L’Etat tribal

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Le 28 avril 2005, Aloysius Embwam, 25 ans, étudiant en sciences de l’environnement (voir photo), retournait d’une rencontre avec son directeur de thèse de maitrise. Jour fatidique pour lui, car ses camarades étudiants étaient en grève. Ils se rebellaient contre la nouvelle liste d’admission à la nouvelle faculté de médecine envoyée de Yaoundé, et qui avait néantisé la liste publiée auparavant par le jury de professeurs de l’université de Buéa. La liste de Jacques Fame Ndongo, ministre de l’enseignement supérieur, au contraire de celle qui fut publiée auparavant, était emplie de noms bétis, qui n’avaient parfois pas été admis dans la liste de l’université de Buéa, tandis que de nombreux noms non-béti d’abord admis sur la liste de Buéa, étaient soudain recalés. Routinier tribalisme administratif que pratique le régime de Biya, dirait tout Camerounais ici, seulement, cette fois, ce fut l’étincelle qui embrasa tout, et fit le chancelier inviter la gendarmerie sur le campus. De nombreux étudiants, dont Eloysius Embwam furent ainsi abattus. Lui fut exécuté à bout portant dans la nuque après une chasse à l’homme dans les quartiers, par des soldats qui ne sont pas encore punis. Fame Ndongo est toujours ministre, comme on sait. Et Eyebe Ayissi, rapporteur ces jours-là de la rencontre étudiants-autorité ministérielle concernant ces évènements, est d’ailleurs aujourd’hui ministre des relations extérieures du Cameroun ! A quel pris ils ont droit tous les deux au banquet de l’assassin, cette photo nous le montre. Le tribaliste ne trouve son paradis que dans un Etat tribal, car l’enfer véritable ne vivent que les ‘ressortissants’ des tribus damnées.
Cet assassinat prémédité et exécuté froidement serait vite oublié s’il n’était le symptôme de l’Etat tribal qui aujourd’hui trouve son apothéose au Cameroun, avec l’auto-proclamation de la victoire du putschiste. Certes le régime de Biya aura fait du tribalisme divisif son cheval de bataille stratégique depuis la ‘tentative de coup d’Etat du 6 avril 1984’, et son exécution de 73 ‘Nordistes’ les 1 mai 1984 ; certes il aura fait du tribalisme sa politique administrative, avec surtout la tribalisation des anglophones qui depuis 1982 seront devenus une ethnie – eux qui pourtant avant 1961 avaient un gouvernement et une capitale, Buéa justement. Se sachant aujourd’hui honni par le peuple camerounais (oui, 70%, la Nation camerounaise donc, n’est pas allée voter ce 9 octobre 2011), Biya pour se maintenir au pouvoir, ne peut plus que compter sur la violence du Bir, la milice tribale qu’il a installée dans l’armée en 2001, et sur le Beti Power, en d’autres termes, sur les groupes para-militaires aux ordres de Tsimi Evouna et autres Mama Fouda, sur les armes divisives d’un tribalisme défensif donc, dont la manifestation politique c’est l’Etat tribal. Mais qu’est-ce que l’Etat tribal ? C’est la structuration de la république du Cameroun selon une politique purement tribale, pour asseoir le pouvoir d’un tyran déculotté par le peuple. Cette structuration s’est faite en deux phases historiquement bien distinctes.
Il y avait d’abord celle primaire où l’Etat tribal se cachait encore : le tribalisme comme régime d’exclusion étant anticonstitutionnel dans notre pays, l’Etat tribal ne pouvait fonctionner à ce stade que de manière mafieuse – sous cape. Tandis qu’au soleil le régime se servait de la langue de bois, parlait d’‘intégration nationale’, de ‘paix’, de ‘panafricanisme’, utilisait des non-béti prète-nom, en même temps sous cape il inscrivait dans la constitution la distinction entre ‘allogènes’ et ‘autochtones’, permettait dans une démocratie que l’autorité de grandes villes tel Douala et Yaoundé soit nommée, et cela sur des bases purement tribales (et qu’elle soit toujours des ‘autochtones’), exigeait de savoir d’où les citoyens sont les ‘ressortissants’ pour leur identification par l’Etat et pour les recensements. Parce qu’ici l’Etat tribal commettait encore ses crimes en se cachant, il a transformé le citoyen en détective tribal, et ainsi a tribalisé l’œil de tous, car quel Camerounais n’a été habitué par le Rdpc à une exégèse tribale des résultats d’admissions aux concours d’Etat par exemple ? C’est qu’ici, Etat dans l’Etat, l’Etat tribal a fait main basse sur l’administration qu’il a soumis au régime d’une tribu béti érigée en tribu dominante sans le dire ouvertement, tandis qu’il a transformé les autres tribus en satellites. Ne nous y trompons pourtant pas, car il ne s’agit pas d’un ‘dosage ethnique’ comme veut la propagande du régime, mais bien d’une organisation hiérarchique des tribus dans l’ombre, personne d’autre que le tyran ne sachant la démographie du Cameroun par tribu pour en tirer des conséquences politiques logiques, les résultats des recensements disant la distribution de la population camerounaise par ethnie n’ayant jamais été publiés. L’idée tribale telle que mise en œuvre par le Rdpc à ce stade primaire est bien similaire au racisme de Gobineau – encore que ceci soit son crime le plus bénin, car crime encore intellectuel seulement.
Mais à ce stade, le crime de l’Etat tribal est économique aussi et une conséquence de l’idée tribale dont il est la manifestation, car lorsqu’il faut choisir entre augmentation des performances de l’Etat et demandes de la tribu, il choisit plutôt les besoins de la tribu. Les médecins formés au Chu sont-ils les plus talentueux de leur génération ? Non. Le Cameroun a formé des ingénieurs, oui, mais sont-ils aux postes qui leur reviennent ? Non, évidemment. Ceux qui sont à ces postes les méritent-ils ? Pas du tout. Et pourquoi donc? Par pur tribalisme. Ainsi, trente ans de tribalisme d’Etat nous ont mis dans une situation telle que les Camerounais les mieux formés, les plus intelligents, sont exclus de positions qui devraient leur revenir ; telle que les intelligences les plus performantes du pays sont contraintes à quitter celui-ci parce que ‘ressortissants’ de la mauvaise tribu, tandis que les positions qui leur sont refusées sont occupées par des personnes qui n’ont pas la capacité de faire le travail nécessaire, le résultat étant que le travail n’est pas fait ou alors est mal fait. Il suffit qu’un ne mérite pas son poste pour que même ceux qui le méritent ne soient plus confortables. Et qui est excellent dans une classe de cancres est une menace. Notre pays se retrouve ainsi dans la situation du Sud esclavagiste des Usa qui en quelques générations avait vu son avance économique néantisée parce que même les plus intelligents des noirs y étaient maintenus dans une situation d’infériorité par le système d’esclavage, tandis que les blancs qui vivaient de privilèges acquis sans effort se condamnaient eux à une économie de paresse. Notre pays se retrouve dans la situation de l’Afrique du sud de l’apartheid où les noirs étaient maintenus au rabais, tandis que les blancs se complaisaient dans une situation de privilège paresseux. Et sans doute l’exemple de l’ancienne Urss serait ici valable, où des fonctionnaires condamnaient le peuple à travailler sans stimulus, tandis qu’eux-mêmes ne méritaient pas leur position de dirigeants. Cet Etat dans lequel les talentueux sont cassés quand ‘ressortisants’ de la mauvaise tribu et les moins talentueux primés, nivelle le pays par le bas et créé une dépendance fondamentale des occidentaux pour résoudre nos problèmes les plus simples – un peu comme au foot, nous avons besoin d’entraineurs étrangers alors que bien de Camerounais pourraient faire ce travail avec brio. Aujourd’hui, même une révolution fondamentale ne pourra pas sortir le Cameroun de la dépendance économique que le tribalisme y a créé, à moins d’anéantir ce système comme l’esclavage fut anéanti aux Usa, l’apartheid en Afrique du sud et le communisme en Urss
Ils ne se cachent plus’, dit-on pourtant ces jours-ci. C’est que l’Etat tribal a atteint sa deuxième phrase : celle du tribalisme à l’état pur. Avec le déculottage du tyran par une élection où seul 30% de Camerounais sont allés voter, ce dernier se trouve réduit à ses oripeaux tribaux. Si jadis par l’embauche biaisée dans la fonction publique (Enam, Chu, Ecole normale supérieure, etc.), il révélait son intention tribale, en même temps qu’il voulait se protéger des conséquences de sa malfaisance en s’identifiant à une tribu ainsi rendue responsable de ses crimes parce qu’elle lui servait de tampon, l’appel lancé par Fame Ndongo et les ‘élites du Sud’ à la constitution d’une ‘union sacrée du Sud’ qui devrait toujours donner 100% au Rdpc aux élections, révèle qu’aujourd’hui le tyran a besoin de sa tribu pour sauver les meubles. Il y a péril dans la maison ; mais trente ans de pratique tribale portent des fruits : l’osmose entre le Sud et le Rdpc, car beaucoup de bétis se sentent aujourd’hui attaqués quand le Rdpc est menacé ! Comme jadis en Afrique du sud où il a fallu que les blancs comprennent un jour qu’attaquer l’apartheid, et surtout le Parti national qui en était responsable, c’était moins s’attaquer à eux que les libérer de la souillure de l’Etat tribalo-racial qui voulait les rendre co-responsables de l’exclusion systématique des noirs, au Cameroun aussi le réveil du Sud viendra de son rejet du Rdpc. Le futur du Cameroun ne sera pas tribal, car les Camerounais ne sont plus des indigènes mais des citoyens. Le crime le plus profond de l’Etat tribal est donc paradigmatique : c’est la manufacture du futur de notre pays selon la téléologie d’un axe Nord/Sud hérité d’une période coloniale, d’Aujoulat – et de 1956 en réalité -, où la république du Cameroun dans les faits n’était que francophone ; d’une époque où les Camerounais étaient encore des indigènes. Que cet axe qui, reconduit aux élections de 2004 et de 2011, a mis en jachère toute une génération politique du ‘Grand Nord’, de Dakole Daïssala, Bello Bouba Maïgari en passant par Issa Tchiroma, dans l’attente de voir le pouvoir politique – la présidence ! le palais d’Etoudi ! - lui ‘revenir de droit’ après le départ de Biya, ne peut être imposé qu’en gommant le vote des Camerounais d’une part, et surtout en faisant violence aux Camerounais anglophones d’autre part, révèle la brutalité de ses intentions.
Que telle proposition a le potentiel de faire sauter notre pays est évident, car la question la plus effrayante qu’elle nous laisse est celle-ci : de quoi les ‘Nordistes’ seront-ils capables si après Biya le pouvoir politique leur échappait, et allait plutôt à un ‘anglophone’ par exemple ? L’Etat tribal aurait installé la matrice génocidaire au Cameroun s’il réussissait à transformer les citoyens camerounais en sujets tribaux – en indigènes. Or le Cameroun est une république. Et dans une république, le pouvoir n’est pas un privilège qui revient de droit parce qu’on est béti ou ‘Nordiste’, mais la conséquence d’une élection où les citoyens choisissent leurs dirigeants dans un vote régulier. Comment être des citoyens quand le tyran pour survivre veut faire de nous des indigènes ? Tel est l’enjeu aujourd’hui au Cameroun. Il demeure que comme avec le racisme, le citoyen ne négocie pas avec l’Etat tribal ; il l’anéantit. Nous le devons tous à ces millions de jeunes que Biya et le Rdpc ont exclus du Cameroun ; nous le devons à Eloysius Embwam et à tous ceux qui en ont payé le prix de leur sang. Citoyens, nous le devons à nous mêmes.