Portrait du futur président du Cameroun

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Depuis quelques semaines, le monde universitaire et le landerneau politique camerounais sont agités par le débat sur  l’éligibilité du président de la République, Paul Biya.
Les uns avancent que rien ne peut l’empêcher de se présenter  s’il le voulait, d’autres oui. Ce débat est-il si important, pourrait-on se demander, dans le contexte actuel de notre pays? Ne s’agit-il tout simplement pas d’une volonté des initiateurs de ce débat politiquement inutile et juridiquement en déphasage avec les institutions actuelles, de déplacer l’épicentre des convulsions qui secouent l’Afrique vers notre pays qui s’apprête à rentrer dans une période délicate de son histoire?
Pourquoi tant d’énergies gaspillées pour poser une question dont tout le monde connait la réponse, en somme « poser la réponse » comme aiment à le dire nos compatriotes?
Ce débat aurait pu avoir une utilité publique s’il avait des chances de sortir du simple cadre académique pour entrer dans le champ politique, mais hélas ceux qui s’y sont emparé semblent ou feignent de  l’ignorer.
En effet, notre pays ne dispose point  de Conseil constitutionnel  qui, s’il existait et agissait de manière impartiale, aurait pu trancher un tel débat. Certains diront que la Cour suprême fait office de Conseil constitutionnel, mais peut-elle, dans sa configuration actuelle et à la veille d’une campagne électorale cruciale pour l’avenir de notre pays, empêcher la  recevabilité de la candidature du Président en exercice s’il décidait de se présenter ?
Y a-t-il un précédent dans l’histoire sur lequel compteraient les partisans de l’inéligibilité du président de la République ou espèrent-ils une ingérence ou intervention de cette fameuse communauté internationale pour le dissuader de se présenter?
En supposant que le président de la République ne se présentât pas, est-ce que les blocages que décrie à juste titre l’opposition aujourd'hui disparaîtraient pour autant? Ce retrait ne profiterait-il pas à une personne choisie par ce dernier, dans les cercles du pouvoir, avec les mêmes garanties de succès à l’élection prochaine?
Le rapport des forces, indispensable à tout combat politique, est-il, aujourd’hui, en faveur des adversaires d’une telle éligibilité aussi bien au Cameroun que dans cette fameuse communauté internationale? Sinon, ce débat n’est-il pas simplement une énième discussion sur « le sexe des anges » voire une digression supplémentaire proposée à nos compatriotes à l’heure du bilan et des choix cruciaux pour l’avenir de notre pays?
Dans moins de 5 mois, sauf imprévu, nos compatriotes seront appelés à choisir leur futur  président de la République pour un nouveau septennat.
En dépit de la proximité de l’échéance, aucun parti (majorité et opposition comprises) n’esquisse son projet et ne l’explique encore moins aux Camerounais, les partis d’opposition prétextant la non-ouverture de la campagne électorale dont la durée légale n’excèdera pas 15 jours d’un côté et  le Rdpc, le travail et les actions en cours du gouvernement jusqu’à la fin de la mandature de l’autre.
Tout se passe comme si l’actualité, à travers les nombreux  sujets  brûlants, ne leur permet pas de décliner, par petites touches, leur programme.
Fort de ce constat, les partis d’opposition pourront-ils, en 15 jours, surmonter leurs handicaps face à la machine politico-administrative du parti au pouvoir d’une part et briser le scepticisme de nos compatriotes quant à la liberté et la transparence du processus électoral d’autre part? Si oui, comment et avec quels moyens?
Si ce n’est pas le cas, n’assisterons-nous pas aux candidatures dites de témoignage, pour prendre date avec l’avenir ou d’accompagnement à la crédibilité de cette élection?
Mais au-delà du bilan et des programmes politiques (1) des uns et des autres, une élection présidentielle est, avant tout, l’occasion d’une rencontre entre un candidat et le peuple avec lequel il scelle un contrat ou un pacte.
Les débats sans enjeux et impacts politiques auxquels les Camerounais sont conviés actuellement, les détournent d’une des questions essentielles, celle de savoir quel doit être le portrait de leur Président pour les sept prochaines années.
Y répondre permettra certainement  l’écrémage nécessaire et indispensable de la liste des prétendants. Liste dans laquelle de nombreuses candidatures  folkloriques concourent non seulement à banaliser l’enjeu, mais à décrédibiliser aussi la fonction présidentielle.

Un président capable d’engager les mutations et transitions qui s’imposent à notre société.

Le printemps arabe qui a débuté en Afrique du Nord et a emporté, comme un tsunami, les régimes  des présidents Ben Ali et Hosni Moubarak d’une part et les crises ivoirienne et libyenne d’autre part  ont déjà démontré la vacuité des fondements qui sous-tendent et accompagnent les analyses d’observateurs, mais pire la démarche de certains représentants de la communauté dite internationale, sur les objectifs à atteindre.
Les options choisies pour  la résolution des crises en Côte d’Ivoire tout comme, en ce moment, pour celle de la Libye, laissent croire, à tort, qu’une simple opération de chaises musicales, au sommet de nos États, suffiraient à garantir la démocratie, la liberté  d’une presse responsable, le respect des droits de l’homme, la liberté et la transparence des processus électoraux. Ce ne sont pas les récentes déclarations du Secrétaire d’État américain, Mme Hilary Clinton, à l’adresse des 54 pays africains réunis à Addis-Abeba, qui créeront l’effet de dominos du printemps arabe en Afrique subsaharienne.
L’imaginer est en soi un rêve, pire le souhaiter est une faute politique grave aux conséquences incalculables. La Syrie affronte actuellement son printemps meurtrier, animé entre autres par une bloggeuse lesbienne que l’on croyait syrienne de nationalité, mais qui vient de révéler sa véritable identité d’étudiante américaine. Pendant que les mêmes s’enlisent en Libye, le pauvre peuple syrien, appelé à se rebeller, subit à huit clos une répression terrible, sans soutien.
Et si la fièvre démocratique s’emparait simultanément de plusieurs pays subsahariens, comme le souhaitent avec irresponsabilité et désinvolture, nos fameux « amis » de la communauté internationale, pourront-ils intervenir sur les théâtres?  Nous en doutons.
Les Américains n’interviendront surement pas, forts instruits de leur débâcle, après l’opération Restore hope en Somalie, encore moins les britanniques malgré leurs dernières interventions en Sierra Leone et celle actuellement en cours, en Libye, dans le cadre de l’Otan et difficilement la France qui est au bord de la rupture tant les moyens qu’elle déploie à l’étranger saturent déjà.

À qui profiterait un tel scénario cauchemardesque en Afrique subsaharienne?

Imaginer qu’une telle mutation, reposerait sur les épaules d’un seul homme, même avec l’appui d’une certaine communauté internationale,  dont les membres n’ont  jamais brillé, par leur cohérence, reviendrait  à croire au père Noel sans retenue.
Le problème auquel l’Afrique est confrontée ne se résume pas aux femmes et aux hommes qui dirigent nos États, mais plus à l’absence d’institutions fortes.
Le mirage de l’homme providentiel, de l’homme messianique, encouragé par le culte de la personnalité, les motions de soutien, les propos infantilisants et déclamant l’allégeance au chef, au père, voire à un supposé créateur de créatures, construisent, entretiennent  et renforcent l’idée que l’on ne pourrait vivre individuellement et collectivement sans la présence de celui-ci. Or, tout doit être le contraire, dans la construction d’une œuvre, qu’elle soit patrimoniale ou politique, à l’échelle de sa cellule familiale ou d’une nation.
Peut-on, un seul instant imaginer un homme préparant le chaos, le déluge pour sa famille, après sa disparition ? Ne doit-il pas laisser sa progéniture, à l’abri du besoin, dans un havre de paix, dans la stabilité?
Y a-t-il une différence, quant aux objectifs sus-évoqués, entre un père de famille et un homme d’État, visionnaire, qui souhaite laisser son empreinte à la postérité?
Qui mieux qu’un père dont la vie est bien remplie, dont la sagesse est acquise, dont l’autorité est incontestable et incontestée dans la famille, dont l’avenir se trouve derrière lui, peut relever autant de défis, pour mettre sa progéniture sur les bons rails?
Le futur Président devra donc conduire la mise en place de nouvelles institutions qui garantissent l’expression du suffrage universel, à travers des élections libres et transparentes dans un processus électoral rénové.
Il s’agit du Conseil constitutionnel; des dispositions prévoyant la vacance du pouvoir; de la suppression des dispositions constitutionnelles instituant les notions d’allogènes et autochtones; des assemblées régionales; un scrutin présidentiel à deux tours; de la possibilité, pour les Camerounais vivant à l’étranger, de participer à la vie politique de leur pays; de l’article 66 de la constitution instituant la déclaration, par les gestionnaires de la fortune publique, de leur patrimoine; de l’indépendance réelle du pouvoir judiciaire, de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire; de la césure entre l’État et le parti au pouvoir; d’une expression pluraliste dans les médias d’État.
Un tel chantier qui entrainera la fin des passe-droits, des protections et des prébendes, inquiète assurément une kyrielle de personnes dont l’ouverture, la transition ou les mutations, pourraient conduire dans les vestiaires de la République, reléguer au rang de supplétifs, de réservistes de notre nouvelle République et même pour certains, peupler les nouvelles « poubelles » de notre histoire collective qui seront créées à coup sûr.
Cette crainte compréhensible, ne pourrait se diluer rapidement que si le futur Président, par sa connaissance des institutions, des rapports de forces en présence, son autorité, sa maîtrise des hommes, sa capacité à manager les différentes compétences, son habilité à déminer le terrain sans vagues, à gérer les conflits de toute nature (générationnelle, ethnique, linguistique, etc…) réussit à opérer la transition et les mutations de notre société dans la paix, la stabilité, l’intégration harmonieuse de toutes les composantes de la nation.

Un président garant de la paix, la stabilité puis de la continuité de l’état.

Quel que soit le prochain locataire du palais d’Etoudi, il devra relever ces défis. Le Cameroun n’est pas un pays en guerre, mais sa paix et sa stabilité semblent fragiles.
Tout laisse croire, à tort ou à raison, et ce, en dépit de la méthode Coué employée par les uns, qu’il suffise d’une étincelle pour que notre paix notamment sociale se mue en guerre larvée ou paix armée.
Les attentes sont grandes, les frustrations sont nombreuses, les craintes exponentielles, les appétits multiformes, les rancœurs et rancunes tenaces.
Rien ne nous garantit que tous les acteurs de la scène politique actuelle (majorité et opposition) soient animés d’idéaux de paix, de cohésion sociale, de stabilité, dans leur combat de préservation ou de conquête du pouvoir.
Sauront-ils transcender leurs clivages, mettre l’intérêt de la nation au-dessus de leurs intérêts égoïstes, partisans? En tout cas, le peuple devra être vigilant pour rappeler à l’ordre ceux qui pourraient jouer les apprentis pyromanes en espérant l’intervention de pompiers internationaux non bénévoles.
Qui mieux encore qu’un Président, au fait du pouvoir, maîtrisant les arcanes de celui-ci, ayant non seulement la stature d’homme d’État, mais aussi l’aura et l’expérience diplomatique nécessaire pour maîtriser et contenir les pressions internationales, peut mettre tout le monde d’accord, grâce tantôt au bâton tantôt à la carotte?
Qui mieux que lui, peut garantir la continuité de l’État, sans une chasse aux sorcières (un spoil system brutal) qui pourrait compromettre la cure que doit subir impérativement notre pays? Un Président de rupture, mais qui préserve néanmoins les acquis fondamentaux de notre société.
La proposition émise par sept organisations de la société civile camerounaise, regroupées autour de la dynamique citoyenne, d’une mise en place impérieuse, pour une période de 2 ans assortie d’une feuille de route claire et précise, d’un gouvernement consensuel de transition, dirigé par une personnalité choisie par les trois parties que sont le parti au pouvoir, l’opposition politique et les acteurs de la société civile, est-elle une solution qui permettrait d’assurer une transition calme?
Nous ne le croyons pas, car un tel gouvernement serait le fruit de tractations politiciennes qui nous renverrait aux « combinaziones » italiennes. Nul n’a oublié la tripartite. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Rien n’a changé dans les mentalités encore moins dans l’appétit vorace de certaines personnalités dont la seule ambition est d’avoir un maroquin ministériel. Une telle troïka nous servirait à nouveau un plat indigeste auquel les Camerounais ont goûté pendant les années de « braise » et dont ils paient encore aujourd’hui les conséquences.
L’expérience de la présence des partis d’opposition au sein du gouvernement au Cameroun, même avec à la clef un contrat de gouvernement, ne plaide, non plus, en faveur d’une telle expérience parce que nos hommes politiques n’ont jusqu’ici pas acquis une culture de gouvernement unioniste ou consensuel qui préserve également leurs sensibilités d’une part et en raison de la tendance naturelle du parti majoritaire à phagocyter ces partis d’opposition d’autre part.
S’il est vrai que la mise en place d’institutions solides, fortes, impartiales nécessitera un consensus de toutes les forces vives de notre pays, il n’en demeure pas moins que l’on ne saurait tuer notre démocratie naissante en instillant la confusion dans l’esprit de nos concitoyens, à travers un gouvernement consensuel de transition « canada dry » c’est-à-dire ayant l’odeur d’un consensus sans en avoir le goût ni la saveur. Le risque étant de finir au mieux dans une « sauce gombotique » et au pire dans un « panier à crabes ».
Une majorité doit exercer le pouvoir et l’opposition doit critiquer, proposer. Les conditions doivent être réunies afin que les élections libres et transparentes puissent se dérouler et permettre l’alternance lorsque le peuple souverain le désire.
Notre avenir et notre destin nous appartiennent. Ils ne sauraient être confiés, par procuration, à d’autres. Cessons d’être spectateurs, mais acteurs de l’évolution de notre pays. Nos amis, partenaires et tutti quanti, quelle que soit leur empathie, ne pourront mieux défendre nos intérêts que nous-mêmes.
Il est donc temps d’agir sous peine de se réveiller prochainement avec la gueule de bois. Si tel n’est pas le cas, ne soyez point étonnés, à votre prochain réveil, que les jeux soient malheureusement faits avec une incidence non négligeable sur le cours de votre vie et celui de votre progéniture.
Adrien Macaire Lemdja
(1) Cameroun: Si vous étiez candidat(e) puis élu(e), quelles décisions prendriez-vous les 100 premiers jours?
http://www.camer.be/index1.php?art=14056&rub=30:27Tou