Paul Biya à court de réponses aux critiques à lui adressées dans la gestion de l'État

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Le président Biya est devenu son principal opposant. D’une part, il est le premier à reconnaître les maux qui minent son régime et d’autre part, il joue l’expert qui, comme dans un cabinet conseil ou dans un séminaire à l’université, fait la proposition de toutes les solutions idéales. Ce faisant, il fait bien le jeu de l’aire de la promesse intelligente car, au niveau du pilotage des politiques publiques ou de l’opérationnalité de ses objectifs politiques, il reste dans le flou. Analyse pragmatique du discours du président Biya à la Nation le 31 décembre 2010. Comme par le passé, le discours de fin d’année du président camerounais a été un discours-bilan et un discours-programme. Sa structure respecte les canons classiques et académiques de la rédaction administrative à savoir : une introduction (ouverture), un développement et une conclusion (clôture). Ainsi, on peut structurer ce discours en trois grandes parties et en 9 sous-parties à savoir : (1) le bilan de 2010, (2) le programme de 2011 et (3) les vœux pour 2011. À travers trois mots de transition (d’abord, également, enfin), le bilan du président Biya est susceptible d’être structuré en trois sous-parties à savoir : la célébration du cinquantenaire de l’accession à l’indépendance, l’application de la stratégie pour la croissance et l’emploi, et le rôle notable sur la scène internationale. De même, son programme pour 2011 peut être structuré en 6 sous-parties à savoir : la célébration du 50ème anniversaire de la réunification, les élections et particulièrement de l’élection présidentielle, les perspectives économiques, les actions dans le domaine social, les conditions de vie des populations et les « autres sujets ». Enfin, ses vœux de déclinent en trois lignes. Même si l’on peut noter un déséquilibre des sous-parties, le président de la République du Cameroun a toujours été très formel et administratif dans son style verbal et non verbal (faits, gestes, paroles). Ce qui a changé depuis son adoption d’une tonalité critique dans son discours au congrès du Rdpc en 2006, c’est son goût devenu prononcé pour la promesse intelligente et son exploitation de l’imaginaire populaire.

La promesse intelligente au sens de Kakdeu (2010a) se manifeste par l’utilisation de tous les moyens humains et technologiques à jour pour actualiser le langage de bois (Boyomo Assala, 2001). L’intelligence est mise au service de la feinte politique. Si l’on était dans un match de football, on dirait que de plus en plus, le président camerounais change de poste. Il feint de ne plus jouer à la défensive et d’être à l’offensive. Face à la passivité de l’opposition et à l’insuffisance des programmes alternatifs en face, on observe l’émergence d’un Paul-Biya-Intelligent qui est l’opposant principal du président Paul Biya au pouvoir. A l’aide de l’antithèse, « l’opposant Biya» énumère minutieusement tous les maux du système d’une part et y apporte au fur et à mesure des solutions savantes d’autre part. Sur le plan rhétorique, l’acte se concrétise dans son discours du 31 décembre 2010 par la transition suivante : « Cet examen rétrospectif nous a aussi permis de prendre la mesure de nos lacunes et de ce qui nous reste à accomplir pour accéder à la modernité. » De plus, on enregistre la déclaration péremptoire suivante : « Comme vous le savez, notre stratégie comporte la mise en œuvre de grands projets agricoles, miniers, industriels, énergétiques et infrastructurels ». Pas mieux ! En gros, ces phrases sont des adoucisseurs qui permettent de faire « avaler la pilule amère » de tous les manquements susceptibles d’être relevés dans sa gestion. Ce sont des actes de politesse négative au sens de Kerbrat-Orecchioni (1992, 1996, 2005) qui permettent de contrer toute forme de critique viable en réduisant l’ampleur des dégâts causés sur les conditions de vie (« des plaies de notre société »).

De plus, son argumentaire basé sur les faits empiriquement avérés pourrait lui permettre aussi de contrer la critique selon laquelle il ne connaît pas les dossiers à cause de ses multiples « séjours privés en Europe ». Pour prouver qu’il est concret et prendre à contre-pied ses adversaires, il utilise des enchanteurs qui sont des propos convenables et qui, sur le plan argumentatif, permettent de métacommuniquer, de forcer la main au récepteur ou de le mettre dans une situation intenable signifiant « oui ». Le président Biya dit : « Si vous le voulez bien, regardons les choses de plus près ». Cette formule par exemple lui permet de prendre de l’ascendance sur ses interlocuteurs (adversaires) et de discourir dans une situation politiquement confortable.

Approche discursive Au-delà de cette dextérité savante, l’approche discursive du chef de l’État peut être classifiée dans la catégorie de ce qu’on appelle les actes subordonnés de justification. Dans les faits, il justifie, de façon douce, les actes ratés de son administration. Il s’agit notamment : d’une « certaine atonie » de « notre économie, c’est-à-dire essentiellement notre agriculture », « un déficit évident d’énergie » qui a fait « souffrir » le secteur secondaire, un « ralentissement de l’activité économique », un « fléchissement des recettes » et un accroissement des « dépenses publiques », une crédibilité non acquise « aux yeux de nos partenaires », un attrait mitigé des « investisseurs », un « effet retardateur » dans le « démarrage » des projets, une « certaine passivité de quelques responsables », un mauvais « exemple » de la part de l’Etat, une « surliquidité des banques », des financements inaccessibles, un déséquilibre du commerce extérieur avec des exportations qui «  marquaient le pas » et des importations qui « continuaient de croître à un rythme élevé », une balance commerciale « nettement déficitaire » hors pétrole, un « caractère encore extraverti de notre économie », une diplomatie moins dynamique ou encore en « renaissance », une « marche » à faire vers « l’intégration » nationale, une inadéquation d’Elecam, des « cultures de rente qui vivotent depuis vingt ans alors que les cours sont redevenus rentables », une non-exploitation des « capacités » de « l’agriculture industrielle », une sous-production « d’emplois et de richesses », un manque de développement des « industries de transformation », un non-démarrage des « projets miniers », des « obstacles du crédit », une existence dans « l’ornière [de] plusieurs dossiers qui stagnent depuis trop longtemps », un manque de « suivi suffisamment volontariste », un manque « des infrastructures […] notamment dans les centres urbains »,  un « manque de logements sociaux», une existence des « dérives inacceptables », un chômage qui « a eu tendance à s’aggraver », une « insécurité qui persiste », une « spéculation sur les produits alimentaires qui touche les couches sociales les plus vulnérables », une « corruption, toujours elle, sans cesse renaissante et qui s’est étendue », une « insécurité routière qui fait chaque année de nombreuses victimes », un état de la voirie « dégradée », une « pénurie » d’eau et d’énergie, etc.

Le président Paul Biya reconnaît presque tout ce qu’on lui reproche. On peut dire, sur la base de cette auto-analyse-diagnostic, que voilà la liste presque exhaustive des maux qui minent le Cameroun au soir du 31 décembre 2010. Le Président reconnaît qu’il convient de faire « un constat nuancé […] sur l’évolution de notre économie ». En reconnaissant les difficultés de l’heure, l’intention de communication est du Président Biya est probablement de créer de l’empathie avec tous ceux qui souffrent ou qui subissent les méfaits de son administration. Ce sont des procédés réparateurs qui permettent de renouer la confiance. Par ailleurs, il utilise des désarmeurs qui ont pour fonction de désamorcer les éventuelles réactions négatives des populations en détresse qui scandent : « le temps passe… on est pressé…il faut faire vite, notre avenir est fichu, etc. ». De façon anticipée, le Président fait état de ce que « face à cette situation », il a pris des mesures « pour gagner du temps ».

Le discours du Président serait un bon acte de l’opposition si, au plan rhétorique, on n’observait pas une antithèse qui permet de faire un dépassement savant des problèmes publics relevés. Ainsi, on peut résumer la structure de l’argumentation présidentielle dans un tableau dans lequel on associerait à chaque problème public énuméré, une promesse intelligente en guise de solution savante. En gros, « les efforts se poursuivent ». De plus, le Président du Cameroun trouve une archi-cause (un coupable) à l’essentiel des manquements de l’année 2010 à savoir : « Les différentes crises que nous avons subies, comme la plupart des pays en développement ». Il le dit avec insistance : « je le répète ».

Plan opérationnel

Sur le plan opérationnel, on peut observer que sa feinte de la promesse intelligente est de dévier le débat au niveau des objectifs politiques. Au plan stratégique, il est clair qu’on peut se permettre de tout promettre. Toutefois, le président de la République reste largement critiquable sur le plan opérationnel ou mieux dans le pilotage des politiques publiques. Il n’apporte pas une réponse harmonieuse aux principales critiques qui lui sont souvent adressées dans la gestion quotidienne de l’État. En effet, comment entend-il faire face à l’inertie, à la corruption, à la mauvaise gouvernance, à l’impérialisme, à la bureaucratie ? Ce sont-là quelques problèmes de pilotage qu’il diagnostique lui-même mais, qu’il esquive tout en se concentrant sur le renforcement de l’idéale qu’il veut faire passer au niveau de mangement politique. Pourtant, dans les faits, aucune « émergence » n’est à espérer si le pilotage des politiques publiques reste défectueux. En suivant le chef de l’État dans sa logique, on a des raisons d’être inquiet sur le traitement qu’il réserve aux obstacles opérationnels. À travers ce qu’on appelle politesse positive, il ménage la face d’une bonne partie des groupes cibles qui sont responsables des « plaies » de la société. Il s’agit de ceux qu’il appelle les « éminentes personnalités » qui vivent au rythme de l’argent, de l’honneur et de la gloire, le déictique « Nous » dont l’essentiel des membres sont « éperviables », les « investisseurs » qui sont pour l’essentiel des corrupteurs, les « partenaires » dont beaucoup ne regardent pas l’intérêt supérieur du Cameroun, les « bailleurs de fonds» et les « institutions financières internationales »  dont les mesures de redressement inhumaines empêchent le peuple de voir « le bout du tunnel », etc. De façon adéquate, son hypothèse d’intervention pouvait être la suivante : si le président de la République veut mettre fin aux obstacles qui freinent le développement du Cameroun, alors il met l’impulsion sur ce groupe « des personnes mouillées jusqu’aux os » dans le but d’obtenir des changements de comportements. Or, il est resté muet sur ces questions. On peut citer une autre pensée populaire très répandue qui résume mieux la situation : « Au Cameroun, on sait exactement ce qu’il faut faire mais, on ne le fait pas ». En clair, le « messie » aujourd’hui ne peut pas être celui qui parle de stratégies politiques car, en citant « Africa 21 », le président pouvait aussi citer les dizaines de milliers de réunions, séminaires et colloques qui se déroulent chaque année sur le développement. Il serait prétentieux aujourd’hui de penser qu’on peut « surprendre » les « éminentes personnalités » qui nous dirigent avec une proposition qu’elles n’auraient jamais entendu ou discuté dans ces assemblées. Le Président aurait pu aussi dire qu’au Cameroun, « les bonnes solutions aux problèmes publics se trouvent dans les tiroirs ». Le « messie » sera donc celui qui débloquera les obstacles à la mise en œuvre ou mieux, celui qui saura faire face à la coaction mafieuse entre les acteurs publics et qui voudra « donner sa tête pour être brûlée » au nom du peuple. En restant muet sur ces questions, le président Paul Biya ouvre une brèche intéressante au profit de l’opposition.

Calcul politique

Dans un calcul politique largement critiquable, il se donne plutôt la peine de  consolider les objectifs politiques alors que la population est en contact au quotidien avec les défaillances de l’opérationnel. Techniquement, il ne s’adresse pas à la « Nation » entière mais à l’élite en charge de l’opérationnel. Ce discours serait donc très adéquat pour un conseil ministériel où il « donne le cap ». En termes d’outcomes, on devrait avoir sur le terrain d’ici un mois, une multitude de versions issues de la traduction approximative qu’en fera chaque élite au niveau de sa base. En gros, en restant dans le management politique,  il ne résout pas son problème de « communication grippée ». Cela veut dire qu’un autre leader qui s’adresse directement aux populations nécessiteuses pourrait avoir plus d’effets sur la masse. En gros, il est encore possible au Cameroun d’avoir le succès d’un leader charismatique qui saurait exploiter sensationnellement la misère du peuple (populisme). En s’éloignant de l’opérationnel, le Président Paul Biya donne la possibilité à la renaissance d’un « sofa don finish » de 1992 ou à la réédition des « émeutes de la faim » de février 2008 survenues étonnement après une « victoire confortable » aux législatives. Les gens ont faim et il faut être pragmatique non pas en cherchant les « voix » à travers la « politique du ventre » mais, en osant attaquer le mal à la racine. On sait que le problème de l’agriculture et du commerce extérieur réside dans les accords pernicieux de l’Omc. De plus, la politique monétaire de la zone du Franc Cfa est une des causes majeures des « surliquidités des banques » et des problèmes de financement des « projets structurants » énumérés. De même, les accords commerciaux avec les « investisseurs » et les « partenaires » sont souvent peu avantageux pour le Cameroun et il faut oser les réviser, etc. De façon péremptoire, une bonne partie de l’opinion pense que le Cameroun ne se développera pas en cherchant à plaire aux « bailleurs de fonds ». Ce sont-là des « niches » de « résistance » pour les uns ou de « décontraction » pour les autres que le Président évite mais, qui restent plus que jamais d’actualité.

En faisant des compliments à la diaspora (« je tiens à rendre hommage »), Paul Biya sait qu’elle est suffisamment mobilisée sur ces questions et que le danger pourrait venir de l’étranger en 2011. Il veut que l’élection présidentielle « soit incontestable ». Dans les faits, cela n’est possible que si tous les acteurs s’entendent sur « l’indépendance » de l’organe des élections (Elecam) et sur le « rôle » de la communauté internationale dans les opérations postélectorales. Dans tous les cas, le Président Biya se donne la peine d’être le moins reprochable possible sur le plan politique. Il prévoit la possibilité pour lui de n’être pas exhaustif au niveau des objectifs stratégiques. Pour ce faire, il s’arrange à contrer tout « apprenti sorcier » qui pourrait proposer mieux à travers une formule de clôture à valeur rhétorique : « Pour les autres, les négociations continuent avec les groupes intéressés et nous espérons qu’elles aboutiront prochainement ». Il dit aussi de façon rhétorique : « Ces mesures ne règlent évidemment pas le problème général de l’emploi dont la solution est fonction de la relance de la croissance, laquelle reste notre principale préoccupation » ou « Ces problèmes qui affectent votre vie quotidienne devront faire l’objet d’un suivi vigilant et d’une recherche constante de solutions ». Ce sont-là des amadoueurs qui visent à réduire l’hostilité de la passivité de son administration que sa communication politique appelait bien « style pédagogique ». En effet, en voulant justifier ce que certains appellent l’inertie (lourdeur administrative ou lenteur dans le changement social) par la pratique de la pédagogie, sa cellule de communication créait étonnement une menace sur ce qu’on appelle la face positive ou les images narcissiques d’un Président qui comptabilise fièrement aujourd’hui 28 ans au pouvoir. Parler de « pédagogie » est menaçant pour la face de tous les acteurs en ce sens qu’entre temps, une génération de jeunes nés à son accession au pouvoir (plus d’une dizaine de millions) est devenu majeure, violente et « encombrante » parce qu’elle s’estime « sacrifiée » injustement. Il convenait plutôt d’utiliser des adoucisseurs.

Dans son diagnostic, son jugement est à son avantage. On observe une forte occurrence des adjectifs subjectifs valorisants comme : favorable, important, élevé, stimulant, volontariste, prochaine, crucial, grande, particulier, encourageant, vigoureux, etc. De même, on atteste entre autres la dominance des verbes subjectifs comme : multiplier, perfectionner, poursuivre, continuer, s’efforcer, ne pas ralentir, rattraper, suffire, dynamiser, redynamiser, lancer, relancer, renaître, rouvrir, retrouver un niveau normal, sortir de l’ornière, améliorer, qui, au niveau opérationnel, ne renvoient pas aux faits quantifiables. Cela est similaire à l’extrapolation ou l’exagération des chiffres utilisée dans le but de « vanter » son bilan. On atteste la forte récurrence des articles indéfinis qui permettent d’augmenter ses réalisations. Cela est combiné dans l’exemple suivant à une énumération : « De nouveaux centres de soins s’ouvrent chaque année. Des hôpitaux sont en construction ou en projet. Des médecins et des personnels de santé sont formés et recrutés ». A chaque discours du Président à la Nation le 31 décembre, le peuple attend des annonces sensationnelles. Cette fois-ci, le Président Biya s’est encore plié à cet exercice. Il annonce la suppression du « coût du traitement du paludisme simple des enfants de moins de cinq ans ». Et il enchaîne de façon rhétorique : « Nous continuerons dans cette voie … Est-ce suffisant ? Sans doute pas, mais les ressources de l’État ne sont pas inépuisables ».

Dans son style, on observe surtout une rupture avec le registre soutenu et très administratif qui caractérisait ses prises de parole: « Il parlait comme à l’académie française », disait-on. Le président de la République a introduit quelques mots, expressions et pensées du terroir à l’instar de : « faire bouger les choses », « il est temps », « consommer c’est bien, mais produire c’est mieux », « unité dans la diversité », « le Cameroun produit ce qu’il ne consomme pas et consomme ce qu’il ne produit pas », etc. À cela s’ajoute l’auto-identification («Personne n’y croyait, seuls nous, y croyions. Nous y sommes arrivés ») et l’indexation individuelle (« chacun d’entre vous ») qui ont pour fonction de créer de la sympathie. On peut donc dire que c’est résolument un Président en quête de popularité. C’est un Président en campagne électorale. Il dit en substance à la clôture de la partie sur le discours-bilan/discours-programme qu’il se donne favorable: « Bien entendu, pour ce faire, j’aurai besoin de votre soutien, lequel ne m’a jamais manqué». Enfin, toujours en prévision des élections et de son « image de sérieux et de dynamisme » à l’internationale, il se veut rassurant à l’endroit de la communauté internationale en montrant sa volonté de : « mettre sur pied des institutions comportant les principales caractéristiques d’un État démocratique ». Ce sont des actes de politesse négative qui ont pour fonction de consolider l’acceptation. Louis Marie Kakdeu