolarité dans tous les établissements privés comme publics. Là au moins il y aurait équité dans la mesure où c’est l’État qui en supporterait les coûts et les investissements, laissant le soin à chaque enfant de suivre la formation qu’il aurait choisie.
Ainsi va le Cameroun sous le régime actuel qui privilégie le jeu à sommes nulles au lieu d’encourager les initiatives  qui comblent ses insuffisances et son obscurantisme.
Talom Anaclé
Bruxelles 11 septembre 2013.