Communauté internationale: Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable

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L’Afrique doit devenir son centre propre
Les interrogations concernant le rôle de « la communauté internationale » dans les affaires africaines ne datent pas d’aujourd’hui.  Elles ont accompagné l’émergence du Continent à la vie moderne et son insertion problématique dans les relations internationales avant et après la colonisation. Les travaux des historiens aidant, l’on sait désormais que sur la longue durée, cette insertion s’est faite sur le double mode de la prédation et de l’extraversion. Ni la vague des décolonisations des années 60, ni la fin de la guerre froide ou encore la chute des régimes racistes de l’Afrique australe n’ont mis fin à ce handicap originel. Alors que s’amorce le nouveau siècle, ce handicap structurel est encore loin d’avoir été surmonté, et l’Afrique n’est toujours pas à même de négocier à son avantage son rapport au monde. Si ce rapport au monde s’est historiquement décliné sur un mode polémique, ce n’est pas simplement pour des raisons liées à la politique de puissance.

C’est aussi parce que, dès le début, l’insertion des Africains en tant que sujets souverains dans les rapports internationaux posait en termes radicaux des questions qui sont encore avec nous. La première – et sans doute la plus importante - est de savoir si l’on peut en effet définir en droit quelque chose que l’on pourrait appeler une « communauté mondiale ». Qu’est-ce qui donne à cette communauté ses attributs moraux et humains ? Qui en fait partie et qui doit en être exclu et pour quelles raisons ? À quelles conditions la violence à l’encontre de ceux qui en sont exclus (ou qui s’en excluent eux-mêmes) se justifie-t-elle moralement ? Et à quelles autres conditions se réduit-elle à un simple droit de conquête et à la politique de la force ?

Ces questions de droit moral et éthique se transformeront plus tard en questions de droit international. Mais à l’origine, on les retrouve sous diverses formes au cœur du mouvement international pour l’abolition de la Traite des nègres où elles apparaissent d’abord comme des problèmes d’ordre éthique. Ce qu’il s’agit en effet d’abolir, ce n’est pas simplement une forme inique du commerce. Il s’agit aussi de redéfinir les contours de l’humain et du monde non plus sur la base de la différence des races et des statuts, mais de ce qui est commun à tous parce que profondément inaliénable. Portée par de puissantes campagnes internationales menées par les organisations philanthropiques et stimulée par la résistance des esclaves eux-mêmes, on peut dire de la cause abolitionniste qu’elle représente le premier mouvement de défense des droits de l’homme de l’histoire moderne. Cette cause n’est pas portée par des États. Le mouvement abolitionniste se constitue précisément contre l’État tout en entretenant avec le capital marchand des liens ambigus.  Il est l’œuvre de réseaux de solidarité multi-raciaux, trans-océaniques et transcontinentaux, de filières, d’institutions, d’organisations, de personnalités charismatiques, de militants, évangélistes et propagandistes chevronnés.

La montée du mouvement abolitionniste, la poussée missionnaire de l’époque et la constitution dans les principaux centres de l’Occident de « sociétés des amis des nègres » furent par ailleurs à l’origine d’un nouvel imaginaire de la solidarité internationale et de la « communauté mondiale ». Cette dernière est envisagée comme une « communauté œcuménique » des hommes et des nations ordonnée à une mission universelle. Au sein de cette communauté, les faibles et les puissants ont égale voix au chapitre. Cette communauté n’est pas d’abord, loin s’en faut, une communauté des États ou des gouvernements. Encore moins un cartel des puissances de l’heure. Cette communauté est une coalition morale au bénéfice de ceux dont les droits inaliénables ont été blessés et  foulés aux pieds par les puissances organisées. C’est pour réhabiliter ces droits que l’intervention dans les affaires des États se justifie. L’intervention a pour  visée première d’abolir l’injustice originelle et de rétablir en humanité ceux que la puissance et la force ont déchu de leurs droits constitutionnels d’hommes pléniers.

On peut d’ailleurs voir les prémisses de cette idée d’une humanité œcuménique et cette volonté de restitution et de réparation dans l’acte de déclaration d’indépendance de Haiti, le premier État nègre moderne surgi des décombres de « la plantation ».  La montée nègre en humanité est alors indissociable de l’idée d’une fraternité humaine universelle, d’un monde commun à partager de manière équitable entre toutes les composantes de la famille humaine. Ce double lien constituera, au demeurant, le socle philosophique des tentatives ultérieures d’émancipation, qu’il s’agisse des luttes pour le maintien de l’indépendance de l’Éthiopie menacée par le fascisme italien, des raisons africaines de la participation du Continent à la lutte contre l’hitlérisme pendant la Seconde guerre mondiale, ou de manière plus manifeste encore, des combats anticoloniaux et anti-impérialistes de la deuxième moitié du vingtième siècle, ou encore des grandes luttes pour les droits civiques aux États-Unis qui culminent avec la défaite de l’Apartheid en Afrique du sud au milieu des années 90.

Ces questions de droit et d’éthique sont également au cœur des débats sur le droit à l’autodétermination. C’est que pendant plusieurs siècles, le monde a été divisé entre les peuples capables de s’auto-gouverner et ceux qui, pour toutes sortes de raisons, vivent dans la nuit de l’enfance. Ces derniers, soutient-on alors, doivent passer par une période de tutorat devant conduire, avec le temps, à leur émancipation totale et définitive. La colonisation se définit justement comme ce tutorat. Elle repose sur le droit qu’auraient les peuples civilisés de conquérir, d’occuper et d’exploiter les races inférieures.

Chaque fois donc, la question a été à peu près la même. Face à des situations dont l’enjeu est l’émancipation des Africains, voire leur survie, qui a le droit d’intervenir, comment et à quelles conditions? Les interventions externes visent-elles à accélérer le processus d’émancipation ou, au contraire, le ralentissent-ils, voire, constituent-elles des obstacles à ce but? Y-a-t-il des situations où il vaut mieux que l’on n’intervienne point?

De toutes les grandes interventions étrangères depuis la fin de la colonisation, quatre auront marqué durablement les esprits. La première est celle de l’Onu dans le drame congolais au début des années 60. Elle fut traumatique, l’organisation internationale ayant été le jouet des puissances qui voulaient préserver leur mainmise sur les richesses du Congo. S’en suivit, entre autres,  l’assassinat de Patrice Lumumba, et le pillage systématique du pays durant la période de la guerre froide. Ce cycle de la prédation se poursuit aujourd’hui encore, à la faveur d’interminables guerres de rapines, sur fonds de collusion entre acteurs locaux, régionaux et internationaux.

La deuxième fut l’implication des organisations humanitaires dans la guerre du Biafra. Dans ce cas, des acteurs non-étatiques se situant dans la lignée des mouvements philanthropiques du dix-neuvième siècle se placent aux côtés d’une population civile dans une guerre de sécession et cherchent à limiter le droit de souveraineté d’un État indépendant et sa capacité à mener une guerre contre une partie de ses propres citoyens.

La troisième fut la constitution d’un vaste réseau de solidarité mondiale autour de la question de l’Apartheid. Dans la plupart des cas, cette grande coalition morale s’opposait aux États. Grace à une forte mobilisation transcontinentale, elle obligea les gouvernements occidentaux notamment à appliquer des sanctions à l’égard de l’Afrique du Sud raciste et, ce faisant, à précipiter la fin du régime de l’Apartheid. La quatrième fut la non-intervention de l’Onu lors du génocide des Tutsis au Rwanda.

Toutes ces interventions ne se valent pas. Elles ne poursuivaient pas les mêmes objectifs et elles n’étaient pas conduites par les mêmes acteurs ni ne revêtaient la même forme.  Il faudrait y ajouter la foule d’autres, qu’il s’agisse des interventions armées (françaises notamment) à répétition; des conditionnalités imposées au titre du remboursement de la dette; ou encore de divers traités inégaux grâce auxquels les ressources du sol, du sous-sol, voire de vastes espaces aériens sont cédés à des puissances étrangères qui y exercent un droit de souveraineté.

Les courts essais réunis dans cette livraison font écho, directement ou indirectement, à ces questions historiques et contemporaines fondamentales. Elles tournent toutes autour de la capacité du Continent à devenir son propre centre, sa propre force, dans un monde qui, sous le couvert de la globalisation, ne cesse de se balkaniser. Cette tache historique requiert une profonde démocratisation des sociétés, une transformation radicale des modèles de pouvoir et l’avènement d’une culture neuve. Elle exige également une refonte des systèmes économiques et du droit, la fin des guerres internes et un nouvel âge de créativité institutionnelle. C’est en effet en devenant sa force propre que l’Afrique mettra un terme aux interventions externes, que celles-ci se réclament du «droit d’ingérence»  ou du vieux droit de conquête.
Achille Mbembe


Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable
La communauté internationale est une notion éminemment galvaudée dans l’actualité politique et stratégique qui marque les évolutions du monde global-libéral. Il s’agit d’une notion commode qui se pose et s ‘impose en véritable pass aux plans idéologique, stratégique et diplomatique lorsqu’il faut évoquer l’ordre partagé de valeurs et de conduites qui fonderait la civilité internationale. En cela, la figure de la communauté internationale est convoquée pour faire montre ou faire état de l’existence d’un cadre consensuel et consenti d’accord qui révélerait le caractère bien-fondé de l’ordre international posé en collectivité légitime. La communauté internationale est dès lors mobilisée dans la perspective symbolique et idéologique de faire croire en l’existence d’un consensus moral et éthique institutionnellement exercé à l’échelle de la vie internationale globale.
Quoiqu’évoquée de manière commode, au point souvent d’être présentée dans le sens d’une catégorie fétichisée, la notion de communauté internationale ne revêt pas pour autant un sens intrinsèquement patent et transparent. C’est que cette figure se prête très souvent à une signification évanescente ou proliférante quand on veut déterminer de manière stricte les traits d’identité et d’identification de cette notion ou de ce concept. Il n’est effectivement pas si aisé qu’il y paraît, de définir de manière non équivoque, les contours de la communauté internationale. Si elle est censée correspondre aux dimensions sociales, politiques et culturelles de l’ordre planétaire, sa configuration concrète souligne que la matrice signifiante et opérante de ce concept politico-diplomatique est largement défini et organisé autour des principaux centres de puissance et d’hégémonie dominant les jeux interétatiques et trans-étatiques.
On ne peut rendre raison et rendre compte de la communauté internationale sans l’envisager analytiquement et puis synthétiquement comme un milieu culturel et structurel d’activités et de conduites constitué en cadre international et transnational de sociabilité traversé et travaillé par les liens qu’entretiennent une multiplicité d’acteurs et d’opérateurs habitant et/ou circulant dans les sphères interétatiques et/ou transétatiques. Cela permet alors de repérer comment certains des réseaux de conduite et de contrainte formés dans les sphères de relations extérieures, se posent en pôles de force et de puissance qui travaillent à structurer symboliquement et stratégiquement des foyers régulateurs et révélateurs d’une sociabilité internationale consensuelle.
En étant avisé de ces éléments sémantiques et pragmatiques de visualisation des processus de coexistence internationale réglée et/ou ordonnée, il s’agit de montrer que la catégorie de communauté internationale n’est pas neutre ni désintéressée. Au regard des instruments intellectuels et conceptuels d’une analyse critique des idéologies usant méthodologiquement du doute épistémologique et épistémique, il apparaît que l’on doit être attentif aux conditions d’énonciation et d’action dans lesquelles cette catégorie diplomatico-éthique et politico-éthique est mobilisée pour rendre compte des conduites internationales. Dès lors, il apparaît clairement que l’on ne saurait épistémologiquement et méthodologiquement se priver d’un regard socio-analytique et psychanalystique qui prête de l’attention aux montages et usages sociaux et politiques de cette catégorie usitée dans le lexique diplomatico-stratégique.
De manière à la fois didactique et critique, il apparaît que la communauté internationale est un espace identificatoire à géométrie variable aussi bien en ce qui concerne la qualité et le statut que le rôle et la fonction des acteurs qui  en ressortissent selon les logiques de situation. Pour autant, cette fluidité des contours  organisationnels et institutionnels de la communauté internationale n’emporte pas la vacuité définitive de ses contours communicationnels et relationnels. Autrement dit, on doit être avisé de la complexité signifiante et opérante de ce concept ou de cette notion, des références qui y sont attachées et des référents auxquelles cette catégorie renvoie dans sa présentation et sa représentation dans différents actes ou conduites de la vie internationale.

Afin de caractériser avec pertinence la catégorie de communauté internationale dans ses montages et usages diplomatiques ou stratégiques à l’ère de la post-bipolarité globale-libérale, il est particulièrement important d’être toujours attentifs aux noyaux de sens ou de puissance qui opèrent comme des formes et forces travaillant à assurer et à contrôler la cohérence des champs d’énonciation et d’action que recouvrent cette figure. Il importe aussi dans cette perspective, que la référence à la catégorie de communauté internationale permette aux unités d’existence et d’action qui la mobilisent comme liant collectif, de forger et de former des moyens d’interaction ou d’interdépendance censés véhiculer des stratégies et pratiques de mise en solidarité à l’échelle internationale.

I-La construction orientée de la communauté internationale comme sphère diplomatico-ethique de règlement des crises: valeur et pertinence questionnables des configurations de sens

La communauté internationale est une catégorie politico-diplomatique qui ne va pas de soi, si on entend par là qu’il faut lui accorder de manière mécanique et immédiate une validité et une légitimité. A l’observation critique du cours de la vie internationale travaillée par de multiples dynamiques de conflit, il apparaît que la catégorie de communauté internationale n’est pas énoncée avec la même intensité ni avec la même intentionnalité. Autrement dit, cette notion ne correspond pas aux mêmes formulations éthico-politiques et éthico-diplomatiques selon les différentes configurations et situations de crise. C’est que les opérateurs pertinents qui canalisent l’articulation et l’agrégation des vues ne manifestent pas le même intérêt pour toutes les dynamiques internationales de conflit.

Les acteurs dominants des espaces internationaux et transnationaux globalisés (grands Etats démocratiques, industriels et développés influents dans les organisations et institutions internationales onusiennes et pro-onusiennes du consensus de Washington ; système des Nations Unies ; institutions de Bretton-Woods ; organisations régionales et sous-régionales) interviennent de manière sélective dans le ciblage moral et des crises internationales en Afrique. Bien entendu, cette dynamique de construction à géométrie variable est largement modelée par la prépondérance systémico-culturelle et hégémonico-culturelle des valeurs et normes d’origine et d’inspiration occidentales et atlantistes.
Ce sont les acteurs étatiques et transétatiques influents des centres occidentalo-atlantistes de la mondialisation qui impriment le rythme dans le travail de construction culturelle et moral des vues sur al gestion des crises internationales africaines.
La communauté internationale en tant que figure fait écho aux images d’une communauté universelle basée sur des valeurs humanistes et une morale idéaliste et optimiste d’une humanité solidaire inspirée par le philanthropisme égyptien de la Maat (justice- vérité) et des Rekhyt(hommes éclairés et avisés), l’idéalisme socratique et l’universalisme des stoïciens. Dans la même coulée, il faut prendre en compte les orientations idéalistes-rationalistes du Vieux et du Nouveau Droits Naturels comme attaches pour une éthique des droits de l’homme.
La communauté internationale s’inspire aussi des références au normativisme et à l’institutionnalisme du rationalisme libéral, faisant de l’ouverture aux Lumières, une condition décisive de construction d’un ordre international universaliste posé en Règne de la Raison ou des Fins.

Dans son acception globale-libérale, la communauté internationale renvoie aux catégories échangistes du pluralisme international de type fonctionnaliste, transactionnaliste ou interculturalisme-transnationaliste. Il s’agit alors d’envisager le monde globalisé comme un ordre consensuel de fondation de valeurs, de principes de normes et de règles,ordre porté à valoriser la constitution de ce monde comme lieu globalo-libéral et/ou néo-libéral d’une communauté d’intérêt. Il reste cependant à noter que toutes ses acceptions et conceptions de la communauté internationale ont à voir avec des perspectives orientées et façonnées de construction sociale de l’existence et de la pertinence de la, communauté qui ont eles-mêmes partie liée avec les dynamiques sociales et historiques des opérateurs éminents et influents qui modèlent ces sphères de l’international et du transnational.

I.1- L’avantage hégémonique des opérateurs occidentaux et sa place dans la sélection active et positive des crises africaines

En usant d’un éventail impressionnant de moyens diplomatiques, médiatiques et idéologiques, les puissances internationales et transnationales occidentales et occidentistes savent user de leur éminence et de leur influence dans les champs des relations extérieures et de l’action étrangère, pour faire inscrire moralement et culturellement une crise africaine comme préoccupation sensible dans l’agenda diplomatico-éthique global. L’exemple du traitement diplomatico-moral de la crise post-électorale ivoiruienne ouverte en Novembre 2010 le démontre à souhait. En recourant de manière commode au lexique diplomatico-moral du soutien à la démocratie, ces groupes de puissance ont contribués à faire de cette crise un point d’attention important de l’actualité internationale.

Soucieux de conforter la position des acteurs ivoiriens considérés comme les plus favorables et les plus réceptifs à l’hégémonie occidentale, atlantique et eurocentrique dans l’ordre globa-libéral, les centres occidentaux dominant la mondialisation ont de manière quasi-unanime et unilatérale, accordés leur action et leur soutien à Alassane Ouattara et au Rhdp. Il serait naïf de ne voir cela que sous l’angle d’un soutien consensuel à la volonté de faire respecter la sincérité et l’intégrité démocratique du vote en Côte-d’Ivoire. Tout en étant avisés de ce que les torts dans la crise post électorale ivoirienne ne pouvaient être exclusivement ni même nécessairement principalement attribués à Laurent Gbagbo, ces acteurs ont délibérément fait comme si cela avait été le cas. Manifestant un parti pris géopolitiquement intéressé plus que démocratiquement vertueux, ils ont ouvertement biaisés l’analyse et la décision internationale au sujet de cette crise.
De manière délibérée, parce que les principaux foyers d’influence avaient déjà coopté Alassane Ouattara comme interlocuteur présidentiel valable, les groupes d’intérêt et de puissances occidentaux ont actionné leurs réseaux diplomatiques, médiatiques, d’intelligence et de lobbying pour minorer les récriminations politico-électorales de Laurent Gbagbo contre son rival. Il s’est ainsi agi de fabriquer la croyance en l’indiscutable vertu démocratique de M. Ouattara dès lors campé en innocente victime d’un hold-up électoral orchestré par Laurent Gbagbo nécessairement figuré en autocrate roublard. Bien entendu, tout ceci a été médiatiquement usiné, de manière à taire les distorsions substantielles et procédurales du vote dans les départements du Nord et à crier au haro pour de bonnes ou mauvaises raisons sur la forfaiture imputée au Conseil Constitutionnel déclarant Gbagbo vainqueur après avoir annulé les voix de 7 de ses départements.

Disposant de leur puissance médiatique et technologique, ces groupes ont culturellement et moralement construit la dignité internationale de Ouattara en passant sous silence ses turpitudes électorales alors qu’elles ont consacré l’indignité diplomatique de Gbagbo accusé de toutes les perversions électoralistes. Dans ce schéma culturellement et moralement orienté par le souci de mettre indiscutablement en valeur la reconnaissance internationale et diplomatique du champion ivoirien coopté comme interlocuteur légitime par les puissances lobbies du global-libéralisme à hégémonie occidentale, les dispositifs médiatiques ont préparé le puissant rouleau compresseur diplomatico-institutionnel lancé contre Laurent Gbagbo et son régime usant de leur influence au sein des Nations-Unies en général et de l’Onuci en particulier, certaines de ces puissances étatiques appuyées par l’Union Européenne ont indubitablement usé de tout leur poids pour entraîner l’Union Africaine et la Cedeao dans leur sillage diplomatique et politique.

I.2- Le désintérêt hégémoniquement aiguillé des forces occidentales comme dynamique de sélection négative de certaines crises africaines

Alors qu’à l’occasion de la conjoncture électorale ivoirienne, toute l’attention politico-diplomatique et politico-médiatique avait été concentrée vers ce pays, d’autres pays africains pourtant également situés dans une zone politico-militaire de crise souveraine malgré l’annonce d’un retour à la paix, n’ont pas bénéficié du même intérêt. Les donneurs de leçons liés aux establishments des puissances globales libérales occidentales n’ont pas montré la même détermination à sauvegarder et à défendre la sincérité et l’intégrité démocratique du vote en République Centrafricaine. Pas grand-chose n’a été fait pour que ce pays bénéficie de la même vigilance critique du libéralisme international pour son processus électoral.

Le processus électoral centrafricain qui s’est déroulé en janvier 2011, quelque temps après celui de la Côte-d’Ivoire, intervenait dans un pays qui a connu également une guerre civile et une dynamique de paix intégrant des structures adhoc de l’Onu (Bonucat). Les acteurs occidentaux dominant la communauté internationale ne se sont pas pourtant intéressés à ce processus électoral, négligeant ouvertement et délibérément ce pays d’Afrique Centrale. On s’en doute, ce désintérêt subit pour la nécessité de faire respecter la morale démocratique et électorale en Afrique en général et en Afrique subsaharienne en particulier, montre les limites éthiques, politiques, juridiques et diplomatiques des acteurs qui s’étaient présentés comme les chiens de garde des enceintes sacrées de la démocratie à propos de la République de Côte-d’Ivoire. Pour de bonnes ou mauvaises raisons, les niveaux politiques et électoraux du général François Bozize Yangouvonda au rang desquels l’ancien président Ange Félix Patasse, l’ancien Premier Ministre Martin Ziguele ou de l’ancien ministre Jean-Jacques  Demafouth, avaient émis des réserves sur la conduite du processus électoral centrafricain. Pourtant, même avec la controverse post-électorale, la communauté internationale néo-libérale d’hégémonie mondiale occidentale n’a pas fait preuve de même pugnacité politico-morale pro-démocratique en République Centrafricaine, n’accordant strictement aucun intérêt à analyser le sens et les faits de l’élection présidentielle centrafricaine conformément aux exigences qu’elle affiche en matière de respect de la liberté, de l’honnêteté, de la sincérité et de l’intégrité démocratiques du vote.

L’attitude discriminante et discriminatoire de la même communauté internationale sur le processus électoral centrafricain alors qu’elle s’était montrée sourcilleuse – en apparence – à propos de la Côte-d’Ivoire. On a ici une expression du caractère géométriquement variable de la morale politico-diplomatique et juridico-diplomatique censée être universaliste des acteurs influents de l’ordre global ressortissant des Etats et sociétés d’Occident. On veut bien accepter que les Nations Unies, l’Union Européenne et les grands Etats occidentaux si méfiants de l’issue institutionnelle du processus électoral en Côte-d’Ivoire, prennent pour argent comptant le résultat officiel de l’élection préside’ntielle en Centrafrique. Ce qu’on comprend moins, surtout après le grand battage médiatico-diplomatique autour de la crise post-électorale ivoirienne, c’est que les mêmes vigiles internationaux de la démocratie électorale n’aient prêté aucune attention évaluative aux plaintes de l’opposition centrafricaine, ne serait-ce que pour rechercher la vérité.

II- La construction intéressée de la communauté internationale comme sphère diplomatico-strategique de traitement des crises :la teneur et la consistance variables des configurations de puissance

La communauté internationale en tant qu’ensemble politico-diplomatique est évidemment travaillée pour ses configurations par des processus socio-politiques de regroupement et de classement qui ne peuvent se comprendre sur une simple base morale et éthique. En effet, les différentes figurations de la communauté internationale qui s’engage et intervient dans les crises africaines ne sont pas seulement établies sur la base de considérations éthiques, valorielles et morales. Ici, il est clair pour ceux qui veulent et savent user de leur sens critique que la « communauté internationale » énoncée dans la gestion des différentes situations et configurations de crises internationale, est évidemment structurée par des noyaux de pouvoir qui disposent de moyens de puissance et d’hégémonie considérables dans l’ordre global libéral.
Les opérateurs hégémoniques de la communauté internationale à prédominance global-libérale occidentale (grands Etats industrialisés et démocratiques posées en puissances impériales ou globales ; puissantes compagnies multinationales ; institutions économiques et financières internationales liées au système de Bretton Woods, système onusien ; Ong de la société civile internationale et transnationale) s’engagent dans les crises africaines aussi en fonction de considérations géopolitiques, géostratégiques ou géoéconomiques de puissance et d’intérêt. En agissant de la sorte, ils révèlent que la structuration actionnelle et décisionnelle des réseaux qui organisent et concrétisent la communauté internationale, ne se fait pas seulement sur la base d’une référence à des principes, des valeurs ou des normes mais aussi sur celle d’intérêts et de calculs.
Derrière les affichages vertueux par lesquels les acteurs de la communauté internationale se placent sous la bannière des croisades pour la démocratie, l’Etat de droit ou les droits de l’homme, on peut repérer des comportements qui sont plutôt fondés par la logique et l’éthique de la puissance cupide et avide. En effet, nombre des acteurs éminents et influents de la communauté internationale d’inspiration occidentalocentrique et occidentiste agissent pour des motivations beaucoup plus prosaïques que les grandes valeurs et les beaux principes qu’ils agitent pour masquer les véritables desseins commandant leur engagement diplomatico-stratégique de manière active et positive ou négative et passive.

Les chaînes de puissance qui structurent l’orientation principalement globalo-libérale et néo-libérale de la communauté internationale agissent, dans les crises africaines, compte tenu d’une certaine ligne de démarcation géo-systémico-stratégique. En effet, ces réseaux qui sont rattachés aux centres nordo-atlantiques et euro-occidentaux de prépondérance (Etats-Unis, Canada, Union Européenne) s’envisagent comme des unités d’action et d’existence précisément situées dans la zone éminente et dominante de prospérité que constituent les ceintures occidentales de développement et d’enrichissement à l’échelle planétaire. A ce titre, ces opérateurs font partie de ce que le géopoliticien et internationaliste américain Thomas Barnett appelle le Noyau constitué des citadelles ultra-modernes et ultra-industrielles d l’expansionnisme planétaire globalo-libéral occidental qui envisage les crises africaines dans une perspective de paternalisme semi-colonial ou recolonial.

II.1- La démarche néo-libérale et globalo-libérale de valorisation géo-économique sélective des niches africaines

L’investissement des acteurs de la communauté internationale dans la gestion diplomatique et stratégique d’une crise dans les Etats et sociétés d’Afrique s’opère aussi sur la base de considérations économico-stratégiques et géoéconomiques. Dans cette optique, l’action des groupes et réseaux de la communauté nationale est structurée autour des visées utilitaires et nécessitaires des noyaux éminents et influents qui structurent alors les démarches d’opération de cette communauté. Ici, la référence aux considérations de sens n’est très souvent que le masque qui recouvre commodément les motivations de puissance intéressée.

On ne peut analyser l’engagement des acteurs dominants et influents de la communauté internationale incarnée dans la prépondérance et l’hégémonie des milieux occidentaux à propos de la crise de la République démocratique du Congo(Rdc), sans prendre en compte de telles visées et menées pragmatiques et pratiques. En appuyant le processus de retour à la paix en Rdc qui va se cristalliser autour des Accords de Prétoria et en actionnant pour cela le dispositif ad hoc de la Monuc, les intérêts systémiques liés aux puissants lobbies globalo-libéraux occidentaux n’agissent pas seulement pour défendre les vertus de la démocratie. En effet, le processus de sortie de crise mis en œuvre en Rdc à travers les accords pluri-partites de paix, va permettre à ces acteurs de puissance de prendre littéralement en tutelle ce pays meurtri par le désastreux héritage de l’autocratie mobutiste puis kabiliste pour en contrôler la restructuration et la réorientation économiques de ses immenses richesses.
En pesant sur le processus politico-militaire et politico-diplomatique de retour de la Rdc à la paix à travers la mobilisation orientée des dispositifs comme la Monuc ou l’Opération Artemis, les Nations-Unies et l’Union Européenne se donnent les moyens de structurer les parcours de gestion politico-institutionnelle et politico-économique que doivent suivre ce pays. Ce faisant, ces acteurs multilatéraux opèrent aussi comme des facilitateurs venant en appui à l’action stratégico-économique et géoéconomique de pénétration des grandes puissances étatiques occidentales ou des grandes compagnies transnationales qui sont domiciliés sur leur territoire. On a bien vu que certaines de ces puissances comme les Etats-Unis  sont utilement appuyées par des acteurs étatiques situés dans le pourtour sous-régional de la Rdc (Rwanda, Ouganda).

En s’engageant au Congo, les acteurs représentant différents compartiments géopolitiques et géoéconomiques de l’establishment global-libéral et néolibéral occidental, mobilisent opportunément les finalités politico-éthiques et économico-éthiques de la reconstruction internationale d’un Etat failli, pour mieux repositionner leurs intérêts économiques financiers, commerciaux ou même industriels afin de mieux profiter des rentes minières et minérales de la RDC (diamant, manganèse, cobalt, coltan) également convoités par des puissances régionales d’Afrique orientale ou d’Afrique australe, entendant agir de manière autonome comme l’Angola, le Zimbabwé ou même l’Afrique du Sud. L’appui affiché pour l’instauration de la démocratie en Rdc a mal caché des considérations politiques et économiques de clientélisme international qui ont favorisé des connivences profitables à Joseph Désiré Kabila adopté comme pupille des milieux globalo -libéraux.

II.2- L’action stratégique préférentielle des puissances de la communauté internationale dans les crises africaines comme raison opportuniste

Lorsque les intérêts de pouvoir, d’affaires ou de prestige des grands lobbies néo-libéraux et globalo-libéraux orientés par l’atlantisme hégémonique planétaire  sont gênés par certains protagonistes des crises africaines à résonance internationale, ils ne font pas nécessairement valoir les exigences de légitimité démocratique, d’efficacité managériale ou de bonne gouvernance ou de paix civile dont ils se présentent pourtant comme les parangons. Ainsi pour des raisons anthropo-stratégiques de solidarité ethno-culturelle avec les communautés blanches d’Afrique du Sud, ces lobbies occidentaux hégémoniques ont pesé de tout leur poids lors des négociations entre le régime De Klerk et l’Anc conduite par Nelson Mandela pour la fin de l’apartheid, afin que l’exigence de paix et de réconciliation l’emporte sur l’exigence de justice pourtant importante pour les victimes de l’apartheid.

En raison de leurs intérêts géo-stratégiques et diplomatico-stratégiques, les grandes puissances étatiques occidentales qui par complexe de culpabilité – en raison de leurs négligences qui ont conduit au génocide rwandais en avril 1994, génocide orchestré par le régime Mnrd et l’akasu proche du président Habyarimana-, ont fermé les yeux sur les massacres en formes de règlements de comptes commises par le régime Fpr du général Paul Kagame venant en appui aux forces Afdl de Laurent Désiré Kabila dans l’Est du Congo. Jamais d’ailleurs, dans la prise en charge juridictionnelle des infractions de droit pénal international opérés dans le Sud et le Nord-Kivu ou dans le Maniema, ces lobbies n’ont insisté pour que des éléments du régime Fpr ou des milices congolaises pro-FPR soient poursuivis par la Cour Pénale Internationale pour répondre de leurs actes.

La logique de géométrie variable des opérateurs hégémoniques de la communauté internationale se voit aussi dans leur capacité à appuyer certaines démarches gouvernantes d’étranglement et d’effacement des crises et controverses électorales africaines.

Ainsi alors qu’ils se montraient fort pointilleux et sourcilleux vis-à-vis du processus électoral présidentiel ivoirien de la fin de 2010, les acteurs décisifs de la communauté internationale s’étaient montrés fort complaisants vis-à-vis des élections législatives égyptiennes complètement verrouillées par le Pnd dans la pure tradition du monopolisme politique dans le second semestre 2010. Les mêmes leaders de la communauté internationale si intransigeants avec Laurent Gbagbo avaient hypocritement détourné les yeux du plébiscite présidentiel offert au président Ben Ali par le système Rcd en 2009. Ce sont pourtant les mêmes qui par un opportunisme éhonté, célèbrent le renversement manifestant et populaire des présidents tunisien (Ben Ali) et égyptien (Moubarak), en ce premier trimestre de 2011.

On a vu aussi des acteurs importants de la communauté internationale – les autorités françaises – si soucieuses de montrer leur attachement à la démocratie à Abidjan, balbutier et bégayer quand il s’est agi de soutenir clairement le langage politico-diplomatique de la démocratie à Tunis. Dans le même registre opportuniste, il faut noter que ce n’est que de manière bien poussive que Barack Obama et Hillary Clinton si exigeants en matière de démocratie sur les bords de la lagune Ebrié à Abidjan, se sont résolus à soutenir la mobilisation pro-démocratique qui s’est révélée être la révolution du papyrus sur les bords du Nil au Caire.

La communauté internationale est une catégorie diplomatico-stratégique aux contours mouvants et aux usages fluctuants .En raison de cela ,elles donnent lieu à des emplois caractérisés par une perception sélective des crises politiques africaines .Les opérateurs hégémoniques qui se posent en dépositaires ou en propriétaires attitrés de la marque diplomatico-stratégiqe «communauté internationale » sont proviennent essentiellement des unités de puissance et d’action situées dans les centre occidentaux du système-monde capitaliste globalo-libéral. Usant de leurs avantages globalo-hégémonique, ces groupes d’intérêt et de pression usent de la catégorie de « communauté internationale » au gé de leurs intérêts stratégiques et systémiques, ce qui donne lieu à une mobilisation  à géométrie variable ,des principes éthiques et moraux que  ces acteurs mobilisent pour légitimer leur implication et leur intervention dans la gestion diplomatico-stratégique des crises africaines lorsqu’elles sont prises en charge par ces milieux internationaux influents et éminents .Il faut donc être attentif au « political bias» par lesquels ces puissances de l’ordre global-libéral procèdent à une mise sur agenda fort sélective des crises africaines appelées à bénéficier de l’attention internationale. Dès lors ,on a affaire au paternalisme global de ces acteurs qui usent du  « deux poids ,deux mesures » dans leur prise en charge des dossiers africains. Mathias

Eric Owona Nguini

*Sociopolitiste


Quelques réflexions sur la notion de communauté internationale

« La Communauté internationale », voilà un concept aujourd’hui vague, confus et très controversé, parce que polysémique, c’est-à-dire, à plusieurs sens. Pour certains, il s’agit de quelques pays industrialisés de l’Occident, regroupés au sein du G8. Pour certain aussi, c’est le Conseil de sécurité des Nations unies, surtout ses cinq membres permanents qui jouissent du droit de véto depuis 1945, au détriment de la majorité des membres de cette organisation, au détriment des puissances émergentes et des réalités du monde multipolaire, polycentrique et hétérogène actuel. Pour certains également, la Communauté internationale, ce sont les Nations-Unies, dans leur entièreté, avec l’ensemble des pays regroupés au sein de l’Assemblée générale de cette organisation. Pour bien d’autres, c’est le groupe des 77, le G.20, les regroupements politico-économiques régionaux (Union européenne, Union Africaine, Ligue Arabe, Cedeao, Otan ), etc. la Société civile internationale (à l’instar des altermondialistes qui défendent les causes précises et dont les membres se recrutent dans tous les Continents), etc. Toutes choses qui reflètent l’hétérogénéité du monde d’aujourd’hui.

Comme on le constate, la Communauté internationale est une notion à visages multiples, qui se construit autour des préoccupations particulières des parties prenantes, et que l’on manipule au gré des intérêts et enjeux économico-stratégiques, et des rapports de force dans tel ou tel pays, dans telle ou telle région. Il faut dire que des Journalistes et autres hommes de médias de certains pays du Nord entretiennent la confusion, et déroutent nombre de personnes sur cette notion. Car, comment comprendre que, pour le cas du conflit postélectoral en Côte d’Ivoire par exemple, ceux-ci parlent du « Président reconnu par la Communauté internationale, et même, par l’ensemble de la Communauté internationale », alors qu’il s’agit, tout simplement, de certains pays faisant partie de la Société Internationale. Sur les insurrections actuelles en Lybie, "une certaine Communauté internationale" ne réussit pas à se démarquer. Sur cette question, l’on constate plutôt qu’une certaine Communauté internationale s’active, la France en tête, pour faire directement et ouvertement la guerre au régime de Kaddafi avec des frappes aériennes, sous prétexte de protéger les populations civiles. Les condamnations de cet agissement de cette France impérialiste commencent déjà à tomber, notamment celles de la Ligue arabe. De ce qui précède, l’on constate qu’en réalité, aujourd’hui, il n’y a pas de Communauté internationale unique, il n’y a pas la "Communauté internationale", parce que l’article « la » en grammaire française ou « the » en grammaire anglaise doit indiquer quelque chose de précis, se rattacher à un objet bien déterminé. À vrai dire, il y a plutôt des "Communautés internationales", derrière lesquelles se trouvent et agissent fortement les États qui défendent des intérêts multiformes, divers, variés. Mais, les États ne sont pas les seuls acteurs des relations internationales. Il faut compter avec les Organisations internationales non gouvernementales, les firmes multitransnationales, la Société civile internationale, etc. À cet égard, nous inclinons à penser, et nous pensons que la Communauté internationale, appréhendée dans un sens global doit impliquer l’ensemble de tous les États, ou tout au moins, la majorité des États qui composent la Société internationale.

I-    Les raisons de l’émergence, mieux, du renforcement d’une Communauté internationale oligarchique, agressive et conservatrice.

Il est important de rappeler que dans les années 80, les pays en développement ont essayé de négocier un nouvel ordre économique international avec les pays du Nord. C’est ce qu’on appelait alors "les négociations globales". Ces négociations ont échoué, parce que, torpillées par une certaine Communauté internationale oligarchique (notamment les États-Unis et l’Europe occidentale), soucieuse de conserver l’ordre international ancien en vigueur, qui leur est favorable, et que Mohammed Bedjaoui a appelé : "l’ordre international de la misère" (Voir son ouvrage : Pour un nouvel ordre économique international, Paris, Unesco, 1980). En effet, l’ordre international institué depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale garantit à une certaine Communauté internationale, des positions de domination acquises, au sein de la Société Internationale, et qu’elle n’entend pas perdre.

Il est important de rappeler par ailleurs que, depuis des années, les pays du Sud exigent une reconfiguration du Conseil de Sécurité des Nations unies pour refléter la réalité actuelle d’un monde multipolaire, polycentrique et hétérogène. Mais, malgré les paroles et les discours soporifiques de certains pays occidentaux qui font semblant d’aller dans le sens des revendications des pays du Sud, une certaine Communauté internationale entend conserver la configuration actuelle du Conseil de sécurité, refusant ainsi par là même la démocratisation de cet organe important des Nations-Unies, et partant, la démocratisation d’autres organisations et instances du système international. Et pourtant, la France par exemple, avec moins de 70 millions d’habitants n’équivaut pas, sur le plan démographique, l’Afrique qui compte un milliard d’habitants. Et pourtant, le PIB de l’Afrique dépasse aujourd’hui celui de certains pays membres du Conseil de sécurité.

Il faut souligner qu’aujourd’hui, l’ordre économique international ancien est bousculé par les grands pays émergents d’Asie (la Chine, l’Inde, etc.), d’Amérique latine (le Brésil, le Mexique, etc.) et aussi d’Afrique (l’Afrique du Sud). Face à cette nouvelle donne, une certaine Communauté internationale émerge, se renforce et se dresse, pour défendre bec et ongles ses positions acquises jusqu’ici, au sein de la Société Internationale, mais qui s’érodent inexorablement. Pour cela, cette Communauté internationale là s’abat sur son ventre mou, c’est-à-dire l’Afrique, dernier rempart des richesses du monde, détentrice des plus grandes réserves mondiales des ressources stratégiques. Oui, l’Afrique reste le ventre mou de cette Communauté internationale oligarchique, et conservatrice par ce qu’elle est désunie, ne parle pas d’une seule voix, est fortement consommatrice des modèles étrangers ; parce qu’elle n’est pas une puissance technologique, militaire et nucléaire ; parce qu’elle  n’est pas encore consciente de ce qu’elle est.

II/La démocratie : nouveau cheval de bataille de cette Communauté internationale oligarchique et conservatrice.

Pour conserver ses positions de domination, la démocratie apparaît comme la nouvelle trouvaille et le cheval de bataille de cette Communauté internationale oligarchique. Démocratie qu’elle apprécie et applique d’ailleurs à géométrie variable dans les pays du Sud, selon que ceux-ci lui sont réticents, récalcitrants ou obéissants. Elle n’hésite pas à imposer cette démocratie par la force des armes, comme cela a été le cas en Irak. Elle applaudit les coups d’État qui renversent les dirigeants démocratiquement élus, quand cela arrange ses intérêts et les condamne quand ce n’est pas le cas.

Quand cela l’arrange, cette Communauté internationale oligarchique soutient les institutions nationales souveraines chargées d’encadrer les élections présidentielles dans les pays du Sud et, dans le cas contraire, elle les conteste et les combat. Cette communauté internationale là n’a pas empêché la guerre en Irak et la destruction de ce pays, malgré l’existence du Conseil de Sécurité des Nations unies. Elle n’a pas fait adopter une résolution par le Conseil de sécurité des Nations Unies sur le « No fly zone » pour protéger les populations civiles irakiennes contre les agresseurs. Cette Communauté internationale là est prête à soutenir les insurrections armées, et des mouvements de rebelles et autres rebellions fantômes, parfois non facilement localisables, même s’il s’agit des terroristes et autres mercenaires, tout simplement pour maintenir et encourager le désordre et l’instabilité dans les pays émergents ou en voie d’émergence du Sud, pour qu’elle revienne ensuite en force, en "sapeur pompier", au grand bonheur de ses hommes d’affaires, de ses entreprises, de ses chômeurs, etc. Pour que survive l’ordre international ancien, cette Communauté internationale là, ne s’encombre pas de la théorie du "soft power" (Voir Joseph Nye) dans les Relations internationales qui repose sur la séduction et la persuasion pour atteindre ses objectifs et/ou défendre ses intérêts, mais elle procède davantage par la coercition, la diplomatie de la canonnière, voire, la stratégie de l’asphyxie des dirigeants et des peuples qui ne leur sont pas acquis, au grand dam des droits de l’homme qu’elle prétend pourtant promouvoir. Nous osons espérer que l’éveil politique et des consciences des populations africaines que l’on observe en ce début du 21e siècle, va faire en sorte que, finalement, l’Afrique soit consciente de ce qu’elle est, et ne se laisse plus ballotée par les vents et les intérêts de cette étrange Communauté internationale oligarchique et conservatrice. Après le piège des plans d’ajustement structurel, c’est maintenant le piège de la démocratie, car s’il est vrai qu’il y a des Valeurs universelles dont on ne peut plus se passer dans les temps modernes telles, la liberté, la solidarité, la démocratie, etc. l’Afrique doit puiser les fondements de celles-ci dans ses Sociétés traditionnelles ancestrales, c’est-à-dire, celles qui existaient avant la colonisation. Cette colonisation qui a prétendu que les sociétés africaines n’avaient aucune valeur positive, de la religion à la politique, en passant par la technologique et l’économie. Non, les sociétés ancestrales africaines étaient, à bien des égards, des sociétés démocratiques. Ceci apparaît sans équivoque dans les ouvrages d’histoire, de sociologie, d’anthropologie, de littérature, etc. des auteurs africains et africanistes. L’Afrique doit savoir que, la mondialisation ne signifie pas l’uniformisation à l’échelle universelle, des modes de penser et d’agir de l’Occident, dans un monde pourtant hétérogène. C’est en refusant cela que des pays d’Asie et d’Amérique latine marquent leurs différences et sont devenus de grands pays émergents.
Jean Paul Ayina
Ministre plénipotentiaire,
Enseignant associé à l’Iric et à l’Enam


La communauté internationale est-elle gardienne des élections présidentielles africaines ?

Les événements malheureux et dramatiques observés au Kenya en 2007 lors des élections présidentielles ; en Guinée Conakry, à Haïti et en Côte d’ivoire au mois de novembre 2010, rappellent que le moment électoral c'est-à-dire, celui où se joue la conquête de l’exercice ou la volonté de conservation du pouvoir politique, est celui de tous les dangers et est extrêmement risqués pour les jeunes démocraties africaines dont la fragilité des systèmes ne fait l’ombre d’aucun doute.

La raison est que le respect des règles du jeu démocratique, par les acteurs politiques,, relève plus de l’exception que de la normalité.

L’on remarque aussi que le moment électoral en Afrique au sud du Sahara, est une occasion de transformation de la lutte politique en violence de masse ou intercommunautaire ; où des gens profitent du chaos pour vider leurs différends et autres rancunes.

Organiser donc les élections libres, transparentes, apaisées et dont les résultats ne connaîtront aucune remise en cause ou contestation dans les rues, devient pour les États africains à la fois un défi et une exigence.

Si les élections en Afrique ne jouent plus leur rôle fondamental qui est celui de stabiliser le système politique et établir une bonne gouvernance en vue de promouvoir et consolider le développement social et économique ; elles sont plus devenues un élément ou un facteur de déstabilisation et de destruction des organisations sociale, économique, politique et culturelle des États africains. Ceci à cause du refus de la sanction des urnes, l’abstention massive des populations, les tensions sociales et politiques qui donnent libre cours à des conflits ethniques, des mouvements de réfugiés en proie à la violence et l’insécurité.

Tous ces constats découlent d’un mal encadrement du processus électoral. L’hémorragie peut-elle être arrêtée par l’implication sérieuse de la Communauté internationale dans l’organisation des scrutins bref, dans le contrôle minutieux de tous les processus électoraux en Afrique ? dans cette perspective, qu’est qui pourrait justifier une telle implication? sur quoi doit porter le contrôle ? et quel peut être son impact?

L’implication de la Communauté internationale dans le processus électoral en Afrique peut se justifie par le fait que le socle démocratique de la quasi-totalité des États de ce continent reste encore très fragile ; les cycles de violences observés avant, pendant et après les élections, la forte abstention des populations à adhérer au processus et de nombreuses contestations ou remises en cause des résultats  ont l’apparence d’une crise congénitale à l’Afrique.

La période électorale est un moment important dans la vie politique de tout État. C’est à cette occasion que le peuple souverain exprime directement ses choix sur les différentes orientations sociales, économiques, politiques et culturelles que lui proposent les différents candidats.

Voter est, pour les citoyens, à la fois un droit fondamental et un devoir civique ; d’où la nécessité de mieux encadrer le processus ou les différentes opérations qui l’entourent, en s’assurant que tout se déroule dans la transparence et que tous les citoyens bénéficient des mêmes facilités et sont soumis aux mêmes conditions leur permettant d’exprimer librement leur choix ; et que ce choix soit respecté au terme du processus.

Empêcher au peuple de s’exprimer par le vote, ne pas respecter son choix, c’est porter gravement atteinte à sa souveraineté. Atteinte qui occasionne des revendications et contestations souvent violentes.

Aussi, le vote est une source de légitimation en démocratie. Légitimité qui manque à bon nombre de dirigeants africains qui n’accèdent au pouvoir que par le biais des tripatouillages électoraux ; relayant au second plan le choix et la volonté du peuple.

Comme disait M. Koffi Annan le 28 Juillet 1997 lors de la Conférence internationale sur la Gouvernance au service du développement durable et de l’équité, « c’est sur la volonté du peuple que doit reposer le pouvoir gouvernemental. C’est cette volonté qui est le fondement de la démocratie ; le fondement de la bonne gouvernance. La bonne gouvernance donnera à tous les citoyens […] un intérêt réel et durable pour l’avenir de leur société […] avenir à la fois politique, économique, sociale (et culturel) ».

Parce que l’opération de votation est à la fois un moment d’expression de la souveraineté du peuple et une source de légitimation du pouvoir politique en démocratie, sa sensibilité est très délicate ; d’où la nécessité d’un meilleur encadrement afin d’éviter des situations dramatiques qui en découlent toutes les fois que l’on voudrait contourner les règles du jeu démocratiques. C’est en considération de toutes ces raisons que la Communauté internationale s’engagerait au premier chef.

Bien que nécessaire, le contrôle ne saurait se faire ex-nihilo. Le droit de vote, la liberté de voter en toute sécurité et le droit au secret du vote sont tous des droits fondamentaux et constitutionnels. À ce titre, ils doivent être garantis à tous les citoyens et à chaque citoyen. L’intervention de la communauté internationale qui constitue plus des opérations d’observations voire de vérification ou de certification du processus électoral, porte sur : les opérations d’enrôlement des électeurs et la constitution d’un fichier électoral fiable et crédible qui doivent se faire sans intimidation ni exclusion ; les conditions d’éligibilités qui doivent être les mêmes pour tous ; l’accès libre et équitable aux médias ; la disponibilité équitable et fiable du matériel électoral (urnes transparentes et scellées, isoloirs, bulletins de vote…) ; les facilités de campagne électorale ; le déroulement du vote proprement dit ; les opérations de décompte, de comptabilisation des voix, de  transmission et de centralisation des résultats, leur compilation ; le règlement des contentieux  et la publication des résultats. Tout ceci en raison de l’absence d’un véritable Code électoral qui prévoit et détermine leur mode opératoire dans bon nombre d’États africains; il est en effet aujourd’hui avéré que les instances nationales de contrôle notamment, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire ainsi que les Commissions nationales de supervision des élections dites « indépendantes », seraient aux ordres du pouvoir exécutif dont la seule logique est la conservation du pouvoir politique et qui est très allergique au discours de l’alternance.

C’est donc par souci de vulgarisation des principes démocratiques et de leur respect par les États que la Communauté internationale surveille le processus des élections présidentielles africaines en occurrence par le biais des mandataires des Organisations internationales en (l’Onu), des Organisations régionales (l’UE et l’UA) ou des Organismes inter gouvernementaux tel que l’OIF et le Commonwealth.

Leur principale mission est de surveiller les différentes activités, qui accompagnent le processus électoral, telles que menées par les autorités gouvernementales. Et ils ne peuvent bien le faire qu’avec l’accord express des autorités électorales du pays hôte. Leur implication doit différer selon le contexte ; ainsi, ils peuvent dans certains cas apporter des moyens financiers, matériels et techniques nécessaires pour le bon déroulement du processus électoral ; et dans d’autres, ne se limiter qu’à la mission d’observation ou mieux, de surveillance, voire de certification des résultats.

Dans l’ensemble, les Observateurs internationaux peuvent poser, aux autorités électorales du pays hôte, des questions relatives à la préparation et au déroulement des opérations de votation ; leur rapporter des anomalies constatées  sans jamais entraver aux opérations en cours.

Ils peuvent contresigner les procès-verbaux des résultats et y consigner leurs observations et contestations. Au terme des élections, ils doivent élaborer un Rapport circonstancié dans lequel ils portent un jugement officiel sur la validité et la crédibilité du processus électoral dans son ensemble ; et en conséquence, sur la légitimité dont peuvent se prévaloir les personnes élues. Ce Rapport doit être adressé aux autorités électorales du pays hôte et à leur Organisme de rattachement.

Toute implication de la Communauté internationale, quelle que soit son efficacité, serait toutefois dépourvue de sa substance s’il ne donnait lieu à aucune conséquence ; surtout en cas d’irrégularités constatées dans le processus électoral.

En principe, tout fait entamant considérablement la crédibilité du processus électoral doit entraîner l’annulation de l’élection. L’on regrette malheureusement que les Rapports produits par les Observateurs internationaux n’aient aux yeux des autorités électorales du pays hôte qu’une valeur relative et symbolique, surtout lorsqu’ils dénoncent des fraudes massives et autres irrégularités majeures jetant un discrédit sur la crédibilité du processus électoral, et ne les empêche de valider malgré tout les résultats, leurs propres résultats. Malgré les irrégularités, occasionnées ou consommées, qui entachent la quasi-totalité des élections en Afrique, les autorités électorales manquent d’audace et entérinent des situations qui conduisent au demeurant à considérer les opérations de contrôle comme un coup d’épée dans l’océan. C’est en définitive le refus de corriger les irrégularités constatées lors des opérations de contrôle qui amène les citoyens à se révolter pour défendre leur droit fondamental et constitutionnel que les autorités n’ont pas pu garantir.

On observe toutefois que la communauté internationale a souvent du mal à garder sa neutralité. Ses observations sont le plus souvent erronées et partiales surtout que ce que l’on ne dit pas souvent c’est que la véritable raison de sa forte mobilisation est moins le souci d’encourager les principes fondamentaux de la démocratie que de s’assurer que les futurs présidents soient des Hommes politiques maniables à souhait et plus défendeurs des intérêts des grandes puissances sur le continent que de ceux de leurs populations. Ainsi, en fonction du degré de sa sympathie envers tel gouvernant en poste ou tel autre gouvernant prétendant, la Communauté internationale produit des rapports qui, plutôt que de fonder les aménagements futur, constituent hélas la source des discordes et qui empêchent les différents protagonistes à savoir raison garder pour négocier des solutions de sortir crise dans l’intérêt général de leur Nation.

En définitive, au-delà de la nécessité d’une forte implication de la Communauté internationale dans  les processus électoraux en Afrique, elle doit avoir à l’idée que l’ère de la globalisation et la mondialisation a conduit les États africains à une certaine maturité politique et en l’absence d’ une réelle volonté politique et démocratique des États concernés, pour donner du crédit à ses observations et recommandations, ses efforts ne seront que peine perdue ; elle devrait s’atteler à accompagner le processus électorale et comprendre qu’il est très difficultueux aujourd’hui de se présenter en « faiseur de roi » en Afrique ; les États africains, en majorité, ont du moins depuis peu conscience de leur souveraineté. L’Afrique n’est plus « mal parti ».

Tchuisseu Njouemen Rocher De Dieu

Doctorant en Droit public à l’Université de Yaoundé II


Communauté internationale et reconnaissance de gouvernement
Du diktat de fait des grandes puissances au nom d’un idéal commun universel
L’État, pouvoir suprême illimité et inconditionné(1), s’accommode mal d’une idée de reconnaissance formelle de ses pairs, comme condition de son plein déploiement et de son épanouissement sur la scène internationale. C’est qu’en l’espèce, son existence même en tant qu’État aurait besoin, pour produire tous ses effets, d’être acceptée par les États anciens exprimant leur consentement au moyen de la reconnaissance ; ces derniers bénéficiant ainsi d’une position privilégiée, voire supérieure car, sans leur accord, l’État nouveau ne pourrait intégrer la communauté internationale. Cette conséquence, pour beaucoup contraire au principe de l’égalité souveraine des États, et pour cela inadmissible, suffit à disqualifier la théorie constitutive de la reconnaissance d’État pour lui préférer celle qui, déclarative, se limite à constater la présence ou l’existence d’un pouvoir politique organisé(2) exerçant des compétences souveraines sur la population d’un territoire déterminé ou, du moins, déterminable.
L’existence du gouvernement est ainsi nécessaire et consubstantielle à l’existence de l’État – quoique ce dernier puisse, par ailleurs, survivre à son gouvernement(3). En tant que personne morale, l’État a en effet besoin d’organes pour le représenter et exprimer sa volonté et, en tant que titulaire de pouvoirs, il ne peut les exercer que par l’intermédiaire de ces mêmes organes(4). Le gouvernement en question doit alors jouir d’une certaine effectivité, à savoir cette capacité “réelle” d’exercer toutes les fonctions étatiques, y compris le maintien de l’ordre et de la sécurité à l’intérieur, et l’exécution des engagements extérieurs. Au plan externe, en particulier, l’effectivité, appréciée et objectivée au moyen de la reconnaissance d’autres gouvernements, reste largement politisée et de ce fait fonction des intérêts égoïstes d’autres entités souveraines.
Comme pour la reconnaissance d’État, cette faculté laissée à des souverainetés étrangères d’apprécier unilatéralement l’effectivité d’un Gouvernement, en principe et par principe, souverain, est également inadmissible, en raison de sa forte connotation politique et discrétionnaire ou de l’atteinte qu’elle porterait au principe de l’égalité souveraine des États. « [La reconnaissance de gouvernement serait ainsi] … une pratique offensante qui, outre qu’elle attente à la souveraineté d’autres nations, fait que les affaires intérieures de celles-ci peuvent être l’objet d’appréciations dans un sens ou dans un autre de la part d’autres gouvernements »(5).

L’on aurait alors pu légitimement penser qu’en l’entourant de garanties objectives et de repères juridiques légitimes et en en confiant la responsabilité de l’appréciation – dans un souci de dépolitisation et de neutralisation des intérêts en présence – à une entité, sinon « neutre », du moins à même de refléter des valeurs partagées, la « communauté mondiale » s’en porterait mieux. À l’épreuve des faits, le rejet quasi-viscéral de la consécration en droit international d’un devoir, voire d’une obligation, de reconnaissance de gouvernement(6), fusse-t-elle l’apanage non plus d’États souverains aux intérêts divergents et contradictoires, mais d’une communauté dite internationale – tantôt interétatique(7) tantôt cosmopolitique – semble irréductible.

De l’ingérence prohibée dans les affaires intérieures des États

L’ingérence, fait de la communauté internationale, est-elle intolérable du seul fait de la reconnaissance ou d’un déni de reconnaissance de gouvernement(8) ? Une réponse satisfaisante commande, au préalable et dès à présent, de se départir d’une certaine vision « antijuridique et dangereuse »(9) de l’ingérence ; notamment en dissociant son acception juridique de celle politique ou politiste.

L’ingérence en droit est le fait, pour un État ou la communauté internationale, de se préoccuper de ce qui se passe à l’intérieur des frontières d’un autre État, de formuler à cet égard des avis, propositions, recommandations ou simples commentaires et opinions – positifs ou négatifs – avec ou sans l’intention d’influencer ou d’infléchir les positions ou la politique de ce dernier. Autrement dit, le simple fait pour un État X d’estimer que les droits de l’homme sont respectés de manière appréciable dans un État B ou que le gouvernement de cet État est représentatif de l’ensemble de sa population, sont constitutifs d’ingérence. L’ingérence est alors un concept politique consubstantiel à la société internationale d’aujourd’hui, qui, pour faire sens en droit, doit être remplacé par la notion « d’intervention ».
L’intervention prohibée est alors celle-là qui consiste pour un État (ou la communauté internationale) à intervenir par la force, sans titre, dans les matières à propos desquelles un État se détermine librement, soit pour l’amener à faire ce qu’il n’est pas en devoir de faire, soit pour lui interdire de faire ce qu’il est en droit de faire. Ceci étant, la reconnaissance de gouvernement relève-t-elle de ces matières réservées ?
Pour y répondre, des précisions sur le sens de l’expression galvaudée « domaine réservé de l’État » s’imposent. Postulons à cet égard tout simplement qu’au domaine réservé par définition consigné dans le Pacte de la SDN(10) a succédé un domaine réservé par nature dans le cadre de l’article 2, paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies. Dans notre contexte, relèvent du domaine réservé de l’État, les matières à propos desquelles il se détermine encore librement parce que n’ayant pas (encore) contracté à leur égard d’obligations internationales (traités) ou n’y ayant pas été soustraites par la volonté commune des États (normes impératives ou opposables erga omnes). Ainsi, un État, non partie aux conventions pertinentes réprimant la torture ou le génocide, ne saurait valablement promouvoir sous sa juridiction lesdites pratiques ou se départir des prescriptions internationales y relatives, au motif que ces matières relèveraient de son domaine réservé.
Appliqué à la reconnaissance de gouvernement, l’absence de convention internationale régissant la matière et de pratique générale objectivée comme étant le droit nous autorise à y voir, dans une certaine mesure, une matière à propos de laquelle l’État se détermine librement(11). Cependant, il y a lieu de rappeler que la réunion des trois conditions précitées de l’ingérence est nécessaire à l’objectivation d’une intervention prohibée. À cet égard, de nombreux auteurs voient en le titre l’élément déterminant pour la qualification de l’ingérence en ce sens que, quand bien même il y aurait recours à la force armée pour contraindre un État à se déterminer dans les matières relevant de son domaine réservé, l’ingérence n’est pas illicite s’il existe un titre juridique valable. Pour le cas précis de la Côte d’Ivoire, et sauf à vouloir faire montre d’une cécité juridique malsaine, l’on ne saurait valablement arguer de ce que la reconnaissance d’un certain gouvernement par la communauté internationale constitue une atteinte au domaine réservé dudit État, en raison notamment du consentement préalable de ce dernier à la certification par l’ONU de l’ensemble de son processus électoral(12).
En dehors d’une telle hypothèse, la reconnaissance de gouvernement par la communauté internationale semble manquer de fondement juridique.
Le défaut de titre légal fondant la communauté internationale …
La communauté internationale dispose-t-elle, au nom d’un idéal commun universel qu’elle représenterait (ou qu’elle viserait à atteindre), d’un titre juridique permanent l’autorisant à se prononcer ou à intervenir dans le domaine réservé des États ou alors doit-elle, au préalable, justifier pertinemment de l’un des cas légaux ci-après, pour être considérée comme fondée à agir ou à reconnaître ?
Légalement, le titre pour intervenir, y compris militairement, dans les affaires relevant du domaine réservé d’un État résulte d’accords régionaux(13) ou bilatéraux – de coopération ou d’assistance militaire(14), d’une action en légitime défense individuelle ou collective ou des actions menées conformément aux buts et principes des Nations Unies(15), qu’elles soient prévues par la Charte(16) ou non(17).    
S’appuyant sur le mandat confié au Conseil de Sécurité des Nations Unies dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales et, en particulier, sur le vote de confiance que lui confère l’article 24 de la Charte(18), l’on a cru y voir une forme de titre permanent reconnu à la communauté des États dans son ensemble pour intervenir, en tant que de besoin, par la force, dans le domaine réservé des États. Cette conclusion, pour beaucoup simpliste, doit être abandonnée car, dans un premier temps, il est évident et incontestable que ledit Conseil apparaît de nos jours comme l’organe de l’ONU reflétant le moins l’idée d’universalité ou la conscience universelle – en témoignent les nombreuses résolutions à travers lesquelles l’organe en question a vogué à contre-courant de l’écrasante majorité des membres des Nations Unies ou les appels incessants des membres des Nations Unies, des organisations régionales ou sous régionales d’intégration et de la société civile internationale en faveur de la révision de son mandat, de son fonctionnement et surtout de sa représentativité.
L’idée de confier ce rôle à une instance plus représentative, notamment l’Assemblée Générale de l’ONU, ne saurait davantage prospérer. Pour s’en assurer, il suffit de constater qu’un organe principal ne saurait être investi de pouvoirs dont ne dispose pas l’organisation mondiale(19) elle-même. En effet, cette faculté de reconnaissance, exclue pour l’État, le serait davantage pour les organisations internationales, y compris l’ONU, étant entendu que le principe de souveraineté exclut également toute subordination sur le plan organique et qu’aucune organisation internationale ne constitue un super-État. La Cour Internationale de Justice a, en effet, eu l’occasion de rappeler que cette dernière (l’ONU) est placée  « en face de ses membres » et qu’elle a seulement « le devoir de rappeler à ceux-ci certaines obligations »(20). Autrement dit, si l’ONU, présentée à tort ou à raison comme reflétant et représentant la communauté des États dans son ensemble, ne dispose pas en tant que telle d’un titre, a fortiori ses organes – fussent-ils principaux – n’en disposent pas. Cette conclusion, pour certains, malheureuse, est la conséquence logique du principe de l’égalité souveraine des États, dont l’article 2, paragraphe 1 fait le fondement de l’ONU ; le remettre en question reviendrait pour l’organisation mondiale à renier et bafouer l’une des colonnes de la Charte et partant du système qu’elle met en place et promeut.

Ledit obstacle ne peut alors être dépassé qu’à la condition de dépasser l’idée d’une communauté interétatique pour y intégrer l’aspect cosmopolitique, reflétant mieux l’idée de communauté.

De la communauté internationale démystifiée et démythifiée

Le défaut de base légale fondant la communauté internationale à reconnaître les gouvernements d’États souverains est sans préjudice de la légitimité que son action peut emporter, pour autant bien sûr qu’elle reflète un idéal commun universel. Pour ce faire, il importe déjà de déconstruire l’idée d’une communauté purement interétatique. La communauté internationale est d’abord et avant tout une idée, un idéal, un mythe « [...] qui ne cesse de hanter le discours des juristes internationalistes, comme si la répétition incantatoire du terme pouvait permettre d’ancrer un peu plus son existence dans la réalité et la transformer en un fait tangible et concret »(21). Mythe autour de l’existence d’une certaine communauté à défaut d’une communauté certaine, mythe autour de la consécration au fil du temps(22) d’un idéal de valeurs et de principes partagés par tous.

Si les juristes internationalistes s’accordent à penser aujourd’hui que la communauté n’est pas une simple société et qu’elle naît de la solidarité des intérêts et des valeurs, ils diffèrent quant aux sujets qui la composent. S’agit-il des États, des individus, de l’humanité toute entière ou alors des trois en même temps ? Envisageons avec Lauterpacht(23), pour couper court(24), deux principaux types de communauté : la communauté interétatique réunissant les États, et la communauté véritablement internationale et unissant le genre humain. Sans les dissocier ou les opposer, il s’agit de postuler, par-delà la communauté des États, une communauté unifiée dont l’individu serait la fin ultime. Et les raisons de vouloir cette communauté sont, tout à la fois, de freiner la souveraineté des États et de garantir la protection des droits individuels(25).
Ainsi, sans vouloir être aussi téméraire que René-Jean Dupuy(26), qu’il nous soit permis de déduire des développements susvisés – et partant de postuler avec le Secrétaire Général des Nations Unies Kofi Annan(27) – que l’idéal porté et sous-tendu par cette communauté dite internationale est en fait la réalisation de la souveraineté de l’individu comme limite et cadre d’exercice de la souveraineté de l’État, laquelle doit progressivement se substituer à la conception originaire et archaïque de la souveraineté de l’État. La nouvelle conception de la souveraineté se recoupe alors dans cette souveraineté qui vise à respecter les droits de la personne humaine, des différentes couches de la population de l’État, étant entendu que la méconnaissance de ces droits peut-être internationalement sanctionnée. Il s’agit là du fondement de l’affirmation progressive au plan international du principe de la légitimité démocratique – dont il est sans doute prématuré de penser qu’il constitue une exigence juridique indiscutable – mais qui ne témoigne pas moins d’un changement d’état d’esprit.

Il revient alors à cette communauté internationale matérielle, par définition plurielle, de fixer et de juger de la légitimité démocratique de nouveaux gouvernements, tout comme des anciens d’ailleurs.

De la légitimité démocratique comme critère décisif de légitimation de gouvernement

L’on semble bien loin de cette pratique assez répandue, qui, de peu, aurait justifié la consécration d’une théorie dite des effectivités comme aiguillon de la reconnaissance de gouvernements, quand celle-ci n’était pas purement politique. Aux yeux de la communauté internationale d’aujourd’hui, cette « capacité réelle » d’exercice des fonctions étatiques n’est plus pertinente ; plus déterminante serait la légitimité démocratique du gouvernement.

L’idée de légitimité démocratique va naître et progressivement se développer – d’abord dans le contexte européen – à la faveur de la Charte de Paris du 21 novembre 1990 dans le cadre de laquelle, les États parties à la CSCE s’engagent « à édifier, consolider et raffermir la démocratie comme seul système de gouvernement de leurs nations ». Par la suite, le principe va s’émanciper de la conception de la démocratie participative au sens strict pour embrasser le respect des considérations liées aux droits de l’homme et des minorités comme critère de légitimité, voire de légitimation de l’État. C’est ainsi que l’Acte fondateur des relations entre l’Otan et la Russie du 27 mai 1997 reconnaîtra de manière prudente « le rôle essentiel que jouent la démocratie, le pluralisme politique […], le respect des droits de l’homme […] dans le développement de la prospérité commune et la sécurité globale ». De manière plus décisive, « l’Union (Européenne) est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes qui sont communs aux États membres »(28).
Le principe ainsi posé va, par la suite, recevoir une application jurisprudentielle, en même temps qu’il acquiert un caractère de plus en plus contraignant. Son caractère contraignant peut être retrouvé dans le Traité sur l’Union Européenne (TUE) qui institue un mécanisme de sanction en cas de « violation grave et persistant »(29) des principes énoncés à l’article 6 du TCE précité. L’idée démocratique va recevoir une application pratique avec l’avis n°1 de la Commission d’Arbitrage de la Conférence pour la Paix en Yougoslavie dans le cadre duquel les modalités de succession d’États sont « subordonnées au respect des droits fondamentaux de la personne humaine et des droits des peuples et des minorités », et, une éventuelle association fédérale devrait, en vertu du droit international, être « dotée d’institutions démocratiques »(30). Cette prescription à l’endroit de l’ancienne Fédération de Yougoslavie vaut également pour tout autre État indépendant et souverain. La Commission d’Arbitrage va considérer dans le même sens que la reconnaissance d’État ou de gouvernement constitue un acte discrétionnaire « sous la seule réserve du respect dû aux normes impératives du droit international général, notamment celles qui […] garantissent les droits des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques »(31).
Le droit international africain n’est pas resté à l’écart de ces évolutions importantes. Aussi, l’article 4 (h) de l’Acte Constitutif de l’Union Africaine traduit, au moins sur le plan formel, une réception remarquable de cette évolution en ce sens qu’il énonce parmi les principes de l’Union, le « droit [...] d’intervenir dans un État membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité »(32). Le principe de légitimité démocratique de l’État traduirait alors l’obligation pour l’État de garantir la saine détermination de l’ensemble du peuple dont il constitue l’émanation en respectant la participation de tous les citoyens – notamment le choix qu’ils expriment au travers des suffrages – et de l’ensemble des composantes de la population à la gestion des affaires publiques et sur un plan plus global, de respecter les droits de l’homme et des minorités sur son territoire(33).
Avec une particulière clarté, la Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance(34), réaffirmant la volonté collective des États membres d’œuvrer sans relâche pour l’approfondissement et la consolidation de la démocratie, se donne pour objectifs de « promouvoir la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement »(35). À cette fin, elle engage les États parties à « interdire, rejeter et condamner tout changement anticonstitutionnel de gouvernement dans tout État membre comme étant une menace grave à la stabilité, à la paix, à la sécurité et au développement »(36).

Si la Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance promeut « l’adhésion de chaque État partie aux valeurs et principes universels de la démocratie [...] »(37), il convient cependant de se garder de tout optimisme béat sur l’origine de l’imposition de ladite problématique comme horizon incontournable d’appréciation de la légitimité des pouvoirs politiques. La pratique semble en effet révéler que, sous le couvert de ces mythiques et mystiques croyances en des idéaux communs universellement reconnus, est tapi et auto-entretenu le diktat d’un « pouvoir international de fait » des États les plus puissants.

Du Directoire de fait des Grandes puissances

L’imposition d’un certain idéal de valeurs à défendre et porter par la communauté internationale, dont la fin ultime est en réalité de servir les intérêts bien compris des puissances, s’alimente certes de la détention d’un pouvoir de coercition, mais davantage de la possession d’un pouvoir d’interprétation de la norme universelle.

Si l’on érige – à la faveur et au crédit de l’ordonnancement juridique africain –l’idée d’un changement anticonstitutionnel de gouvernement comme constitutif de menace grave à la paix et la sécurité internationales, au rang de valeur et norme universelle, l’on doit forcément tenir compte de ce que la mobilisation de la puissance de feu internationale nécessaire au rétablissement de la « normalité constitutionnelle » dépend du pouvoir discrétionnaire des États membres du Club des puissances militaires38, voire économiques et politiques. Sans état d’âme, ces États seront plus ou moins enclins à pencher pour une solution radicale en raison de l’incestuosité de leurs intérêts avec ceux des gouvernements en présence (en attente de légitimation), de l’avantage stratégique qu’une telle action pourrait leur procurer aussi bien collectivement qu’individuellement, voire de la priorité ou de l’importance de la valeur défendue ou promue dans la définition de leur politique interne ou étrangère(39).
Quoique l’on en dise, il y a bien là survivance d’intérêts égoïstes40. Cette rémanence de la raison d’État au détriment de la raison communautaire fait douter quant à l’existence d’une véritable communauté. Comment peut-on en effet parler de communauté, s’interrogeait déjà Lauterpacht41, quand les individus et leurs gouvernements ne sont pas prêts à faire « le sacrifice de leur vie » pour la défense des intérêts de celle-ci ? Comment y croire quand certaines puissances « sont à ce point préoccupées par leur propre sécurité [qu’elles] considèrent que toute participation à une action collective est un altruisme inadmissible ? ». Il appert de ce fait que les puissances mondiales ne sont enclines à porter les idéaux de la communauté internationale – au besoin, par la force individuelle ou en la mettant au service des Nations Unies – que si elles sont « particulièrement » intéressées.
L’intérêt dont s’agit (raison d’État), répudiant l’idée de communauté, peut déboucher, dans les cas les plus extrêmes, à pervertir les fondements même de la vieille société internationale. Cette déstructuration se matérialisant par l’établissement de clivages irréductibles pour favoriser l’érection d’une politique hégémonique.
Des critiques récentes ont aisément pu établir l’instrumentalisation, dont souffre la notion de communauté. Celle-ci a pu constituer une machine à exclure ceux qui sont différents des membres de la communauté – par exemple, les États non libéraux face aux États libéraux – et, au fond, « cette communauté internationale, même présentée sous un jour libéral, est constamment utilisée à des fins idéologiques discriminatoires qui, en dernier ressort, favorisent l’hégémonie des grandes puissances »(42). De ce point de vue, le concept de communauté ne tiendrait pas compte de la multiplicité des approches éthiques et marginaliserait celles qui s’opposent au modèle libéral.

Le recours abusif au postulat d’une communauté internationale fondée sur la protection des droits des individus et sur la défense d’un modèle strictement libéral serait aujourd’hui la porte ouverte à une politique unilatéraliste qui pervertit l’idée même de communauté pluraliste et dégénère en une politique hégémonique moralisatrice, dangereuse pour l’ensemble de la société internationale(43). Une telle politique unilatérale et nécessairement impérialiste, est d’autant plus inadmissible lorsqu’elle tend à imposer par la guerre les principes de justice qu’elle a souverainement interprétés comme tels(44).

L’enjeu, voire la bataille, se déporte donc sur le terrain de l’interprétation

La question de l’interprétation, plus que celle de la coercition ou de la sanction, est, à notre sens, l’élément déterminant car la décentralisation de la compétence subjective d’interprétation, mieux sa confiscation par les grandes puissances, est « mortelle pour l’instauration d’une communauté internationale » autant qu’elle sous-tend l’imposition d’un idéal de valeurs libérales occidentalo-centrées.

Le diktat de fait subséquent desdites puissances s’appuie et se construit autour de ce que les politologues aiment à nommer “soft power”, c’est-à-dire cette capacité à définir l’ordre du jour de l’agenda international(45), à influencer et orienter ledit agenda dans le sens de leurs intérêts (ou préoccupations)(46) et, au besoin, à le neutraliser(47). C’est aussi et surtout cette capacité à légitimer leurs valeurs et actions – à travers la mobilisation d’un cocktail explosif(48) d’Etats, organisations internationales, ONG, médias, société civile internationale, individus – pour faire accepter et endosser celles-ci par la communauté internationale.
S’il est vrai que l’imposition de la légitimation démocratique de gouvernement est effectivement et avant tout d’essence libérale, sa consécration comme problématique universelle n’est pas allée de soi et ne saurait valablement, de nos jours, être réduite aux efforts d’une communauté européo-centrée. Autant son invocation mondiale (Afrique, Europe de l’Est, Asie, Amérique du Sud, ...) en fait un principe universel, autant les diverses interprétations – parfois malheureuses ou dangereuses – dont elle continue d’être l’objet, et sa consécration dans divers ordres juridiques régionaux l’attestent. Le Tiers-monde et l’Afrique, en particulier, y ont fondamentalement contribué(49) en habillant « la valeur universelle » de légitimité démocratique d’une couronne légale(50).
C’est dire que l’objectif n’est pas de participer à la déconstruction de l’idée d’universalité, en ce sens que nombre de principes universellement acceptés et portés par la communauté internationale ont une origine partagée ou non occidentale(51), mais plutôt d’interpeller les Tierces puissances(52) à rester lucides et attentives (non pas attentistes) aux processus d’imposition des problématiques « universelles », et notamment de s’approprier ce pouvoir d’interprétation de la valeur universelle.
Hervé Mbida
1 Cette conception trouve au XIXème siècle une éclatante consécration dans la science juridique allemande qui, sous l’influence de HEGEL, relia étroitement la notion de souveraineté à la toute puissance de l’Etat.
2 Ou gouvernement. La notion de gouvernement étatique est ici comprise dans un sens large pour désigner, non pas – comme en droit constitutionnel interne – les seules autorités exécutives de l’Etat, mais l’ensemble de ses « pouvoirs publics » politiquement et juridiquement organisés.
3 Le Protocole de la Conférence de Londres du 19 février 1831 relative à la crise belge affirme nettement que « les Etats survivent à leur gouvernement ». Ainsi posé, le principe de la continuité de l’Etat postule que l’Etat ancien subsiste non seulement à ses transformations constitutionnelles mais également aux vicissitudes contingentes à son histoire politique. A cet égard, il est admis que l’existence de l’Etat n’est pas contredite par la concurrence de gouvernements (cas présent de la Côte d’Ivoire) ou l’absence de gouvernement (la disparition de facto d’un gouvernement à la tête de la Somalie dans les années 1990 a été sans préjudice de l’existence de cet Etat).
4 Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit International Public, Paris, LGDJ, 2ème Ed., 1980, p. 358.
5 Cf. Déclaration officielle du Ministre Mexicain des Affaires étrangères, Estrada, en 1930. Cette prise de position, érigée par la suite en doctrine, la Doctrine Estrada, postulait que la seule alternative à la reconnaissance de gouvernement était la continuation ou la suspension des relations diplomatiques avec l’Etat, dont le gouvernement est contesté.
6 Le droit international positif ne contient pas, à l’heure actuelle, une obligation générale de reconnaissance de gouvernements ou d’Etats ; laissant ainsi intacte la compétence discrétionnaire de ces derniers de reconnaître, en fonction de leurs intérêts de puissance bien définis ou en vue d’un positionnement stratégique, l’entité ou le pouvoir considéré. Tout au plus, constate-t-on aujourd’hui une admission aux forceps de l’interdiction de reconnaître les Etats issus de coups de force illicites. Le mécanisme de la reconnaissance de gouvernement reste, pour sa part, encore très flou, en ce sens qu’il n’existe aucune obligation de la sorte et que son exercice semble laissé – compte plus ou moins tenu des effectivités – à l’appréciation discrétionnaire, et pour cela arbitraire, d’autres souverainetés.
7 C’est-à-dire la « communauté des Etats dans son ensemble », pour reprendre l’heureuse formule de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités.
8 Ainsi que le donnent à penser la Doctrine Estrada et des prises de position pas très éclairées, du moins juridiquement, sur des situations et crises africaines récentes.
9 L’expression, empruntée à Patrick Daillier et Alain Pellet, est utilisée par ces derniers pour disqualifier une certaine théorie de la souveraineté comme toute puissance de l’Etat, op. cit.
10 Dans le cadre du système établi par l’article 15 paragraphe 8 du Pacte de la SDN en effet, il appartenait à chaque Etat de dire ce qui, de son point de vue, relevait de sa seule compétence, d’une part, et si le Conseil de la SDN l’acceptait, d’autre part, lesdites matières étaient regardées par tous comme faisant partie du domaine réservé de cet Etat.
11 Sous réserve que cette compétence ne soit pas directement liée à l’exercice harmonieux des droits fondamentaux de la personne humaine ou la condition de la jouissance du droit des peuples.
12 Quand on sait, en particulier, que des accords préexistants (donnant compétence à l’ONU pour légitimer de bout en bout le processus électoral) valablement souscrits par ledit Etat ont soustrait ladite matière de son domaine réservé.
13 Cas de l’intervention de l’Union Africaine dans l’Ile d’Anjouan.
14 A l’instar des accords d’assistance militaire conclus entre la France et certaines de ses anciennes colonies, notamment le Gabon et la Côte d’Ivoire. A titre d’illustration et sans vouloir se répandre en vaines conjectures sur les interprétations – restrictives ou extensives – qui ont pu être faites des accords de défense conclus entre la France et la Côte d’Ivoire, il suffit de constater qu’à travers ceux-ci, la Côte d’Ivoire accordait souverainement à la France, notamment à travers la Force Licorne, un titre juridique valable pour intervenir militairement en Côte d’Ivoire, en cas de réunion de certaines circonstances.
15 Il s’agit là d’une lecture a contrario de la Charte, et notamment de son article 2, paragraphe 4. En effet, l’on a pu estimer que ladite disposition ne prohibant que la menace ou le recours à la force incompatible avec les buts et principes des Nations Unies, le recours à la force qui ne serait pas contraire auxdits buts et principes, mais qui aurait pour effet de les défendre ou de les réaliser, est parfaitement licite.
16 Dans le cas d’actions autorisées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression (chapitre VII de la Charte des Nations Unies).
17 Dans le cas des opérations de maintien de la paix.
18 L’article 24, paragraphe 1 de la Charte des Nations Unies reconnaît en effet qu’en vue d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation des Nations Unies, ses membres confèrent au Conseil de Sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité, le Conseil de Sécurité agit en leur nom.
19 In Michel Virally, L’organisation mondiale, Paris, 1972.
20 CIJ, Rec. 1949, p. 179.
21 E. Jouannet, « La communauté internationale vue par les juristes »
22 Voir les importants développements de René-Jean Dupuy sur la question, in La communauté internationale entre le mythe et l’histoire, Paris, Economica, 1986.
23 Les développements conséquents sur la posture de H. Lauterpacht sur la question sont consignés dans son cours à l’Académie de Droit international de la Haye de 1937, « Règles générales du droit de la paix », Rcadi, 1937-IV (62), pp. 99-422.
24 Pour les développements relatifs à l’opposition société inter-étatique et société cosmopolitique, lire l’intéressant article de Emmanuelle Jouannet, « L’idée de communauté humaine à la croisée de la communauté des Etats et de la communauté mondiale », in La Mondialisation entre illusion et utopie, APD, t. 47, 2003, pp. 191-232.
25 Pour Lauterpacht, la souveraineté de l’Etat demeure la barrière infranchissable derrière laquelle l’individu est soumis au bon vouloir de son Etat et donc à son éventuelle tyrannie. Il faut dès lors instaurer une communauté internationale axée sur l’individu et permettant de lui accorder une protection internationale directe.
26 Pour qui, la véritable finalité de la communauté internationale, l’idéal vers lequel elle tend (doit tendre) est la réalisation de l’Humanité.
27 S’inscrivant ainsi en droite ligne de son
International Public, Paris, LGDJ, 2ème Ed., 1980, p. 358.
5 Cf. Déclaration officielle du Ministre Mexicain des Affaires étrangères, Estrada, en 1930. Cette prise de position, érigée par la suite en doctrine, la Doctrine Estrada, postulait que la seule alternative à la reconnaissance de gouvernement était la continuation ou la suspension des relations diplomatiques avec l’Etat, dont le gouvernement est contesté.
6 Le droit international positif ne contient pas, à l’heure actuelle, une obligation générale de reconnaissance de gouvernements ou d’Etats ; laissant ainsi intacte la compétence discrétionnaire de ces derniers de reconnaître, en fonction de leurs intérêts de puissance bien définis ou en vue d’un positionnement stratégique, l’entité ou le pouvoir considéré. Tout au plus, constate-t-on aujourd’hui une admission aux forceps de l’interdiction de reconnaître les Etats issus de coups de force illicites. Le mécanisme de la reconnaissance de gouvernement reste, pour sa part, encore très flou, en ce sens qu’il n’existe aucune obligation de la sorte et que son exercice semble laissé – compte plus ou moins tenu des effectivités – à l’appréciation discrétionnaire, et pour cela arbitraire, d’autres souverainetés.
7 C’est-à-dire la « communauté des Etats dans son ensemble », pour reprendre l’heureuse formule de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités.
8 Ainsi que le donnent à penser la Doctrine Estrada et des prises de position pas très éclairées, du moins juridiquement, sur des situations et crises africaines récentes.
9 L’expression, empruntée à Patrick Daillier et Alain Pellet, est utilisée par ces derniers pour disqualifier une certaine théorie de la souveraineté comme toute puissance de l’Etat, op. cit.
10 Dans le cadre du système établi par l’article 15 paragraphe 8 du Pacte de la SDN en effet, il appartenait à chaque Etat de dire ce qui, de son point de vue, relevait de sa seule compétence, d’une part, et si le Conseil de la SDN l’acceptait, d’autre part, lesdites matières étaient regardées par tous comme faisant partie du domaine réservé de cet Etat.
11 Sous réserve que cette compétence ne soit pas directement liée à l’exercice harmonieux des droits fondamentaux de la personne humaine ou la condition de la jouissance du droit des peuples.
12 Quand on sait, en particulier, que des accords préexistants (donnant compétence à l’ONU pour légitimer de bout en bout le processus électoral) valablement souscrits par ledit Etat ont soustrait ladite matière de son domaine réservé.
13 Cas de l’intervention de l’Union Africaine dans l’Ile d’Anjouan.
14 A l’instar des accords d’assistance militaire conclus entre la France et certaines de ses anciennes colonies, notamment le Gabon et la Côte d’Ivoire. A titre d’illustration et sans vouloir se répandre en vaines conjectures sur les interprétations – restrictives ou extensives – qui ont pu être faites des accords de défense conclus entre la France et la Côte d’Ivoire, il suffit de constater qu’à travers ceux-ci, la Côte d’Ivoire accordait souverainement à la France, notamment à travers la Force Licorne, un titre juridique valable pour intervenir militairement en Côte d’Ivoire, en cas de réunion de certaines circonstances.
15 Il s’agit là d’une lecture a contrario de la Charte, et notamment de son article 2, paragraphe 4. En effet, l’on a pu estimer que ladite disposition ne prohibant que la menace ou le recours à la force incompatible avec les buts et principes des Nations Unies, le recours à la force qui ne serait pas contraire auxdits buts et principes, mais qui aurait pour effet de les défendre ou de les réaliser, est parfaitement licite.
16 Dans le cas d’actions autorisées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression (chapitre VII de la Charte des Nations Unies).
17 Dans le cas des opérations de maintien de la paix.
18 L’article 24, paragraphe 1 de la Charte des Nations Unies reconnaît en effet qu’en vue d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation des Nations Unies, ses membres confèrent au Conseil de Sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité, le Conseil de Sécurité agit en leur nom.
19 In Michel Virally, L’organisation mondiale, Paris, 1972.
20 CIJ, Rec. 1949, p. 179.
21 E. Jouannet, « La communauté internationale vue par les juristes »
22 Voir les importants développements de René-Jean Dupuy sur la question, in La communauté internationale entre le mythe et l’histoire, Paris, Economica, 1986.
23 Les développements conséquents sur la posture de H. Lauterpacht sur la question sont consignés dans son cours à l’Académie de Droit international de la Haye de 1937, « Règles générales du droit de la paix », Rcadi, 1937-IV (62), pp. 99-422.
24 Pour les développements relatifs à l’opposition société inter-étatique et société cosmopolitique, lire l’intéressant article de Emmanuelle Jouannet, « L’idée de communauté humaine à la croisée de la communauté des Etats et de la communauté mondiale », in La Mondialisation entre illusion et utopie, APD, t. 47, 2003, pp. 191-232.
25 Pour Lauterpacht, la souveraineté de l’Etat demeure la barrière infranchissable derrière laquelle l’individu est soumis au bon vouloir de son Etat et donc à son éventuelle tyrannie. Il faut dès lors instaurer une communauté internationale axée sur l’individu et permettant de lui accorder une protection internationale directe.
26 Pour qui, la véritable finalité de la communauté internationale, l’idéal vers lequel elle tend (doit tendre) est la réalisation de l’Humanité.
27 S’inscrivant ainsi en droite ligne de son
prédécesseur, Kofi A. Annan a énoncé une nouvelle doctrine de la souveraineté, à savoir la souveraineté de l’individu (membre ou non d’une minorité) comme limite et critère de légitimité de la souveraineté de l’Etat. Cf. Nations Unies, New York, 19 Avril 2002, Déclaration de Kofi ANNAN à l’occasion de la 9ème session de la Commission Préparatoire de la Cour Pénale Internationale, in http: //www.aidh.org /justice/02.
28 Cf. article 6 du Traité instituant la Communauté Européenne (TCE).
29 Cf. article 49 relatif à l’adhésion des nouveaux membres à l’Union.
30 In RGDIP., 1992, pp. 265-266.
31 Cf. avis n° 10 de la CA.C.P.Y. du 4 juillet 1992, in RGDIP., 1993, p. 594.
32 Cf. article 4 (h) de l’Acte Constitutif de l’Union Africaine.
33 L’Etat qui ne satisfait pas à ces critères s’expose à son démembrement au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dans la mesure où il y aurait manifestement ici déconnexion entre l’appareil d’Etat et le peuple, véritable détenteur de la souveraineté dans l’Etat et de l’autodétermination.
34 Non encore en vigueur en dépit des incantations des responsables de l’Union.
35 Cf. article 2, paragraphe 3 de la Charte africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance.
36 Cf. article 2, paragraphe 4 de la Charte susvisée.
37 Cf. article 2, paragraphe 1 de la Charte susvisée.
38 Généralement membres du Comité d’Etat-major institué en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, lesdits Etats sont les principaux (voire exclusifs) bailleurs de fonds nécessaires aux entreprises armées et pourvoyeurs en matériels militaires. La tendance actuelle tend cependant à établir une tendance des Etats les moins puissants à fournir, pour leur part, des contingents militaires, de la chair à canon, diraient certains.
39 Autant certaines puissances se montreront-elles plus enclines à condamner et à proposer des solutions radicales pour la sauvegarde des intérêts pour lesquels « tout Etat doit être considéré comme ayant un intérêt légitime à ce qu’ils soient respectés » (CIJ, affaire de la Barcelona Traction), autant d’autres ne s’émouvront-ils que si le conflit ou la situation cache une forte odeur de pétrole.
40 Autant qu’en cas de reconnaissance discrétionnaire de gouvernements par des Etats souverains.
41 H. Lauterpacht, « Règles générales …”, op. cit., pp. 193-195.
42 D. KENNEDY, « The Disciplines of International Law and Policy », Leiden Journal of International Law, 2000, 12, pp. 9ss.
43 Sur ces développements, lire E. JOUANNET, op. cit., p. 10.
44 H. LAUTERPACHT, op. cit., p. 126.
45 En présentant ou imposant telle ou telle problématique comme pertinente, plus importante ou cruciale.
46 L’on ne devrait pas beaucoup s’étonner de voir les crises (ou révolutions) qui ont actuellement cours dans le monde Arabe trouver des solutions durables avant la crise ivoirienne, si les enjeux en présence pour le club international des puissants le commandent.
47 Cas des tentatives résolutions au sein d’organes des Nations Unies tendant à condamner la politique israélienne dans les « territoires occupés ».
48 C’est-à-dire cet enchevêtrement de la communauté internationale matérielle embobinée dans cette politique de charme et en même temps vecteur et agent de sa diffusion et de son imposition.
48 La légitimité démocratique a pendant longtemps été suspecte en raison de l’antinomie qu’elle aurait présentée avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le vaste mouvement de décolonisation et la récupération du principe par les Etats nouvellement souverains, en explicitant le contenu du principe, ont permis de réconcilier les deux principes, à savoir que le droit des peuples se trouve au point de rencontre du principe des nationalités et de l’idée (de légitimité) démocratique.
49 Par son inscription et son exaltation dans l’ordre juridique africain (Charte africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance).
50 L’imposition de la problématique du fonds des océans comme patrimoine commun de l’Humanité, au cours de la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer et sa consécration subséquente dans la Convention de Montego Bay.
51 Celles du Tiers-monde.


Crises politiques en Afrique : Le Cas de la Côte d’Ivoire
S’interroger sur la ‘‘communauté internationale’’ et les crises politiques africaines(1), illustrées par l’exemple contemporain de la République de Côte d’Ivoire, revient à questionner l’histoire de la genèse et de l’évolution des pouvoirs politiques africains(2). En réalité, il ne s’agit pas d’une histoire mais de plusieurs histoires car, l’Afrique(3) n’est pas une, elle est multiple, diverse et relative. Il en va aussi de même des pouvoirs politiques qui l’animent.
Cependant, il y a un dénominateur absolument commun à toutes ces Afriques(4), à savoir que tous les pouvoirs politiques africains contemporains, à quelques exceptions près(5), sont nés d’une crise(6) et résistent à des crises. Autre dénominateur commun : l’omniprésence de la ‘‘communauté internationale’’ à la naissance et tout au long de l’évolution de ces pouvoirs politiques africains. Cette ‘‘communauté internationale’’ a plusieurs facettes. L’idée de communauté y est en réalité une illusion(7). Seul son caractère international est certain. Une autre certitude : l’émergence des pouvoirs politiques africains découle de l’auto-affaiblissement considérable des puissances coloniales européennes au sortir des deux grandes guerres qu’elles se sont mutuellement livrées, en y entraînant l’essentiel des populations et des nations du monde.

Par contre, la consolidation ‘‘relative’’ de ces pouvoirs politiques africains (consécutivement au dépérissement progressif et rapide des différents systèmes coloniaux) et leur évolution ultérieure a été fortement conditionnée par la fulgurante bipolarisation politique et idéologique du monde d’après guerre. Cette bipolarisation a eu pour conséquence la résurrection planifiée, et politiquement marquée, des anciennes puissances coloniales, elles-mêmes rétrogradées au rang de pays satellites de la nouvelle superpuissance planétaire américaine face à la superpuissance continentale soviétique matérialisée par la constitution d’un glacis territorial protecteur dit ‘‘bloc de l’Est’’. L’Afrique (il serait plus exact de dire les Afriques) politique ‘‘décolonisée’’ de cette époque est en fait à l’image (fort complexe) de cette nouvelle situation politique et idéologique mondiale dans laquelle les Etats-Unis dominent, l’Union soviétique résiste et l’Europe, divisée, amoindrie et instrumentalisée, cherche à se repositionner. La France, par exemple, contrainte de décoloniser par les nouvelles puissances dominantes agissant au sein de l’Organisation des Nations Unies (Onu) et les forces nationalistes africaines, va néanmoins défendre, avec un certain succès, la thèse de l’exception française qui va se traduire par l’acquisition d’une force de dissuasion nucléaire et la préservation d’une zone d’influence territoriale en Afrique (zone franc) et culturelle dans le monde (francophonie).

Confrontation militaire directe

En effet, l’avènement des deux ‘‘super grands’’ sur la scène mondiale a eu pour effet l’expulsion relative (ou le recul) des puissances européennes du (sur le) continent africain, devenu le champ d’expression de la contradiction idéologique américano-soviétique. Ceci d’autant plus que l’équilibre de la terreur nucléaire a gelé les positions sur le théâtre européen en rendant toute confrontation militaire directe impossible car, suicidaire pour toutes les parties. La guerre froide, c'est-à-dire la guerre par pays interposés, s’est donc délocalisée sur un continent africain constituée d’Etats plus artificiels que réels. Les ‘‘protonations’’ africaines(8) (selon la terminologie de Jean Ziegler(9)), n’ont pas été en mesure de garantir les pseudos souverainetés qu’elles avaient récemment acquises. Elles ont donc dû s’aligner derrière l’un des ‘‘super grands’’ pour subsister, même si elles affirmaient officiellement leur non alignement. Suivant cette logique implacable, la France va assurer la supervision des intérêts américains dans son ‘‘pré carré’’. En échange, elle va conserver la haute main sur l’ensemble des ressources des pays ainsi soumis à une tutelle de fait. En effet, l’Europe occidentale avait été précipitamment redressée par la puissance financière américaine dans le but de contrer par tout moyen la poussée communiste en Europe, d’abord, et dans le monde, ensuite. Dans ce nouvel ordre international appliqué à l’Afrique, les considérations géopolitiques l’ont alors emporté largement sur toute autre considération, fût-elle humanitaire. Sur ce point précis, tous les beaux principes onusiens ont été foulés au pied et l’Onu elle-même a joué le jeu de la principale puissance dominante, aussi bien en Corée qu’en Afrique centrale (Zaïre) et ailleurs. Ce schéma géopolitique mondial, avec son cortège de crises politico-idéologiques, a conditionné le destin de l’ensemble des pouvoirs politiques africains  jusqu’à la survenance d’un évènement inattendu, aux répercussions mondiales : la fin du bloc communiste en 1990 qui consacre la victoire du ‘‘monde libre’’ ; la ‘‘fin de l’histoire’’ selon Fukuyama. Les Etats-Unis, unique super puissance planétaire post guerre froide ont, enfin, les coudées franches. Ils vont redéfinir un nouvel ordre mondial adapté à la nouvelle réalité planétaire et fondé sur l’unilatéralisme américain. Ils n’ont plus absolument besoin de l’Onu. Ils font avec ou sans elle. Leurs alliés européens (‘‘la vielle Europe’’)(10) ne sont plus indispensables. Il n’y a plus personne en face d’eux. Les velléités gaulliennes de la France vont s’estomper. Elle s’alignera sur les positions américaines dans la résolution de la crise politique dans l’ex Yougoslavie avec une intervention hors Onu de l’Otan au Kosovo. Elle participera à la guerre américaine contre l’Iraq (pour sauver le pétrole du Qatar). Elle réintègrera le commandement unifié de l’Otan sous Sarkozy. Elle cèdera même du terrain en Afrique dans l’ancien ‘‘pré carré’’.

Repositionnent américain en Afrique

En effet, les Etats-Unis se repositionnent en Afrique. La raison en est simple : un ennemi d’un genre nouveau a troublé la pax americana. C’est Al-Qaida, le vecteur nébuleux et insaisissable du terrorisme planétaire. ‘‘La réponse du faible au fort’’ dira Jean Emmanuel Pondi. Il est clair aujourd’hui que la paix et la sécurité mondiales ne sont pas à l’abri de certains dangers qui les guettent. Mais la contradiction flagrante avec la période de la guerre froide c’est que les grandes puissances ont moins peur des Etats forts que des Etats en faillite ou des ‘‘Sous-états’’ comme l’Afghanistan. En effet, le 11 septembre 2011, la ‘‘nébuleuse islamique’’, qui avait déjà quelques grands faits à son actif, a donné la preuve ultime de son pouvoir de destruction à travers des frappes coordonnées, planifiées depuis l’Afghanistan et opérées à différents endroits du territoire même des Etats-Unis par le moyen d’aéronefs civils détournés. Ce faisant, la nébuleuse d’Oussama Ben Laden a suggéré que le nouvel ordre international post guerre froide ne sera pas réécrit unilatéralement par la superpuissance américaine dominante. Depuis lors, cette dernière est entré en guerre contre le terrorisme planétaire, partout, y compris en Afrique.

Effectivement, à l’est du berceau de l’humanité, la Corne de l’Afrique est soumise à une vigoureuse poussée islamiste. Significativement, le Pentagone considère que le Moyen-Orient et la Corne de l’Afrique relèvent d’une même aire géostratégique, l’Asie du Sud-ouest. La Somalie est l’un des fronts de la Global War on Terror et les Etats-Unis y soutiennent l’engagement militaire éthiopien. Depuis 2002, les militaires américains sont présents à Djibouti, longtemps considéré comme une place forte française. Les enjeux pétroliers ne sont pas absents (exportations pétrolières depuis Port-Soudan et passage du détroit de Bab El-Mandeb). Depuis les côtes atlantiques de l’Afrique jusqu’à la mer Rouge s’étire l’aire saharo-sahélienne. On y redoute l’installation de réseaux terroristes, d’où un fort engagement des Etats-Unis, avec l’« Initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme ». Placé sous les feux de l’actualité en raison des drames et massacres du Darfour, le Soudan participe de cette aire saharo-sahélienne. Les pays européens, via l’Union européenne et l’Otan, y soutiennent l’action de l’Union africaine. En fait, le Sahara, zone de transit, zone refuge et zone d’activités secrètes, est au croisement de multiples initiatives mises en place par les grandes puissances. Au lendemain du 11 septembre 2001, il s’impose comme espace stratégique dans la démarche globale de lutte contre le terrorisme selon la logique de responsabilisation des Etats, en les dotant des moyens technologiques et de l’encadrement militaire propres à accroître le contrôle de leur territoire. Il s’agit en définitive de lutter contre la formation d’une zone grise échappant à tout contrôle.  A cet effet, la présence multiforme des Etats-Unis devrait déboucher sur la mise en place d’un grand commandement opérationnel, l’Africa Command. Dans leur sillage, l’Otan pourrait s’investir davantage dans les affaires africaines, réorientation subordonnée à l’accord des alliés européens.

La France reconfigure son dispositif militaire et cherche à européaniser le programme Recamp (Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix). La Politique Européenne de Sécurité et de Défense (Pesd) est mise en œuvre, en République Démocratique du Congo ainsi qu’au Soudan. L’Union européenne est engagée depuis plusieurs années en République Démocratique du Congo (de l’opération «Artémis» à l’Eufor RD Congo). En 2005, le Conseil a adopté une « Stratégie de l’UE pour l’Afrique » et l’Union européenne apporte son soutien à l’Union africaine dans l’édification d’un système régional de sécurité collective. Le financement et le projet de déploiement d’une force européenne au Tchad et en Centrafrique sont un nouveau test de la commune volonté des Européens de peser sur le cours des évènements. Les ambitions de l’Union européenne en Afrique et l’investissement des Etats-Unis sur ce continent ne vont pas sans rivalités, tant entre nations européennes que de part et d’autre de l’Atlantique. Pour autant, les rivalités diplomatiques et économiques ne sont pas des relations d’hostilité, au sens le plus polémologique du terme. L’action commune de Paris, Londres et Washington au Conseil de Sécurité pour faire voter le déploiement d’une force mixte Onu-Union Africaine (résolution du 31 juillet 2007) en apporte la preuve.

L’essentiel

La Russie ne néglige pas non plus l’Afrique et fait figure de « parrain » du Soudan, au sein des Nations unies.

L’Inde utilise le relais de sa diaspora africaine (Afrique du Sud et Afrique orientale).

Mais l’essentiel n’est pas là. Il se trouve qu’une fois de plus, l’histoire va bégayer. En effet, les données géopolitiques et stratégiques planétaires ont encore rapidement évolué. En effet, après la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’Union soviétique, suivi de la fin du bloc communiste dans les années 90, il semblait qu'il n’y avait plus qu'une seule superpuissance planétaire victorieuse, notamment les Etats-Unis d’Amérique. Or, depuis la dernière réunion du G20 en Corée du Sud, un fait s’impose à tous, à savoir : l'émergence d'une nouvelle superpuissance planétaire, notamment la Chine. Ce fait entraine une nouvelle confrontation dans laquelle la Chine et ses alliés, la Russie y comprise (ce qui est aussi une nouveauté) cherchent à reprendre pied sur le continent africain.

Selon le Livre blanc publié par les autorités chinoises, les échanges entre le continent africain et la Chine ont atteint 114,8 milliards de dollars (87,7 milliards d’euros) pour les onze premiers mois de l’année 2010, soit une hausse de 43,5%. C’est un nouveau record qui s’établit après celui de 2008 où le niveau des échanges avait atteint plus de 106 milliards de dollars. Ainsi, Radio Chine internationale rappelle que les investissements chinois en Afrique ont démarré dans les années 1980. Entre 2000 et 2008, le taux de croissance moyen des échanges commerciaux a été estimé à 33,5%. En 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du continent africain devant les Etats-Unis et la France(11). L’investissement direct a atteint cette année-là 1,44 milliards de dollars américains. Ses principaux partenaires commerciaux sont l’Angola, avec un volume d’échanges bilatéral de 17 milliards de dollars, l’Afrique du Sud (16 milliards), le Soudan (6,39 milliards) et le Nigeria (6,37 milliards). En ce qui concerne le pétrole, l’Angola et le Soudan assurent d’ores et déjà 30% des approvisionnements pétroliers de Pékin qui, à la différence des Occidentaux, ne subordonne son aide à aucune conditionnalité politique. Le tiers des importations totales de la Chine en 2007 provient d’Afrique, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les principaux fournisseurs étant l’Angola, le Soudan et le Nigeria. Tels sont les nouveaux paramètres du grand jeu mortel qui se déroule en ce moment en Afrique. Et c’est la Chine qui défie les puissances occidentales (voir le sommet Chine-Afrique de Pékin, 3-5 novembre 2006).
L’enjeu africain est simple. C’est le contrôle des ressources énormes et variées dont regorge l’Afrique(12), en vue de l’hégémonie planétaire. Pour faire simple, le monde est devenu comme un navire dans lequel toutes les nations sont embarquées et au sein duquel il est question de savoir qui tiendra le gouvernail. La réponse à cette question passe apparemment par le contrôle des ressources africaines. Celui qui tiendra l’Afrique tiendra le gouvernail du monde, semble-t-il. La recherche d’un nouvel équilibre est donc en cours et cette bataille nouvelle semble se dérouler suivant les conditions définies par la nouvelle superpuissance chinoise, usine et créancière du monde(13).
L’Occident défend encore une vieille idée de l’Afrique dans laquelle il contrôle tout à travers ses hommes de main et s’accommode volontiers d’une misère de masse. La Chine est celle qui veut changer la donne et faire de l’Afrique la vitrine de sa puissance économique et militaire hors d’Asie. Cela froisse fortement l’Union européenne et les Etats-Unis. Mais ces derniers ont-ils encore la capacité de résister longtemps au rouleau compresseur chinois qui a décidé de faire de l’Afrique un des piliers de sa superpuissance en construction, exactement comme les Etats-Unis avaient fait avec l’Europe il y a environ 66 ans ?
La crise politique ivoirienne est la conséquence visible de cette nouvelle donne géopolitique internationale(14). Sur fond de lutte entre les musulmans et les chrétiens dans la prise du pouvoir, d’investissements chinois et de balkanisation de la Côte d’Ivoire, c’est le nouveau découpage territorial de l’Afrique qui est au menu des grandes puissances de ce monde. Le cas du Soudan en est une illustration incontestable, ainsi que le fût le Congo durant les années de guerre froide.
En réalité, cette crise a eu pour mérite de manifester au grand jour le fait que les principales organisations africaines sont aussi relativement sous contrôle américain. Plus grave, cette affaire traduit une opposition entre l'ONU et une nation. Plus généralement, il s’agit d’un renversement de situation concernant la gestion des dossiers africains et leur domination actuelle par les organisations internationales contrôlées par les États-Unis.
Aujourd'hui, c'est la place et la domination des États-Unis sur le continent africain qui sont en jeu. La divulgation des notes diplomatiques américaines par Wikileaks et leur analyse permettent de démontrer que les Américains étaient très heureux de l'effacement français, puisque cela leur laisse le champ libre sur la totalité du continent. Selon Philippe Evanno, « le bouclage de cette domination se joue sur la présidentielle ivoirienne, puisque c'est sur cette présidentielle que l'on joue l’annulation pure et simple de la souveraineté des Etats africains ».
Mais, peut-être que les principales puissances africaines n’accepteront pas cette nouvelle domination et décideront enfin, face à l’imminence du danger qui ne les épargnera certainement pas, de donner de la substance à l’Union africaine en lui insufflant les prémices d’un véritable pouvoir souverain africain ! L’expérience de la Côte d’Ivoire semble aller dans cette direction avec la reprise en main par l’institution panafricaine du dossier ivoirien.
Georges Noula Nangue,
Doctorant en droit international
Université de Yaoundé II

SOA
1- Une multitude de petites guerres civiles ont fait irruption dans ce continent et ont provoqué la mort de plus de personnes qu’au cours des deux dernières décennies n’importe où ailleurs sur la terre. À titre d’exemple, le Comité de Secours International a estimé à 3, 3 millions de personnes mortes à la suite du conflit en République démocratique du Congo. Le génocide au Rwanda en 1994 a fait, quant à lui, plus de 800 000 morts.
2- Autoritaires et despotiques, de tels pouvoirs appellent fatalement la violence, d’où l’instabilité politique chronique qui règne dans la société postcoloniale.
3- D’une superficie de 30 221 532 km2 en incluant les îles, l’Afrique est un continent couvrant 6 % de la surface terrestre et 20,3 % de la surface des terres émergées1. Avec une population de plus d'1 milliard habitants (2010), les Africains représentent 16,14 % de la population mondiale. L’Afrique comprend 48 pays en incluant Madagascar, et 54 en incluant tous les archipels.
4- Les frontières des États africains sont en grande partie issues de la colonisation, ce qui explique qu'elles ne prennent que peu en compte les réalités des populations. De même le regroupement des différents pays en sous-régions est utilisé plus dans un souci pratique que par vérité historique. On distingue généralement l’Afrique du Nord, l’Afrique noire (appelée aussi l’Afrique subsaharienne) et l'Afrique australe : l’Afrique du Nord, limitée au sud par le Sahara, est habitée par des populations à majorité arabe et berbère ; l'Afrique subsaharienne est elle-même subdivisée en trois sous régions : l’Afrique de l'Ouest, l’Afrique de l'Est, l’Afrique centrale ; l'Afrique australe jouit d'un climat tempéré et possède le plus fort niveau de développement économique.
5- En 1914, du fait de l'essor des empires coloniaux, le continent noir ne comptait plus que deux États souverains, l’Abyssinie (ou Éthiopie) et le Liberia, auxquels s'ajoutèrent par la suite l'Égypte (1922) et l’Union sud-africaine (1931). Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le nombre d'États africains indépendants n'a cessé d'augmenter, passant de 4 en 1945 à 27 en 1960, pour atteindre 53 en 1993.
6- Pour la science politique, le mode de domination politique de la société postcoloniale, n’est pas un État, car il n’en a pas les caractéristiques. Il lui manque même les propriétés systématiques, qui en feraient tout simplement un système politique. En effet, l’État est un système politique lié à un univers culturel et une histoire spécifiques
7 Les 192 États qui constituent l’ONU sont tous différends les uns des autres du point de vue des valeurs culturelles, philosophiques et politiques. De plus, ils y pèsent d’un poids très variable dans le processus de décision de l’organisation mondiale.
8- Le fonctionnement chaotique et prédateur de ces pouvoirs africains postcoloniaux, rend sa capacité économique extérieure nulle. Alors, ils tombent inévitablement dans l’orbite de la dette, qui entraîne leur soumission aux diktats des institutions financières internationales sous la forme de programmes d’ajustement structurels, voire culturels. Faibles de l’intérieur, malgré leur autoritarisme et leur violence, les régimes politiques postcoloniaux, le sont aussi à l’extérieur. Car leur fragilité économique en fait les jouets et les marionnettes des grandes puissances. Ils apparaissent alors comme des États-client, manipulés à volonté par des États-patron, et incapables de jouer le moindre rôle sur la scène internationale.
9- Cf son ouvrage célèbre intitulé : Main basse sur l’Afrique.
10- Qualification faite par Donald Romswelt, Secrétaire d’État américain à la défense dans l’Administration de George Bush fils.
11- A noter que la Chine est déjà le premier partenaire commercial des États-Unis, de l’Australie, du Japon et de l’Inde.
12-  Environ 30 % des ressources minérales mondiales se situent dans le sous-sol africain, dont 40% de l'or (Ghana, Afrique du Sud), 60 % du cobalt (République démocratique du Congo, Togo) et 90 % du platine. Il y a un très net décalage entre la richesse des pays et leurs ressources naturelles : les richesses sont exploitées dans une logique coloniale qui a continué avec les élites locales.
13- « Convaincre la partie adverse qu’elle a perdu la bataille est la meilleure façon de vaincre », Sun Tzu, L'art de la guerre.
14- Plusieurs pays, comme la Russie, le Brésil, la Chine ou le Mexique soutiennent Laurent Gbagbo, alors que les États-Unis ou la France demandent son départ.


Côte d'Ivoire : la démocratie au bazooka?

Dans les conditions actuelles où l'on est sommé de choisir une partie contre l'autre selon l'impératif de la lutte à mort, il est difficile de dire quoi que ce soit sur la crise ivoirienne, ses causes historiques, ses significations pour l'Afrique postcoloniale, les modalités de sa possible résolution et ses conséquences sur l'équilibre de la sous-région sans susciter un déchaînement incontrôlé de passions, voire la violence des partisans des deux camps.

Par Achille Mbembe et Célestin Monga

Raison et vociférations

Il est pourtant impératif d'apporter autant de clarté que possible sur ses enjeux ; de chercher à entendre raison, au-delà des tragiques événements au cours desquels des civils déjà fort appauvris perdent la vie dans des combats de rue, pendant que les chefs des factions bénéficient de protection et jouissent de toutes sortes d'immunités.

D'autre part, pour sortir de l'impasse, encore faut-il dépasser le dualisme Laurent Gbagbo-Alassane Ouattara. Le projet démocratique en Afrique ne saurait en effet être réduit à une simple mystique électorale, surtout dans les contextes où chefs de guerre sans foi ni loi, vieux fonctionnaires carriéristes et entrepreneurs politiques maniant à la fois l'eau bénite et le feu se servent avant tout des élections comme d'une voie royale pour le contrôle des rentes et toutes sortes d'accaparements.

La crise ivoirienne - tout comme d'autres qui l'ont précédée  - impose par contre que l'opinion africaine et internationale se saisisse de nouveau des questions fondamentales qui détermineront l'avenir de la paix et la sécurité des peuples et des États dans cette région du monde. Ces questions sont les suivantes. Comment détermine et valide-t-on, de manière irrécusable, les résultats d'un scrutin dans un pays dont une bonne moitié du territoire est occupée par des rebelles armés combattant un gouvernement que la communauté internationale n'a pas déclaré illégitime ? À qui appartient le droit de statuer sur les contentieux électoraux en Afrique ? Comment fonctionne le principe universel de primauté entre droit national et droit international dans un État où la Constitution n'a pas été suspendue ? L'utilisation de la force militaire par des États voisins ou étrangers pour résoudre des conflits post-électoraux dans un pays indépendant se justifie-t-elle en droit ? Si oui, quels critères démocratiques doivent remplir les pays qui y envoient des soldats ? Et comment se fait-il qu'il y ait eu si peu d'interventions armées alors même que le dévoiement des élections est devenu une pratique courante, et que les contentieux post-électoraux n'ont cessé de se multiplier en Afrique au cours des vingt dernières années ?

Sur un plan similaire, quelle valeur faut-il attribuer aux prescriptions morales proclamées urbi et orbi par la communauté internationale sur un Continent où ses principes, son engouement, sa fermeté et ses sanctions s'appliquent différemment selon le pays et le moment, c'est-à-dire de façon inconsistante, voire arbitraire ? Plus précisément, de quelle légitimité peut se prévaloir une ancienne puissance coloniale qui, de jour, embrasse, soutient, finance, arme et décerne des satisfecits à des autocrates répugnants et, de nuit - juge et surtout partie - entretient des bases militaires dans des pays en conflit tout en se posant en donneuse de leçons de morale et en pontife de la démocratie ?

Poser ces questions alors que dans le cas ivoirien qui nous préoccupe la messe semble avoir été dite ne relève, ni de la provocation, ni de l'appel à l'inaction. Il s'agit au contraire de préalables qu'il faudrait intégrer à toute discussion sur la résolution d'une crise politique devenue le symptôme des déficits structurels des marchés politiques africains d'aujourd'hui, des errements d'une communauté internationale qui se rend trop souvent en Afrique avec le dilettantisme de gens qui vont en safari, et de l'immense colère qu'une décolonisation inachevée et pervertie a laissé dans les esprits de nombreux citoyens et intellectuels africains.

Par ailleurs, ce qui se joue à Abidjan n'est pas qu'une « affaire d'Africains ». Le différend ivoirien interpelle tous les peuples en quête de justice et de liberté. Alors que l'on s'accorde à dénoncer la crise du modèle démocratique y compris dans les vieux pays industriels, les leçons que l'on peut en tirer seraient donc utiles aux citoyens d'autres États de la planète. À l'heure de la mondialisation et des vives contradictions qu'elle ne cesse de produire, il s'agit en effet de redonner vie et substance au projet démocratique à la fois à l'échelle nationale et locale et à l'échelle planétaire, de remettre à jour les termes d'un contrat citoyen qui offre le cadre de stabilité à toute société humaine digne de ce nom, de circonscrire les conditions (forcément extrêmes) dans lesquelles le recours à la force peut être une option dans les relations entre États et au sein des États, et de réévaluer les conditions et modes d'engagement des acteurs internationaux dans les crises régionales et nationales.

Deux vérités incompatibles

Une élection a donc bel et bien eu lieu en Côte d'Ivoire. Officiellement, l'organisation des opérations pré électorales et du scrutin présidentiel ont duré trois ans (2007 à 2010). Elles auraient coûté 261 milliards de francs CFA, soit environ 57.000 francs CFA par votant. Sur cette somme, l'État de Côte d'Ivoire (c'est-à-dire les pauvres contribuables de ce pays où le revenu mensuel par habitant est de moins de 60.000 francs CFA aurait payé 242 milliards, soit 93%.

Élu en octobre 2000 lors d'un scrutin qu'il n'avait pas organisé, Laurent Gbagbo avait été finalement reconnu et accepté comme Président de la République par la classe politique ivoirienne. Moins de deux ans plus tard, alors que personne ne remettait plus en cause sa légitimité, son régime avait été la cible d'une sanglante tentative de coup d'état. Ni Alassane Ouattara, ni Henri Konan Bédié, ni la CEDEAO, ni la France, ni la communauté internationale n'avaient, à l'époque, proposé une intervention militaire pour protéger un gouvernement dont tous reconnaissaient pourtant la légalité.

Au contraire, les promoteurs du putsch avorté de septembre 2002 ont bénéficié des honneurs de la République. Ils ont occupé militairement la moitié nord du pays qu'ils ont gouverné à leur guise, et leur chef a fini par se faire nommer Premier ministre. Le mandat présidentiel de Laurent Gbagbo s'étant achevé en 2005, il est quand même resté au pouvoir, estimant à tort ou à raison que le contrôle d'une partie du territoire par la rébellion armée lui imposait de demeurer à la magistrature suprême jusqu'à ce qu'une solution de sortie de crise soit trouvée.

Nul ne conteste que l'élection présidentielle de 2010 s'est déroulée dans des conditions peu optimales - la « partition » de fait du territoire national, une souveraineté passablement ébréchée en conséquence de divers compromis boiteux, et un processus inachevé de désarmement de la rébellion. La Commission Électorale Indépendante (CEI) chargée, d'après la Constitution et la loi électorale d'organiser les élections et d'en proclamer les résultats provisoires selon le mode du « consensus » n'a pu le faire dans le délai officiel des 72 heures après la fermeture des bureaux de vote. Ses 31 membres n'ayant pas pu trouver le « consensus » requis par les accords signés par les parties, son Président s'est fait conduire en pleine nuit par deux ambassadeurs occidentaux au siège de campagne du candidat Alassane Ouattara pour proclamer unilatéralement ce dernier vainqueur.

S'appuyant sur des allégations d'irrégularité et de fraudes dans certaines régions du pays, le Conseil Constitutionnel qui, en tant qu'organe juridique suprême en matière électorale, avait seul la prérogative de proclamer les résultats définitifs, a annulé les résultats à ses yeux truqués du scrutin dans les trois départements de la Vallée du Bandama. Sans demander que les élections y soient reprises, que les chiffres sur les procès-verbaux soient revalidés ou que les votes y soient recomptés, il a proclamé Laurent Gbagbo vainqueur. Conséquence : les deux candidats s'arc-boutent chacun sur sa position malgré la frivolité des faits sur lesquels ils s'appuient, l'opprobre dont ils sont l'objet dans certaines zones de la Cote d'Ivoire, les menaces de guerre que leur entêtement fait peser sur le pays, et les risques mortels auxquels ils s'exposent et exposent leurs compatriotes.

Depuis lors, deux logiques incomplètes s'affrontent. Pour les uns, tout se ramène à une affaire de vandalisme électoral. Il suffit alors, comme le réclament à cor et à cris les hérauts de la « démocratie par procuration », que la « communauté internationale » se hisse à hauteur du défi. La mise en quarantaine, l'étranglement financier et l'interdiction de voyager ne suffisant pas, une petite intervention chirurgicale conduite par les armées de la sous-région viendrait s'ajouter à la panoplie des moyens nécessaires pour extirper l'usurpateur, contraindre le larron - unilatéralement désigné ? - à la fuite, procéder à son assignation devant la Cour Pénale internationale, voire le « liquider »  simplement.

S'étant avérés incapables de mobiliser leurs troupes aux fins de défense de ce qu'ils affirment être les résultats du suffrage universel au besoin par la voie d'un soulèvement populaire, une partie des Ivoiriens et de leurs alliés externes cherche maintenant à sous-traiter la besogne à des supplétifs africains - eux-mêmes probablement originaires de pays où des élections démocratiques n'ont jamais eu lieu, tragique ironie aujourd'hui concevable seulement en Afrique.  Sans doute armés,  encadrés et soutenus sur le plan logistique par un cartel de pays occidentaux, ils sont invités à verser leur sang et celui de quelques milliers d'Ivoiriens dans une aventure dont les fondements en droit international et en droit ivoirien n'existent pas. Les apparences de la démocratie dans ce qui fut autrefois le joyau de l'Afrique francophone seraient ainsi sauves. Et chacun s'en irait la conscience allégée, mais sans que la vieille demande de justice universelle à l'égard de l'Afrique et des Africains - qui était au fondement de la lutte pour une véritable décolonisation - ait progressé d'un pas.

Pour d'autres encore, tout ceci n'est qu'un complot - un de plus - ourdi contre le dernier des prophètes anti-impérialistes, et peut-être un jour martyr de la lutte pour la « seconde indépendance » d'un continent pillé depuis des siècles par des prédateurs de tous bords.

Quant aux États occidentaux - ceux-là même qui n'ont cesse d'invoquer la liberté, les droits de l'homme et la démocratie, mais qui n'hésitent jamais à les fouler aux pieds chaque fois qu'il s'agit de vies de nègres - l'appui indéfectible et multiforme, actif ou silencieux, prodigué depuis 1960 aux régimes de partis uniques, aux caporaux et autres kleptocrates en civil, aux guerres de sécession (cas du Katanga et du Biafra en particulier) et à toutes formes de répressions sanglantes sur le Continent a fini d'oter toute crédibilité à leurs sermons.

Dans ce procès qui dure depuis un demi-siècle déjà, ce que l'on appelle « la communauté internationale » n'est pas en reste. Qui, toutes générations confondues, ne se souvient en Afrique du meurtre de Patrice Lumumba, premier Premier ministre démocratiquement élu de la République du Congo, assassiné le 17 janvier 1960 avec la complicité silencieuse de l'ONU ? Plus près de nous, cette « communauté internationale » n'a-t-elle pas fermé les yeux sur les génocides du Rwanda, au Darfour, ou en République Démocratique du Congo ? La liste est en effet longue des « bonnes dictatures » que les propriétaires de la bonne conscience mondiale continuent de sponsoriser à travers la planète et dont les dirigeants criminels sont reçus sur tapis rouges et à coups de fanfare à Paris, Londres, Washington ou Bruxelles.

Les trafiquants d'élections en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Biélorussie, en Libye, en Éthiopie, en Égypte, et dans de nombreux autres pays ne dorment-ils pas tranquilles ? La toute-puissante et généreuse communauté internationale ne continue-t-elle pas de leur déverser chaque année des dizaines de milliards de dollars d' « aide financière » ? Quant au Premier ministre kenyan Raila Odinga que l'Union africaine a affublé du titre pompeux de médiateur de la crise ivoirienne, rappelons simplement qu'il a accepté 1.500 morts dans son pays après l'élection présidentielle de décembre 2007 avant d'entrer dans le gouvernement d'un Président qu'il qualifiait la veille de « tyran sanguinaire ». Pour le reste, bien des dictateurs crapuleux n'ont pas hésité à enfourcher le cheval du nationalisme et du panafricanisme pour justifier désordre et chaos.

Le voleur de boeufs et le voleur de poules

Il faut donc revenir aux constats de fond. Le premier est qu'aux élections de 2010, la Cote d'Ivoire a été piégée par l'architecture juridico-politique dont elle s'est hâtivement dotée pour résoudre la crise des dix dernières années. Tant que cette architecture est en place, chaque consultation électorale majeure risque de déboucher sur les mêmes impasses.

Deuxièmement, il est désormais difficile, voire impossible, de déterminer avec exactitude lequel des deux candidats a gagné de manière incontestable le scrutin présidentiel des 31 octobre et 28 novembre. L'un et l'autre disposent de demi-arguments pour justifier leur position et défendre leur cause. Mais aucun ne dispose de toute la vérité.

Troisièmement, si guerre il doit y avoir, elle sera avant tout une guerre contre les civils, comme nous l'ont malheureusement appris tant d'expériences récentes.

Au demeurant, rivalisant de cynisme, les deux prétendants au trône (et leurs affidés) le savent parfaitement. Le premier  semble se résigner à l'idée d'en être la première victime. Il rêve peut-être de célébrer ses propres funérailles à la manière des hommes riches au temps de l'esclavage - au milieu d'une flambée de sacrifices humains, en utilisant si nécessaire ses parents, clients et captifs comme gages et dommages collatéraux.

En appelant publiquement à une guerre d'extirpation menée par des armées étrangères dans son propre pays et contre une partie de ses compatriotes, le second voudrait accéder à la magistrature suprême par la fenêtre, en marchant sur les cadavres de ses concitoyens et en instrumentalisant vaille que vaille les instances sous-régionales et internationales, lorsqu'il ne se laisse pas  instrumentaliser par elles, et en contractant auprès de ses soutiens externes une lourde dette secrète qu'il fera payer, le moment venu,  par toutes sortes de capitations, privilèges extraterritoriaux et abandons de souveraineté.

Certes, celui qui appelle à la guerre n'a pas le même niveau de responsabilité morale que celui qui pourrait en être la principale cible. Mais tous les deux sont unis par une funeste dette de mort dont l'enjeu premier n'est pas la démocratie, mais l'accaparement des rentes sur fonds de relance des procédures de l'inégalité et, dans les deux cas, par le biais d'une intensification des conduites d'extraversion.

Il convient d'autre part de souligner que dans cette Afrique postcoloniale, la situation ivoirienne est somme toute prosaïque. Ce n'est pas la première fois - et ce ne sera sans doute pas la dernière - que l'on fait face à des perdants qui refusent de s'en aller et à des prétendants qui, voulant éviter le dur et patient travail de mobilisation de leur société, se démènent pour arriver au pouvoir dans les fourgons des armées étrangères d'occupation. Voleurs de bœufs contre voleurs de poules, c'était le cas récemment au Zimbabwe et, dans une large mesure,  au Kenya. D'intervention armée, il n'y en eut point malgré l'ampleur du délit.

Que dire des successions de père en fils au Congo-Kinshasa, au Togo et au Gabon, ou encore des hold-ups électoraux à répétition au Cameroun et dans presque toutes les satrapies de l'Afrique centrale, en Guinée, au Burkina-Faso, en Mauritanie, en Ouganda, au Rwanda et au Burundi, en Éthiopie, en Érythrée et ailleurs ?  La réponse de « la communauté internationale » ? Nul émoi. C'est qu'à l'heure actuelle, il n'existe, ni dans le droit international, ni dans les conventions africaines (ou d'ailleurs étrangères), aucune clause prévoyant le recours à une force extérieure pour fonder la démocratie ou restaurer celle-ci à la suite d'un contentieux électoral.

Le dévoiement des élections dans le cadre du multipartisme en Afrique est une question historique et structurelle. Le coût des élections en vies humaines n'a cessé d'augmenter au cours des vingt dernières années. Bien peu de ces exercices auront été conduits dans la transparence,  dans des conditions de légitimité incontestables. Qui s'étonnera qu'en de si funestes circonstances, leurs résultats ne soient que rarement acceptés par tous les protagonistes ?

Pis, elles sont devenues le moyen privilégié de conduire la guerre par d'autres moyens. Dans maints pays en effet, nombreux sont ceux qui, mis dans l'impossibilité de voter, ont été pratiquement déchus de leur citoyenneté. Le formidable déséquilibre entre les ressources accaparées par les partis au pouvoir et celles des formations de l'opposition est tel que la compétition est faussée dès le départ.  Tout est réquisitionné par les partis gouvernementaux : l'appareil d'Etat, la bureaucratie, la police, la garde prétorienne, l'armée et les milices, la télévision nationale, l'ensemble des magistrats et la cour constitutionnelle, sans compter les deniers publics.

Dans certains cas, il n'y a pas jusqu'à la « commission électorale indépendante » qui ne soit sous la botte du gouvernement. Par ailleurs, il n'est pas rare qu'elles soient précédées ou suivies par un couvre-feu, quand ce n'est pas par une déclaration d'état d'urgence. Alors qu'elles sont supposées consacrer l'idée de la souveraineté du peuple, peu nombreux sont les Etats qui peuvent les financer de manière autonome. La plupart des gouvernements dépendent partiellement ou entièrement de subsides étrangers pour en assurer l'organisation. Cette tutelle financière étrangère ne s'apparente pas seulement à de la corruption indirecte. Elle jette un discrédit sur la capacité des Africains à se gouverner eux-mêmes.

Hormis les rares cas de l'Afrique du Sud, du Botswana, de l'Ile Maurice et, dans une moindre mesure du Ghana, les élections constituent donc l'un des baromètres les plus trompeurs de la démocratisation des régimes africains postcoloniaux.  Moment privilégié de cristallisation des conflits historiques, elles servent surtout à exacerber les antagonismes déjà présents au sein des pays considérés. Il est, de ce point de vue, significatif qu'elles aient été au point de départ des conflits meurtriers les plus récents, ou en tous cas de graves crises qui menacent durablement l'existence de maints États. Au cours des vingt dernières années, les violences pré- et post-électorales ont inévitablement conduit à des désordres civils et, souvent, à d'innombrables pertes en vies humaines, à des destructions spectaculaires de la propriété et à des déplacements parfois massifs de populations. Celles-ci sont ensuite abandonnées aux mains d'organisations humanitaires qui, pour justifier leur propre existence et activités,  comptent de plus en plus sur la militarisation des désastres et catastrophes du Continent lorsqu'elles n'appellent pas directement  à l'ingérence externe.

Quel droit d'ingérence ?

Parce qu'elle menace désormais la sécurité, la stabilité et le progrès des Africains,  la question du respect du verdict des élections doit être abordée avec un minimum de profondeur historique et stratégique. Les contentieux électoraux ne seront pas réglés par la boite de Pandore que sont les interventions militaires ad hoc, mais par la constitution, sur la longue durée, de nouveaux rapports de force entre l'État et la société et entre les classes sociales en voie de cristallisation. Il appartient aux Africains et à eux seuls de conduire ce travail.

Aucun diktat d'aucune ex-puissance coloniale ne saurait s'y substituer. Les Africains seuls doivent décider s'ils veulent mettre un terme aux crises post-électorales à répétition. S'ils optent pour l'usage de la force (solution qui traduit par définition un déficit d'imagination morale), ils devront  s'entendre  au préalable sur des principes de droit collectivement négociés et qui s'appliqueraient à tous les cas sans exception. Pour être légitimes, de telles interventions armées (forcément rarissimes) devraient être entièrement financées par les Africains eux-mêmes.

Du Kosovo à l'Irak, de l'Iran à l'Afghanistan, du Moyen-Orient en Amérique Latine, l'on ne saurait oublier combien la politique des « deux poids, deux mesures »  a plombé au long des années la légitimité des interventions des puissances occidentales dans les affaires d'autres États. À l'appliquer en Afrique, cette politique risque d'ouvrir de nouvelles fractures et fronts d'hostilité entre États du Continent. Quelle crédibilité auraient des soldats nigérians, nigériens, gambiens, togolais ou burkinabé arpentant les quartiers d'Abidjan à la recherche de la démocratie ? Il faut en effet faire preuve soit d'un strabisme notoire, soit de haine de soi ou de mépris invétéré des Africains  pour justifier qu'au sein de la CEDEAO, des régimes issus de putsch militaires ou classés comme des dictatures sur l'indicateur Freedom House aillent « sauver la démocratie » dans des pays tiers.

En plus d'accentuer la logique qui fait des élections un jeu à somme nulle, la politique des « deux poids, deux mesures »  encouragerait les tentatives d'instrumentalisation des instances internationales par des acteurs crapuleux, voire alimenterait guerres ethniques et tentatives de sécession - toutes choses absolument contraires aux intérêts de l'Afrique. L'alternance régulière au pouvoir en Afrique ne peut guère être fille du droit d'ingérence. Le « droit d'ingérence » n'est pas un droit. Il est une perversion du droit. Exception faite des situations d'extrémité (cas des génocides), les appels au « droit d'ingérence » visent surtout à consacrer l'asymétrie au coeur des relations internationales. Dans le cas de l'Afrique, il faut craindre que le « droit d'ingérence » ne soit, in fine, que l'équivalent du « droit de conquête »  et d'occupation qui, au temps de la colonisation, justifiait l'asservissement des « races inférieures », c'est-à-dire justement celles qui, de force, avaient été déclarées incapables de se gouverner par elles-mêmes.

Sortir du piège électoral

Serions-nous par conséquent condamnés à la paralysie et à l'inaction ? Non, certes.

Dans le cas de la Cote d'Ivoire, il ne reste malheureusement qu'une palette de mauvaises solutions. S'il est désormais impossible de déterminer de façon indiscutable sur la base de procès-verbaux non falsifiés qui a gagné les élections ; si les deux prétendants au trône peuvent compter chacun sur une certaine force militaire et mettre dans la rue des dizaines de milliers de partisans convaincus de leur bon droit et décidés à en découdre, alors le scénario d'une révolution démocratique visant à neutraliser Gbagbo ou Ouattara n'a pas beaucoup de chances de réussite. D'ailleurs, il est de plus en plus évident, quelle que soit l'issue de la confrontation, qu'aucun des deux hommes ne pourra, à moyen ou long terme, gouverner sereinement la Cote d'Ivoire entière et tenir les rênes de l'État sans se lancer dans des « purges » de l'administration et des chasses aux sorcières dans l'armée ou au sein de la population, faisant ainsi le lit de la prochaine rébellion ou de la prochaine tentative de putsch.

L'on pourrait, à la limite, envisager la partition du pays et un divorce par consentement mutuel, à l'exemple de l'ancienne Yougoslavie. Mais une telle solution n'est pas seulement écartée par les deux « Présidents ». Les grands ensembles ethno-régionaux de Cote d'Ivoire - notamment dans le sud - sont très hétérogènes et les populations y sont tellement mélangées que les déchirements et le coût économique et humain d'un éclatement seraient insupportables.

Le bras de fer qui consiste à étouffer le régime de Laurent Gbagbo à coup de sanctions internationales, de retraits d'accréditation d'ambassadeurs nommés par lui, d'exclusion de ses représentants au sein des instances politiques et économiques régionales - y compris de l'Union économique et monétaire ouest-africaine et de la Banque centrale des États d'Afrique de l'ouest -, de fermeture des guichets de la BCEAO, de menaces d'embargo sur les exportations de cacao qui sont avant toute chose la principale source de revenu de millions de pauvres paysans, pourrait plonger davantage la Cote d'Ivoire dans une crise économique et financière profonde et durable dont souffrirait l'ensemble de la sous-région. À cet égard, le recours à l'asphyxie monétaire comme instrument de combat politique révèle les véritables enjeux de la Zone franc. Celle-ci montre enfin au grand jour son vrai visage d'union monétaire asymétrique, de vestige du pacte colonial, de camisole de force bridant la compétitivité et la flexibilité des économies africaines et de piège politique pour tout adversaire désigné à la vindicte des pontifes de la bonne conscience internationale.

Si l'on écarte l'hypothèse d'un nouveau coup d'état militaire à la Nigérienne qui neutraliserait les deux principaux protagonistes du conflit actuel et certains de leurs affidés,  il reste alors une dernière (mauvaise) solution - celle qui consisterait à reprendre le second tour de l'élection présidentielle, dans de meilleures conditions de surveillance et de décompte des voix, notamment par les Ivoiriens eux-mêmes.

Dans tous les cas, si les Ivoiriens doivent sortir de l'impasse dans laquelle ils se trouvent et retrouver les chemins d'une réconciliation durable, il n'y a guère d'alternative à une négociation entre les parties en conflit, à un renouveau de l'imagination morale et institutionnelle, et à une refonte radicale de leur système politique. Cette réforme pourrait prendre la forme d'une conférence nationale de laquelle sortirait une assemblée constituante. À une nouvelle constitution fondée sur le principe d'une décentralisation fédérative viendrait s'ajouter une réforme du scrutin. Celle-ci inclurait, de nécessité, une dose de proportionnelle à même d'assurer une représentation minimum de la diversité des « terroirs », tandis qu'un président fédéral honorifique serait élu au suffrage universel.

Cela dit, il n'y aura pas de progrès de la démocratie en Afrique tant que les Africains ne seront pas à même de choisir librement leurs dirigeants, c'est-à-dire, également,  de congédier ceux d'entre eux dont ils ne veulent plus. Afin de parvenir à un renouvellement des élites, de la culture et des pratiques du pouvoir,  il est absolument impératif que le nombre de mandats à la tête de l'État soit limité et que l'alternance au pouvoir devienne une réalité. L'une des raisons de l'enkystement des structures politiques africaines est bel et bien l'impossibilité dans laquelle se trouvent bien des peuples de se débarrasser pacifiquement de tyrans décidés à mourir au pouvoir.

Mais pour que les conditions d'une alternance pacifique soient réunies, il faut repenser de fond en comble la politique, l'économie et l'architecture des élections. Ce remodelage doit être l'œuvre des Africains eux-mêmes qui se doteraient, à l'occasion, d'un cadre juridique et de moyens de pression contre les pouvoirs délinquants. Ces moyens de contrainte pourraient inclure - dans de très rares cas étroitement circonscrits - des interventions militaires.  La démocratie ne se réduit cependant, ni au multipartisme, ni aux élections même si elle est impensable sans ces ingrédients. De graves divisions traversent les sociétés africaines contemporaines. La plupart sont exacerbées par l'accélération de leur structuration objective en classes antagonistes, même si pour le moment, la conscience de classe est sinon détournée, du moins subsumée par d'autres formes de subjectivation. Dans ces conditions, le jeu démocratique dans le continent ne saurait être un jeu à somme nulle. Il est par conséquent impératif que soient « constitutionalisés » les statuts et droits de l'opposition et que, là où cela est possible, le gouvernement par coalitions l'emporte sur l'arithmétique purement majoritaire.

De façon plus décisive encore, un effort intellectuel colossal doit être consacré  non seulement à l'approfondissement du sens de la démocratie elle-même, mais aussi à une extension progressive de ses multiples dénotations dans les conditions africaines contemporaines. Ceci implique que, dans la mise en forme des institutions de la démocratie, l'on prenne au sérieux la morphologie complexe des sociétés et surtout les pratiques quotidiennes par le biais desquelles les gens s'efforcent de soigner le lien social là où il a été endommagé, d'entretenir le minimum de cohésion nécessaire à la reproduction de la vie, bref de « faire communauté ».

Si les Africains veulent devenir les initiateurs d'une impulsion potentiellement innovatrice pour la démocratie dans le monde de notre temps,  alors ils doivent arrêter de réciter les catéchismes et de psalmodier les versets des autres et faire oeuvre de créativité et d'imagination philosophique, politique et institutionnelle. Ils doivent forger une alternative historique à un modèle postcolonial de pouvoir qui, un demi-siècle après la décolonisation,  ne sait toujours se nourrir que de la mystique du sang versé et ne sait, en conséquence, vivre que de la mort en masse de ceux qu'il est supposé servir.

Dans un contexte où l'inégalité des personnes semble mieux tolérée que l'exclusion des sujets, c'est au principe représentatif lui-même qu'il faut donner un nouveau contenu politique et juridique. Le but en la matière ne serait certes pas de pérenniser l'inégalité en tant que telle, mais de multiplier les répertoires grâce auxquels l'on conjuguerait désormais systématiquement différence et inclusion, afin justement que nulle composante du corps politique ne soit abandonnée sur le bord du chemin. Au demeurant, compte tenu des réalités socio-anthropologiques du Continent, aucune expérience d'auto-gouvernement ne saurait faire fi de l'existence objective d'une pluralité de corps titulaires de pouvoirs divers. Il n' y a pas jusqu'à l'idée même de société civile qui ne doive être repensée en fonction de cette multiplicité. Faute d'un déplacement substantiel de ses différentes dénotations dans différents contextes, l'idée de la démocratie en Afrique sera réduite à l'état de simple surface, vidée de tout contenu positif ; et loin de refléter la volonté du peuple, les élections resteront des moments de condensation explosive de conflits anciens - la guerre de tous contre tous.

Pour le reste, le besoin de transformations radicales n'a jamais été aussi pressant qu'aujourd'hui. Mais les forces sociales capables de porter ces transformations semblent manquer à l'appel. C'est à les rassembler et à les nourrir qu'appelle le présent. Telle est l'aride tâche à laquelle doivent s'astreindre les mouvements sérieux d'opposition et la coalition de tous ceux qui, contre la spirale dégénérative, veulent entreprendre la construction d'une liberté neuve en Afrique. Celle-ci doit redevenir son propre centre, sa force propre. Si, pour y parvenir, la guerre est inévitable, alors le Continent devra apprendre à choisir judicieusement ses guerres, faute de quoi consciemment ou non, il se fera chaque fois enrôler dans celles d'autrui, avec des conséquences chaque fois plus catastrophiques pour son avenir.

Achille Mbembe est l'auteur de Sortir de la longue nuit. Essai sur l'Afrique décolonisée (Paris, La Découverte, 2010).

Célestin Monga est l'auteur de Nihilisme et négritude (Paris, PUF, 2009)


Au-dela de Gbagbo : L’Afrique

« La vraie passion du XXème siècle, c’est la servitude », écrit Camus à propos de notre époque, laquelle « n’offre à choisir que des conformismes ». Or comme toute passion, celle de la servitude  est souffrance et produit doublement des patients, soit qu’on s’acharne à asservir les autres, soit qu’on se résigne à l’asservissement.  L’on ne s’étonnera sans doute plus que les nations qui se sont autoproclamées propriétaires du monde, et qui de ce fait expriment bien de la souffrance, s’activent, à leur insu parfois,  à produire de la souffrance en multipliant des risques de servitude génocidaire chaque fois que leurs intérêts sont interpellés.

Ces puissances du monde n’ont plus de scrupule à promouvoir l’industrie de la violence. Cette dernière ouvre des marchés, produit des armes qu’elle vend,  et permet aux multinationales de revenir sur le terrain des violences rebâtir ce que leurs armes ont activement aidé à détruire.  Au bout du compte, il ne s’agit que de marchés, et donc de bénéfices.  Et depuis des siècles, l’Afrique est désignée comme terrain d’expérimentation multiforme pour de nouvelles règles diplomatiques, de nouveaux médicaments et des armes nouvelles dont les propriétaires du monde équipent des Forces naturellement Nouvelles...

Notre monde n’aura pas beaucoup vu les forces de l’Onu censées maintenir la paix s’activer et s’imposer par leur efficacité au Rwanda où il se perpétrait bien des  horreurs.  Ces ’’soldats de la paix’’ savaient regarder ailleurs. Tout aura même été fait pour les exfiltrer, les éloigner des zones des massacres, probablement pour « avoir la paix !»… Ce sont cependant ces mêmes ’’soldats de la paix’’ que la même ONU  entend largement,, et cette fois efficacement, déployer en Côte d’Ivoire, pour cette paix à l’Onusienne, dont l’objectif mal maquillé  consiste à remettre une jeune nation africaine en revendication de sa souveraineté sous les fourches caudines d’une puissance coloniale à veto. Les forces de maintien de la paix de l’ONU vont  donc, à ce qu’on dit, pacifier la Côte d’Ivoire. Il existe déjà en Afrique des pays où les populations savent que cette formule s’est toujours illustrée par des cimetières et des enterrements sommaires dans des fosses communes. Ainsi, c’est  pour une raison hautement pacificatrice - quoique d’une éthique plutôt singulière - que l’Organisation des Propriétaires du monde s’est concertée et qu’elle s’est constituée en une Internationale colonialiste pour les besoins de sa cause.

La Côte d’Ivoire est donc devenue un cas d’école pour l’Afrique et le monde, au lendemain des cinquantenaires de ce qu’on a pompeusement présenté comme les indépendances africaines.  Certes la Côte d’Ivoire se serait volontiers passée d’une telle distinction ; mais à travers elle, c’est toute l’Afrique qui se trouve en devoir de constater qu’elle est traitée de la main gauche par la « Communauté internationale » dont elle est censée faire partie, mais dont elle devra se savoir exclue, parce que dans le lexique de l’Internationale colonialiste,’’ international’’ signifie ’’occidental’’. Du fait de l’ONU, l’Afrique se voit donc enfin officiellement et férocement confirmée dans son statut d’ensemble de territoires sans États véritablement souverains, la souveraineté d’aucun pays africain n’ayant véritablement figuré à l’ordre du jour de l’ordre colonial et néolibéral dominant. La diplomatie de la ’’Communauté internationale’’, inspirée par l’Internationale colonialiste veut que toutes les chancelleries le sachent ; que toutes l’entendent bien ainsi, mais que toutes se gardent bien de le dire, par diplomatie, en confirmation de l’adage où l’Union (européenne) fait la force (coloniale).

La notion de souveraineté appelle cependant quelques observations: chaque fois qu’un potentat africain monte un mauvais coup contre son peuple, il se drape de la « souveraineté »  nationale  dans l’espoir d’échapper à toute observation critique ou à  toute évaluation extérieure. Ces potentats se plaisent d’autant plus à ce jeu qu’ils s’y livrent impunément, le plus souvent avec l’onction d’une métropole coloniale prompte à donner une crédibilité « internationale » à l’impénitent potentat. Le peuple peut toujours hurler son indignation et sa désolation : « l’homme fort » se sait couvert par son mentor métropolitain, qui lui-même se cache derrière des « accords de défense ». Car sous prétexte de « coopération militaire », la métropole n’hésite jamais à défendre un dictateur contre un peuple, son propre peuple, qui l’a rejeté.

La Côte d’Ivoire post électorale nous fait témoins d’un scénario différent, presque inverse : il s’y observe un flagrant déni de souveraineté du peuple ivoirien, moins cette fois par un potentat que par une communauté ’’ internationale ’’ à la rescousse d’une métropole en perte de vitesse en Afrique. Les calculs électoraux et les combinaisons politiciennes ayant mal abouti, il restait à la légalité de prévaloir, force devant rester à la loi. Et la loi fondamentale de la Côte d’Ivoire fait du Conseil constitutionnel le seul organe habileté à proclamer les résultats des élections, quelle qu’en soit la nature et les conditions de déroulement. Contrairement au scénario habituel, ce n’est plus un potentat qui cherche à spolier son peuple de sa souveraineté en comptant sur des appuis métropolitains étrangers. C’est une métropole coloniale qui s’appuie sur un lobby ethno-diplomatique et financier pour imposer  son diktat à un État dont les institutions ont formellement dit le droit, conformément à ses lois. Ce qu’aucune nation occidentale n’accepterait doit donc être imposé à une nation d’Afrique. C’est l’Afrique. Ce n’est donc pas important…

La question semblait banalement arithmétique ; elle a pris toute une dimension juridique et politique qui appelle quelques questions :

·   La Côte d’Ivoire est-elle un état souverain membre de l’Onu ?

·   Si oui, disposerait-elle d’un arsenal juridique propre à en faire un état où se dit le  droit ?

·   Ces lois ivoiriennes peuvent-elles être invoquées par les Ivoiriens pour des élections en Côte d’Ivoire ?

·   Si tel pouvait être le cas, d’où viendrait-il qu’une métropole, fût-elle aussi amicale et aussi désintéressée que la Française, s’arroge le droit de lancer un ultimatum à un Chef d’État que le Conseil Constitutionnel de son pays a légalement proclamé élu, en validation corrective d’une arithmétique des urnes dont il pourrait s’avérer qu’elle a été viciée par des fraudes?

·   Et Laurent Gbagbo de poser la seule question qui vaille à ses Pairs venus en médiation : « Qui a gagné les élections en Côte d’Ivoire ? »

L’inversion du scénario habituel dessine  un schéma nouveau : hier c’est un Gouverneur de colonie de souveraineté théorique qu’une métropole coloniale défendait contre un peuple spolié de sa souveraineté et subjugué au nom des intérêts de la métropole. Aujourd’hui, c’est un Chef d’État en revendication d’une souveraineté effective au bénéfice de son peuple qu’une métropole harcèle. La notion de souveraineté s’avère donc  à géométrie variable selon que c’est un  nationaliste ou un gouverneur de colonie qui en parle. Aussi y aurait-il légèreté à se hâter de signer, au nom de cette souveraineté, le moindre chèque en blanc à quelque Chef africain que ce soit, bien que la mouvance nationaliste et patriotique dont se réclame  Gbagbo puisse favorablement le positionner aux yeux d’une Afrique de plus en plus lassée de ses chaînes.

Il se trouve que l’Afrique présumée « francophone », en réalité « française », excelle dans la complaisance à revendiquer son propre maintien dans l’esclavage sociopolitique. La voici donc allègrement remise en corset et reprise en étau par ce que chacun devra sans doute reconnaître bientôt comme le Nouvel Ordre mondial de la Colonisation (NOMC). En somme derrière la couverture de la « Communauté internationale », l’Internationale colonialiste et néolibérale réédite ce qu’elle a perpétré depuis Berlin et Yalta, puis entre 1945 et 1960, au moment où des Africains d’avant-garde engageaient la lutte pour l’indépendance de leurs territoires et la souveraineté effective de leurs peuples.

Cinquante années après ces « indépendances », le même lobby colonialiste s’active autour des territoires africains qui comptent : car au moment où le système économique et social de l’occident se fissure et s’effiloche, il n’est surtout pas question de perdre ni une seule plantation, ni aucune source de matières premières ; il n’est surtout pas question de laisser les Africains penser que le Pacte colonial pouvait être reconsidéré, encore moins rompu au nom de nul ne sait quel droit de quels peuples à disposer d’eux-mêmes.

Tant qu’une dictature tropicale laisse l’Internationale colonialiste disposer de ses territoires et de ses ressources diverses,  la « Communauté internationale », entendez les métropoles occidentales,  n’y trouve rien à redire ; au nom du Nouvel Ordre mondial de la Colonisation, elle  se hâte même de consacrer ladite dictature comme démocratie, et de la présenter comme modèle d’intelligence politique et de « sagesse» africaine. Mais qu’il se trouve un nationaliste pour s’intéresser au sort de son peuple, aussitôt s’agite le drapeau menaçant de la démocratie à l’occidentale dont l’Europe s’arroge le droit de dispenser des leçons contre ses propres  pratiques sociales et politiques parfois douloureuses et bien souvent embarrassantes de honte. La diffusion dans les médias occidentaux de la manière dont le Fils de l’autre a gagné les élections présidentielles au Gabon établit l’éthique électorale et démocratique que « la Communauté internationale » sait opportunément appliquer aux colonies d’Afrique…Quand on a su autant bâillonner sa moralité électorale et sa propre vergogne au Gabon, se montrer aussi délicat en Côte d’Ivoire relève du gangstérisme politique international!

C’est dans ce jeu que bien des gouvernements occidentaux  se sont surpassés, ceux de France en tête.  Mais la France n’a plus la cote. Chaque jour, elle observe qu’elle a même perdu cette cote qu’elle s’est arrogée en Afrique pendant de longs siècles d’amitié acharnée, de tartufferie politique et de séduction culturelle. Seulement, elle a beau perdre la cote, la France tient à l’ivoire. Dans sa rage d’en perpétuer le trafic, la voici  installée dans le braconnage politique et mobilisée pour y recruter ou y compromettre d’autres nations, selon cette règle du partage qui veut que les Propriétaires de notre monde se gardent de se gêner dans leurs « chasses gardées » respectives. Il va donc y avoir des assassinats d’éléphants, l’Onu ayant pris parti contre la souveraineté d’un de ses États membres, au mépris tout à fait flagrant des conventions internationales qui, au bas mot, font des pachydermes une espèce en voie de disparition et comme telle protégée. Mais nous souscrivons à la déclaration d’un Collectif d’intellectuels d’Afrique et du monde : il faut empêcher toute intervention militaire en Côte d’Ivoire ; il faut sécuriser les Éléphants.

Le 2 décembre 2010, l’Élysée déclarait qu’«il appartient désormais au Conseil constitutionnel de proclamer les résultats définitifs dans le strict respect de la volonté clairement exprimée par le peuple ivoirien». Cette déclaration engageait le Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire dans un tunnel sans lumière, de manière si « stricte » que la seule possibilité  consentie à cette institution se résumait à reproduire ce qui semblait avoir été « clairement exprimé  par le peuple ivoirien ».  Mis en demeure de répéter ce qui lui était ainsi dicté, le Conseil constitutionnel se  trouvait violemment dépouillé, par l’Élysée, de  toute véritable prérogative. Le Conseil constitutionnel, organe de délibération et de décision, avait mission de valider les résultats à lui soumis par la Commission électorale indépendante, un organe consultatif. L’Élysée lui enjoignait de se satisfaire de la certification de l’ONU, et de renoncer à la validation dont il avait pouvoir.  Le Conseil constitutionnel ayant joué son rôle légal et statutaire, ’’l’homme fort’’ de l’Élysée s’en est pris presque physiquement au candidat proclamé élu. A croire que pour l’Élysée, le Conseil constitutionnel ne vaudrait comme institution républicaine que s’il déclarait élu le candidat dont les fraudes électorales avaient été dénoncées, et les résultats légalement invalidés dans certaines circonscriptions.

Au risque d’étonner le bon sens, même  la Maison Blanche s’y est laissé  tromper au prix d’une contradiction remarquée : l’on y prônait naguère une Afrique des institutions fortes par rejet d’une Afrique des hommes forts. Voici que dans un discours  d’homme fort, la Maison-Blanche dénonce une institution forte mise en place par un homme dont l’action, de l’avis général, et en dépit des va-t-en-guerre de son pays, tendait tant bien que mal à instaurer des institutions républicaines qui fonctionnent au-delà des hommes. La Maison-Blanche pourrait bien s’être laissé compromettre par une métropole européenne  qu’on surprend à dénoncer le fonctionnement des institutions qu’elle applique elle-même dans l’Hexagone,  et que sa Vème République a imposées aux colonies par assimilation institutionnelle.

Il ressort de toutes ses considérations que pour le destin de l’Afrique, et  bien au-delà de sa personne, Laurent Gbagbo s’apparente à une espèce en voie de disparition. Personne ne nous fera penser ni croire qu’il est un ange. Et on peut douter qu’il revendique ce statut surhumain : c’est un homme de pouvoir ; et le risque de tout pouvoir est de se dégrader en puissance en cédant à bien des faiblesses. Mais sans nécessairement le dédouaner de ses propres insuffisances ou de ses éventuels forfaits,  la vision patriotique que Laurent Gbagbo a impulsée en Cote d’Ivoire déplace la querelle : elle l’élève des simples joutes électoralistes vers l’arène nationaliste et patriotique. Thomas Sankara s’y est généreusement engagé dans son style. Un de ses amis a été armé pour mettre fin à son rêve,  au nom des intérêts étrangers au Burkina Faso. On va sans doute bientôt armer un cousin africain de Gbagbo pour vous l’assassiner, ou  diligenter la Cour Pénale dite internationale, mais résolument « occidentale » pour l’embastiller. L’Onu y assistera ’’en toute neutralité’’ pour avoir, une fois encore, été instrumentalisée par une Internationale colonialiste qui s’est maquillée aux couleurs de la « Communauté internationale » dans l’illusion de masquer ses appétits. Par delà ses limites humaines, Laurent Gbagbo aura surtout commis l’abominable crime de penser ivoirien en Ivoirien, de penser africain pour l’Afrique. Il a osé s’imaginer que les Ivoiriens avaient, eux aussi, le droit de penser leur destin, de se prendre en main et de sortir du corset colonialiste. Il a osé parler d’indépendance alors que pour certaines métropoles, la Côte d’Ivoire doit rester sous surveillance des forces d’occupation, et l’Éléphant ouest-africain sous contrôle de la Licorne hexagonale…

Il n’est pas nouveau que  notre ’’organisation’’ des Nations Unies se laisse instrumentaliser par certaines nations à veto en négation flagrante de la souveraineté de nations sans pouvoir de veto.  Cette  faiblesse a fait prendre bien des décisions  regrettables dans bien des pays du monde. Le Cameroun par exemple n’a pas encore oublié qu’il n’a jamais été une colonie française. Il se souvient même qu’il fut une pupille des Nations unies. Mais cette organisation a abdiqué ses responsabilités de tutrice pour des raisons que seul un penchant à l’ infanticide peut expliquer ; car l’Onu a plutôt sacrifié sa pupille aux intérêts de l’Internationale colonialiste, sous  prétexte que la France s’était, la main sur le cœur, engagée à « conduire » le Cameroun à son indépendance, à sa souveraineté et, comme de bien entendu, à sa prospérité. Plus de cinquante années après, le Cameroun en est toujours à courir après l’effectivité de son indépendance. Les Camerounais en sont toujours à se gargariser d’une souveraineté cosmétique. Quant au développement, le monde a entendu que le discours sur l’émergence  a déporté le Cameroun sur les calendes de 2035! C’est dans cette logique de report et de différé permanent que pour Pierre Mesmer, Ancien Haut-commissaire de la France coloniale au Cameroun, il fallait confier l’indépendance du Cameroun et sa gestion « à ceux qui la voulaient le moins ». Plus de cinquante années après, l’Onu ne semble toujours pas pressée de savoir quel sort la France a réservé à sa pupille… S’agissant du Cameroun, les Nations Unies pourraient donc valablement et fort utilement organiser une plénière sur l’irresponsabilité tutorale et parentale.

Il devient donc réductionniste de se focaliser sur la personne de Gbagbo : la situation que vit la Côte d’Ivoire interpelle l’Afrique tout entière, tout au moins l’Afrique qui rêve de son indépendance réelle sur les divers plans économiques, politiques et socioculturels. Car il n’est pas de juriste, il n’est pas de juridiction qui ne puisse reconnaître qu’au plan institutionnel, la proclamation de Laurent Gbagbo comme Président de Côte d’Ivoire est incontestable.  Partout dans le monde, l’arithmétique des urnes doit attendre la validation d’une haute juridiction pour donner un visage aux électeurs, un nom au peuple, une conclusion légale aux élections. Il est surprenant que ce processus soit automatique  et respecté comme tel dans les « grandes » démocraties du monde, et que les mêmes grandes démocraties affichent tant de  myopie institutionnelle au même nom de la démocratie. Mais chacun y reconnaîtra  l’éthique  ’’internationale’’ par laquelle l’Occident sut jadis organiser des croisades, bénir des  expéditions d’esclaves et exterminer des créatures de Dieu au nom de Dieu, de son Dieu à lui!

Au-delà des démissions morales et des génuflexions par lesquels certains Africains se distinguent, la crise provoquée en Côte d’Ivoire montre que dans une nation membre des Nations Unies, un Conseil constitutionnel peut se voir violemment nier toute autorité morale, toute autorité légale, et toute autorité formelle de constituer ladite nation. C’est tout à fait nouveau dans le droit international. Mais la violence de ce déni ne peut surprendre venant de ceux dont le credo est qu’il n’est de bon Nègre qu’à genoux ! Et qu’en Afrique, il n’y aura que des nations asservies, des nations de service ; et qu’il ne sera de nation reconnue que celle qui se sera conformée au diktat de l’Internationale colonialiste en souscrivant aux critères du partage du monde en zones d’influence réservées, comme le « Pré carré », appellation agropastorale qui dit assez clairement la perception zoologique que  d’aucuns ont de l’Afrique dite ‘francophone’’.

Mais le tableau s’est clarifié pour ceux qui en doutaient encore, ou qui s’imaginaient qu’il suffisait à un pays d’Afrique d’avoir un hymne, un drapeau et quelques fusils pour être reconnu comme nation souveraine : pour le Nouvel Ordre mondial de la Colonisation (NOMC), la bonne Afrique est l’Afrique-Plantation.  Et le « sage » est l’Africain dont le territoire tient entre le balai et la poubelle, le tablier et la chamoisine… Avant Gbagbo, Lumumba et Um Nyobe ont voulu briser la chaîne de cet embastillement sociopolitique, économique et culturel. L’Onu a assisté impassible à leur liquidation sommaire, au nom de la paix telle que prônée par l’Internationale colonialiste. Jamais deux sans trois…

Il ne suffira cependant pas que Barack Obama ait étonné le continent africain et qu’il se soit dédit pour que raison soit donnée à un fonctionnaire de l’Onu, fort sympathique au demeurant, mais manifestement inapte à percevoir la différence de droit qui existe entre la « certification »dont il avait mandat et la « validation » des résultats dont seul le Conseil Constitutionnel avait exclusivement le pouvoir. Et ce n’est plus de l’ignorance juridique que de confondre un organe consultatif avec un organe délibératif et de décision. Car ce n’est pas par ignorance que l’Onu, par son représentant, s’est  échinée à imposer les propositions d’un organe consultatif aux délibérations de la plus haute juridiction d’une nation. L’Afrique ne  va tout de même pas tout le temps avoir honte à la place des autres. Car l’on semble compter sur la pudeur des Africains pour leur faire tolérer n’importe quelle incompétence.  Mais ils fonctionnent sur instructions, les fonctionnaires. C’est donc bien ’’ l’organisation’’ qui  s’est exprimée par la voix de M. Young-jin Choï, où il se perçoit bien que Choï n’a pas eu de choix : étant aux ordres de l’Internationale colonialiste, il aura fait son devoir en accomplissant sa besogne de mission. Aussi, n’aura-t-il pas hésité à violer la Charte même des Nations Unies qui prescrit de n’entreprendre d’action dans un pays membre que dans le strict respect des institutions et de la souveraineté dudit pays.

Mais la Charte des Nations Unies n’a pas prévu que l’organisation reconnaisse ses erreurs et fasse amende honorable. Quand on répond de l’Internationale colonialiste, on ne sait pas avoir tort. Sous la pression de l’Internationale colonialiste, les prescriptions mêmes de la Charte ne sont plus que des balivernes cérébrales devant les intérêts géopolitiques et mercantiles à préserver. Pour cette raison, et parce qu’il s’agit d’un pays africain, les personnalités membres d’un Conseil constitutionnel cessent aussitôt d’être des juristes de qualité. Ils ne sont plus que des « proches » et des « amis » du Président. Que M. Kipré, Ambassadeur de Côte d’Ivoire en France rappelle que Michel Debré, Président du Conseil Constitutionnel de France doit, dans cette logique, n’être qu’un « proche ami » de Sarkozy, et l’on entend le journaliste Elkabach glapir: « il ne faut pas comparer !». Ainsi, selon que vous serez d’Afrique ou d’Occident, le Conseil constitutionnel sera un banal cercle de proches amis du Président ou une instance délibérative digne d’être respectée par l’ONU…

Dans le cas de la Côte d’Ivoire, la Cour Pénale Internationale se hâte de se signaler à l’opinion comme l’aile judiciaire de l’Internationale colonialiste, au risque de se pénaliser en se dégradant en Cour ’’occidentale’’ : elle qui fut d’une discrétion remarquée et d’un silence assourdissant pendant bien des génocides en Afrique, elle qui ne donna aucune suite aux requêtes de la Côte d’Ivoire sur les tueries de la Licorne,  affûte déjà ses articles et ses ’’attendus’’ contre tous ceux qui auront osé penser que l’Afrique a des droits, et que ses Conseils constitutionnels sont en devoir de dire le droit en toute souveraineté…Le Nouvel Ordre mondial de la Colonisation (NOMC)est résolument en marche. Et le Conseil de Sécurité se signale déjà comme sa branche armée, prompte à déployer des soldats pour mater la soif d’indépendance des nationalistes africains…

Tant d’indices laissent penser qu’en ce début du XXIe siècle un gouvernement mondial se met discrètement en place. Comme d’habitude, l’on aura choisi l’Afrique comme terrain de son expérimentation ; et  la Côte d’Ivoire donne un aperçu de la gestion et du fonctionnement de ce gouvernement mondial. Son mode de gestion est si éloquent qu’il n’y a pas meilleure manière de dire à l’Afrique qu’elle n’y comptera pas pour grand-chose, ou si peu, qu’il lui faudra de  puissants mégaphones pour se faire entendre. Sauf à choisir enfin de s’assumer sur la base de ses règles endogènes, de s’étudier sur la base de ses propres concepts, de s’instruire sur la base de ses propres canons et méthodes culturels pour se donner quelque chance de se reconquérir et de se réconcilier avec elle-même. Il est d’une  évidence  lumineuse que cette mise en perspective de l’Afrique  ne sera d’aucune motivation pour les professionnels de la génuflexion, et qu’elle sera même âprement combattue par ceux des Africains qui auront été dressés au reptilisme existentiel.

C’est qu’au-delà d’un nommé Gbagbo, l’autre question de fond que la Côte d’Ivoire pose à l’Afrique est la problématique même des élections comme processus d’accès à la gestion publique. La démocratie est-elle nécessairement électorale ? Les peuples en général, les peuples d’Afrique notamment, n’auraient-ils que des élections pour se gérer en société ?

La culture occidentale est fondamentalement, foncièrement et essentiellement conflictuelle. Certes Héraclite d’Éphèse a étudié en Afrique avant d’établir le conflit, la lutte des contraires comme moteur du monde. L’Afrique ne conçoit cependant pas le monde en termes d’affrontement ; l’Afrique culturelle profonde conçoit le monde en termes d’intégration et de consensus. Contrairement aux contrevérités de certains touristes scientifiques qui se sont autoproclamés « africanistes », l’anthropologie africaine a des choses bien plus porteuses à enseigner dans ce domaine.

La rage d’uniformisation du monde  étonne de plus en plus chez ceux-là mêmes qui prétendaient combattre la pensée unique ; elle est exacerbée par le slogan économico-mercantile de la mondialisation, dont les institutions de Bretton Woods, l’OMC comme le FMI, constituent le bras usurier.  Au nom de l’uniformisation du monde, il suffit désormais qu’un slogan soit diffusé et soutenu dans les médias « internationaux », entendez « occidentaux », pour qu’il devienne une vérité infaillible pour le reste du monde. C’est ainsi que les pays d’Afrique, hier pays du ’’ Tiers monde’’,  ou ’’Pays sous-développés’’, ont été successivement et unilatéralement rebaptisés pays ’’en voie de développement’’, puis ’’Pays les moins avancés’’ (PMA), puis ’’ Pays pauvres très endettés’’ (PPTE) et, pour demain, ’’Pays émergents’’. L’Eurocentrisme n’a pas fini de coûter cher aux peuples d’Afrique, tant au plan économique, moral que politique. Dans ce dernier cas, l’accession à la gestion publique par les élections fait tellement problème en Afrique qu’au lieu de penser que ce sont les Africains qui sont inaptes à la démocratie électorale, il serait temps de se demander si l’urne est bien le mode socioculturel le plus approprié pour l’accession au pouvoir et pour sa gestion en Afrique.

Nous ne perdons pas de vue que si aujourd’hui l’Occident agite aussi ostensiblement le fanion des  élections, il n’ya pas si longtemps que ses « grandes  nations » excluaient le vote de leur fonctionnement. Et quand l’Occident a fini par céder au principe des élections, il a fallu de nouvelles luttes acharnées pour que toutes les populations soient admises à voter. Il n’y a donc pas longtemps que certaines grandes nations occidentales ont concédé ce droit  à  la femme – dont le statut d’être humain n’a été toléré que fort récemment. Dans certaines « grandes démocraties » occidentales, la reconnaissance de la femme comme personne humaine a paru si révolutionnaire qu’elle a été gravée sur des stèles  comme une  invention exceptionnelle de l’humanité…

Si donc la démocratie se définit comme pouvoir émanant d’un peuple donné, et s’il est entendu qu’en Afrique il existe des peuples et non de simples hordes de primates, le plus distrait des touristes pourrait avoir remarqué, sauf amnésie et cécité délibérées, que l’Afrique a une longue expérience de la gestion publique et de l’accès au pouvoir.

Une certaine propension au raccourci pousse une catégorie d’Africains à renoncer à comprendre, pour s’être convaincus par facilité que les autres ont déjà tout dit, tout pensé, tout trouvé. Quand les autres auraient effectivement tout pensé et tout trouvé, ils l’auraient fait pour eux, en fonction de leur vécu à eux et de leurs attentes à eux. C’est pour cela que même le sparadrap, grande  trouvaille occidentale devant l’Éternel, n’existe pas encore en couleur cacao ou café, mais se produit exclusivement en couleur rose cochon…De tels détails de notre simple quotidienneté d’infirmerie devraient inciter les Africains à réfléchir sur bien d’autres produits que l’Occident vante dans ses médias et qu’il nous propose, sous prétexte de modernité et d’ouverture, comme une panacée à nos problèmes d’Africains.

C’est dans ce contexte que des questions bien plus graves pourraient surgir : dans quelle culture ou société africaine a-t-on jamais vu 51% d’une famille humaine s’arroger le droit de  régenter 49% de la même famille sous prétexte que des bouts de papiers ont été jetés dans une boîte, individuellement, séparément et en cachette? Dans quelle société d’Afrique a-t-on jamais vu une palabre se terminer hors consensus, quand le Patriarche chargé de vider un litige se fait un point d’honneur de ramener le plus radical des contradicteurs dans le cercle du consensus pour qu’à la fin, les uns et les autres partagent la cola en dégustant le vin de la réconciliation, de l’entente et de la cohésion sociale retrouvée ?

Le tropisme et l’extraversion pousseraient des décervelés à douter ! Pourtant, il va falloir, et bientôt, se résoudre à choisir : guérir du dressage et du mimétisme, ou renoncer définitivement à représenter une culture, un peuple, un continent et une histoire dont la richesse aussi piratée qu’enviée est souterrainement combattue par ceux-là mêmes qui la parasitent.  Observons déjà comme la vertu du consensus est convoitée par les adeptes des pouvoirs électoraux « modernes »,  issus de la démocratie électorale  de 51% contre 49%. C’est bien par intention, par soif et par impatience de consensus ou de réconciliation que tout « Président élu » se hâte de déclarer qu’il sera le Président « de tous les … ». Quand bien même cette déclaration ne serait faite que du bout des lèvres, l’effort de mensonge du nouveau président est déjà en lui-même révélateur d’un fonds culturel qu’aucun Africain ne devrait se hâter d’évacuer.

Les urnes n’ont pas une histoire si lointaine que cela en Occident. Et la généralisation des élections à l’occidentale n’est encore ni un certificat de démocratie, ni une garantie de paix sociale dans les « grandes démocraties » occidentales. D’aucuns auraient bien voulu qu’il n’en fût point ainsi, mais l’Afrique profonde a des enseignements à donner au monde en matière de démocratie et de convivialité : « Le pouvoir y reposait sur un système de prise de décision collégial et consensuel. La méthode  en était la palabre, et l’instrument l’assemblée de village. Au-dessus du village, à chaque niveau d’organisation géographique, district ou région et royaume ou empire, des assemblées de délégués fonctionnaient selon le même principe de consensus. S’il y a une tradition africaine de prise de décision collective, elle est bien celle de la palabre et du consensus. Elle prend du temps, mais elle s’attache au respect de chacun et permet les décisions nécessaires à la survie du corps social». Le même auteur déplore : « la méconnaissance profonde où se trouve l’Occident des modes de fonctionnement de l’Afrique (…) Tout se passe en Afrique comme si l’Occident colonisateur avait efficacement détruit une amorce de sociabilité locale que l’on peut appeler démocratie consensuelle, et n’arrivait pas à faire prendre la greffe de son produit de remplacement, la démocratie conflictuelle ». (2001)

Non, il ne s’agit pas encore de Cheikh Anta Diop – Maître de puissante inspiration - mais plus prosaïquement de Michel Rocard, qu’on ne peut soupçonner d’Afrocentricité. Son titre, pour une autre Afrique, dit à quel point les ravages de la colonisation sont réels et la lutte pour les rattraper indispensable, notamment face à des prédateurs occidentaux qui veulent bien les décrire ou les déplorer, mais dont le premier réflexe, une fois qu’ils sont au pouvoir, n’est pas nécessairement de promouvoir l’indépendance et la dignité de l’Afrique.

Au-delà d’un nommé Gbagbo, prétendons-nous, l’enjeu est l’avènement d’une Afrique autre. Ceux des enfants d’Afrique qui s’en rendent comptent et qui prennent la juste mesure des enjeux sauront que même proclamés perdants, ou à la limite assassinés,  certains nationalistes patriotes seront demeurés des gagneurs. Au-delà des insuffisances, des incompréhensions ou des fautes de bibelots, la plupart auront activement œuvré au-delà de leur personne, pour l’indépendance de l’Afrique et la dignité d’une Afrique de peuples effectivement libres. Quand une cause est à ce point une raison de vivre, elle s’érige en raison de mourir. Et la gloire des nations réside dans le sacrifice de ceux de leurs enfants qui savent mourir pour leur raison de vivre. C’est ainsi que sans l’avoir recherché, certains patriotes entrent dans l’éternité de la mémoire de leur peuple.

L’Occident en général et l’Europe en particulier ont prouvé au monde qu’ils savent se déchirer dans des querelles ethniques et des conflits ethno économiques. La Shoah en est l’un des exemples les plus déshumanisants. L’unité de l’Europe n’a donc pas fini de se chercher. Sans doute va-t-elle enfin se trouver grâce à l’Afrique, dont la même Europe occulte curieusement la saignée et l’holocauste négrier. Cette Europe esclavagiste et déchirée par ailleurs va sans doute reconquérir son unité grâce à une Côte d’Ivoire qu’un certain Laurent Gbagbo s’efforçait de réunifier. Il restera  frappant que l’Europe en quête de sa propre unité n’ait pas  hésité à aggraver l’éclatement d’une nation africaine pour défendre les intérêts d’un pays d’Europe. Et c’est de cette Europe ethnique, fort violemment intéressée, que l’Afrique devra recevoir des leçons d’éthique politique et humaniste !  Le malaise que l’Afrique éprouve vient de ce que l’Europe ne semble pas avoir, pour elle-même déjà, maîtrisé les leçons qu’elle veut bien dispenser ou, à l’occasion, imposer au reste du monde : élection n’est point synonyme de démocratie. Et en Afrique, la démocratie électorale ne saurait se satisfaire du décompte numérique des Commissions dites indépendantes qui ne garantissent aucune crédibilité à cause du voile de suspicion dont les contextes de leur création les couvrent.

Ne nous demandons plus où sont passées toutes ces nations indépendantes africaines qui ont  célébré ou qui s’apprêtent à célébrer leurs « indépendances ». L’Afrique aveuglée par  extraversion politique n’a pas perçu le calcul d’une Europe aux voix discordantes par ailleurs, mais dont la Côte d’Ivoire accélère subitement l’unanimité. La cause est sans doute entendue, mais l’unanimisme occidental ne sera pas une leçon de démocratie pour l’Afrique du XXIe siècle. Cet unanimisme suspect confirme que pour les intérêts de l’un des leurs, l’Europe a résolu de faire corps et chorus, d’étouffer toute velléité de liberté en Afrique, quitte à installer au pouvoir ceux-là mêmes qui, la veille, ont mis à feu et à sang le pays qu’ils s’impatientent aujourd’hui de gouverner. Ils seront sans doute au gouvernement ; mais quel gouvernail tiendront-ils ?  La Côte d’Ivoire ne s’expose au risque d’être géré par procuration, par un simple gouverneur colonial aux ordres de la Sainte Union de l’Europe coloniale ?

L’unanimisme européen aura cependant atteint son objectif : entraver l’unification d’une nation en passe de panser ses blessures, et en faire un territoire ingouvernable. Cette manière qu’a l’Internationale coloniale de se croire indispensable à l’Afrique crée de nombreux emplois pour l’Europe ; mais l’ingouvernabilité de la Côte d’Ivoire ne profitera à aucun Africain. Il est possible qu’elle ne profite même pas à l’Occident. Le Nouvel Ordre mondial de la Colonisation l’instaure activement par fébrile avertissement à tout autre dirigeant africain qui aurait des démangeaisons de liberté et des velléités de souveraineté. Des morts, l’on en compte déjà. Mais qu’est-ce qu’un  génocide de plus pour la machine coloniale ? L’histoire de l’Europe est d’une richesse écarlate : l’on y apprend que l’Europe sait toujours comment multiplier les fosses communes pour se faire de l’espace chez les autres. Mais pour avoir cautionné ce flagrant déni de souveraineté à la Côte d’Ivoire, l’Onu a gagné en déshonneur et en dépréciation. Il devient de peu d’intérêt que l’Onu y ait été poussée par une Europe manœuvrière désireuse de recoller provisoirement ses propres morceaux. En ce XXIe siècle naissant, l’Afrique en charcuterie aura néanmoins servi à unir l’Europe dans une Internationale colonialiste sous protection de l’Onu…

On n’arrête pas le progrès. Et le progrès que le XXIe siècle s’apprête à enregistrer s’observe en Afrique, par la Côte d’Ivoire : la ’’Communauté internationale’’ aime désormais  si profondément l’Afrique qu’elle se mobilise sans calcul pour y imposer son mode de sélection des dirigeants, au nom de cette liberté, de cette démocratie et de cette humanité que, pendant de longs siècles, la même Communauté internationale a brutalement niées à l’Afrique. Ce vaste renversement de programme est un peu tardif ;  mais par cette prestidigitation, d’aucuns espèrent gommer des siècles de cet esclavage, de ces massacres et de ces spoliations dont l’Occident refuse de parler par négationnisme et refus de toute repentance. À travers la Côte d’Ivoire, l’Occident déclare à l’Afrique un amour si subit, si débordant et si tyrannique qu’il ne veut surtout pas que  de pauvres Africains  se noient dans leurs barils de pétrole, s’intoxiquent à l’uranium et s’aveuglent à l’éclat de leurs carats d’or ou de diamants. La ’’Communauté internationale’’ veut tellement le bien de l’Afrique qu’elle tient, pour ainsi dire coûte que vaille, à soulager le continent du poids écrasant de ses diverses dictatures : minières, forestières et politiques. Les principaux inspirateurs et acteurs de génocides africains tiennent tellement à libérer l’Afrique de ces dictateurs qu’ils en intronisent certains potentats dans le voisinage même de ceux qu’ils conspuent ou liquident, et dont le crime est d’avoir tenté de redonner quelque respectabilité à la« négraille inattendument debout »(Césaire). Mais quand l’Afrique n’aurait su produire que es dictateurs, il convient de retenir qu’à dictature égale, seule l’option nationaliste et patriotique compterait désormais pour l’Afrique. Et l’Afrique qui aspire à compter a reçu le message : soit se résigner à servir de plantation et de réserve de matières premières aux propriétaires autoproclamés du monde, soit travailler à définir elle-même, pour elle-même, ce qu’il lui conviendrait de progrès.

Le progrès de l’Afrique ne semble pas avoir la démocratie électorale pour levain ; au-delà des urnes, ce progrès se perçoit et se construit dans une convivialité consensuelle en adéquation avec les fondements anthropologiques de la culture africaine. L’Afrique croisera son destin sans le rencontrer si, par paresse intellectuelle ou par démission politique, ses enfants  souscrivent à cet unanimisme contre nature par lequel la ’’communauté occidentale’’ autoproclamée ’’ internationale’’ par maquillage de ses préoccupations matérielles, manœuvre pour que l’uniformisation du monde à son profit exclusif passe pour un noble souci d’harmonisation profitable à tous.

Les dettes de liberté se paient en monnaie de vie.  On sait quel prix Toussaint Louverture dut payer dans le Jura français pour avoir voulu libérer Saint-Domingue devenue Haïti. L’encerclement fut total et asphyxiant pour la première république noire. Il fallait démontrer que les Nègres ne pouvaient pas, et ne pourraient jamais assumer un destin autre que l’esclavage. Deux siècles après, le même schéma se reproduit, mais en terre africaine et de manière plus subtile, l’Internationale colonialiste ayant excipé de la démocratie électorale pour perpétrer l’embastillement d’une autre république noire en quête d’indépendance.

L’histoire africaine est d’une richesse pédagogique inépuisable. A chacun de nous d’en tirer ses propres leçons, pour l’avenir des Peuples d’Afrique – qui se conjugue au présent, au-delà d’un nommé Gbagbo.

Charly Gabriel Mbock

Anthropologue, Directeur de Recherches et Professeur des Universités. Il vient de publier Décoloniser la France, Editions Kiyikaat, Montréal, Canada, 2010, 137 p. L’actualité ivoirienne va-t-elle lui donner raison?


Au-dela de Gbagbo, L’Afrique et les tiers-monde de demain

Depuis l’éclatement de la crise ivoirienne, l’opinion publique africaine s’est embrasée et est montée au créneau, prenant d’assaut les anciens comme les nouveaux médias. Et si quelques-uns dans cette mêlée ont pris parti pour M. Alassane Ouattara sur la base de l’appui que ce dernier a reçu de la plupart des institutions internationales qui comptent, la majorité semble avoir choisi le camp de M.   Laurent Gbagbo qui à leurs yeux incarne l’interminable lutte des Africains contre l’impérialisme occidental pour la libération, la souveraineté et l’unité de l’Afrique. M. Gbagbo Laurent serait aujourd’hui l’un des rares symboles vivants de l’Africanisme militant vaillamment dressé contre un impérialisme sans scrupules et cynique essentiellement occidental et aux abois. Il y a là une vision romantique et, d’un certain point de vue, messianique ; elle ne manque pas de séduction. Il y a là surtout un manichéisme qu’il faut examiner de près avant adoption. A moins qu’il ne s’agisse d’un pragmatisme volontairement opportuniste : l’argent du diable bien utilisé, affirme-t-on, peut devenir l’argent de Dieu. Cet élan authentique pour le devenir de l’Afrique est magnifique et ne peut que susciter une adhésion et un engagement sans réserve. C’est une cause noble, déchirante dans le contexte actuel, urgente surtout. Elle peut même justifier que pour la promouvoir et l’avancer, l’on fasse feu de tout bois. Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces, prétend-on. Encore faudrait-il qu’ils soient réellement efficaces.  Dans le cas présent, peuvent-ils l’être et si oui jusqu’à quel point ? Ces questions méritent d’être examinées avec soin, en partant du cas ivoirien mais seulement comme cas d’étude parce que, et cela est vrai, ce qui est en jeu ce n’est pas seulement la Côte d’ivoire mais le destin de l’Afrique et, au-delà, des tiers-mondes.

Prenons donc le cas ivoirien et examinons-le scrupuleusement. Au-delà de M. Gbagbo, il pose indiscutablement à la conscience de la communauté dite internationale  – au cas où une telle conscience existerait – le problème de la crédibilité des principes du droit international, à l’instar du principe de la souveraineté des Etats, acteurs principaux dudit droit. La présence indéfiniment prolongée et pas toujours consensuellement admise de la force Licorne française ainsi que le long stationnement des forces des Nations Unies en Côte d’ivoire posent de toute évidence un problème à la fois de réalité de la souveraineté de ce pays et de respect de celle-ci au regard du droit même des Nations Unies, au cas bien sûr où cette souveraineté serait déterminée comme réelle. Quand l’on sait que de semblables forces sont stationnées ici et là dans bien des pays d’Afrique comme d’autres continents et que, d’une part elles ont constamment et vaillamment contribué à maintenir ou à remettre au pouvoir des dictateurs honnis de leur peuple, d’autre part n’ont pas levé le petit doigt pour empêcher génocides, massacres, viols collectifs et autres crimes contre l’humanité, la question du caractère ambigu du statut de telles forces, fussent-elles des Nations Unies, ne saurait manquer de se poser. Et généralement cette question se pose en termes nationalistes, souverainistes, anti-impérialistes.

Cette question d’ailleurs ne se pose pas aujourd’hui uniquement par rapport au cas ivoirien et le fait que des forces soient entrées dans un pays déjà déchiré de  l’intérieur et pour  officiellement y accomplir une mission dite d’interposition ne suffit pas toujours, du moins à la longue, à légitimer leur présence. Une présence amicale et même souhaitée au départ, pour peu qu’elle auto décide de s’éterniser, ne peut que devenir inamicale, ennemie, et considérée comme force d’occupation. Les Américains en ont fait l’amère expérience un peu partout au cours du XXè siècle : Philippines, Japon, Allemagne, Indonésie, Liban, Amérique centrale et Latine, et aujourd’hui en Irak comme en Afghanistan. En Afrique où les forces françaises aux multiples noms d’animaux ont souvent constitué des remparts contre l’exercice de la démocratie et de la souveraineté des peuples, la situation ivoirienne ne pouvait logiquement manquer de susciter une levée de boucliers de la part de toutes les victimes des dictatures coloniales et néocoloniales dont la frange la plus active se recrute naturellement dans la masse de plus en plus importante des lettrés et des intellectuels dont on sait que le sort n’a jamais été enviable sous les régimes autoritaires.

Des ingrédients spécifiques ont d’ailleurs, dans le cas d’espèce, contribué à exacerber ce sentiment africaniste et anti-impérialiste pour en faire un sentiment violemment anti-européen en particulier et anti-occidental en général.  Il n’y a qu’à observer la posture adoptée par les différents protagonistes internes et internationaux au conflit.

Le président internationalement reconnu M. Alassane Ouattara a déjà la faiblesse d’apparaître comme un homme de Bretton Woods. Cette référence-là à elle seule suffit à hérisser le poil de tous les intellectuels de gauche ou gauchisants. Les institutions de Bretton Woods – le FMI, la Banque Mondiale, la BIRD, l’OMC même si ce dernier siège en Suisse – ont été dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale les bras armés de la mondialisation néolibérale, et ce n’était pas pour le plaisir littéraire de faire un joli jeu de mots que Tchudjang Poemi de regrettée mémoire taxait le FMI de Fonds de misère instantanée. On sait comment dès la fin des années 60 ces institutions plongèrent les tiers-mondes dans la spirale de l’endettement pour ensuite les soumettre au diktat des programmes d’ajustement structurel dont la conséquence principale est jusqu’ici le transfert de leurs actifs économiques dans le portefeuille des multinationales étrangères. Comment faire confiance à un pur produit du FMI ou de la Banque mondiale surtout quand il a officié dans le cercle dirigeant de ces institutions comme c’était le cas de M. Alassane Ouattara ?

 

À côté - et surtout aux côtés dit-on – de M. Alassane Ouattara, la France et sa force Licorne. On sait que cette force s’est rendue suspecte puis impopulaire auprès d’une certaine frange de l’opinion ivoirienne et africaine lorsqu’elle s’est heurtée aux forces armées de M. Laurent Gbagbo - la légitimité de ce dernier n’était nullement encore en question et ses forces armées étaient considérées par tous comme les forces armées nationales de Côte d'Ivoire (FANCI) - et qu’elle a neutralisé en novembre 2004 l’aviation militaire ivoirienne. Dès lors, elle est apparue comme une force d’occupation, quoi qu’en disent les accords secrets d’indépendance de 1961 qui ne sont plus guère aujourd’hui que des secrets de polichinelle. Et d’ailleurs, comment admettre qu’une force qui coûte à la France pas moins de 200 millions d’euros par an (131 milliards de FCFA !) soit installée en Côte d'Ivoire depuis 2002 pour le bien de ce pays ?  À cette position déjà difficilement soutenable de la France dans le conflit ivoirien, il faut ajouter la circonstance aggravante des maladresses répétées de la politique africaine de la France sarkozyste. Le point de départ de celle-ci se situe en 2007, un 26 juillet à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar lorsque M. Sarkozy jette à la face des Africains, à la plus grande colère de l’intelligentsia de ce continent, que « l’Afrique n’est pas entrée dans l’histoire ». C’était bien sûr le discours impérialiste type, il n’avait rien de bien nouveau, mais était prononcé à la mauvaise époque. Depuis Dakar malheureusement, la France Sarkozyste n’a cessé de multiplier les maladresses. L’exemple le plus récent est sans aucun doute l’intervention de Mme Alliot-Marie sur la Tunisie de la fin du règne de M. Ben Ali. Loin d’y voir un déficit d’intelligence de la part de cette dame que l’on pourrait difficilement qualifier d’idiote, l’intelligentsia africaine y voit avant tout la continuité d’une politique française obstinée au travers des époques à vassaliser l’Afrique par procurateurs interposés. Dès lors comment, d’une part ne pas suspecter des pires intentions criminelles tous ceux qui semblent avoir la sympathie si ce n’est la faveur de cette France-là, et d’autre part ne pas sympathiser a contrario avec tous ceux qui pâtissent de l’antagonisme de celle-ci ? Ce schéma indiscutablement manichéen a permis également de positionner l’ONUCI sur la grille de lecture des africanistes. Eût-elle pris fait et cause pour M. Gbagbo, elle eût bénéficié de la grâce de tous ceux qui la condamnent et la conspuent aujourd’hui. Elle s’est malheureusement retrouvée du mauvais côté, qui n’est pas forcément le côté de M. Alassane Ouattara – ce dernier n’est qu’une fonction sur l’échiquier ivoirien, une fonction qui transcende sa personne quoique puissent en dire certains –, mais qui est indiscutablement celui de la France dont la volonté impérialiste est considérée comme amplement avérée. Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es.

Il faut cependant aller plus loin dans cette analyse : comment séparer aujourd’hui de l’Union européenne la France, et l’UE du monde occidental conduit par les États-Unis ? Lorsque M. Sarkozy, qui n’est pas à cet instant-là président en exercice de l’UE, lance un ultimatum à M. Gbagbo et qu’à la date butoir de celui-ci Bruxelles arrête des sanctions contre ce dernier ainsi que des membres de son entourage, il devient clair pour tout observateur qu’il n’y a aucune différence entre les intérêts de la France et ceux de l’UE. En même temps, il est indiscutable que malgré le désir de certains leaders européens  à l’instar de la frange gaulliste de la politique française de secouer ou tout au moins d’alléger le poids de la tutelle américaine sur l’Europe, cette partie du monde s’intègre, sur un plan géostratégique global, dans le camp américain, ainsi que le souligne des structures comme l’OTAN, ou des zones de conflits comme l’Irak ou l’Afghanistan. Le poids du leadership américain dans cet espace géopolitique peut aussi s’apprécier par rapport à une institution prétendument internationale comme l’ONU, mais dont l’effacement ou l’affirmation dans la gestion des conflits internationaux depuis la désintégration de l’Union soviétique et la rétrogradation de la Russie au rang de puissance européenne dépend uniquement du bon vouloir des États-Unis sur lequel s’alignent presque systématiquement les États européens. On se rappelle du triste sort de la défunte SDN dont les malheurs venaient de ce que, née hors des États-Unis sans l’initiative de ces derniers, elle s’installa en Europe à Genève. Privée du soutien américain, elle ne put jamais s’affirmer au plan international, resta plus ou moins une société des nations européennes jusqu’au jour où elle fut remplacée par l’ONU que les Américains prirent soin de nettoyer des vices de son ascendante. Comment dans une situation à l’ivoirienne faire confiance à une telle structure au vu du positionnement des acteurs sur le terrain ?

Et parlant de positionnement, celui de M. Laurent Gbagbo apparaît très intéressant. Avant même d’accéder au pouvoir et dans la perspective tactique de cette accession, il avait déjà choisi de se tailler un costume de résistant nationaliste et d’africaniste en face d’un pouvoir houphouëtiste dont les connexions avec l’impérialisme occidental étaient plus qu’avérées. On était alors encore dans le schéma hérité de la guerre froide lorsqu’impérialisme rimait forcément avec capitalisme et colonialisme, et socialisme avec décolonisation et autodétermination. M. Gbagbo fut donc bien avisé d’intégrer l’Internationale socialiste héritière comme l’on sait de la première internationale de 1864, mais ayant pris ses distances par rapport à la IIIè Internationale dite communiste et sous les ordres de Moscou. Il s’agissait d’un choix rassurant par le fait qu’il tournait le dos à toute velléité révolutionnaire pour une vision politique résolument réformiste, donc toujours ancrée dans le monde libéral. Il n’empêche que le socialisme, même libéral, apparaît aux yeux de l’opinion, surtout de celle des tiers-mondes, comme une force de progrès, et que s’en recommander revient à s’octroyer un label de bonne intention à défaut de bonne conduite.

Lorsque la France sarkozyste a réuni au lendemain du couac du 28 novembre 2010 une unanimité internationale rare derrière M. Alassane Ouattara contre M. Laurent Gbagbo, la chose aurait pu faire réfléchir certains, mais ce phénomène exceptionnel au regard de la géopolitique fragmentée de ce début du XXIe siècle a été balayé du revers de la main. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il est notoire, du moins pour les élites africaines actuelles, que nous sommes à l’aube d’un autre 1884 qui vit à la conférence de Berlin décider du partage de l’Afrique. Rappelons pour mémoire que la conférence de Berlin marquait une sorte de fin de cycle : le congrès de Vienne (1er novembre 1814 9 juin 1815)  et celui de Berlin (13 juin au 13 juillet 1878) avaient déjà permis de partager et repartager l’Europe et le Moyen-Orient ; les sorts des Amériques et de  l’Asie étaient déjà réglés. Bon dernière en raison de la faiblesse de l’intérêt qu’elle avait jusque-là suscité, l’Afrique se retrouvait dans le collimateur quand tout le reste avait été pris. Aussi, pour éviter de s’y déchirer comme cela avait été le cas ailleurs – en Europe et au Moyen-Orient entre l’Angleterre, la France, la Prusse, la Russie et l’empire austro-hongrois sans oublier les Ottomans ; en Amérique du Nord entre la Grande-Bretagne et la France ; en Amérique latine, entre entre le Portugal et l’Espagne ; en Asie entre les multiples compagnies des Indes occidentales puis les armées impériales. Il suffit de songer aux batailles navales  qui ont envoyé par le fond d’innombrables navires, hommes et biens, dans l’Atlantique et l’Océan Indien. Perspective affreuse que la conférence de Berlin permit aux puissances européennes d’éviter à travers un partage plus ou moins non conflictuel de l’Afrique. En ce début du XXIe siècle, avec le réveil de l’Asie et de l’Amérique latine – ces continents ont désormais des puissances locales dont le poids ne permet plus à des puissances extérieures d’y venir dicter leurs lois ; le Moyen-Orient semble voué à échapper à terme à tout contrôle extérieur et en tout cas constitue pour l’instant un espace d’incertitude - l’Afrique apparaît  une fois de plus comme l’une des rares régions du monde que des forces extérieures peuvent investir, sur le mode impérial. On ne peut donc que comprendre la réaction de l’intelligentsia africaine sur la situation de la Côte d'Ivoire : celle-ci apparaît aux yeux d’une large frange de cette élite comme un terrain expérimental de nouvelles formes d’asservissement de l’Afrique.

Pour mener à bien les luttes de son époque, chaque génération a besoin de symboles, de mythes forts pour sortir les masses de leur torpeur et les mobiliser. Généralement, pour les besoins de la cause, des figures surgissent du passé lointain ou proche : Chaka, Lumumba, Um Nyobe, Sankara etc. Exceptionnellement, ils peuvent s’incarner dans des hommes du vivant de ces derniers : Che Guevara, Martin Luther King Jr, Gandhi, Nelson Mandela… Ces figures sont ainsi instrumentées pour mettre en œuvre des programmes de transformation des sociétés. Dans les rues de Tunis au cours de l’actuelle révolution dite de jasmin, des banderoles à l’effigie de Che Guevara ont fleuri sous l’œil des caméras des médias internationaux. Peut-on imaginer dans quelques décennies des banderoles à l’effigie de  M. Gbagbo dans les rues de Yaoundé ou de Montevideo ? Peut-on dès aujourd’hui hisser le sympathique politicien ivoirien au rang de figure mythique de la libération de l’Afrique comme n’hésitent pas à le faire certaines intelligences africaines même parmi les plus  aiguisées ? L’une d’elles pour qui j’ai le plus grand respect n’affirme-t-il pas que « Il ressort de toutes ces considérations que pour le destin de l’Afrique, et bien au-delà de sa personne, Laurent Gbagbo s’apparente à une espèce en voie de disparition » ? Et d’ajouter, dans une emphase sûrement involontaire, que « Avant Gbagbo, Lumumba et Um Nyobe ont voulu briser la chaîne de cet embastillement sociopolitique, économique et culturel ». M. Gbagbo est-il digne en l’état actuel des choses, de fréquenter le beau monde des immortels convoqué ci-dessus ? On peut légitimement en douter, sans que cela enlève à ce dernier un certain nombre de mérites que l’on doit lui reconnaître.

En effet, si M. Gbagbo était un mythe, il serait un mythe bien hétérogène, donc friable, utilisable tout de même, mais sans réelle garantie de résultat positif. Ce ne serait déjà pas si mal, d’autant que son adversaire de l’heure, M. Alassane Ouattara, n’est même pas nominé pour cet auguste statut. Il faut néanmoins le dire, nominer M. Gbagbo, ce n’est pas déjà le sacrer, c’est tout juste le soumettre à l’examen des experts. M. Gbagbo semble avoir en effet toutes les apparences en faveur de sa candidature. Il est membre de l’Internationale socialiste. Mais justement, l’Internationale dite socialiste est-elle socialiste ? Autrement dit, s’agit-il d’une alternative crédible au (nouveau)libéralisme ? On peut en douter : la social-démocratie peut être keynésienne dans ses frontières nationales, il n’empêche que dans ses rapports à l’internationale et notamment avec la périphérie, elle n’hésite pas une seconde à endosser le vieil costume impérialiste dont on sait qu’il est capitaliste depuis la fin du XIXe siècle. Son caractère fondamentalement paternaliste peut passer pour de la compréhension, mais ne saurait être confondu avec de la fraternité. Et puis justement, au niveau des principes, la social-démocratie est supposée être non pas nationaliste, mais internationaliste. Le nationalisme souverainiste sourcilleux dont se revendique M. Laurent Gbagbo est-il compatible avec cet internationalisme ? En outre, au-delà du paraître, du dire, ce nationalisme souverainiste dont se réclame M. Gbagbo correspond-il à l’être et au faire du personnage ?

S’il est un côté par lequel M. Gbagbo a séduit la plupart des intellectuels africanistes, c’est son discours passionnément nationaliste, africaniste. On en oublie qu’il s’est agi au départ d’un discours d’opposant en quête de crédibilité et de légitimité politique. Pour avoir quelques chances en face de la machine houphouëtiste connectée dans des rapports vassaliques plus à la droite qu’à la gauche française – c’est Houphouët qui avait assassiné la gauche africaine anticoloniale en tuant le Rassemblement démocratique Africain (RDA) né à la faveur de la montée en puissance de la gauche européenne symbolisée en France par le pouvoir du Front populaire de Léon Blum  -   M. Gbagbo en bon historien avait bien compris qu’il lui fallait se ménager des soutiens à Paris. Cela permettait notamment de faire vérifier sa fréquentabilité – le crime d’appartenance au communisme international est toujours aussi hideux aujourd’hui vu d’Occident malgré la fin de la guerre froide - et la vérification dut être positive puisqu’il se vit intronisé en 2000 par le Parti socialiste alors au gouvernement de France avec M. Lionel Jospin. On ne doit pas oublier que, si le maître d’ouvrage de cette réussite fut bel et bien le PS français, le maître d’ouvre n’était autre qu’un certain  M. Guy Labertit, parrain et ami personnel de M. Gbagbo. Et ce dernier tout comme ce même PS - à l’exception notable de quelques personnalités comme M. Emmanuelli ces derniers temps – est resté fidèle à M. Gbagbo dans la tourmente. Ce n’est donc pas la France qui est contre M. Gbagbo, ce n’est qu’une certaine France, et elle se trouve malheureusement être celle qui compte en ce moment, la France sarkozyste. Une fois que l’on a dit ceci, l’on se trompe encore jusqu’à un certain point.

En effet, la France du pouvoir ne se limite pas à M. Sarkozy et à ses amis politiques. Elle compte aussi surtout les magnats des affaires : M. Bolloré, les patrons de Total fina elf, Bouygues, et j’en passe, qui ont des intérêts colossaux dans la Côte d'Ivoire de M. Gbagbo, et qui n’entendent pas les perdre. La filière cacaoyère ivoirienne, longtemps contrôlée par l’État ivoirien sous Houphouët jusqu’à un certain point au bénéfice du planteur – cf. La guerre du cacao en 1988 et l’histoire de la défunte caisse de stabilisation des prix – a été libéralisée (apprécier le terme qui n’a rien de socialiste ni même de social-démocrate) sous M. Gbagbo et livrée aux appétits gloutons des multinationales dont l’une des plus importantes n’est autre que la filière française de l’Américain Cargill dont l’affiliation au néolibéralisme est notoire. Il y a là, il faut l’avouer, de sérieux accrocs aux prétentions souverainistes de M. Gbagbo. Qu’en est-il se son nationalisme proclamé avec la conviction que chacun sait ?

M. Gbagbo arrive au pouvoir en 2000 à la faveur d’un vote sanction contre les dérives communautaristes d’un certain Konan Bédié, artisan de la politique de l’ivoirité dont sont victimes et M. Ouattara, et une bonne frange des populations du nord de la Côte d'Ivoire. Il suffit d’observer la carte de l’élection présidentielle ivoirienne de 2000 : le vote pro Gbagbo y dessine une diagonale : un tiers ou à peu près dans le nord-est, le reste dans le sud. Cette carte exprimait un appel du pied de la part de ceux que le discours nationaliste de M. Gbagbo avait séduits, et qui espéraient qu’une fois au pouvoir ce dernier le mettrait en application. M. Gbagbo arrive au pouvoir et ne semble par pressé de répondre à ces attentes, puisque la politique de l’ivoirité est maintenue et, disent certains, renforcée. Révolté, le nord est dès lors prêt à  l’aventure. Est-ce M. Alassane Ouattara qui la lui propose ? L’histoire le dira. Il n’en reste pas moins qu’il en avait le mobile. En avait-il les moyens ? Qui sait ? En tout cas, la carte électorale du 28 novembre 2010, désormais en médiane, montre bien que M. Gbagbo a eu le temps de perdre ce qu’il avait gagné dans le nord de la Côte d'Ivoire. Mettre cela sur le compte du seul M. Alassane Ouattara, c’est prêter à ce dernier un pouvoir qu’il ne pourrait avoir. Quoi qu'il en soit, il est évident qu’en dix ans de pouvoir, dans une Côte d'Ivoire divisée en deux - ce qui veut dire que le besoin de ressouder les morceaux était à la fois à ciel ouvert et politiquement incontournable dans la perspective d’éventuelles élections et l’on parle d’élection dans ce pays depuis 2003 avec les accords de Marcoussis – M. Gbagbo a perdu le pari de la réconciliation nationale. Les effets des manipulations électorales pourraient corriger plus ou moins ce constat, mais pas l’invalider. On peut d’ailleurs remarquer, en scrutant la carte des résultats de l’élection de 2010, que M. Alassane Ouattara gagne deux départements dans l’extrême sud ivoirien, ce qui lave clairement le peuple ivoirien de la présomption d’un communautarisme fanatique.

Que dire finalement au regard de tout ceci ?

D’abord, à notre sens, que la querelle électorale en Côte d'Ivoire est un mauvais prétexte. Il ne s’agit au fond que d’une chausse-trappe dont la principale victime est le peuple ivoirien. Les protagonistes de cette mauvaise farce, quel que soit leur bord, savaient très bien qu’ils conduisaient le peuple ivoirien à la tragédie. Relisons avec attention le rapport de M. Mbeki dont on sait qu’il fut un soutien actif de M. Gbagbo du temps où il dirigeait l’Afrique du Sud : « Cette guerre naîtra des conséquences des points inachevés de la rébellion de 2002, dont l’impact négatif s’est accentué avec les élections présidentielles. Il faut prendre soin de ne pas présenter la crise ivoirienne comme étant un conflit entre « les bonnes gens » et les « mauvaises gens », ce qui rendrait l’idée d’un accord négocié beaucoup plus difficile. La crise actuelle est née des problèmes structurels profonds qui ont pris forme dans la société ivoirienne. Il est donc très important de les connaître et de les régler tous ensemble si l’on souhaite arriver à une solution durable et complète de la crise ». Conclusion remarquable de rigueur. Et quel était l’un de ces problèmes au moment critique du scrutin du 28 novembre ? Le désarmement des forces rebelles et des milices diverses. Le rapport de M. Mbeki dit clairement: « M. Choi (représentant du SG de l’ONU) dit avoir conseillé aux deux parties ivoiriennes de respecter cette disposition. Il dit avoir prévenu les parties en indiquant que si elles acceptaient d’aller aux élections sans la mise en œuvre de cette disposition, alors, elles ne devraient pas formuler des requêtes liées aux allégations d’irrégularités du scrutin dans la zone concernée et sous le contrôle des forces nouvelles ». Et même si pour certains cette déclaration du représentant des Nations Unies est suspecte, elle reste tout de même marquée au coin du bon sens. Pourquoi avoir dès le départ accepté des conditions de non-transparence pour ensuite s’en plaindre à l’arrivée ? On peut argumenter avec conviction que c’est parce que l’un tenait la CEI et l’ONU, et l’autre le Conseil constitutionnel. Légitimité internationale contre légalité nationale. Mais quelle place a-t-on assignée à la légitimité nationale qui seule peut consacrer valablement le vainqueur d’une joute électorale ? Il peut paraître plus convaincant de s’aligner derrière la légalité nationale au nom de la défense de la souveraineté nationale de Côte d'Ivoire, mais quel intellectuel africain est prêt à en faire une jurisprudence impérative à l’usage de toute l’Afrique ?

Dans l’élection présidentielle camerounaise de 1992 dont certains continuent à soutenir que M. Biya l’avait perdue, la Cour suprême statuant en lieu et place du Conseil constitutionnel avait donné raison à M. Biya contre M. Fru Ndi, faisant prévaloir une légalité peu discutable sur une légitimité douteuse. Les dessous de l’élection gabonaise de juin 2000 qui vit porter à la présidence du pays M. Ali Bongo fils de feu Omar Bongo Ondimba ont depuis été dévoilés grâce à un documentaire diffusé sur une chaîne occidentale, et l’on sait aujourd’hui que le prétendu vainqueur n’était arrivé au mieux qu’en 3e position : ah, françafrique, quand tu nous tiens ! Il n’empêche que la cour constitutionnelle gabonaise, en toute souveraineté, l’avait proclamé vainqueur. Que faut-il penser du discours de M. Mba Obame lorsqu’il dit que « le vote des Gabonais est plus fort que la décision d’une cour constitutionnelle aux ordres » et que cette cour, « en ignorant le vote du peuple gabonais pour servir les intérêts d’un clan et imposer son candidat à la tête du pays, s’est disqualifiée d’elle-même » ?

Il faut aussi dire que  des voies pour soustraire l’Afrique des appétits voraces des impérialistes de tous bords existent, mais qu’elles ne sont pas toutes bonnes. L’une des mauvaises consiste à sombrer dans l’hystérie collective pour s’embarquer, dans un romantisme de mauvais aloi, derrière un Messie qui n’en est pas un. Et une telle hystérie est proportionnellement plus dommageable quand elle est portée par des intellectuels. L’Afrique n’a pas été et n’est pas le seul terrain de chasse de l’impérialisme international. Quand la société sud-africaine MTN s’implante au Cameroun, c’est pour défendre des intérêts qui ne sont ni camerounais, ni africains, mais prosaïquement sud-africains. Lorsque vous observez ce qui se passe aujourd’hui en Syrie, en Irak comme en Iran, en Colombie comme au Venezuela, il s’agit d’un affrontement entre les forces du marché qui sont internationales depuis la fin du XIXe siècle, et les forces internes à chacun de ces pays. L’Afrique n’a donc pas le monopole des méfaits du colonialisme ou de l’impérialisme, même si elle peut en avoir payé le prix le plus fort en raison de sa fragilité interne.

Une autre des voies à ne pas promouvoir est celle de la démagogie politique. Elle consiste à prêcher à gauche tout en agissant à droite. On sait comment le discours omniprésent sur la construction de l’unité nationale a pendant 50 ans couvert une politique de démolition de toutes les bases de l’édification d’un État viable en Afrique, et donné naissance à des entités divisées, déchirées de conflits qui ici et là ont débouché sur des guerres meurtrières comme au Biafra en 1967, ou sur des génocides comme au Rwanda et au Burundi ou au Darfour. Le nationalisme comme le souverainisme ne sauraient être de simples rhétoriques. L’anti-impérialisme orienté vers l’extérieur ne peut se légitimer que dans la mesure où il s’accompagne d’une lutte crédible contre le communautarisme intérieur.

Quant aux intellectuels, en face de tragédies comme celle qui se profile pour la Côte d'Ivoire, leur rôle consiste surtout à faire la part des choses dans une analyse objective et sans complaisance. L’intellectuel ne fait pas feu de tout bois parce que justement il sait que tous les moyens ne sont pas bons même s’ils sont efficaces. Se laisser aveugler par la haine, même méritée de l’Occident, n’est point ni sage ni intellectuel. L’Occident n’a aucune vocation romantique à travailler pour le bonheur des Tiers-mondes. Il a ses problèmes qu’il arrive de moins en moins à résoudre, et il sait que si d’aventure, par une espèce de complaisance humanitariste, il laissait sa situation interne lui échapper, il le paierait cher, et pourrait revivre des époques de barbarie semblables à celles qu’il vécut à l’époque de la Grèce puis de la Rome antiques. C’est une perspective plus effrayante pour les dirigeants occidentaux que toutes les récriminations des intellectuels africains.

Au contraire, il s’agit pour nous d’être pragmatiques. La Chine a connu l’humiliation des traités inégaux, la guerre des Boxers comme de l’opium, mais elle les a surmontées et traite aujourd’hui avec l’Occident sans le moindre complexe, si ce n’est à l’occasion un complexe de supériorité. Elle nous a enseigné que peu importe la couleur du chat, pourvu qu’il attrape la souris. Lorsque la Chine opte entre les deux guerres pour la voie communiste, ce n’est ni par haine de l’Occident, ni par amour pour l’Union soviétique : c’est par pragmatisme. À ce moment-là, l’affrontement qui oppose le monde capitaliste à l’Union soviétique fait du second un allié objectif qui se trouve être en plus un voisin avec qui elle partage une longue frontière. La décision est vite faite. Révolution culturelle, grand bond en avant, tout cela ne tiendra cependant que le temps pour la Chine de rebâtir les bases de sa puissance interne et externe. Et elle peut désormais, mais progressivement se défaire du carcan du communisme, pour certainement retourner à son capitalisme des grands seigneurs, si féodal par certains de ses aspects, tel qu’il l’a vécu tout au long de son histoire plusieurs fois millénaire. Quant à nous, allons-nous nous consumer dans une haine improductive de l’Occident ? Dans l’état actuel des choses, si ce n’est aux mains de l’Occident, ce sera bientôt à celles de la Chine, de l’Inde, c’est-à-dire de l’Orient, à moins que ce ne soit celles de l’Amérique latine que nous allons tomber.  «La vraie passion du XXe siècle, c’est la servitude», disait Albert Camus. Il y a là une petite erreur d’échelle : ce n’est pas seulement la vraie passion du XXe siècle, c’est la seule vraie passion de l’humanité. D’ailleurs, le même Camus qui se trompait rarement ne disait-il pas dans La Chute que « L’homme a besoin d’esclave comme d’air pur » ? Et où satisfaire un tel besoin si ce n’est chez des peuples qui ont développé et s’y complaisent une mentalité d’esclave ?

Roger Kaffo Fokou


Médias: Entre mercantilisme, conformisme et révérence
Dans la lutte pour l’hégémonie mondiale(1), les puissances politiques dominantes(2) et les principaux groupes de résistance(3) mobilisent plus ou moins efficacement les moyens en leur possession, notamment les moyens médiatiques(4), en vue de s’assurer la suprématie ou une position de choix à l’échelle mondiale. Dans ce combat plusieurs fois séculaire(5), les opinions publiques(6) ciblées par les différentes entités (dominantes et dominées) qui s’affrontent ont un rôle souvent déterminant(7) quant à l’issue de la bataille. Pour garantir autant que possible l’adhésion de ces opinions à une ligne politique, idéologique, sociale ou culturelle donnée ces entités exercent une influence plus ou moins forte sur les médias de masse les plus usités, notamment la télévision et les réseaux sociaux de communication internet.
En effet, le 20ème et le 21ème siècle sont caractérisés par une mondialisation à outrance des technologies de l’information et de la communication instantanées. Or, de ce fait même, cette communication transcende les frontières. Il s’en suit qu’une simple information, pourvu qu’elle soit habilement utilisée, peut causer autant de dégâts à la cause d’un ennemi désigné et ciblé (et servir la cause de celui qui la manipule) qu’une attaque militaire. Ces technologies acquièrent pour ainsi dire une valeur hautement stratégique à l’échelle planétaire.
Or, il se trouve que dès l’enfance nous sommes inconsciemment habitués à considérer les médias comme une source fiable d’informations ; les journalistes comme des personnes libres. Puis, les années passant, pour peu que notre regard critique s’affine, certains paradoxes finissent par nous interpeller : les médias sont censés être neutres, mais ils soutiennent la plupart du temps les pouvoirs politiques et économiques(8) ; les médias sont censés être les miroirs de la réalité, mais certains sujets sont marginalisés voire occultés ; les médias sont de plus en plus nombreux, mais leur uniformité est souvent flagrante.

Ces paradoxes sont d’autant plus surprenants qu’on se trouve généralement en présence de médias opérant, pour les plus importants d’entre eux, au sein de sociétés dites démocratiques car, dans un régime totalitaire, il va de soit que les médias sont contrôlés par le pouvoir politique ; la censure et la propagande se devinent aisément. Mais, dans les démocraties représentatives occidentales, les médias sont censés être libres et animés par une exigence de vérité. Dans ces conditions, pourquoi présentent-ils la réalité d’une manière qui favorise les pouvoirs politiques et économiques ? Par quels mécanismes certains sujets sont-ils éliminés, certaines opinions marginalisées ?

I. Le conformisme des médias est la conséquence d’une logique économique.

Pour répondre à ces questions, Noam Chomsky et Edward Herman proposent, dans La fabrique de l’opinion publique, une analyse portant sur trente ans de traitement médiatique aux Etats-Unis. Celle-ci arrive à la conclusion que le conformisme des médias n’est pas nécessairement le résultat d’un ‘’complot organisé’’ par des officines politiques métropolitaines occidentales, mais avant tout la conséquence d’une logique économique implacable.

A. Six facteurs structurels comme autant de ‘’filtres’’ des nouvelles publiables

En effet, l’analyse révèle que les médias occidentaux sont, eux aussi, devenus des industries capitalistes dont les contraintes financières déterminent en général, sauf cas exceptionnels, le contenu et la qualité des informations. La fabrique de l’opinion publique décrit cinq facteurs structurels de l’industrie médiatique, comme autant de ‘’filtres’’ qui sélectionnent, parmi la réalité, les nouvelles publiables, les critiques à marginaliser ou à taire. Ces cinq facteurs structurels sont : la propriété capitaliste des médias ; la prédominance des financements publicitaires ; la concentration des sources d’information ; la puissance des lobbies conservateurs et l’idéologie anticommuniste. Ces deux derniers facteurs constituant une particularité des Etats-Unis. Il existe un sixième facteur structurel : l’influence de l’État.

1. Les industries médiatiques sont sous la pression de propriétaires

La dynamique opératoire de ces différents facteurs peut être observée en France comme aux États-Unis où la quasi-totalité des médias sont aux mains de multinationales dont les actionnaires sont principalement préoccupés par la recherche de profits économiques. Souvent cotées en bourse, les industries médiatiques sont sous la pression de propriétaires qui ont l’œil sur les résultats et exigent des retours sur investissement de l’ordre de 10 ; 25, voire 50%. Depuis les années 90, ce contrôle capitaliste des médias se double d’une dynamique de concentration. En France, la plus grande partie des médias sont détenus par cinq multinationales : Bouygues, Dassault, Lagardère, Bertelsmann, Vivendi-Universal, empires financiers dont le chiffre d’affaire oscille entre 10 et 25 milliards d’euros(9). La concentration capitaliste des médias est elle-même liée à celle des richesses. En France, une quinzaine de familles contrôlait environ 35% de la capitalisation de la Bourse de Paris en 2004. Plus de la moitié des dix familles les plus riches de France se sont lancées dans l’industrie médiatique et publicitaire : Arnault, Dassault, Pinault, Decaux, Bouygues, Bolloré, autant d’acteurs évidemment intéressés par la perpétuation et l’épanouissement du capitalisme.

Par ailleurs, l’attrait des multinationales pour les médias n’est pas seulement financier. Il est également politique, dans la mesure où le développement des grands secteurs d’activités industrielles dépend fortement des marchés publics octroyés par l’État. Dans cette logique de compétition farouche qui oppose les grandes entreprises souhaitant s’accaparer de parts de marchés, la possession d’outils médiatiques constitue un atout redoutable pour influencer les décideurs politiques. De plus, ces outils contribuent grandement à renforcer des liens pourtant déjà étroits entre le monde industriel et le pouvoir politique(10).

2. La concentration des médias s’accompagne d’un enchevêtrement des intérêts

Au renforcement de ces liens s’ajoute un jeu de participations croisées qui abouti à la concentration des médias suivi d’un enchevêtrement des intérêts. Ainsi par exemple, si Bouygues est le premier actionnaire de TF1, les groupes Pinault (Fnac, Printemps, Le Point, Radio BFM…) et Arnault (La Tribune, Investir, Lvmh…) en sont également actionnaires. Il en découle que de manière générale, les magnats de l’industrie médiatique partagent souvent les mêmes conseils d’administration et savent nouer des alliances fructueuses. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer la relation entre Dassaut et Lagardère, qui contrôlaient ensemble 70% de la presse en 2005. D’ailleurs, c’est dans ce sens qu’Arnaud Lagardère déclarait : « Il faut que nous arrivions à une entente et même une coopération étroite avec Dassault. » (Arnaud Lagardère, Les Echos, 13/06/03).

3. Des sources de financement de moins en moins le public
A cette concentration de la propriété des médias s’ajoute la problématique de leur financement. En effet, les sources de financement des médias sont de moins en moins le public (ventes, redevance audiovisuelle...) et de plus en plus la publicité. C’est ce constat qu’effectuait le directeur de TF1 lorsqu’il expliquait avec beaucoup de sincérité que le but capitaliste d’un média industriel est de vendre l’attention du public aux annonceurs publicitaires. C’est pourquoi les agences publicitaires ne financeront pas des médias mettant sérieusement en cause les activités des grandes firmes de l’automobile, de la grande distribution, de la téléphonie, etc. il s’en suit qu’en règle général ces médias éviteront des contenus complexes qui bouleversent les idées reçues des populations, ainsi que les controverses dérangeantes qui risquent de gâcher l’envie d’acheter et de se divertir. Et si par inadvertance il arrivait qu’ils en parlent, ils le feront sur un mode caricatural ou confus.

Dans cette logique, seront marginalisé les informations concernant : les mouvements squat ou féministes, les collectifs de soutien aux détenus, les collectifs contre la torture ou la répression policière, la situation dans les prisons, les hôpitaux psychiatriques ou les maisons de retraite, les détournements de fonds publics, le commerce des armes par les pays occidentaux, la destination finale de l’aide publique au développement, la situation des droits de l’homme dans les pays alliés aux grandes puissances occidentales, les conséquences sociales des politiques de la Banque Mondiale, les nuisances de l’agriculture intensive, la Françafrique, etc.

4. Les conséquences de l’information ‘’clé en main’’

Cette sorte de censure financière des agences publicitaires est rendu possible par le fait que le journalisme d’investigation nécessite du temps et de l’argent. Or, suivant la logique capitaliste, il est plus rentable de privilégier l’information ‘’clé en main’’, mobilisant moins de journalistes. Cette situation privilégie :

Les multinationales, les institutions publiques ou privées, lobbies, etc., qui disposent de cabinets de communication aux budgets parfois colossaux ;
Les agences de presse comme l’Associated Press (Etats-Unis), Reuters (Angleterre) et l’Agence France Presse (AFP)(11) qui, au niveau mondial, fournissent l’essentiel des informations ;
Quelques médias ‘’de référence’’ disposant de moyens d’enquête, notamment les journaux Le Monde, Le Figaro, Les échos, etc.

En effet, force est de constater que de nombreux médias se contentent de puiser les informations dans ce type de sources et de les mettre en forme. D’ailleurs, les journaux gratuits grand public constituent sans doute le cas extrême de cette démarche. Ainsi, les journaux gratuits 20 minutes et Métro, diffusés ensemble à plus d’un million d’exemplaires, totalisent tous deux à peine une centaine de journalistes, contre 100 à 250 journalistes par journal pour des quotidiens beaucoup moins diffusés comme Libération ou Le Monde. Il s’en suit que le succès des journaux gratuits renforce les pires tendances de l’industrie médiatique : une information simpliste, consensuelle et commerciale.

5. L’influence de l’idéologie.

A ces dérives imputables à la logique capitaliste de la recherche effrénée du profit, il faut ajouter un autre point commun de la majorité des journalistes occidentaux, à savoir leur idéologie. « Pour résumer leur croyance fondamentale, on pourrait dire qu’ils croient sincèrement au bilan finalement positif d’un capitalisme à visage humain, et ils croient que cette croyance n’a rien d’idéologique ni de dépassé. Ils voient bien, par exemple, les innombrables manifestations d’inhumanité de l’ordre capitaliste partout où il a libre cours mais, ils se refusent à y voir un trait consubstantiel, inhérent à l’essence même du capitalisme, pour en faire un simple accident. Ils parlent de ‘’dysfonctionnements’’, de ‘’dérives’’, de ‘’bavures’’, de ‘’brebis galeuses’’, condamnables certes, mais qui ne compromettent pas le principe même du système qu’ils sont spontanément enclins à défendre. »(12)

C’est ainsi que s’est constituée à une classe dominante de journalistes, qui rassemble les responsables de l’industrie médiatique. Elle se recrute parmi les éditorialistes, les présentateurs et les journalistes renommés et généralement sélectionnés par les propriétaires des journaux. Ils partagent avec les milieux économiques et politiques non seulement des intérêts communs(13), mais surtout l’idéologie dominante. Les journalistes les plus influents sont ouvertement favorables aux guerres des puissances occidentales, à la croissance, aux privatisations, aux choix politiques du pouvoir en place. C’est à ce niveau que le conformisme des médias cesse d’être la conséquence d’une logique économique pour se transformer en stratégie de communication au service d’une politique d’Etat. En règle générale, une telle métamorphose a cours lorsque la puissance politique s’exprime à l’étranger ; exceptionnellement, cela peut se produire au plan interne des sociétés occidentales.

II. Le conformisme des médias comme conséquence d’une logique de politique étrangère.

En effet, dans l’arène des relations internationales et surtout interétatiques, la liberté de presse tant clamée et vantée en Occident perd sérieusement de sa substance pour s’aligner sur la raison d’état. Bien sûr, il y a forcément des exceptions mineures à ce constat. Mais la règle est bien à l’affirmation continue de la pensée et du modèle unique occidental. L’État peut donc être considéré comme un facteur structurel de l’industrie médiatique occidentale dans sa dynamique internationaliste. Cela participe d’une stratégie de domination idéologique, économique et culturelle du monde hors occident par le moyen du monopole médiatique et communicationnel.

A. Plusieurs chaînes de télévision et de radio appartiennent aux Etats
Pour ce faire, au niveau national, plusieurs chaînes de télévision et de radio appartiennent aux Etats, à l’instar de la très célèbre radio Rfi qui est d’ailleurs rattachée au Quai d’Orsay (Ministère français des affaires étrangères). Il faut aussi noter que la chaîne de télévision française France 24 a été expressément crée par l’Elysée dans un but de stratégie médiatique internationale. Il était question de faire entendre la voix de la France (ou plus exactement du gouvernement français) à l’étranger. Leurs dirigeants sont généralement nommés sur des critères politiques. Ainsi en France, pays phare du camp occidental, le Pdg de France Télévision, Patrick de Carolis, est un proche de Jacques Chirac. Tout comme le Pdg de Radio France, Jean- Paul Cluzel, est un intime d’Alain Juppé et proche de Nicolas Sarkozy. Il ne cache d’ailleurs pas ses « idées de droite, catholiques et libérales ». Au niveau local, les mairies, communautés de communes, conseils généraux et régionaux possèdent de nombreux journaux d’informations. Ils exercent de plus une influence sur les médias locaux par les subventions qu’ils leur allouent. L’Etat français a également une influence sur l’Afp, principale source française d’informations, et le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (Csa), organisme de contrôle des médias. Bien que l’Afp soit théoriquement indépendante des pouvoirs publics, l’État français constitue sa principale source de revenu et peut faire des pressions sur les nominations. Il en va de même pour le Csa, dont les 9 membres sont nommés par le Sénat, l’Assemblée nationale et le président de la République. Actuellement d’ailleurs, les 9 membres appartiennent à l’Ump. Il s’agit de : Dominique Baudis (maire de Toulouse), Sylvie Genevoix (ex responsable à Madame Figaro), Marie-Laure Denis (ex cabinet du maire de Paris Jean Tibéri), Agnès Vincent (réalisatrice pour France 3 de l’élogieux documentaire Bernadette Chirac, première dame de France).
Le monopole de la production de l’information est un objectif affiché. Ainsi, dans les années 1970, près de 80% des informations qui circulent dans le monde émanent de quatre agences de presse occidentales : Associated Press, United Press International, l’Agence France Presse et Reuters. Ces agences ne consacrent qu’entre 20 et 30% de leur information aux pays en développement qui, pourtant, représentent les trois quarts de l’humanité (Char, 2000 ; Magrebi, 1980 ; Masmoudi, 1979). Pour assurer cette domination médiatique mondiale, les pays développés ont invoqué l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, qui consacre le principe de la libre circulation de l’information (free flow of information). Par contre, les pays en développement ont toujours réclamé une information libre, certes, mais équilibrée. C’est dans ce but qu’ils ont dénoncé, dans le cadre de la Commission McBride, mise en place par l’Unesco pour réfléchir sur les problèmes et enjeux d’un Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic), les distorsions contenues dans l’information diffusée par les médias occidentaux sur leurs réalités (Abel, 1984 ; Masmoudi, 1979).

Malheureusement, le Nomic a été un échec douloureux car il a créé plus de problèmes à l’Unesco14 qu’il n’a satisfait les revendications des pays en développement (Char, 1999).

A. Le conformisme des médias occidentaux tourné contre l’Afrique

Les distorsions médiatiques des réalités africaines sont évidentes. Les bonnes nouvelles qui viennent de l’Afrique sont rarement présentées dans les médias occidentaux comme le fruit des efforts des Africains eux-mêmes. Elles sont, soit le fait de l’intervention d’un pays, d’une institution ou d’une personnalité en Occident, soit le fait de la providence ou du hasard. C’est pour cela que certains auteurs parlent de couverture idéologique du Tiers-Monde(15). L’information venant de l’Afrique conforte ainsi les pensées néocoloniales(16), renforce les préjugés contre l’Afrique et justifie l’afro-pessimisme. Tout tend à faire croire que si l’Afrique n’est pas une cause perdue, elle a forcément besoin de l’Occident pour se développer.

1. La thèse idéologique et commerciale justifiant l’hostilité médiatique occidentale à l’égard de l’Afrique

En vue d’expliquer cette diabolisation et cette infantilisation des sociétés et des élites africaines par les médias occidentaux, diverses théories ont été avancées. En effet, certains auteurs pensent que les médias choisissent, pour des raisons idéologiques, de traiter l’information sur le Tiers-Monde de façon biaisée(17). Selon Van Dijk et Smitherman-Donald (1988), « les médias ne font pas que rapporter passivement les faits, pas plus qu’ils ne reflètent le consensus ethnocentrique ; ils contribuent à le construire et à le reproduire. Ils grossissent les attitudes de la minorité dominante, réinterprètent et diffusent cette idéologie à ceux qui ne détiennent pas le pouvoir, mais qui néanmoins sont les membres du groupe dominant : celui des Blancs »(18). La thèse idéologique a été mise en avant dans les premières études du Glasgow Media Group (1980, 1976), et a même trouvé un écho favorable sur les tribunes de l’Unesco. En effet, dans son rapport sur le Nomic, la Commission McBride soutient que « [l]’opinion publique des pays industrialisés n’aura pas véritablement accès à une information complète sur le Tiers-Monde, ses exigences, ses aspirations et ses besoins, tant que les modèles de l’information et de la communication ne s’affranchiront pas du sensationnalisme et du style de présentation des nouvelles qui les caractérisent actuellement et qu’ils ne se dépouilleront pas de tout préjugé ethnocentrique […] » (Unesco, 1986). D’autres auteurs expliquent le contenu de l’information internationale relative aux pays en développement par la logique commerciale des décideurs des médias, qui sont prêts à formater cette information en fonction des goûts de leurs publics(19). Ainsi, la couverture de l’actualité africaine n’échapperait pas à la course aux audiences. Mais, très vite, les objectifs idéologiques et commerciaux peuvent évoluer vers l’impérialisme néocolonial.

2. La thèse impérialiste justifiant l’hostilité médiatique occidentale à l’égard de l’Afrique
Pour illustrer la thèse de l’impérialisme néocolonial, il suffit de considérer le cas contemporain de la République de Côte d’Ivoire. Dans ce pays, la France et sa force Licorne, à côté - et surtout aux côtés dit-on – de M. Alassane Ouattara, s’est rendue suspecte puis impopulaire auprès d’une certaine frange de l’opinion ivoirienne et africaine lorsqu’elle s’est heurtée aux forces armées de M. Laurent Gbagbo et qu’elle a neutralisé en novembre 2004 l’aviation militaire ivoirienne. La légitimité de ce dernier n’était nullement encore en question et ses forces armées étaient considérées par tous comme les forces armées nationales de Côte d’ivoire (Fanci). Dès lors, la force Licorne est apparue comme une force d’occupation, quoi qu’en disent les accords secrets d’indépendance de 1961 qui ne sont plus guère aujourd’hui que des secrets de polichinelle. Et d’ailleurs, comment admettre qu’une force qui coûte à la France pas moins de 200 millions d’euros(20) par an soit installée en Côte d’ivoire depuis 2002 pour le bien de ce pays ?

Or, depuis le second tour de la présidentielle intervenue le 28 novembre 2010 en Côte d’Ivoire, ce pays subi une « guerre des médias »(21) incluse dans l’environnement général de son étouffement et de son étranglement économique. Dans cette logique, M. Guillaume Soro, Premier ministre de M. Alassane Ouattara et Secrétaire général des Forces Nouvelles, a demandé à l’opérateur satellitaire américain qui diffuse les signaux de la Rti de mettre fin à la diffusion des émissions de ce dernier médias. « En effet, l’opérateur avec lequel l’Etat de Côte d’Ivoire a un contrat en bonne et due forme, qui court jusqu’au 15 novembre 2011, n’a pas osé prendre le risque d’interrompre le signal, qui l’exposait à un procès, mais en revanche, il a autorisé, de façon implicite le brouillage [des] émissions [de la Rti] à partir de l’hôtel du golf »(22).

3. Multiplicité des médias occidentaux en Afrique et uniformité de l’information

Dans ce contexte, inutile de compter sur la multiplicité des médias occidentaux pour échapper à la stratégie médiatique conduite par les Etats du Nord. En effet, un média entraîne l’autre et la multiplicité des médias couvrant un événement en Afrique n’est pas le gage d’une diversité de l’information. Lorsqu’il s’agit de l’Afrique, les médias rapportent, de façon quasi unanime, les mêmes genres de faits, de la même façon, selon leurs connaissances et leurs préjugés sur l’Afrique. Les sources d’information africaines sont souvent exclues de la production de la nouvelle. Les journalistes occidentaux s’emparent du fait brut africain ou des événements spontanés comme d’une matière première qu’ils introduisent dans leur système d’agenda-setting de l’Afrique. Il en ressort une nouvelle standardisée et normalisée au goût du public. Ce faisant, les médias occidentaux dictent à leurs audiences (consommatrices passives de la chose africaine) ce sur quoi elles doivent concentrer leur attention. Si on sonde ces audiences sur les événements les plus importants de l’actualité africaine de ces derniers mois, on peut présumer que la plupart d’entre elles parleront au premier chef de la crise politique en Côte d’Ivoire. Rares sont ceux qui mentionneront les stratégies de mise en œuvre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) ou d’autres sujets cruciaux pour la démocratie et le développement en Afrique. Il en résulte que le conflit, la confrontation et la crise sont au cœur des critères de couverture des nouvelles du continent noir. Les journalistes occidentaux ne vont pas en Afrique pour faire du journalisme civique international ou pour contribuer au développement et à la démocratie en Afrique. Un ancien rédacteur en chef de l’agence Reuters a d’ailleurs exprimé l’idée qu’une nouvelle est tout simplement «la quête de vérité dans les événements » et que le journaliste « ne peut se préoccuper de l’étude des problèmes »(23). Les journalistes occidentaux vont donc en Afrique essentiellement pour rapporter ou guetter ce qui va mal. Probablement parce que c’est ce qui se vend le mieux.

Cependant, il arrive que ces journalistes interviewent les acteurs clés de l’actualité africaine, mais l’information recueillie par ce procédé est en dernière analyse traduite sous l’angle choisi par les directions de publication desdits médias. Ainsi, les sources africaines peuvent parfois contribuer à la cueillette de l’information, ou suggérer aux médias un sujet. Mais le formatage et la hiérarchisation de la nouvelle qui en résulteront obéiront aux critères de couverture de l’actualité africaine. L’absence ou l’insuffisance d’interaction entre les médias occidentaux et les sources africaines ne donne pas à ces dernières les moyens d’imposer ou de faire passer leurs propres messages.

B. Des organisations internationales en faveur de l’image de l’Afrique malgré la corruption ambiante

C’est pourquoi, ces dernières années, des organisations internationales essaient de reprendre l’initiative du redressement de l’image de l’Afrique. En mai 2002, un colloque international sur les médias en Afrique s’est tenu à Libreville (Gabon), pour se pencher, entre autres, sur l’épineuse question de l’image de l’Afrique aussi bien dans les médias occidentaux que dans les médias africains. En 1997, le Unsia (United Nations System-Wide Special Initiative for Africa) établit une stratégie de communication visant à donner une image équilibrée et réaliste du continent africain. En décembre 1999, le Pnud (Programme des Nations Unies pour le Développement) organise, à Bamako (Mali), un colloque consacré à l’image de l’Afrique telle qu’elle est diffusée par les médias. Ces initiatives visent à développer une prise de conscience quant à la réalité du continent, à travers l’analyse des atteintes portées à l’image de l’Afrique par les moyens de communication (Mezzana et Anglana, 2002).

Malheureusement, en Afrique comme dans d’autres régions du Tiers-Monde, pour influencer l’agenda des médias, les sources procèdent souvent par des moyens contraires à l’éthique et à la déontologie des médias. L’argent, le trafic d’influence, voire le charlatanisme, peuvent facilement commander le contenu des médias. Le magazine Global Journalist de l’International Press Institute rapporte qu’un ancien directeur de la télévision nationale égyptienne a été condamné à quinze ans de travaux forcés pour avoir accepté un pot-de-vin de 2 000 dollars de la part d’un médecin qui voulait apparaître dans le show populaire « Good Morning Egypt » (McGraw, 2003). Au Kenya, la presse est infiltrée par des charlatans, des escrocs et des maîtres-chanteurs. En Chine, les entreprises et les organisations non gouvernementales trouvent moins cher de payer des journalistes pour obtenir des articles favorables que de payer des publicités qui auront moins d’impact sur le public. En Russie, certains politiciens ne se cachent pas pour acheter les journalistes. Les enveloppes que les journalistes y reçoivent sont appelées zakhazukha (ce qui signifie commande). Au Nigéria on les appelle brown envelope (McGraw, 2003). Au Bénin ces enveloppes prennent le nom de communiqué final, per-diem ou consultation (Adjovi, 2002 ; Frère, 2002). Ces pratiques existent aussi dans des pays d’Amérique latine comme l’Argentine et le Chili. Elles sont moins directes, dans les pays développés (Saint-Jean, 2002 ; Day, 2000). Pour preuve, certaines sources africaines achètent facilement la presse locale et essaient même d’acheter directement ou indirectement des médias publiés en Occident pour mieux y paraître. Mais, une source africaine qui « commanderait » l’agenda d’un média occidental serait de l’ordre des exceptions. De toute façon, ce ne serait pas la meilleure façon d’améliorer l’image de l’Afrique dans les médias occidentaux.
Georges Noula Nangue
Doctorant
1 L’hégémonie mondiale peut s’exprimer sur différents aspects, notamment idéologique, politique, économique, culturel et même religieux.
2 Les principales puissances politiques et économiques dominantes du monde contemporain sont incontestablement celles regroupées au sein de ce qu’il est convenu de nommer aujourd’hui le G7, avec à leur tête les Etats-Unis d’Amérique. Bien que des contradictions existent parmi ces Etats, elles demeurent mineures et sont sans commune mesure avec celles qui les opposent actuellement avec le Brica (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sur la scène internationale.
3 Il est ici fait allusion aussi bien aux pays relativement moins puissants qu’aux groupements non étatiques à l’instar des mouvements islamistes et altermondialistes.
4 Selon l’historien militaire Pierre Razoux, la première utilisation de la guerre médiatique remonterait à la Seconde Guerre mondiale
5 On se contente souvent de mentionner que l’opinion publique a vu le jour avec la philosophie du Siècle des Lumières, mais elle fait l’objet de nombreuses réflexions dès l’Antiquité grecque. Le philosophe Platon inaugure un jugement devenu traditionnel à son sujet en condamnant l’opinion publique (doxa vulgus) pour sa versatilité, sa trop grande sensibilité et sa superficialité qui la livrent en pâture aux sophistes formant les hommes politiques d’alors aux manipulations argumentaires (Yvon Lafrance, La théorie platonicienne de la Doxa, Éditions Les Belles lettre, 1981).
6 L’opinion publique est l’ensemble des convictions et des valeurs plus ou moins partagées, des jugements, des préjugés et des croyances de la population d’une société donnée. L’importance de l’opinion publique devient cruciale durant les périodes de campagnes électorales. Depuis le dernier quart du 20ème siècle, elle est fréquemment mesurée à l’aide de sondages d’opinion, le plus souvent effectués à la demande des partis politiques, des leaders ou des gouvernements. Dans leur grande majorité, ces sondages ne sont jamais rendus publics.
7 La défaite américaine au Viêt Nam serait en partie due aux média qui ont influencé l’opinion publique américaine. Forts de cette expérience, durant la guerre du Golfe, les médias ont fait l’objet d’un contrôle accru de la part des autorités américaines.
8 Quelques exemples parmi les plus flagrants : globalement, les médias français étaient pour la guerre d’Irak en 1992 et contre en 2003, pour le traité de Maastricht en 1992, contre les grèves de décembre 1995, pour le oui au référendum de la constitution européenne en 2005.
9 Au niveau mondial, 9 multinationales dominent les médias : Disney, AOL-Time Warner, Viacom (propriétaire de CBS), News Corporation, Bertelsman, General Electric (propriétaire de NBC), Sony, AT&T-Liberty Media et Vivendi Universal.
10 Les passerelles entre les milieux médiatiques et politiques sont fréquentes. Quelques exemples : les anciens ministres Michel Roussin (UMP) et Jean Glavany (PS) ont rejoint Bolloré, Anne-Marie Couderc (UMP) et Frédérique Bredin (PS) ont rejoint Hachette, Hubert Védrine (PS) a rejoint LVMH. Pour de nombreux autres exemples, cf. Les nouveaux chiens de garde, Serge Halimi, Raisons d’agir, 2005.
11 L’Afp compte 1200 journalistes, 200 photographes et 2000 pigistes répartis sur les cinq continents. Elle fournit son information sous forme de textes, photographies et infographies à environ 650 journaux, 400 radios et télévisions, 1500 administrations et entreprises, 100 agences de presse nationales. Au total, directement ou indirectement, elle touche près de trois milliards de personnes.
12 Alain Accardo, Derrière la subjectivité des journalistes, Monde Diplomatique, mai 2000.
13 La présentatrice Claire Chazal (TF1) est proche du ministre de la culture Donnedieu de Vabres (UMP) ; la présentatrice Béatrice Schönberg (France 2) est l’épouse de Jean-Louis Borloo, ministre de l’Emploi (UMP) ; Alain Minc, président du conseil de surveillance du journal Le Monde, est un proche du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy (UMP). Ce dernier a d’ailleurs affirmé en 2005 « J’ai tous les patrons de presse avec moi » (cité par Le Canard Enchaîné, 18/05/05). On pourrait également citer les liens entre Bernard Kouchner et Christine Ockrent, Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair, etc. Pour de nombreux autres exemples, cf. Les nouveaux chiens de garde, Serge Halimi, déjà cité.
14 Quand ils claquent la porte en 1984, suivis en 1985 par la Grande-Bretagne et Singapour, les États-Unis reprochent à Amadou Mahtar M’Bow, alors directeur général de l’Unesco, «une déformation idéologique, une politisation excessive et une gestion inepte». Le projet de Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC) agit sur eux comme un chiffon rouge. Ils le considèrent comme une attaque dirigée contre la libre circulation de l’information et les médias occidentaux. Conçu dans les années 1970, le NOMIC a le défaut d’être soutenu par l’URSS et les pays socialistes.
15 Thompson, 1990 ; Peterson, 1981
16 Mattelart, 1976
17 Mattelart, 2002, 1976 ; Philo, 1990 ; Thompson, 1990 ; Herman et Chomsky, 1988 ; Peterson, 1981 ; Schiller, 1976
18 McAndrew et Potvin, 1996
19 Stone, 2000 ; Philo et Miller, 2000
20 Soit 131 milliards de Fcfa
21 Selon M. Ouattara Gnonzié, ministre ivoirien de la Communication, « la guerre des médias est plus violente, plus insidieuse et plus dévastatrice que celle des armées conventionnelles ».
22 Propos tenus par M. Ouattara Gnonzié devant l’Assemblée Nationale ivoirienne.
23 Char, 1999 ; Richtead, Anderson et Schiller, 1981


La face cachée de la "Communauté internationale"
Au commencement fut la communauté internationale. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, celle-ci commença  à se dessiner et s’écrire selon les vœux, souhaits et diktats des grands vainqueurs de cette guerre à savoir les Etats-Unis et l’ex Urss.
Ces deux grandes nations avaient un point commun, la volonté de construire leurs puissances et hégémonies sur  l’espace le plus grand possible du monde.
Cette volonté se déclina en trois axes : politique (démocratie libérale contre démocratie populaire), économique (capitalisme contre communisme), militaire (Otan contre le pacte de Varsovie). C’est ainsi que, de sourde pendant la guerre, tant que l’ennemi à abattre, l’Allemagne nazie, était encore fort, cette rivalité devint féroce dès le soir de la victoire des alliés.
La communauté internationale si  tant est que l’on puisse l’appeler ainsi fut portée alors sur les fonts baptismaux avec de nombreux péchés originels parmi lesquels, nous semble t-il, deux des plus importants:
- Une justice sélective lors des procès d’après guerre qui épargnèrent curieusement de nombreuses personnes notamment les scientifiques du régime nazie et pour cause ;
- Une stratégie de neutralisation érigée et appliquée par ces deux premières puissances, à travers l’organisation et le fonctionnement de l’Onu, l’érection d’organes qui allaient gérer la guerre froide et maintenir l’équilibre de la terreur, la démultiplication de théâtres régionaux d’opposition dans le monde.
Ces péchés congénitaux allaient, au fil des ans, se renforcer pour devenir des tares difficiles à corriger tant elles y avaient pris racines. La chute du mur de Berlin, l’éclatement de l’ex-Urss, la désatellisation des ex-pays de l’Est qui sonna le glas du monde bipolaire tout en ouvrant une ère multipolaire, ne les corrigea point.
Tout au plus on assista, entre ces deux puissances, à un dialogue non dépourvu d’arrières pensées notamment du côté de la Russie qui avait besoin du temps pour se « réarmer » politiquement, idéologiquement, économiquement etc.
L’émergence de la Chine comme grande puissance, qui, entre temps avait intégré, comme membre permanent, le club fermé  du conseil de sécurité de l’Onu n’arrangea guère les affaires internationales tout comme la montée des radicalismes de toute sorte.
Tout au long de l’histoire, cette communauté internationale géra de nombreuses crises dont les plus marquantes furent  la guerre de Corée en 1955, le  printemps de Prague en 1968, l’insurrection de Budapest en 1956, la crise des missiles de Cuba en 1962, les indépendances africaines avec la guerre civile au Congo-Léopoldville, la guerre du Vietnam en 1968, les différents conflits Israélo-arabe, les nombreuses guerres de libération en Afrique ou conflits d’émancipations des peuples en Amérique latine, l’Apartheid en ex-Rhodésie puis en Afrique du sud, le conflit de l’Afghanistan, la massacre de la place Tien  an men en 1989,la guerre en Tchétchénie, la répression au Tibet et bien d’autres. La gestion de ces évènements contribuèrent  à  façonner  son fonctionnement tout en lui donnant jusqu’à présent, tout, sauf ce que sont les attributs d’une communauté cohérente notamment de pensée, de règles et d’actions.

Ce vocable, galvaudé ça et là, apparaît, plus brumeux aujourd’hui qu’il n’y paraît, au vu des évènements qui agitent, depuis ces derniers mois,  le monde. Mais de quelle communauté parle-t-on?

Quelle communauté internationale?

Selon une définition de Wikipédia  « le terme de Communauté internationale désigne de façon imprécise un ensemble d’États influents en matière de politique internationale. Il peut dénoter :

- tous les pays du monde ;
- les États membres de l’Organisation des Nations unies (Onu) ;
- les États membres du Conseil de sécurité des Nations unies (dont la composition varie) ;
- ou bien seulement les pays qui ont une grande influence internationale, notamment les États-Unis et leurs alliés.
Utilisation politique et médiatique
Cette expression est souvent employée par les médias. En fait, elle n’a de sens que quand les pays du monde s’expriment massivement sur un sujet. Il n’existe pas de ligne précise définissant à partir de quel moment il y a intervention de la communauté internationale dans une affaire locale. De plus, le nombre de pays n’est pas un critère suffisant, l’expression sous-entendant que les pays se mêlant de l’affaire représentent un poids important dans la politique internationale. De même, la question de la reconnaissance par la communauté internationale de l’indépendance d’un État n’est pas très précise, puisque souvent un État cherchant à établir son indépendance est reconnu ou non suivant les intérêts politiques des autres États.
On rencontre souvent l’expression « la communauté internationale est divisée » quand des blocs ou pays importants s’expriment en sens contraire dans une affaire internationale (tel l’avis mitigé sur la guerre en Irak). En fait, on peut même parler de division de la communauté internationale quand les États-Unis s’opposent au reste des pays influents de l’Organisation des Nations unies.
Utilisation juridique
Certains juristes considèrent que cette notion ne repose sur aucun fondement juridique.
Les approches pluralistes et réalistes du droit international (Kenneth Waltz, etc.) tendent à considérer les différents ordres juridiques comme antagonistes et rivaux et à concevoir la communauté internationale comme un concept inutile et dénué de sens.
D’autres approches, davantage constitutionnalistes], qui insistent au contraire sur l’universalisme de certaines valeurs, le cosmopolitisme ou/et le multilatéralisme, tendent à penser la communauté internationale comme horizon régulateur possible du droit.
Approches sociologiques
La notion de communauté internationale a été interrogée par la sociologie pragmatique à propos notamment des instances juridiques ou morales invoquées par les mobilisations internationales. »
Il ressort de tout cela que cette communauté internationale est plus une nébuleuse qu’une réalité précise. Elle se forme au gré des sujets, se rassemble comme « une meute de chiens » selon les intérêts des Etats influents, donc de façon sélective et très souvent au mépris de la cohérence des règles qu’elle s’est édictée.
Quatre sujets majeurs qui sont, autant de fixations dans les relations internationales à l’heure actuelle, traduisent bien l’épithète de nébuleux que l’on peut accoler à cette communauté internationale.
En effet depuis de nombreuses années, le conflit israélo-arabe et plus particulièrement palestinien cristallise à juste titre les critiques formulées à l’encontre de cette communauté internationale.
De nombreuses résolutions votées par l’Onu n’ont jamais été respectées par l’Etat d’ Israël, pire lorsque l’une d’elle lui apparaît hostile ou contraignante, les Etats-Unis s’y opposent systématiquement renforçant l’idée du « deux poids deux mesures » qui sous tend  certaines  décisions du conseil de sécurité. Le départ, par la petite porte, de l’ancien Secrétaire Général des Nations Unies, Pierre Boutros Ghali, considéré comme peu docile et malléable, a laissé le désagréable arrière goût d’une organisation, cœur même de cette communauté internationale, au service et aux ordres d’une seule puissance.
Ce sentiment s’est encore accentué lorsque l’un de ces successeurs à la tête de l’organisation, Kofi Annan  manifesta des réticences à l’égard des preuves avancées par les Etats-Unis et la Grande Bretagne sur l’existence en Irak, d’armes de destruction massive. On sait désormais sur quelle base, la communauté internationale, qui doit, par définition, être précise en tout temps, fut construite à l’époque, pour satisfaire les besoins et désira ta de lobbies tapies dans l’ombre.  Certains se rappelleront de la visite impromptue du  Président du Cameroun (membre du conseil de sécurité à l’époque) à Washington, la veille du déclenchement de l’opération américaine, sous couvert des Nations Unies,  en Irak. Les révélations ultérieures du Président Bush et du Premier ministre britannique Tony Blair n’y changeront rien et encore moins ne ramèneront à la vie les nombreuses victimes irakiennes de cette guerre absurde, injuste et sale.
Pour tout autre conflit, ces révélations auraient déjà déclenché des poursuites devant la CPI (Cour pénale internationale) que certaines puissances, Etats-Unis, Chine, Israël entre autres refusent toujours de reconnaître pour leurs citoyens.
Face à cette conduite, à géométrie variable, des relations internationales, certains Etats s’y sont engouffrés et mènent la « vie dure » à cette fameuse communauté internationale et son bras séculier,  l’Onu; ce « grand machin » comme l’appelait jadis le Général de Gaulle.
C’est le cas, d’une part de l’Iran, avec le problème de l’enrichissement de son uranium et donc de la prolifération nucléaire puis d’autre part de la Corée du Nord, pour le démantèlement de son arsenal nucléaire.

Avec l’accélération récente de certains évènements en Afrique et surtout leur gestion chaotique par l’Onu, n’assiste-t-on pas au requiem de cette communauté internationale?

Requiem de la communauté intrnationale

La gestion par l’Onu du génocide rwandais et son extension en Rdc fut la première alerte. Le conflit du Darfour avec le mandat international lancé et non appliqué contre le Président Soudanais El Béchir fut la seconde. Nonobstant les fondements juridiques discutables d’une telle action, seule l’histoire nous éclairera sur les vraies raisons d’un tel égarement de la communauté internationale. Après le référendum qui a consacré la partition du pays, ce couperet de mandat international n’a-t-il pas joué le rôle d’une arme de persuasion voire de pression à cette fin, peut-on se demander?

Tout comme le sont les différentes sanctions qu’inflige cette même communauté aux personnes désignées infréquentables à un moment donné.
Nul, en Afrique notamment, n’est désormais dupe devant la duplicité et l’hypocrisie de cette communauté internationale.
A la faveur des crises ivoirienne, tunisienne et égyptienne, cette communauté découvre par hasard, par une prise de conscience spontanée, que leurs dirigeants disposent,  à travers le monde, d’avoirs mal acquis et décide de les geler et pour les anciens de les confisquer.
Ne le savait-elle pas avant? S’agit-il d’une nouvelle « arme de pression massive » contre les Présidents dont certaines puissances ne s’accommodent plus ou qui  sont désormais infréquentables sous la pression de la rue? S’il y a lieu d’encourager des actions tendant à sanctionner les dirigeants qui détournent les richesses de leur pays, il eut été souhaitable qu’elle agisse en amont en appliquant leurs lois anti-blanchiment, en demandant aux banques de lever le secret bancaire, en contrôlant ces sociétés fiduciaires qui aident les individus dans le monde à dissimuler les biens mal acquis, en supprimant les paradis fiscaux, en aidant ces pays à récupérer ces fonds qui finissent pas fondre et disparaître pour le grand bonheur de leurs membres influents  etc. .  Ces pays invoqueront toujours le respect scrupuleux de l’Etat de droit comme si les procédures administratives et bancaires l’avaient été à l’entrée de ces fonds? Par parallélisme des formes, la récupération de ces fonds ne devrait-elle pas emprunter les mêmes canaux tortueux?
Sont-ils si respectueux du droit? Cette communauté internationale n’avait-elle pas fermé les yeux  sur cette zone de non droit et de torture que fut le centre de rétention de Guantanamo, sur les enlèvements, par les services américains, de prétendus terroristes sur les sols européens? La France n’est-elle pas souvent condamnée, par la cour européenne, pour les atteintes aux droits de l’homme?  Ceci n’expliquant pas cela bien entendu.
Que ne nous a-t-on pas dit à propos de la fortune de Mobutu dont la famille ne récupéra, de la Suisse, que la modique somme de 6 millions de dollars alors que celui-ci était crédité, à l’époque, par le magazine Forbes, d’une fortune évaluée à 2,5 Mds de dollars?
Que sont devenues les fortunes de Sani Abacha, de Ferdinand Marcos, de l’empereur Haïlé Sélassié? De Bébé Doc à qui la Suisse vient récemment de refuser le dégel de ces avoirs? Pourquoi ces avoirs qui font des « petits » dans les coffres bancaires suisses n’alimentent-ils pas les caisses du gouvernement Haïtien qui en a tant besoin pour la reconstruction de l’île après le séisme?
Ces sanctions viennent donc mal à propos dans le cas de la Cote d’Ivoire où cette communauté a mal conduit et géré le processus électoral. Pire, pour masquer son incurie, elle souhaite, en s’appuyant sur une organisation régionale, la Cedeao en l’occurrence, sous-traiter l’application d’un concept encore mal défini politiquement et juridiquement. Celui du droit et/ou devoir d’ingérence,  et de surcroît dans un domaine où seule la souveraineté des peuples s’exerce : le choix de leurs dirigeants.
Peut-on seulement imaginer les conséquences  d’une telle jurisprudence dans les relations internationales  quand on sait que cette communauté internationale n’est que le reflet  de la puissance de certains Etats? Aura-t-elle la volonté, la détermination et les moyens d’agir de la sorte dans tous les pays du monde où éclateraient les conflits postélectoraux? C’est moins sûr. Une règle qui ne se limiterait qu’à une exception africaine n’en serait plus une et ne saurait être acceptée par la jeunesse montante de notre continent.
Cette même jeunesse, qui vient, peut-être, de montrer  la voie à suivre, en cette année 2011, en indiquant la porte de sortie à Ben Ali et Hosni Moubarak, longtemps soutenus par l’Occident mais finalement  lâchés, en désespoir de cause, sous la pression de la rue.
Si l’influence de cette communauté restait diffuse jusqu’à présent, les nouvelles technologies ont définitivement fait tomber son masque. Par ailleurs, l’appel à la réforme de l’Onu, lancé par le Président Français Nicolas Sarkozy, au dernier sommet de l’U.A qui était consacré au dossier Ivoirien,  sonne comme un hallali. S’agit-il d’une carotte offerte aux pays Africains qui soutiendraient la croisade anti-Gbagbo? Si elle est dégustée, les résultats attendus seront à l’image  de ceux relatifs aux réformes réclamées au plus fort de la crise financière internationale c’est-à-dire nuls. Il sera désormais difficile aux Africains, épris de démocratie, d’accorder à l’Onu et à ses Etats influents, tout crédit en matière d’ingérence « démocratique » tant qu’ils ne pratiqueront pas, au sein de cette instance, les règles de démocratie élémentaires: représentation plus large du monde et de l’Afrique au sein du conseil de sécurité, suppression du droit de véto entre autres. L’Afrique, à la lumière de ces évènements, doit d’ailleurs profiter de l’occasion, pour enfoncer le clou, en exigeant, de façon coordonnée, la réalisation de ces réformes, véritable serpent de mer jusqu’à présent.
En définitive, seul le peuple détient le pouvoir. En l’exerçant pleinement, il peut inverser les rapports de forces que pourrait lui imposer cette fameuse communauté internationale. Pour l’avoir oublié, à l’ère du numérique, cette communauté internationale  et les dirigeants africains qui rechignent à se soumettre au verdict des peuples, lors d’élections transparentes,  l’ont définitivement appris à leurs dépends. Les cas tunisien et égyptien en témoignent. Y aura-t-il un effet de dominos, comme le suggèrent certains ou le redoutent d’autres ? Wait and see.
Adrien Macaire Lemdja
Consultant international en Finance


Ces hommes politiques adoubés par la "Communauté internationale"
De Mandela à Raila Odinga

Si une chose unit l’humanité et toutes les espèces vivantes en générale – je fais allusion ici – pour ceux qui ne l’auraient pas compris – à ce que certains ont appelé « l’osmose-restitution » -, puisque, reconnaissons-le tout de suite : tout ce qui naît et vit est appelé un jour à  nourrir ; nul ne peut déroger à cette règle. Retenons-le, l’angoisse de la mort et la peur du lendemain qui habitent l’esprit du paysan de Tokomberé sont les mêmes qui habitent l’esprit du pape des catholiques. Beaucoup de choses par contre nous désunis au point de pousser l’espèce humaine vers les barbaries les plus indescriptibles – les crimes humains les plus crapuleux, parfois programmés longtemps à l’avance, par ceux-là qui agissent sous la bannière de la « communauté internationale » - souvent en entreprise avec leurs thuriféraires pour ne pas dire leurs laquais éparpillés partout dans le monde. Tulku Thondup, grand maître Bouddhiste dans « L’infini pouvoir de guérison de l’esprit » indique que  « Riches comme pauvres, nous souffrons à cause des soucis qu’entraîne le désir. Les millionnaires aussi dit-il, connaissent la colère, le désespoir et la dépression. Craignant continuellement de perdre ce qu’ils possèdent et cherchant à acquérir ce qu’ils n’ont pas, ils trouvent rarement la paix et le repos. Incapables de jouir de ce qu’ils sont, ils  ne vivent que pour ce qui les attire et les asservit. » Thondup va plus loin en nous enseignant que « gagner de l’argent constitue en soi une cause de souffrance, mais livrer sa vie à la tyrannie de possessions qui n’ont jamais de fin porte un coup fatal à la paix et à la joie. ». En effet, le désordre diplomatique et politico-économique qui caractérise les parodies de démocratisations dans les pays du tiers-monde ; l’appât du gain et la condescendance affichée de « certains »  témoignent en faveur de Thondrup. Le nouvel ordre mondial voulu depuis la chute du mur de Berlin continu de plonger l’humanité  dans un barbarisme béat. La crise ivoirienne n’en est-elle pas la parfaite illustration ?

Mandela et les Afrikaners

La libération de Nelson Madiba Mandela, négociée dans le plus grand secret arrive dans un contexte très trouble où 74000 travailleurs syndiqués noirs entrent dans une grève illimitée qui paralyse le pays dès 1986. Les enjeux sont donc énormes pour la bourgeoisie locale liée aux grands intérêts internationaux. Le bloc communiste vient de s’éffrondrer ; il faut briser les dernières chaînes des bastions communistes dans le monde. Nelson Mandela qui a toujours été proche de ceux-ci - depuis sa prison de Roebben Island, continue d’entretenir des liens étroits avec le parti communiste sud-africain et l’Anc qui lui restent entièrement dévoués. La perte de Mandela peut entraîner la perte de l’Afrique du sud et par ricochet les intérêts internationaux qu’elle abrite : il faut donc négocier les préalables de sa libération future. Négocier dans un tel contexte signifie accepter de sauvegarder des intérêts nationaux et internationaux présents sur le sol sud-africain en échange de la démocratie qui fera de Mandela à coup sûr, le président des Sud-africains ; donc celui qui pourra empêcher l’effondrement de l’économie sud-africaine puisque très écouté des Syndicats. Il faut prononcer une amnistie générale sur les crimes commis durant la période de l’apartheid - Mandela s’y résoudra au point de dédaigner sa propre épouse impliquée tout comme Peter Botha dans des affaires scabreuses. Ne devrait-on pas conclure que Mandela tient sa libération de la chute du mur de Berlin et des concessions faites aux Afrikaners soutenus en catimini par la Communauté Internationale ?

Mugabe et Tswangirai

Harare, située à quelques encablures de l’Afrique du Sud abrite un scénario semblable. La politique de Robert Mugabe, le président aux penchants communiste- révolutionnaires – et très proche de Pékin entend changer la politique agricole de son Pays. Les Blancs au grand mépris des autochtones continuent de posséder les ¾ des terres arables. La tentative d’infiltration des hommes d’affaires noirs dans le secteur agricole trouve une forte résistance des lobbies agricoles blancs qui continuent à dicter ses desiderata au pouvoir en place que la « communauté internationale » diabolise systématiquement tout en jetant son dévolu sur Morgan Tswangirai qui entend préserver ses acquis – notamment ceux du puissant lobby anglo-américain du tabac. C’est ainsi que Tswangirai bénéficiera d’un appui international qui aboutira à un partage du pouvoir avec Mugabe.

Gbagbo – Ouattara

En Afrique de l’ouest, la donne a changé depuis que l’opposant de 30 ans d’houphouet Boigny accède au pouvoir en 2000. Socialiste-révolutionnaire de carrière, Laurent Gbagbo entend redéfinir la politique de son pays. Il veut désormais briser les relations bilatérales classiques entre états au profit des relations directes avec le secteur privé. Il multiplie des prêches enflammées où il diabolise la France. Gbagbo lorgne trop vers l’Asie ! Ce qui ne sera pas au goût de Paris. C’est ainsi que dès 2002, Jacques Chirac, président de la France, décide de faire partir Laurent Gbagbo. Tout est mis en œuvre. Complots, rébellion. En France, c’est la cohabitation au pouvoir entre la Gauche et la Droite. Lionel Jospin, premier ministre s’oppose à l’option de Jacques Chirac d’envoyer la Gendarmerie française en Côte d’Ivoire pour débarquer Laurent Gbagbo. Lionel Jospin raconte : « Le deuxième désaccord formel a concerné la Côte d’Ivoire et il s’est reglé u cours d’une série d’échanges au téléphone avec Jacques Chirac, car j’étais alors en Egypte. Le président de la République voulait tout simplement envoyer la Gendarmerie française dans ce pays pour rétablir le président d’alors dans son poste ! Les bras m’en sont tombés ! J’ai dit non » (L. Jospin, 2010 : 217-218). Malgré cette opposition le pouvoir de Gbagbo subira l’attaque d’une rébellion armée sous par la France via le Burkina Faso, partie des pays voisins contrôlés par certains autocrates, tous  acquis à la « communauté internationale » et  proches à Ouattara. Ouattara, qui a à maintes reprises promît qu’il fera de la Côte d’Ivoire un pays ingouvernable, est invité à la table des négociations ! Plusieurs autres extrêmes concessions seront arrachées au président élu de Côte d’Ivoire Gbagbo, notamment l’organisation des élections dans un état codirigé par une rébellion légitimisée. Qui a  inventé le concept d’ivoirité ?

Ouattara est un libéraliste bourgeois qui connaît les rouages de la finance internationale ; il est marié à une riche héritière juive du monde des affaires – Ce point non négligeable garantit, malgré le fait que Ouattara soit musulman, le contrôle futur sur les éventuelles poches d’islamisme radical qui gagne peu à peu l’Afrique noir. Au lieu d’appeler Gbagbo au dialogue pour une sortie de crise honorable, ce dernier a préféré faire recours la communauté internationale à laquelle il serait dévoué ?

Joseph Désiré Kabila, Kagamé, Museweni  et Bemba

Dans la région des grands lacs on assiste à un scénario deux poids deux mesures. D’un côté on retrouve les bons et de l’autre les méchants nationalistes qui entendent conserver les acquis qui remontent à la délimitation des frontières coloniales. Mobutu, le dictateur adoubé par les Américains et les Belges n’est plus l’homme de la situation. Une rébellion partira de l’Ouganda  et du Rwanda appuyé par l’Angola pour déloger Mobutu. La « gestion calamiteuse » du pouvoir par Mobutu peut entraîner les graves troubles qui peuvent déstabiliser toute la région ; c’est de là qu’interviendra l’entrée de Laurent Désiré Kabila en jeu, qui sera lui-même abattu par son garde de corps proche de Kigali et remplacé par son fils adoptif. C’est avec l’arrivé sur le marché mondial d’un nouvel exportateur de coltan qu’on comprendra qu’il ne s’est jamais agit de libérer le Congo, mais de faire main basse sur ses ressources minières. Le chemin de la balkanisation de la Rdc sera donc sécurisé par l’arrestation de Jean Pierre Bemba.

Ben Ali et Moubarak
Ben Ali et Hosni Moubarak ont longtemps bénéficié du soutien de la « communauté internationale » pour plusieurs raisons. Nous savons tous que la sécurité d’Israël n’a pas de prix. Hosni Moubarak qui succède à Anouar el Sadate assassiné le 6 octobre 1981 sera interlocuteur privilégié des Israéliens et Américains pour l’application d’un plan qui vise à protéger l’État hébreux. Il jouera le rôle de facilitateur auprès des pays arabes et neutralisera la confrérie des redoutables frères musulmans. Cette résistance face à la montée de l’islamisme radical dans les Pays arabes ouvrira les portes de plusieurs chancelleries occidentales à Ben Ali qui a fait fi de la pure tradition musulmane pour sauvegarder les intérêts étrangers.
Quand on questionne les faits de ces derniers jours dans le Monde, on se rend vite compte que les autocrates africains sont en entreprises avec les Pays étrangers qui les adoubent et en retour ils conservent le pouvoir ; faisant subir aux populations les sévices les plus atroces. Qu’est ce qui explique leur longévité au pouvoir si ce n’est la sauvegarde des intérêts étrangers, notamment ceux des Pays du G8 ? Hormis le cas de Mandela dont la conquête du pouvoir ne s’inscrivait pas dans une stratégie de conquête du pouvoir à des fins personnelles, mais plutôt du rétablissement d’une vérité historique, on conclura que les chefs d’états africains ont ceci en commun qu’ils servent mieux les intérêts d’une mafia internationale que ceux de leur populations, et en retour, ils peuvent demeurer ad vitam aeternam au pouvoir - en attendant que la réalité ne les rattrape. Les derniers événements en Afrique du Nord, semblent montrer que la donne a changé et que la « communauté internationale », en réalité certains pays nucléaires veulent non seulement déstructurer le monde arabe, mais serait en train d’expérimenter d’autres modes de transition, «  la transition par la rue », dans certains pays, convaincus que la transition  par les urnes impossible (Talla, 2011 :3).
Alain Nanzé


Communauté internationnale et les crises politiques au Cameroun de 1948 à jours
La communauté internationale, dans le vocabulaire courant des journalistes et des sociologues, désigne de manière assez floue d’ailleurs, un groupe de pays censés avoir une grande influence sur l’actualité et l’avenir des autres pays et peuples du monde. A ce groupe, l’Onu vient souvent se greffer sans qu’on lui confère une grande considération, si ce n’est pour la légitimation légale et juridique d’actes parfois proprement criminels.
Cette expression, « la communauté internationale » est bien évidemment utilisée abondamment par les médias occidentaux, qui visent ainsi à consacrer comme étant normal, le fait qu’un petit groupe de pays – en tête desquels se trouvent les Etats Unis, la France, le Royaume Uni, notamment, soutenus en cela par leurs alliés mais surtout leurs obligés et leurs vassaux – tente de s’octroyer un pouvoir drastique sur le reste du monde, souvent par la force et la négation du droit.
Pourtant, dans son sens le plus strict, la communauté internationale devrait désigner, non seulement les puissances militaires et économiques citées ci-dessus, mais également tous les pays constitutifs de l’Organisation des Nations Unies, qu’ils soient pauvres ou riches, militairement et économiquement puissants ou non.
Il apparaît aussi utile, pour une analyse future du rôle de la communauté internationale dans les crises au Kamerun, de différencier trois types de communauté internationale :
- la communauté internationale occidentale, celle qui fait le plus parler d’elle et qui tente de s’imposer comme maîtresse du monde, avec comme contrepoids principalement au sein de l’Onu, la Chine et la Russie.
- la communauté internationale des continents périphériques (Amérique du Sud, Asie et Moyen-Orient)
- la communauté internationale des pays pauvres et peu influents (Afrique en général, caraïbes et Pacifique)
S’agissant de la communauté internationale dont il sera question tout au long de cet article, elle est principalement entendue comme communauté internationale occidentale, associée à l’Organisation des Nations Unies, et accessoirement comme un conglomérat de pays ou d’entités politiques épicentrés sur la France. En effet, les gouvernements français, véritables ennemis de la libération totale du peuple kamerunais, ont toujours été, depuis 1919, les moteurs des prises de position d’une frange non négligeable de la communauté internationale à l’égard du Kamerun et de ses crises.

Il serait cependant biaisé de considérer cette communauté internationale comme une simple caisse de résonance des désirs de la France au Kamerun, ou comme une entité monolithique dans ses attitudes vis-à-vis du Kamerun. De nombreux pays, traditionnellement ou politiquement anti-colonialistes, se sont souvent opposés aux diktats de la France au Kamerun. Ça et là à travers l’histoire des rapports entre la « communauté internationale » et le Kamerun, apparaissent des lignes de fracture claires dans les prises de positions au sein de cette communauté, mais hélas avec peu d’emprise finale sur le quotidien des Kamerunais. Ces contradictions internes ou ces divergences de vues n’ont donc eu que peu d’incidence sur la résolution des crises politiques au Kamerun.

Proclamation de l’indépendance

D’emblée, on peut affirmer que la communauté internationale, quelle que soit l’entendement qu’on lui donne, n’a que très peu souvent – pour ne pas dire jamais – œuvré efficacement dans le sens de la défense des intérêts du peuple kamerunais. Qu’il s’agisse de la mise sous tutelle de la Société des Nations (Sdn) du Kamerun en 1919, du traitement des aspirations indépendantistes au Kamerun et des crises conséquentes dans la décennie précédant la proclamation de l’indépendance, des assassinats successifs des leaders politiques et patriotiques kamerunais, jusqu’à Ernest Ouandié, de la crise politique du début des années 1990 suite à la réouverture au multipartisme, des fraudes à répétition successives depuis 1956 jusqu’à nos jours, des massacres de février 2008 au Kamerun, des violations massives des droits humains, etc, la « communauté internationale » n’a que très rarement soutenu le peuple kamerunais et condamné ses bourreaux intérieurs ou extérieurs.

S’il fallait remonter à une date origine de l’implication de la « communauté internationale » dans les crises politiques et l’avenir du Kamerun, après la conférence de Berlin de 1885 qui consacra le partage de l’Afrique dont le Kamerun, on pourrait considérer la date du 28 juin 1919, date de la signature du Traité de Versailles, sous l’égide de la Société des Nations (Sdn), ancêtre de l’Onu : en effet, alors que le traité de protectorat liant les chefs Duala aux Allemands était déjà expiré, et que l’Allemagne n’avait plus, en principe, d’autorité sur le Kamerun, ce territoire fut abusivement placé sous tutelle de l’Onu et fut partagé, pour son administration, entre la France et l’Empire britannique. Cette première attitude de non droit de la communauté internationale vis-à-vis du Kamerun, comme d’autres pays du reste, indiquait déjà comment elle allait se comporter tout au long de l’histoire du Kamerun, ce pays né de la communauté de résistance à l’occupation allemande.
La principale crise politique vécue par le Kamerun est sans conteste son accession à une indépendance nominale en lieu et place d’une véritable indépendance, comme souhaité par les combattants nationalistes de l’après-guerre mondiale. Une indépendance virtuelle que la communauté internationale occidentale, au nom de la lutte contre le « communisme », alibi souvent invoqué pour éviter de libérer les peuples des jougs coloniaux, adoubera par une complicité criminelle quand on considère les atrocités qui furent commises pour empêcher que le peuple kamerunais ne jouisse d’une véritable indépendance.
Au sortir de la deuxième guerre mondiale, la création de l’Onu se concrétise entre autres par la rédaction de sa charte, signée le 26 juin 1945, qui stipule clairement qu’en ce qui concerne les territoires sous tutelle, les puissances coloniales doivent s’engager à « développer leurs capacités à s’administrer elles-mêmes ». Dans le même sens, l’Onu crée une commission spéciale chargée des questions politiques spéciales et de la décolonisation. C’est aussi cette commission qui est chargée du suivi de l’application de cette charte dans les colonies et zones sous tutelle : c’est la fameuse quatrième commission, toujours en activité de nos jours.
Mais ici encore, la complicité plus ou moins passive de l’Onu dans la violation du droit des populations kamerunaises est évidente.

La composition du Conseil de tutelle, le manque volontaire de perspicacité de ses représentants lors de leurs missions d’inspection au Kamerun et la non prise en compte des revendications d’indépendance légitimes et brillamment argumentées par les nationalistes kamerunais, ont une fois de plus démontré le peu de cas que cette « communauté internationale », de plus en plus occidentale, a fait des intérêts du peuple kamerunais.

L’impérialisme français

La période précédant la proclamation des indépendances est assez riche de situations où l’attitude

coloniale d’une communauté internationale est criarde, opposée qu’elle est alors aux représentants légitimes du peuple kamerunais dans les différentes crises qui les opposent à l’administration française et ses valets.
En 1945-1946 par exemple, l’Onu, sous la pression de l’impérialisme français, établit un compromis entre la nécessaire émancipation des peuples sous tutelle vers une autonomie totale et l’exigence de l’administration française de gérer le Kamerun comme une colonie à part entière : c’est ainsi que deux organes serons chargés de « gérer » les territoires sous tutelle comme le Kamerun. D’un côté, un Conseil de tutelle de l’Onu est mis sur pied et chargé de veiller au respect des engagements de la France selon les dispositions de la charte de l’Onu pour les zones sous tutelle. La moitié des sièges de ce Conseil de tutelle aux représentants de pays colonisateurs. De l’autre la quatrième commission, dite également « commission de tutelle » issue de l’Assemblée générale des Nations Unies, au sein de laquelle les pays colonisateurs sont minoritaires face aux pays du bloc de l’est et aux pays d’Amérique latine, d’Asie et du Moyen-Orient. L’Onu, en créant ainsi deux structures qui se neutralisent pratiquement, permet à la France, de facto, de disposer du Kamerun sans aucun contrôle réel des violations de droits fondamentaux, de fraudes électorales dont elle est évidemment coupable.
C’est également ainsi que, lors de la première session de l’Onu pendant laquelle les pays anticolonialistes tentent de modifier le texte que la France propose pour entériner un accord de tutelle, l’Onu cède finalement aux desiderata de la France en permettant à cette dernière d’administrer le Kamerun comme faisant partie intégrante du territoire français. Une forme de statut de mi-colonie, mi-tutelle, qui sera, dans les faits, plutôt une colonie qu’une zone sous tutelle.
Cette victoire de la France à l’Onu s’explique par le soutien des puissances coloniales européennes, qui forment déjà alors la communauté internationale occidentale.

Tout au long de la crise politique qui précède et qui succède à la création de l’Union des Populations du Cameroun et qui aboutit au semblant d’indépendance qu’on connaît aujourd’hui, l’Onu donne chaque fois gain de cause à la France. Lors des missions de l’Onu sur le terrain comme lors des invitations des nationalistes kamerunais et notamment de Ruben Um Nyobé à la tribune des Nations Unies, le scénario est invariable : la complaisance de l’Onu vis-à-vis de la France et sa réticence à prendre en compte pleinement les revendications et les aspirations du peuple kamerunais, finissent toujours par faire triompher, à peine réprimandée, les politiques appliquées par la France au Kamerun.

« Guerre froide »

Comme on le sait avec de plus en plus de détails, une véritable guerre cachée fut menée au Kamerun par les armées coloniales puis néocoloniales contre les forces nationalistes. Cette longue crise politico-militaire, qui marqua la première décennie d’indépendance nominale du Kamerun, fut totalement ignorée par la communauté internationale, bien qu’elle ait eu les moyens de s’en émouvoir. La communauté internationale, elle-même divisée dans une violente « guerre froide », délégua entièrement sa politique et ses positions vis-à-vis des pays africains entre les mains des puissances néocolonisatrices, et pour le Kamerun, entre les mains de la France.

Si les pays du bloc dit de l’Est et les pays non alignés ne s’exprimèrent que peu sur les crises politiques qui ont secoué le Kamerun, c’est entre autres en raison du peu de chances de succès que ces pays pouvaient remporter en soutenant les nationalistes kamerunais. Ces derniers, en proie à quelques divisions et souvent vaincues sur le terrain militaire, avaient probablement fini par lasser un peu leurs soutiens de la partie non occidentale de la communauté internationale, laquelle ne donnait donc plus ostentatoirement de la voix contre les attitudes anti-démocratiques de la France au Kamerun.
C’est ainsi que la solution de la crise politico-militaire que feu le dictateur Ahidjo tenta d’appliquer en faisant assassiner Ernest Ouandié un 15 janvier 1971 à Bafoussam, ne connut pratiquement aucune désapprobation publique d’envergure mondiale. Une fois de plus, il fallut que des Kamerunais eux-mêmes, tels Mongo Beti, se transformassent en porte-voix contre l’injustice et l’ignominie du simulacre de procès qui eut lieu pour légaliser cet assassinat. Ni l’Onu, ni le Royaume Uni, encore moins la France, ne dénoncèrent une telle barbarie : et pour cause, la dernière citée en était la lointaine commanditaire, au moins 16 ans plus tôt.
Lorsque, par la chute du mur de Berlin dit-on, la France sous un gouvernement de gauche appela les pays de sa zone d’influence (le pré-carré) à « démocratiser » la vie politique, de nombreux pays connurent des crises politiques qui emportèrent certains régimes. Au Kamerun, la résistance farouche du dictateur Paul Biya à l’organisation d’une conférence nationale ne fut en rien condamnée par la même France, soutenue implicitement dans cette prise de position par une communauté internationale qui continuait encore de déléguer sa politique à ce pays. Le hold-up électoral de Paul Biya en 1992 contre Ni John Fru Ndi ne suscita aucune désapprobation internationale, si ce n’est quelques timides prises de positions néanmoins courageuses de diplomates ou de fonctionnaires étatsuniens ou anglophones. Ici encore, la répartition implicite des zones d’influence avait permis à la France, se substituant à ou téléguidant la communauté internationale occidentale, de choisir pour le reste du « monde » en question.
Les mascarades électorales conséquentes, comme celles qui ont lieu au Kamerun depuis décembre 1956, ne seront pas non plus dénoncées par la communauté internationale.

Suite à la dernière grande crise qu’a connue le Kamerun en 2008, la communauté internationale occidentale a été un rien plus ébranlée par la folie meurtrière du régime Rdpc-Biya contre les manifestants dont au moins 150 sont morts en moins d’une semaine. En effet, sous l’action de quelques groupes de la diaspora, des Organisations Non Gouvernementales forcent l’Onu à faire publier, dans ses rapports officiels sur les droits humains dans le monde et particulièrement au Kamerun, des recommandations pour faire la lumière sur ces massacres. Des entités de plus en plus présentes sur le terrain de la politique internationale, affichent parfois, du moins de la part de leurs fonctionnaires (des technocrates donc), des prises de position moins tolérantes de la violation permanente des droits humains élémentaires par le régime du dictateur Biya.

Et c’est ici que l’on mesure à quel point la communauté internationale occidentale est inféodée à la France en ce qui concerne le Kamerun.

L’une des analyses qui a déjà été faite à maintes reprises, est que cette politique de la communauté internationale surtout occidentale trouve son origine dans le capitalisme mondial devenu impérialisme à la fin du 19ème siècle. L’appétit de richesses de l’Occident, sa suprématie militaire sur certaines régions – justement riches – du monde, a poussé les pays européens et leurs alliés d’Amérique du nord à considérer que l’Afrique, le Kamerun en particulier, ne pouvait servir, au niveau mondial, que de réservoir de matières premières et de minerais précieux.

Toute prise de souveraineté des peuples africains signifie donc pour ces puissances, jusqu’aujourd’hui, la perte significative de leurs prétentions hégémonistes sur ces richesses immenses pillées ou achetées à vil prix. Le choc économique et par ricochet politique que créerait une situation de souveraineté de la majorité des pays africains est terrifiante pour les impérialistes capitalistes, d’autant plus que les dernières décennies voient émerger des pays qui n’attendent qu’un affaiblissement de la communauté internationale occidentale pour prendre leur revanche sur un siècle d’étouffement économique.

Par ailleurs, ces prises de position de la communauté internationale occidentale trouvent également leurs alibis dans la désignation du mouvement national kamerunais, identifiée comme seule force susceptible d’apporter une indépendance effective au Kamerun, comme étant un mouvement « communiste ». Ce qui, depuis les années 50, représentait la peste incurable aux yeux du monde occidental. C’est ainsi que, déjà en 1949 lors d’une mission de visite au Kamerun, des représentants de l’Onu qualifient des plaignants kamerunais contre le travail forcé de « communistes ». On comprend par la suite que l’Onu n’ait pas voulu soutenir l’arrivée de ces « communistes » au pouvoir, pénalisant par là-même l’avenir de tout un peuple et se rendant complices de toutes les infamies qu’il a subies.

Malgré l’évolution des composantes de la communauté internationale totale, au sein de laquelle les pays dit émergents prennent de plus en plus d’ampleur, et malgré les rapports courageusement conformes à la réalité du blocage politique kamerunais que peuvent dresser certains fonctionnaires internationaux, les acteurs politiques des principaux groupes de décision au niveau mondial restent, in fine, assez près des positions exprimées par la France. Ceci quand bien même, au sein de la communauté internationale occidentale, comme l’Union Européenne par exemple, des pays tels que les pays nordiques (Suède, Norvège, Finlande), tentent de s’opposer au soutien implicite de l’Union Européenne à des dictatures françafricaines.

« Nous les fonctionnaires, vous ne pouvez pas imaginer le nombre et la nature des informations que nous mettons à disposition du Conseil européen pour prendre des décisions. Mais chaque fois que nous faisons des recommandations contraignantes contre votre régime, la France vient toujours tout bloquer. Et je dois vous avouer que beaucoup de pays n’y connaissant rien au Cameroun, et d’autre part la France ayant de nombreux intérêts économiques au Cameroun, par solidarité européenne, les autres pays cèdent et tout ça rentre dans les tiroirs ».

C’est en substance le dépit exprimé par une fonctionnaire européenne en charge du Kamerun à la Commission Européenne, lors de plusieurs rencontres entre l’Union Européenne et le Code, dans le cadre des activités d’information politique de ce groupe de diaspora. Une façon voilée de dire l’impuissance de la technocratie face aux intérêts néocoloniaux et impérialistes qui phagocytent le développement de l’Afrique et plus particulièrement du Kamerun.

Le même scénario se produit à l’Onu, où des organes associés tels que le Comité d’Action contre la Torture (Cat) dénoncent les barbaries anti-démocratiques de Paul Biya, mais ne sont pas suivis dans leurs recommandations par les représentants des pays au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies ou au sein des organes décisionnels tels que le Conseil de sécurité ou autres. Cette sournoise complicité des décideurs politiques des organismes représentatifs de la « Communauté internationale » oblige même les acteurs techniques de ces mêmes organismes à s’autocensurer lorsqu’il s’agit de décrire les situations de crise politiques au Kamerun, avec leur lot d’abus flagrants et meurtriers des droits fondamentaux des citoyens. C’est ainsi qu’en avril 2010, les experts de la Cat ont exprimé leur satisfaction d’avoir reçu des contre-informations de la part de groupes politiques de la diaspora et d’Ong de lutte contre la torture, car disaient-ils alors, ils ne pouvaient pas à eux seuls s’opposer aux mensonges d’Etat proférés par les autorités camerounaises à propos de la crise politique de février 2008. Il leur fallait ces contre-informations pour pouvoir efficacement questionner les autorités camerounaises, faute de quoi les décideurs politiques de l’Onu auraient pu invalider leur travail pour cause d’impartialité.

On constate donc que qu’au sein même des institutions noyautées par la communauté internationale occidentale, le face-à-face technocrates - politiques laisse apparaître quelques oppositions internes dont malheureusement les politiques sortent toujours vainqueurs.
Il est donc compréhensible, mais inacceptable, que la position de la communauté internationale occidentale dans les crises politiques au Kamerun veuille en premier lieu préserver ce manque de souveraineté du Kamerun. C’est ainsi qu’il faut comprendre le silence complice de la communauté internationale surtout occidentale, suite au tripatouillage constitutionnel d’avril 2008, réalisée sur une rivière de sang caillé : tant que le valet Paul Biya est au pouvoir, le pillage des ressources du Kamerun est assuré, et « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Il vaut mieux conserver au pouvoir un dictateur chef d’un régime de kleptomanes, plutôt que de faire triompher la démocratie, la justice et le respect des droits humains. Dans ce sens, toutes les crises politiques postérieures à la proclamation de l’indépendance du Kamerun, ne sont que des conséquences de la longue crise de 1948 à 1960.

En somme, comme depuis 1948, ceux qui ont eu les faveurs de la communauté internationale occidentale au Kamerun, sont ceux-là qui n’ont jamais voulu des indépendances et qui ne veulent pas aujourd’hui d’une véritable souveraineté.

On peut donc, en revenant à la première affirmation, confirmer avec encore plus d’éléments que ceux repris ci-dessus, que la communauté internationale occidentale, telle qu’elle continue jusqu’aujourd’hui de déléguer une bonne part de sa politique vis-à-vis du Kamerun à la France, ne peut en aucun cas constituer un point d’appui pour une véritable libération du Kamerun ni pour la moindre amélioration des droits politiques et humains des Kamerunais, encore moins pour une élévation même minime de leur standard de vie.

Il importera donc que le Kamerun libre et souverain qui ne manquera pas de se lever très prochainement, se penche sur d’autres composantes de la communauté internationale, entendue cette fois-ci dans son sens le plus strict et le plus large possible. Il s’agira alors de se tourner préférentiellement vers les pays de zones géographiques ou économiques qui se sont libérées du diktat de la communauté internationale occidentale. L’Amérique du Sud et l’Asie en sont quelques unes, dont l’intérêt et l’influence vont grandissantes dans la prise de position de grands rassemblement tels que l’Onu, l’Omc, ou d’autres entités politiques et économiques.

C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut comprendre la lente évolution des clubs fermés de pays dit puissants (G8) vers des groupes de plus en plus ouverts, comprenant également des pays dits émergents (G20). Au sein de ce G20, quoique ce regroupement soit plutôt informel, les prises de positions sont de moins en moins soumises à la seule préservation des intérêts économiques des pays du G8, mais intègrent aussi des considérations propres aux pays du « Tiers-monde » dont sont issus le Brésil, l’Inde, ou l’Afrique du Sud, pour ne citer que ceux-là.
A titre d’exemple, les attitudes de l’Afrique du Sud et dans une moindre mesure de la Russie et de la Chine dans la crise post-électorale ivoirienne démontrent que la communauté internationale occidentale, bien que toujours relativement plus puissante que d’autres, ne peut plus à elle seule dicter sa loi sans résistance dans les pays encore sous influence néocoloniale comme le Kamerun.
Dans ce sens, les rapports entre la communauté internationale et le Kamerun ne sont donc pas voués à l’adversité permanente, à partir du moment où l’entendement de la « communauté internationale » ne s’arrêtera plus à sa seule partie occidentale.
Moïse Essoh
*Secrétaire exécutif du Code


Quelle place et quel rôle pour l'Onu au sein de la communauté internationale?
La Communauté internationale, comme s’interrogea naguère le Maréchal Foch lors des travaux préparatoires de la Conférence de Versailles au lendemain de la première guerre mondiale, on peut se demander : « et d’abord de quoi s’agit-il ? »
Expression assez générique à laquelle on n’a pu jusqu’ici accoler une définition claire et précise, la Communauté internationale est généralement confondue avec des Organisations et Institutions internationales voire, avec des Organismes intergouvernementaux ou non gouvernementaux.

La Communauté internationale est une entité juridique basée sur des Accords internationaux. Elle est constituée d’États souverains et gouvernée par deux principes directeurs somme toute contradictoires : le devoir ou l’obligation d’assistance et l’obligation de non intervention ou de non-ingérence dans les affaires internes à un État. Le premier principe  exige la mobilisation de tous les États, au nom de l’humanité, pour apporter aide, secours et protection aux populations en cas d’oppression interne ou externe dont la population d’ un État serait victime ; ainsi que dans des situations de catastrophe ou de cataclysme naturels. Le second principe quant à lui, ambitionne de protéger et d’affirmer la souveraineté des États aux tissus social, économique, politique, militaire, technologique et diplomatique encore embryonnaires, voire très fragiles, face aux appétits de puissance et les velléités hégémoniques des États les plus « avancés » ou « puissants ».

L’antagonisme de ces deux principes semble justifié les hésitations à intervenir voire, quelques très controversées  actions de la Communauté internationale face à certaines situations et autres fléaux que connaissent nombre d’États ; notamment en Asie, au moyen et proche orient, en Amérique latine et encore avec plus d’acuité en Afrique au sud du Sahara. Au rang de ces situations et fléaux, nous pouvons mentionner: la pauvreté, les catastrophes naturelles, la corruption, les attentats terroristes, les violations massives des droits humains ; à cela il faut ajouter les mouvements rebelles, la criminalité transfrontalière, la prévarication des derniers publics, les prises d’otages et la crise de la démocratie (révisions constitutionnelles à l’emporte-pièce, patrimonialisation et monarchisation du pouvoir, difficile alternance au pouvoir, fraudes électorales, difficile acceptation de la sanction des urnes…) qui viennent assombrir d’avantage l’univers africains.

La volonté de puissance et le besoin de satisfaction des intérêts égoïstes ont toujours été au cœur des relations tant bilatérales que multilatérales entre les États ; d’où la prégnance des élans conflictogènes et belligènes entre eux. Et c’est pour préserver l’humanité des affres de ces situations que la Communauté internationale, après l’échec de la Société des Nations (SDN) à empêcher au monde de connaître une seconde fois les horreurs de la guerre, avait créé l’ONU en 1945 pour encadrer et réguler les relations entre États tout en lui assignant trois buts principaux : garantir la paix et la sécurité internationales,  préserver la liberté et l’égalité souveraine des États et assurer leur développement harmonieux.

Même l’avènement de l’ONU n’avait pas pu contenir les élans hégémoniques des États et l’on assista à la division du monde en deux blocs idéologiquement opposés.

La chute du mur de Berlin en 1989, synonyme de la fin de la guerre froide ou de l’antagonisme Est-ouest avec l’unipolarisation du monde qui s’en s’était suivi, avait laissé penser à l’avènement d’un monde plus juste et plus égalitaire ; mais loin s’en faut. Avec l’émergence de nouveaux acteurs non étatiques, la Communauté internationale a connu alors plusieurs mutations et transformations ; elle est aujourd’hui confrontée à des défis humanitaire, écologique et sécuritaire ; elle est en quête de stabilité et est émaillée par le paradoxe de la clôture et de la décentralisation.

Face à toutes ces considérations, on est fondé à s’interroger sur la place et le rôle de l’Organisation des Nations Unies (ONU) au sein de la Communauté internationale. En effet, au regard des défis et mutations de la société internationale, l’ONU peut-elle encore être appréhendée comme l’institution far de la Communauté internationale en matière de préservation et de garantie de l’idéal de paix et de sécurité, de liberté et d’égalité souveraine des États ainsi que de développement de tous et de chaque État ? Est-elle encore le véritable « gendarme » du monde en mouvance continue ? est-elle une Organisation intergouvernementale neutre ou constitue-t-elle simplement un instrument sous le couvert duquel certaines grandes puissances maîtrisent l’agenda international et imposent leur volonté aux autres membres de la Communauté des nations ? n’est-il pas nécessaire aujourd’hui, dans une perspective de redynamisation et de revitalisation, de redéfinir les missions assignée à l’ ONU par la Charte de San Francisco du 26 juin 1945?

Toutes ces questions témoignent en fait de la difficulté que l’on a à mieux situer l’ONU au milieu de la constellation ou du réseau assez étendu des Organisations à caractère universel ou régional qui émaillent la Communauté internationale et qui concourent toutes, directement ou indirectement, à la réalisation de la paix et de la sécurité, de la liberté et de l’égalité ainsi que du développement des États. Dans cette perspective, la place véritable de l’ONU est intimement liée voire, conditionnée par son rôle non seulement tel que défini par la Charte de San Francisco, mais aussi et surtout tel qu’elle s’accomplie effectivement des prescriptions de cette Charte.      
Il ne fait l’ombre d’aucun doute, la Communauté internationale en créant l’ONU au lendemain de la seconde guerre mondiale, ambitionnait de se doter d’une Institution forte, transcendant les États et capable de la conduire vers une destinée épanouie.
Ainsi, aux termes du préambule et de l’article 1er de la Charte des Nations Unies, les buts que poursuit l’ONU se résument au triptyque paix, liberté et développement ; même comme la paix apparaît comme « le but des buts ». La Charte définit également les principes (art 2) qui doivent conditionner les actions des membres dans la poursuite de ses buts ; elle a également doté l’ONU d’un ensemble d’Organes principaux et subsidiaires (art 7) devant poursuivre ces buts tout en donnant la responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, qui conditionne inéluctablement la réalisation d’autres buts, au Conseil de sécurité (art 24).  

Sur ces fondements, l’ONU a eu à mener des actions que nous pouvons globaliser en trois catégories : les actions juridictionnelles, diplomatiques et militaires.

Dans le cadre des actions juridictionnelles, l’ONU a eu à régler par le canal de la Cour internationale de justice (CIJ), son organe judiciaire principal, plusieurs conflits de droits opposant les États, tout en les apportant des solutions définitives. L’action de la CIJ dans le règlement des différends s’avère être dans l’ensemble très efficace, en considération du faible taux de contestation de ses Arrêts par les États parties à un différend ; ces États se fondent même parfois sur ces Arrêts pour se prévaloir de la légalité ou de la légitimité de certaines de leurs actions.

Relativement aux actions diplomatique, l’ONU se fonde généralement sur le chapitre VI de la Charte pour mener des opérations de médiation, de conciliation ou des bons offices pour mettre un terme à des conflits de nature politique qui opposent deux États entre eux, ou les ressortissants d’un même État (tel est le cas en ce qui concerne les conflits politiques africains).

En ce qui concerne les actions à caractère militaire, elles sont appréciables au travers plusieurs opérations ou missions de maintien de la paix que l’ONU organise et coordonne à travers le monde par l’envoi des soldats de la paix (les casques bleus) dont la principale mission consiste à s’interposer entre les belligérants inter ou intra étatiques afin de leur permettre d’aller à la table de la négociation. On peut d’ailleurs en citer plusieurs exemples de conflits intra étatiques où on observe la forte présence des soldats de la paix : le Soudan, la RCA, la Côte d’Ivoire, la RDC, la Somalie, l’Irak, la Bosnie…

Aussi, dans des situations d’extrême détresse et lorsque les mesures de police entreprises par le Conseil de sécurité n’ont pas produit des résultats satisfaisants, l’Onu, agissant en vertu du chapitre VII de sa Charte constitutive, est portée à prendre des mesures coercitives à caractère politique et économique à l’encontre des gouvernements ou singulièrement à l’encontre de certains gouvernants indélicats ; elle est même souvent amenée à constituer des Commissions d’enquête pour établir des responsabilités tant individuelles que collectives (cas de la Yougoslavie en 1992, du Rwanda en 1994, du Burundi en 1995…).

La paix est la sécurité internationales tant souhaitées et rêvées connaissent aujourd’hui des coups de boutoir en raison d’un ensemble de traits caractéristiques de la Communauté internationale. L’ONU n’a pas pu se constituer depuis sa création comme on pouvait le penser, ni en législateur suprême de la Communauté internationale, ni en une Autorité supranationale, ni en un véritable gendarme universel devant garantir l’application du droit international et sanctionner sa violation au besoin par la contrainte ; elle n’a pas non plus pu constituer une Juridiction absolument obligatoire, car la justice internationale repose sur le consensualisme, ni préserver l’égalité souveraine des États , ni endiguer la tension permanente entre l’unilatéralisme et le multilatéralisme ou entre l’universalisme et le régionalisme.

Les tensions qui traversent la collectivité des Nations aujourd’hui se manifestent sur le terrain économique, politique, idéologique, écologique, militaire et culturel ; auxquelles il faut ajouter la fracture nord-sud ou entre les pays développés et ceux sous-développés, en voie de développement, voire pauvres et très endettés.

Pour toutes ces raisons et face à toutes ces tensions, qui somme toute témoignent de l’échec ou  de l’incapacité avérée de l’ONU de pouvoir surveiller seul la vaste communauté des États, l’on a assisté à un babélisme des regroupements régionaux (UE, UA, OEA…) ou sous régionaux (OTASE, SADC, CEMAC, UEMOA, CDEAO…) voire, l’adoption des pactes de défense inter étatique (OTAN, le Pacte d’assistance mutuelle de la CEEAC) qui offrent aux États parties les solutions identiques à celles de l’ONU et parfois plus adaptées à leurs spécificités (même si la Charte des nations unies soumet l’effectivité de certaines actions militaires à l’accord préalable du Conseil de sécurité ; point n’est plus de préciser que cette exigence est souvent bafouer comme en témoigne l’intervention de la coalition occidentale, conduite par les États-Unis sous le couvert de l’OTAN en Irak depuis 2003). Pour bon nombre d’États en fait, l’ONU est aujourd’hui plus une tribune ou un instrument aux mains des grandes puissances pour soumettre encore plus d’avantage les autres États à leur seule volonté ; en témoigne le mode d’adoption des résolutions du Conseil de sécurité qui nécessite absolument l’aval des 5 membres permanents.

L’Onu n’a pas encore pu jusqu’à nos jours instaurer à travers ses actions un véritable ordre public international faisant une grande place à la justice, l’équité et la solidarité. Elle lésine encore à prendre en considération tous les facteurs stabilisateurs et déstabilisateurs ; les forces individualistes et les tendances solidaristes ; les vecteurs de fusion et d’union ou d’intégration. L’ONU tarde à construire les liens de coopération mutuellement bénéfiques pour tous. Il est en effet avéré que les appétits de puissance, les velléités hégémoniques et la volonté des États de vider leurs différends par la violence ne disparaissent pas par la seule vertu des normes juridiques contenues dans la Charte de San Francisco et d’autres Textes connexes sur lesquels l’Onu fonde ses actions ; dans cette logique, l’Onu ne parvient pas à définir un standard minimum de règles de jeu parallèles ou alternatives à partir desquelles les relations internationales vont être menées. Aussi, la logique des solutions consensuelles que l’ONU a adopté  ne permet pas d’aboutir à une solution durable concernant les problèmes d’intérêt commun, qui ne sont tel que lorsqu’ils intéressent en premier chef les 5 (États-Unis ; France ; Chine ; Grande Bretagne ; Russie).

La paix et la sécurité internationales qui étaient le but des buts de l’Onu ne sont pas aujourd’hui pleinement garanties, en témoigne la non maîtrise des armements par cette dernière (les tentatives existants en la matière telles les Traités SALT I, SALT II et START de 1972, 1978 et 1991signés entre les États-Unis et la Russie sont plus des initiatives privées des États concernés). L’ONU ne parvient pas à s’adapter au nouveau visage de la paix et de la sécurité internationales qui passent par la sécurité humaine (redistribution juste et équitable des richesses et des biens) ; la sécurité politique (établissement d’un régime de liberté, d’égalité, de démocratie et de participation internationale) ; la sécurité sociétale (préserver l’identité culturelle des groupes humains) et la sécurité environnementale (exploitation durable des ressources). L’ONU dépasse très rarement ses missions traditionnelles en matière de maintien  et de consolidation de la paix ; ce n’est que timidement ou dans des cas isolés qu’elle construit cette paix (cas du Salvador où elle s’était fortement impliquée dans les réformes législatives et constitutionnelles, l’organisation des élections) ou l’impose de manière perpétuelle comme (voir l’opération « Restor hope » en Somalie).

Enfin de compte tous ces échecs de l’ONU justifient aujourd’hui sa nécessaire redynamisation ou revitalisation ; ceci doit être envisagé en terme d’adaptation à la conjoncture internationale  et d’invention de son nouveau rôle ou ses nouveaux défis qui doivent concerner : sa réforme profonde (élargissement inéluctable de son Conseil de sécurité) ; le désarmement et la lutte contre les Armes légères portatives de petit calibre (ALPPC) ; la lutte contre le trafic des drogues et autres substances psychotropes ; le terrorisme ; la réduction du clivage nord-sud en terme de développement humain et technologique ; la préservation du climat ; le développement durable ; l’avenir du genre humain ( interdire le développement des recherches sur le clonage humain) réguler l’immigration internationale et restaurer ou consolider la démocratie plus particulièrement en Afrique au sud du Sahara. Tout ceci n’étant possible qu’à travers sa franche collaboration, (plutôt que son envie de les supplanter)  avec les Organisations régionales qui la concurrencient énergiquement  dans la tentative de résolution des problèmes internationaux. L’ONU ne pourra en définitive retrouver sa place d’Institution internationale far et digne représentant de la société internationale  que du jour où elle se libérera de son embrigadement par les 5 membres permanents de son Conseil de sécurité dont le droit de veto qu’ils bénéficient renferme les germes de son propre sabordage.

Tchuisseu Njouemen Rocher de Dieu

Doctorant en Droit public à l’Université de Yaoundé II


Jusqu'où peut on avoir confiance en l'Onu?
Définitions
Qu’est–ce que l’Onu ?
Un champ de définition idoine de l’Organisation des Nations Unies devrait tenir compte des délimitations historiques au sens des relations interétatiques et des mutations internationales induisant les principes d’organisation. Au plan anthropologique, et de façon globale, l’avènement de l’Etat moderne, né de la consécration de l’émiettement féodal s’émancipant du système européen configure une polarisation « inter-stato-nationale ».(1) Il s’ensuit une approche des relations des chancelleries confinée dans une dimension essentiellement conflictuelle : c’est la quête permanente de la puissance(2). Cette conflictualité a régi  les relations internationales confortée par une psychologie de la violence légitime, jusqu’à la constatation de l’immoralité et de l’inhumanité de ses violentes expressions.(3)
Dès lors, une mécanique réactive de la conscience collective ne viendra jamais trop tôt pour démêler l’écheveau constructiviste de la barbarie guerrière(4). De la diplomatie de la canonnière, il  a fallu passer à la diplomatie de la paix et du règlement pacifique des différends internationaux.(5)
Au plan organisationnel, les mutations techniques et révolutionnaires du XIXe et du XXe siècle vont inspirer une certaine classe politico-intellectuelle. La structure des relations  internationales du XXe siècle connaîtra une rupture de l’ordre ancien, marqué par les incuries de la diplomatie sécrète, des traités, des alliances  et des congrès(6). Le caractère non permanent de ces institutions est battu an brèche et fait la place à des structures permanentes. L’Onu née de la défunte Sdn (Société des Nations) qui faisait partie du traité de Versailles(7), et comme cette dernière, se donna une vocation universelle et une dimension fonctionnaliste(8). A l’image des premières organisations internationales à vocation technique telles l’Union Télégraphique Internationale, créée en 1865, et l’Union Postale Universelle créée en 1874, elle se fixe un objectif majeur que résument ces trois défis(9).
- Maintenir la paix et la sécurité internationale ;
- Réaliser la coopération internationale ;
- Et développer entre les nations, les relations amicales.
Pour ses créateurs, ces défis devraient prendre appui sur  des supports ou encore des valeurs fondamentales telles : la liberté, l’égalité, la solidarité, la tolérance, le respect des droits de l’homme, le respect de la nature et le partage des responsabilités(10).
Cependant et malheureusement ou heureusement(11), l’Onu n’est pas une organisation extraterrestre. C’est une organisation humaine, c’est l’émanation de la volonté des Etats.
Organisation intergouvernementale, l’organisation des Nations Unies est une association d’Etats souverains qui est née du Traité de San Francisco aux Etats-Unis à l’issue de la conférence internationale réunie à San Francisco du 25 avril au 28 Juin 1945. Ce traité (Charte) fut signé le 26 juin 1945 et est entrée en vigueur le 24 octobre 1945(12). C’était à la fin de la deuxième guerre mondiale. L’Onu a été créée pour satisfaire un but d’intérêt commun. Même si elle est dotée d’une personnalité juridique distincte de celle des Etats qui en sont membres, et comprend des organes communs qui expriment la volonté propre de l’organisation, il n’en  demeure pas moins vrai qu’elle n’a pour compétence que celles que ses Etats-membres lui ont attribuées(13). L’Onu compte 6  organes principaux qui sont :
- L’Assemblée Générale : Qui est structurée en commissions, comité de sessions, comités permanents  et organes ad hoc, organes subsidiaires (au titre desquels figure les conseils des droits de l’homme), Programmes et fonds, instituts de recherche et de formation et autres organismes. C’est l’organe le plus important du point de vue de sa quantité (192 Etats au 30 juin 2010)(14) mais également  du point de vue de la transversalité de ses compétences(15). Par ailleurs, elle vote le budget de l’organisation.
- Le conseil de sécurité : a un caractère permanent et se réunit sur convocation de son président. Avec 15 membres dont 5 permanents jouissant du droit de véto. Il est composé des comités d’Etats major, du comité permanent et organes ad hoc, des tribunaux pénaux internationaux, du bureau  des Nations Unies  des missions et opérations de maintien de la paix. Le conseil de sécurité a « la responsabilité de maintenir la paix et de la sécurité internationale »(16)
- Le conseil Economique et social : Constitué  de commissions techniques, commissions régionales, institutions spécialisées et organisations apparentées, programmes et fonds, institutions de recherche et de formation, organes d’experts ad hoc et apparentés. Faisant l’objet du chapitre X de la Charte, il est composé de 54 membres élus par l’Assemblée Générale pour trois ans et renouvelé par  tiers chaque année. Il était initialement composé de 18 membres avant de passer à 27 en 1966. C’est un  organe consultatif qui fait des études et rapports sur les problèmes socio-économiques et sur l’Assemblée Générale, aux Etats membres et aux institutions Spécialisées intéressées(17).
- Le Conseil de tutelle : régi par le chapitre XIII de la Charte, il est composé d’un nombre variable de membres, outre les 5 membres permanents du conseil de sécurité, y siège un nombre de représentants d’Etats administrant des territoires sous tutelle, qui est égal à celui des représentants d’Etats non administrant. Depuis que le dernier Etat sous tutelle (les îles Palaos) est devenu le 185e État membre de l’Onu, le rôle de cet organe a considérablement  diminué(18).
- La Cour Internationale de la Justice : Principal organe judiciaire de l’Onu est composée de quinze juges, indépendants de leurs Etats d’origine, élus pour 9 ans et rééligibles conjointement par l’Assemblée Générale et le conseil de sécurité. Elle est compétente pour trancher les litiges juridiques entre Etats et pour donner des avis consultatifs en matière juridique. Les arrêts rendus par cette dernière sont obligatoires pour les parties. Les avis consultatifs sont les opinions rendues par la Cour sur un point de droit dont les conclusions ne sont pas obligatoires(19).
- Le secrétariat Général : sous le chapitre XV de la charte est composé du cabinet du Secrétaire Général /Onu, des bureaux, des départements et des offices (Vienne en Autriche,  Nairobi au Kenya, Genève en Suisse, la Haye aux Pays). Le Secrétaire Général, le « plus haut fonctionnaire de l’organisation » nommé par l’Assemblée Générale sur recommandation du conseil de sécurité pour cinq ans renouvelables, exerce des fonctions politiques (pouvoir de saisir le conseil de sécurité de toute affaire compromettant la paix)(20), des fonctions diplomatiques dans le cadre de la résolution pacifique des différends21ou quotidiennement des fonctions administratives(22).
Dès lors, se poser la question de savoir si l’Onu est digne de foi, capable et jouit de la pleine volonté d’assurer la sécurité mondiale et de garantir la justice internationale reviendrait à notre sens à s’interroger sur les  convictions  profondes de ses pères fondateurs. Ce qu’il convient de toujours garder à l’esprit c’est le fait que l’Onu est une organisation mise en place par les vainqueurs de la guerre. Ceux qui se sont partagé le monde après la victoire(23). Le problème est donc de savoir si les pères fondateurs de l’Onu l’ont créé de manière neutre et détaché avec le seul souci d’instaurer la paix et la sécurité internationales.

Il se dégage une impression autre. Ils se dégage l’impression que malgré la raison philosophique de la préservation de l’humanité, continuum d’une prise de conscience collective de la valeur de « paix perpétuelle »(24) qui s’est matérialisée à la naissance de la sdn (I), la création d’une organisation planétaire chargée de veiller sur la paix et la sécurité de l’humanité n’a jamais eu pour objectif premier le recul des aspirations nationales et les appétits de puissance des vainqueurs de la guerre(II).

L’Onu au chevet  du monde

Il y a six ans de cela en octobre 2005, l’Onu célébrait son soixantenaire. A la faveur d’une rétrospective, le constat a  été fait selon lequel aujourd’hui, plus que jamais, l’organisation mondiale est sollicitée et se comporte désormais comme le « médecin du monde des soubresauts de la planète »(25). Pour comprendre cette assertion, il est nécessaire au préalable d’invoquer le champ d’intervention de l’Onu qui se décline en un triptyque thématique à savoir : la paix et la sécurité, le développement et les droits de l’homme. Ces domaines s’interpénètrent et se renforcent mutuellement.

A – La paix et la sécurité
Les Nations Unies ont connu un accroissement  des mesures et d’actions visant à garantir la paix et la sécurité internationale sans précédent depuis 1945 date de leur création. En effet, pendant toute la période de la guerre froide et surtout après, le monde a connu un embrasement spectaculaire des conflits qui ont pris des formes les plus diverses. C’est ainsi des conflits inter Etatiques, l’on est passé aux conflits civils ethniques, religieux, culturels,(26) etc... Cette complexité grandissante des menaces à la sécurité internationale a amené l’organisation planétaire à multiplier ses interventions et à rechercher les méthodes d’adaptation(27). C’est ainsi qu’à travers les années, l’Onu est passée des opérations de maintien de la paix (Peace keeping) aux opérations de consolidation de la paix (Peace building) en passant par celles de rétablissement de la paix (peace making).(28)

Le maintien de la paix des Nations Unies ne cesse d’évoluer tant sur le plan conceptuel que sur le plan opérationnel. Les Nations Unies ont vu ces dernières années leurs capacités utilisées à leurs limites. A ce jour, 116413 personnels fournis par 118 pays dont le Cameroun sont déployés dans 17 opérations de maintien de la paix, avec 82223 militaires, 10993 policiers, 6683 personnels civils internationaux, 14 254 nationaux et 2 220 volontaires. Ces opérations coûtent  7,8 milliards de dollars par an. Elles déploient 2 70 avions, 17 350 voitures et consomment pour 1,75 millions de dollars de dollars par jour(29).

B - Le développement

Les Nations Unies ont élargi  au fil du temps les dispositions institutionnelles et les structures chargées de traiter les questions de développement.
Sur le plan institutionnel, étant un lieu de débat plus qu’une institution financière, l’Onu a pris à travers les instances chargées d’étudier ces questions, un nombre important de résolutions visant les unes et les autres à créer et instaurer de manière durable un élan de développement mondial(30).

Sur le plan structurel, on peut évoquer la création des organismes tels la  Cnuced(31), le renforcement de cette structure par la résolution 32/197, les actions conjointes de la Cnuced, l’Assemblée Générale et le Conseil Economique et Social, l’élargissement des structures en charge des questions de développement , le rôle des commissions régionales. Il faut également mentionner la création d’un ensemble de programmes spécifiques coiffés par des conseils d’administration, agissant sous le contrôle de l’Assemblée Générale pour insuffler aux autres institutions spécialisées les idéaux et objectifs de la  Charte dans le sens du développement, à l’instar du Pnud  (programme des Nations Unies pour le développement)

C - Les droits de l’homme et l’État de droit.

Au terme de l’article 1, sous–section1-3 de la charte de l’Onu, l’organisation internationale par la résolution des problèmes économiques, sociaux, culturels ou humanitaires et par l’encouragement du respect des droits de l’homme. L’Onu s’atèle alors à  faire appliquer l’ensemble des dispositions relatives au respect des droits de l’homme par les Etats. D’ailleurs dans la philosophie d’instauration de la paix des Nations Unies, le respect des droits de l’homme tient une place prépondérante(32).
Depuis le début du millénaire, les Nations unies ont mis l’accent sur le renforcement des capacités, de l’éducation au droit de l’homme, de l’échange de bonnes pratiques et la nécessaire solidarité qui devra caractériser l’action des Etats membres, au regard de la globalisation des problèmes de la planète. Celle-ci  induisant une  communauté de destin pour toute l’humanité.
Pour mener  à bien tous ces axes de coopération, les Nations Unies ont procédé au renforcement du haut commissariat pour les droits de l’homme et créer un conseil des droits de l’homme avec  de nouveaux mécanismes notamment l’examen, périodique universel, le comité consultatif. Ces mécanismes remplaçant respectivement la Commission des Droits de l’Homme et la Sous-commission(33) des droits de l’Homme.
Cependant, toutes ces mesures et vœux de l’Onu de panser les plaies du monde viennent parfois se heurter à la difficile réalité des souverainetés des Etats. D’ou très souvent leur inefficacité, leur insuffisance, et leur inopérationnalité.
Le dépassement et la désillusion de l’institution onusienne.

Si personne ne conteste l’existence et l’utilité des Nations Unies, il demeure vrai que cette institution fait depuis longtemps déjà l’objet de plusieurs incertitudes, de plusieurs défaillances en rapport avec  ses missions au point où il est de plus en plus évoqué des doutes sur son avenir(34).

Instrumentalisée par les grandes puissances

Ce fut le cas pendant toute la période de la guerre froide qui opposa idéologiquement les puissances de  l’Otan à celles du pacte de Varsovie. C’est ainsi que le conseil de sécurité, organe le plus important en termes d’exercice du pouvoir, embrigader par les conflits de leadership et d’influence entre principalement les Etats Unies et l’ex Urss était devenu la véritable épine dans le pied de l’organisation, ce qui a durablement (35) contribué à la fragiliser. C’est ainsi par exemple que le droit de veto fut utilisé 242 fois en 45 ans .C’est également ainsi par exemple que le dit conseil de sécurité n’a jamais pu qualifier d’agression une action mettant en cause un des membres permanents un Etat soutenu par l’un d’eux.(36)

Cette attitude méprisante à l’égard de l’Onu, s’est encore vérifiée en 2003, le 20 mars lorsque les Etats-Unis unilatéralement et sans l’aval de l’organisation ont décidé d’aller chasser du pouvoir le président Iraquien d’alors Saddam Hussein. L’organisation a tellement été fragilisée au point où elle avait été qualifiée d « infirmier » agissant le plus souvent dans l’urgence et dans les régions délaissées par les grandes puissances dès lors qu’elles n’y ont pas d’intérêt(37).

B- Désillusion financière

La multiplication et la complexité des conflits de nos jours amènent les Nations Unies à densifier et à complexifier également  les opérations de maintien de la paix et les interventions humanitaires.

Ces actions Onusiennes sont devenues plus ambitieuses et plus coûteuses car, il ne s’agit plus seulement de rétablir la paix mais de reconstruire un Etat dans sa totalité. C’est actuellement le cas d’Haïti où l’Onu s’est montrée incapable de coordonner l’aide rapidement. Rôle qui sera finalement rempli par l’armée américaine.
Par ailleurs, les grandes puissances et d’autres Etats mettent à mal le fonctionnement de l’organisation en ne versant pas à temps  leur cotisation annuelle. Les Etats-Unis par exemple sont le plus gros débiteur des Nations Unies avec 61% du total des arriérés des cotisations en 1999(38).
Or, les besoins eux augmentent chaque année, c’est ainsi que les opérations du maintien de la paix de l’Onu 60 ans après sa création absorbe plus de 70% de son budget(39).
Cependant l’Onu fait face à de nombreux défis. C’est ce qui ressort du rapport Brahimi(40), qui en 2005 classait les « menaces, les défis et le changement » en 6 grands types à savoir :
- La guerre entre Etats,
- La pauvreté
- Les maladies infectieuses et la dégradation de l’environnement,
- Les rames nucléaires, radiologiques, chimiques et biologiques,
- Le terrorisme
- La criminalité transnationale organisée

C- L’Onu quel avenir ?
L’Ancien  secrétaire général des Nations Unies ; Kofi Annan, ayant pris conscience de l’évolution de la scène internationale depuis la création de l’Onu, avait appelé à diverses reprises à une refonte de l’institution. Son projet reposait sur quatre piliers complémentaires à savoir : le développement, la paix, et la sécurité collective, les droits de l’homme et l’Etat de droit, le renforcement de l’Onu. Ce projet avait été présenté lors du soixantenaire de l’Onu en 2005. Malheureusement, ce fut un échec à cause des problèmes internes que traversait l’organisation dans le cadre des opérations l’ayant élaboré à savoir : l’opération pétrole contre nourriture en Irak dans laquelle étaient mêlé son fils (41) et l’affaire des viols commis en République démocratique du Congo par la Mission des Nations Unies au Congo Démocratique «(Monuc)(42).
Globalement, le projet de réforme des Nations Unies se heurte par de nombreuses difficultés qui peuvent se résumer  en celles suivantes :
- Le difficile, voire l’impossible élargissement du conseil de sécurité étant l’objet principal de toutes les convoitises, il faut craindre qu’un élargissement trop grand du conseil de sécurité ne vienne davantage affaiblir l’assemblée générale et davantage bloquer les décisions au sein de l’Onu. Sans perdre de vue le glissement vers des règlements de comptes politiques entre Etats voisins ou appartenant à une même région. L’un étant membre du conseil de sécurité et l’autre non(43).
-  L’absence d’un consensus minimum sur certaines questions.
C’est le cas par exemple de l’incapacité en 2005 à s’entendre sur la définition des Nations tels que le terrorisme. Selon certains Etats, une définition  trop extensive du concept reviendrait à criminaliser les « mouvements de résistances nationales »

Par ailleurs, la divergence des intérêts économiques et environnementaux constitue très souvent une véritable pomme de discorde entre Etats. Les Etats Unis et la Chine par exemple, ne voulant pas réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ont fait échouer la conférence  de Copenhague, et ont conclu un accord dans le dos de la communauté internationale.

Le chantage financier des grandes puissances.

L’argent est le nerf de la guerre. Cela est également vrai pour l’Onu, les grandes puissances  à l’instar des Etats Unies prennent appui sur cette réalité pour ne pas admettre des changements,  en brandissant très souvent le  spectre d’arrêts(44) de cotisation ou alors en orientant à leur guise les projets de réformes(45). Cela est d’autant plus vrai que les Etats-Unis le plus gros contributeur avec 22% du budget en 2005 suivis du Japon 19,5% , l’Allemagne 8,6%, la France 6,5%, le Royaume Uni 6,1%.

En conclusion, si personne ne réfute l’existence ni l’utilité de l’Onu aujourd’hui, c’est que l’organisation planétaire a réussi à travers le temps et les épreuves à construire face au scepticisme mondial, un capital de confiance. Mais cette confiance plus que jamais est menacée au point où l’on parle de l’Onu de nos jours en termes de « quatrième âge ». C’est que face l’idéalisme prôné par l’organisation, s’oppose le cynisme et le réalisme de certains gouvernements  qui font que, et il faut le craindre, l’Onu restera encore pendant longtemps l’instrument de la politique étrangère des Etats souverains. Existe-il alors une recette miracle ?
Hans Rodrigues Akam
Dess, relations internationales
1 -Bertrand Badié ; « De la Souveraineté à la Capacité de l’Etat », in Les nouvelles Relations Internationales .Pratiques et théories, sous la direction de Marie  Claude Smouts, Paris, Presses de la Fondation Nationale de la Science Politique, 1998, p.37.
2-H .J.Morgenthaw; Politics among Nations. A Struggle for Power and Peace
3 C’est une dimension des relations Internationales que l’on semble souvent trop vite oublier.
4 -L’on entend par mécanique une construction, un processus qui a pris  du temps à forger l’esprit collectif dans le sens de la déconstruction du conflit absolu dans la perception classique des relations internationales.
5 -Le terme « international » est global, il tient tout aujssi bien compte de la « stalolite »(Sindjoun) que de la transnationalité » (B. Badié).
6 Charles Chaumont et Frédérique Lafay, L’Onu., Paris, 16e adition 2000, p3.
7-Idem, P.4.
8-Voir le fonctionnalisme chez David MItrany
9- Voir charte des Nations Unies.
10-Idem.
11-Malheureusement parce que l’Onu n’est que ce que les Etats ont décidé d’en faire. Heureusement parce qu’elle aurait été issue d’une autre planète incontournable, plus effrayante et même plus dangereuse encore.
12- C. Chaumont, F. Lafay, ibid.
13- Ibid.
14- Le rapport de la 65e session annuelle de l’assemblée Générale des Nations Unies 2010
15- Articles 10 du chapitre IV de la charte.
16-Article 24 de la charte.
17-C. Chaumont, F. Lafay, ibid., pp.27-28.
18- Voire fiche ONU 2010, Ministère des relations Extérieures du Cameroun.
19- Les avis consultatifs sont donnés par la cour soit à la demande de l’Assemblée générale ou du conseil de la sécurité, soit à la demande de tout autre organe ou institution spécialisée de l’ONU, sous réserve de l’autorisation de l’Assemblée générale. Voir chapitre XIV de la charte.
20- Article 99 de la charte.
21-Article 98 de la charte.
22-A ce titre il gère le personnel, prépare et gère le budget de l’organisation, enregistre et publie les traités.
23-ce sont aujourd’hui encore les 5 membres permanents du conseil de la sécurité à savoir les Etats-Unis, la Russie héritière de la défunte U.R.S.S, la Chine, la grande Bretagne et la France.
24-Voir Kant Emmanuel et son projet de paix perpétuel.
25- A. des textes « l’ONU au chevet du monde » Politique internationale, n° 60 été1993, p.196 cité par isabelle Moolier.in L’ONU et  les opérations de maintien de la paix. Paris, Pedone2002.
26-Ils ne sont pas citer en nombre
27- Ainsi l’ONU a-t-elle constitué plus d’opérations de maintien de la paix en 8 ans qu’elle ne l’avait fait an 40 ans ; 27 Opérations de maintien de la paix furent lancées entre 1988 et 1996 contre 14 pendant la période1948 -1988. Soit presque  le double, voir Isabelle Moulier, op.cit., pp.3-4-5.
28- Isabelle Moulier Idem.
29- Rapport 2010 de l’assemblée nationale de l’ONU, ministère des relations extérieures du Cameroun.
30 Les résolutions 2626(X-XV0)du 24 Octobre 1970 contenant la stratégie internationale de développement, la résolution 3281(XXI )du 12 Décembre 1974 contenant la charte des droits et devoirs économiques des Etats, résolution 3201(S-VI) du 1er Mais 1974 contenant la déclaration et le programme d’action concernant l’instauration d’un nouvel ordre économique international plus juste et plus équitable,   résolution 3362 (S-VII) du 16  Septembre 1975relative au développement et la coopération économique internationale, résolution  32/174 du 19 Décembre 1977 relative à la création d’un comité plénier chargé de négociation globale etc…
31 Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement chargée de délibérer, de négocier dans les domaines du comité international en mettant l’accent sur les préoccupations des pays en développement
32 Voir Mutoy Mubiala, le système de protection des droits de l’homme de l’Onu à l’aube du XXIe siècle, Yaoundé, presses de l’Ucac , 2002 ,p.11
33 Rapport 2010 de l’AG Ibid.
34 Philippe Moreau Defarge, cité par Hervé Maequart, ibid, P162
35 Bulletin d’information Novosti,2 février 2007
36 C.Chaumont, F lafay,ibid ,p,36.
37- Hervé Macquat, Ibid.
38-Ibid.
39- Novosti Ibid.
40 Lakhdar Brahimi  dirigea en 2005 un groupe de personnalités de hait niveau aux fins d’étudier la reforme de l’ONU et de soumettre un rapport au Secrétaire General des Nations Unies.
41 Herve Marquart, ibid., p158
42 Ibid.
43 Exemple le Cameroun et le Nigéria
44 AZIS HASBI , ONU et ordre mondial : Réforme pour ne rien  changer , Paris , L’Harmattan, 2005, pp. 78-79.
45 - Idem


Révolution arabe: quel impact sur le nouvel équilibre mondial?

Il est une vérité qui doit être constamment méditée, à savoir que l’histoire, celle qui s’écrit avec grand H, apparaît sur la durée comme un espace ou un ensemble d’espaces interconnectés où se déroule l’essentiel des événements qui comptent à chaque époque, où se joue le destin du monde de l’époque. C’est la théorie du « Grand jeu » qui a inspiré Peter Hopkirk dans son best seller intitulé The Great Game. À chaque époque, cet espace-là dessine une carte qui intègre dans ses mouvements ou exclut, provisoirement ou durablement, superficiellement ou profondément, des zones entières de l’humanité, parce qu’il ne s’y passe rien de remarquable. L’Histoire dont il est question ici est avant tout celle de la conquête du monde et de ses richesses, c’est-à-dire  l’histoire de la mondialisation. De l’avis de nombre d’analystes, il existe par-delà les époques et les ruptures apparentes une continuité profonde dans le « Grand jeu ». Evoquant le passage du XIXè siècle à la guerre froide du milieu du XXè siècle,  Peter Hopkirk écrit que « D’aucuns diraient que le Grand jeu n’a jamais réellement cessé, et qu’au fond il n’était que le signe précurseur de la guerre froide de notre époque, alimenté par les mêmes peurs, les mêmes suspicions et incompréhensions » (1). Eh bien, disons-le, le Grand jeu n’a pas commencé au XIXè siècle : il se joue depuis que la mondialisation existe. Et dans cette histoire-là depuis l’antiquité, la Méditerranée comme le Moyen-Orient ont toujours joué un rôle central, comme cela semble être encore le cas aujourd’hui.

Dès l’antiquité, qui contrôle la Méditerranée contrôle le Moyen-Orient et l’économie mondiale

De l’antiquité jusqu’au XVe siècle en effet, tout se passe dans la Méditerranée et l’océan indien. Le professeur Warnier dans La Mondialisation de la culture (2) décrit ce phénomène de type hégémonique comme une mise en réseau: « On voit apparaître les premiers éléments de mise en réseau systémique de communautés locales en Mésopotamie du sud il y a environ 5500 ans. Par la suite, des nœuds d’échange se développent en Méditerranée orientale, en Égypte, dans l’océan indien occidental ». Nous sommes alors dans le cadre d’une mondialisation impériale qui profite en Méditerranée d’abord à l’Égypte pharaonique, puis à la Perse, à la Grèce d’Alexandre le Grand, à l’empire romain, qui sont alors successivement les acteurs de premier plan du Grand jeu de l’époque. Du côté de l’océan indien dans le même temps, les deux grands protagonistes sont la Chine et l’Inde. Jacques Attali (3) rappelle que pendant toute cette époque, toutes les richesses du monde sont en Orient. Il faut ajouter qu’elles sont également en Afrique subsaharienne, l’Amérique ne faisant alors pas encore partie du monde connu.  L’ambition de l’Occident qui en est dépourvu est naturellement de s’en emparer pour les  gérer. Or l’espace de jonction entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique se trouve être la Méditerranée. Aussi tous les empires  qui se construisent du côté occidental du monde vont-ils s’implanter sur les pourtours de celle-ci, faisant des espaces comme la Baltique et la mer du nord, de simples périphéries. Du contrôle réussi de l’espace péri-méditerranéen, un certain nombre de peuples, tantôt de l’Europe de l’Ouest, tantôt du Moyen-Orient, tirent les moyens de l’emporter dans le Grand jeu et ainsi de bâtir à leur profit une puissance mondiale. A l’époque, nous avons encore affaire à une mondialisation de type impérial sous laquelle le contrôle des richesses passe par la conquête et l’annexion territoriale. Et l’annexion suscite la volonté de pérenniser les conquêtes par un processus d’homogénéisation culturelle, généralement sous le label de civilisation. L’une des plus grandes entreprises de cette nature-là fut la romanisation.  Comme l’empire d’Alexandre le Grand, l’empire romain contrôle la Méditerranée et son pourtour, ce qui lui ouvre également le contrôle de l’Asie mineure et au-delà jusqu’en Mésopotamie. Ce contrôle lui assure la mainmise sur les richesses en provenance de l’intérieur du continent africain, et la  jonction avec l’Orient et ses richesses déjà alors réputées fabuleuses. Quel rôle l’Afrique a-t-elle joué dans le Grand jeu de l’époque ?

Elle y tient le premier rôle à l’époque de l’Égypte pharaonique mais plus au-delà. Sous la domination perse, puis grecque et finalement romaine, seule sa côte méditerranéenne semble désormais digne d’intérêt, si l’on exclut au VIè siècle les périples du navigateur carthaginois Hannon. La côte nord d’Afrique est donc un comptoir à partir duquel, par le biais du commerce transsaharien, le reste du continent peut jouer le seul rôle auquel le confinent les puissances de lors, celui de pourvoyeuse d’esclaves, de peaux, d’ivoire, d’or et de diamants, d’œufs d’Autriche… Sous cet angle-là, elle ne fait pas, elle subit l’histoire depuis une lointaine périphérie, séparée du centre névralgique par l’étendue du désert saharien.  C’est sans doute à cela que pensait en juillet 2007 à Dakar Nicolas Sarkozy lorsqu’il affirmait avec aplomb que « l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire », même si devant les tirs croisés de la critique, Claude Guéant, le Secrétaire général de l’Élysée devait nuancer le propos un an plus tard : « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».

Avec la fin de l’antiquité, de nouveaux grands acteurs émergent, mais le théâtre du grand jeu demeure le même, à quelques réaménagements près.

Au Moyen âge, qui perd la Méditerranée perd le Moyen-Orient et le contrôle du monde

Lorsqu’en 476 l’empire romain d’Occident succombe sous les coups des barbares de l’intérieur de l’Europe sans que ceux-ci puissent  le remplacer, l’Occident sombre dans une période d’anarchie et de régression. Le pouvoir se déplace alors vers le Moyen-Orient et s’installe pour un temps à Constantinople. On peut affirmer que le pouvoir est toujours occidental puisqu’il s’agit de l’empire romain d’Orient, empire  chrétien ayant pris le nom d’empire byzantin. Pourtant avec  son centre désormais en Orient, coupé de l’Occident dès le couronnement de Charlemagne et le Grand schisme d’Orient, il contrôle le pourtour de la Méditerranée dès le VIè siècle mais désormais au profit du Moyen-Orient, et cela explique sans doute le sac répété de Constantinople  par les croisés en 1203 et 1204. Très vite d’ailleurs, dès le VIIè siècle, l’empire byzantin est progressivement encerclé par le califat musulman, et coupé de ce fait à la fois de la Méditerranée ainsi que des routes de la soie et des épices qui conduisent vers les richesses de l’Extrême-Orient. Et s’il tient bon jusque vers 1453, c’est parce qu’il se ménage une issue vers le nord et la Russie.

Comme au cours de la période précédente, la Méditerranée et l’espace alentour,  tombant entre les mains des califes, les successeurs du prophète, en font les nouveaux maîtres du monde. C’est ainsi qu’entre le VIIè et le XIè siècle, les Omeyyades, les Abbassides et les Fatimides vont régner sur le monde occidental depuis Damas, Cordoue, Bagdad et l’Afrique du nord.  Dès le VIIIè siècle, les Omeyyades contrôlent en effet un vaste territoire qui va du Maroc aux confins de la Chine et de l’Inde du Nord. Concomitamment, l’Occident sombre dans l’âge des ténèbres. Au cours de cette période deux grandes forces structurent la Méditerranée et le Moyen-Orient : la force dominante d’abord qui est arabe au départ puis progressivement musulmane, et la force contestatrice chrétienne représentée en Orient par l’orthodoxie byzantine et en Occident par de multiples royaumes et principautés perpétuellement en conflit mais coiffés par l’autorité spirituelle de la papauté. L’affrontement entre ces deux forces prend donc naturellement une coloration religieuse, « croisades » d’un côté, « jihad » de l’autre. Théoriquement l’Occident chrétien se bat pour récupérer les lieux saints occupés par les Musulmans depuis le VIIIè siècle mais en réalité l’enjeu est la reprise de la Méditerranée et l’ouverture des voies commerciales vers l’Extrême-Orient, avec au bout le retour sur la scène mondiale. Cet objectif ne commencera à se réaliser qu’avec la sortie du Moyen âge.

La fin du Moyen âge et le retour de l’Europe occidentale sur la scène mondiale

Dès le XIIè siècle, la stratégie occidentale permet la mise en place d’Etats fortifiés sur la côte orientale de la Méditerranée : Edesse, Antioche, Tripoli, Jérusalem… Derrière ce rempart puissamment fortifié grâce aux Hospitaliers et aux Templiers, la Méditerranée redevient progressivement une mer occidentale et le commerce méditerranéen qui s’intensifie et devient florissant recommence à profiter à l’Europe. Le pouvoir économique qui était passé à Bruges sur la Mer du Nord redescend à Venise sur la Méditerranée. Cependant, les richesses de l’Extrême-Orient restent contrôlées par les empires du Moyen-Orient – l’empire byzantin et l’empire musulman des Turcs, les villes les plus opulentes de ce côté de la planète étant Bagdad, Damas  – et seule une infime part de cette manne tombe entre les mains des commerçants européens. Aussi la découverte du cap de Bonne-Espérance à la fin du XVè siècle permet-elle de se passer pour un temps de la Méditerranée. Conséquemment, la Mer du Nord reprend le pouvoir et avec elle, Anvers. Fondant la compagnie des Indes orientales au début du XVIIè siècle, les Hollandais investissent une bonne partie de l’Asie du sud-est à partir de laquelle ils remontent vers le Moyen-Orient. Cet exemple est vite suivi par les Britanniques puis les Français. C’est le véritable début de ce qui sera identifié au début du XIXè siècle comme le Grand jeu par Rudyard Kipling, lorsque l’empire des tsars s’en mêlera. Le blocus musulman contourné, l’Europe renoue avec l’Asie qui est encore à ce moment-là première puissance économique mondiale : nous sommes alors vers 1750. L’Europe démantèle l’Asie et, grâce à la révolution industrielle, redevient la première puissance de la planète dès le début du XIXè siècle. Ce faisant, elle dispose enfin des moyens de régler la question du Moyen-Orient ou plus précisément ce qui a été appelé « la question d’Orient ».

On sait qu’avec la chute de l’empire byzantin en 1453 l’essentiel de la Méditerranée ainsi qu’une bonne partie du Moyen-Orient tombent entre les mains des Turcs Ottomans dont l’empire, prenant le relais de celui des Seldjoukides, couvre trois continents dont l’Europe jusqu’aux frontières austro-hongroises, l’Asie jusqu’à la Perse et l’Afrique du Nord. La question d’Orient naît alors de la rivalité entre l’Autriche-Hongrie, l’Angleterre et la Russie, trois puissances européennes qui rêvent de démanteler l’empire Ottoman chacun à son profit, avec pour enjeu principal le contrôle exclusif de ou l’accès à la Méditerranée pour les deux dernières. Pour la gestion de l’Asie alors déjà majoritairement entre les mains des Anglais au XIXè siècle, le chemin le plus court reste la Méditerranée et la Mer rouge comme voie maritime, et le Moyen-Orient comme voie terrestre. Le Congrès de Berlin atteint  surtout l’objectif d’écarter la Russie  de la Méditerranée. Cette dernière se concentre par conséquent sur l’Asie centrale, même s’il s’agit d’un espace difficile à franchir pour atteindre l’Inde. Le Caucase soumis, les Russes s’emparent des anciens Khanat musulmans de Boukhara et de Khiva sur la route de la soie entre 1865 et 1873. Tandis que la distance entre l’empire russe d’Asie centrale et l’Inde britannique ne cesse de se réduire, sur le front occidental, l’empire Ottoman sous la pression occidentale entre dans un processus de décomposition. Et c’est à partir de là que les similitudes avec la révolution arabe actuelle deviennent intéressantes.

Le démantèlement de l’empire ottoman prend en effet le visage d’une revendication populaire de libéralisation du régime : c’est le mouvement dit des « Jeunes-ottomans ». En réalité, l’empire ottoman, dont l’économie est déjà sous la tutelle Anglo-française, est  à ce moment-là en banqueroute et l’État fragilisé. On sait que tout part des réformes libérales (Tanzimat) opérées dans l’empire dès 1839 et dont le résultat est l’émergence du mouvement des « Jeunes-ottomans ». L’empire ottoman s’occidentalise donc rapidement et atteint le seuil révolutionnaire à l’époque des « Jeunes-turcs ». Fomenté depuis les capitales occidentales (Genève, Paris et Londres), ce mouvement réussit à provoquer une révolution démocratique (1908) dans l’empire Ottoman mais celle-ci suscite l’hostilité d’une importante faction musulmane conservatrice. L’Occident profite de ces déchirements internes pour accélérer le démembrement de l’empire Ottoman. Les guerres des Balkans réduisent l’empire à l’Anatolie et à la péninsule arabique. La révolte arabe de 1916 organisée par les Anglais (cf. Lawrence d’Arabie) confine les Ottomans à l’Anatolie. Toutefois, la messe ne sera dite que lorsque Moustafa Kemal met fin au Califat en instaurant la république laïque de Turquie. Le danger islamiste est alors conjuré en Turquie, le reste du Moyen-Orient est de nouveau sous domination occidentale, et l’Occident redevenu la première puissance mondiale. Pour certains comme Francis Fukuyama, c’est déjà le début de la fin de l’histoire, que viendra confirmer le démantèlement de l’Union soviétique. Est-ce la fin du Grand jeu ? Loin s’en faut. Avec le début du XXIè siècle, encore une fois les cartes semblent se brouiller et le Grand jeu reprendre de plus belle. Il y a désormais les océans indiens et pacifiques comme théâtres concurrents d’opération. Pourtant la Méditerranée et le Moyen-Orient sont plus que jamais au centre des manœuvres, et l’Afrique toujours dans la périphérie. Pourquoi et pour combien de temps encore ?

Entre l’Orient et l’Occident aujourd’hui, quel rôle peuvent à nouveau jouer la Méditerranée et le Moyen-Orient ?

On sait qu’aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, sous la pression du bloc soviétique dont l’un des objectifs est de lutter pour la décolonisation en vertu du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les empires coloniaux se désintègrent. Dans un sens, cette évolution arrangeait également les intérêts des Américains qui voyaient d’un mauvais œil les systèmes de préférence commerciale qui unissaient les immenses empires coloniaux anglais et français avec leurs métropoles (au début du XIXè siècle, James Monroe avait déjà prononcé un discours historique contre le colonialisme). Au regard du caractère vital des intérêts coloniaux dans le Grand jeu de la guerre froide, la question coloniale sera réglée dans un processus de mutation qui fut en fait un retour à l’original.

On sait qu’avant de devenir un processus de type impérial, le colonialisme fut au départ un phénomène de type marchand. Il n’était alors pas question d’annexer des territoires mais d’établir des comptoirs commerciaux. C’est pourquoi la fin de l’impérialisme fut organisée pour déboucher sur le retour à la colonisation au profit de compagnies des Indes orientales ou occidentales modernes ayant alors pris le nom neutre de multinationales. Ce processus fut donc à juste titre taxé de « néocolonialisme ». C’est pour n’être pas rentré dans ce jeu que l’empire soviétique, faute des moyens de sa politique, s’est effondré. Quel est l’état du Moyen-Orient au moment où le bloc soviétique s’écroule ?
Il faut remonter à l’entre-deux guerre lorsque Lawrence d’Arabie organise les Arabes contre les Ottomans. La promesse qu’il leur fait de la création d’une grande nation arabe ne sera pas tenue au cours de la conférence de paix de Paris en 1919. Cet échec laisse une profonde blessure de laquelle surgira, au lendemain de la mise en place du processus néocolonial,  le nationalisme arabe symbolisé par le parti baas, lequel prendra, contexte oblige, une coloration socialiste (baas, en arabe « Parti de la Renaissance Arabe socialiste »). Le baas s’implante dans tout le monde arabe, soit en 1949 au Liban, en 1952 en Irak, en Jordanie, en Arabie Saoudite, au Yémen, et en 1954 en Lybie et en Egypte. Le programme du baas se présente comme une alternative à l’exploitation des pays arabes sous le joug du capitalisme occidental. Pour Aflaq et Bitar leaders historiques du mouvement, « le socialisme représentait le moyen technique d’organiser la société arabe ». Devant la menace d’un pouvoir de type populaire, la gouvernance occidentale établie va renforcer les pouvoirs en place et en faire des dictatures dépendantes de, donc reconnaissantes envers l’Occident. L’échec total du Baas est consommé en Irak sous Saddam Hussein qui, comme les socialistes de Russie, prend le pouvoir au nom d’une doctrine populaire mais transforme très vite son pays en dictature militaire. C’est sans doute à partir de ce moment-là que, l’alternative populaire ayant échoué, une partie de plus en plus significative du monde arabe se met à reconsidérer sérieusement l’alternative islamiste, laquelle pour la première fois se reconcrétise en Iran en 1979 avec l’Ayatollah Khomeiny. Il faut se rappeler que comme le populisme, l’islamisme est partisan d’une société égalitaire et qu’en outre il est plus ancien que le baas, puisque remontant au milieu du XVIIIè siècle.
L’aggravation des effets pervers des pouvoirs militaires soutenus par le capitalisme extérieur et l’échec de l’alternative populaire représentée par les partis baas vont donc ouvrir une voie de plus en plus importante à l’islamisme dès les années 1970 : Frères musulmans en Égypte puis au Soudan, Front islamique du salut en Algérie, Hezbollah au Liban, Hamas en Palestine. L’islamisme, qui n’est pas encore perçu comme une menace, sera même utilisé contre les Russes en Afghanistan dès 1986. Il aura fallu attendre le 11 septembre 2011 lorsque sous la bannière d’Al-Qaïda l’islamisme qui a décidé de s’en prendre aux intérêts occidentaux en général et américains en particulier frappe en plein cœur des principales institutions qui symbolisent la puissance des États-Unis. Les analystes occidentaux découvrent subitement qu’en soutenant les dictatures contre la rue arabe pendant des décennies, l’on a favorisé la montée de la corruption et l’aggravation de la misère, terreau sur lequel prospère un diable encore plus puissant, l’islamisme radical. Les preuves en sont multiples. Malgré tous les efforts, le régime iranien est toujours en place. En Algérie, on a dû utiliser l’armée pour arracher le pouvoir que la démocratie avait livré imprudemment au Front islamique du salut. Au Liban, le Hezbollah est progressivement devenu maître du jeu politique qu’il contrôle à son profit. En Palestine, le Hamas a remporté des élections et gère la bande de Gaza. En Égypte, les Frères musulmans sont depuis longtemps la force politique la mieux organisée et implantée. Toute analyse faite, il apparaît que si rien n’est fait, à terme, la Méditerranée et le Moyen-Orient vont à nouveau échapper au monde occidental. Au profit de qui et avec quelles conséquences ?
Au moment où se déclenche l’hiver arabe de 2011, les acteurs majeurs du Grand jeu de notre époque sont dans des positions particulièrement intéressantes. L’Occident est en léger déclin face à des puissances dites émergentes conduites par la Chine, laquelle est depuis peu deuxième puissance économique mondiale. Au Moyen-Orient, trois puissances régionales, Israël, Turquie et Iran, luttent pour le leadership. Des trois, deux sont d’anciennes puissances mondialisatrices : la Turquie et l’Iran, héritiers l’une  des Ottomans et l’autre des Perses. La Méditerranée et le Moyen-Orient ont-ils encore la valeur stratégique qu’ils avaient dans l’antiquité et jusqu’au XIXè siècle ?
Premièrement, les richesses du monde, comme en 1750, sont à nouveau en train de repasser en Asie. Si rien n’est fait, d’ici 25 ans, la Chine pourrait redevenir la première économie mondiale à la tête de l’Asie devenant pour le coup la première région économique mondiale. Personne n’est cependant plus obligé de passer par la Méditerranée ou le Moyen-Orient pour accéder à l’Asie. L’argument des réserves pétrolières du Golfe ne convainc pas non plus : la distribution actuelle des réserves pétrolières et gazières à la surface du globe permet de relativiser l’importance stratégique des celles du Golfe. Pourtant, comme les Soviétiques en 1979, les Américains ont défini l’Afghanistan comme une frontière stratégique et le Pakistan malgré les choix ambigus de ses dirigeants est resté un allié indéfectible des États-Unis.
Ces deux pays sont à la fois musulmans et aux confins de l’Inde et de la Chine. Ils sont donc à la fois une menace et un atout. Comme menace, ils sont la base d’Al-Qaïda, donc de l’islamisme le plus virulent de l’heure, incarné par Ben Laden et les Talibans essentiellement constitués de Pachtounes, une ethnie à cheval sur l’Afghanistan et le Pakistan. L’influence d’Al-Qaïda depuis peu a donné un regain important à l’ensemble des mouvements islamistes dans tout le monde musulman. Or l’islam est statistiquement la religion qui progresse le plus vite dans le monde occidental. Si l’Occident semble de plus en plus résigné à voir à terme des mosquées remplacer les églises en terre chrétienne même d’Occident, ses stratèges pensent qu’il est encore possible de choisir le type d’islam qui s’imposerait alors. Peut-être serait-il même possible de résister au mouvement en contribuant à modifier les paramètres internes au monde musulman ? Il s’agirait là alors d’une équation de survie civilisationnelle plus que d’une stratégie de domination du monde. Pour comprendre cette hypothèse, il faut se placer dans la perspective du conflit de civilisations défendue avec un indiscutable succès par un Samuel Huntington (4).  
Les réactions des uns et des autres au fur et à mesure de la progression la révolution arabe sont sur ce point significatives. D’abord réservé, n’étant alors pas sûr de la capacité de la rue arabe à aller au bout du sacrifice nécessaire, l’Occident accompagne désormais le mouvement de tous ses médias. Les États-Unis seraient même allés plus loin en impliquant dans l’organisation, discrètement il va de soi, ses diplomates en poste en Égypte. Au Proche et Moyen-Orient, les réactions sont partagées : Israël s’inquiète, l’Iran s’enthousiasme, la Turquie se réserve, les autres tremblent. Cette révolution pourrait être une chance pour ou contre l’islamisme, cela dépendra de sa gestion finale. Aussi le président Obama a-t-il beaucoup insisté qu’elle doit être profondément démocratique et conduite jusqu’à son terme. Dans le cas contraire, elle pourrait faire le jeu de l’islamisme radical, ce que redoute Israël et que  souhaite l’Iran. Dans la Turquie des Ottomans héritière du califat seldjoukide (le califat seldjoukide  fut le premier à mettre en place au XIè siècle un programme musulman de nature fondamentaliste) l’on sait que seule la mise en œuvre d’un programme libéral porté par les « Jeunes-Ottomans » puis par les « Jeunes-turcs » permit de désamorcer l’islamisme pour déboucher ensuite, avec Moustapha Kemal Pacha, sur la république laïque actuelle qui se bat pour accéder à l’Union Européenne. Ce modèle turc, suspect jusque-là, l’Occident n’hésite plus à le promouvoir auprès du public musulman, comme le fait le journal Le Monde dans son édition du 15 février 2011 sous le titre « Un modèle turc pour les révolutions arabes ? ». Guillaume Perrier qui signe l’article rappelle fort opportunément que « la Turquie, passée, en trente ans, d’une dictature militaire sanglante à une démocratie, encore imparfaite, mais solidement ancrée » a suivi depuis  2002  le schéma de la démocratie chrétienne allemande. Une voie toute tracée donc à suivre.
Il faut dire que ce calcul occidental est historiquement et idéologiquement défendable. La démocratie comme instrument a servi infailliblement au cours de l’histoire les marchands contre les militaires et les hommes d’église. La révolution française de 1789 arrache le pouvoir aux deux classes dominantes de l’ancien régime, l’aristocratie guerrière et le clergé, pour le donner au tiers-état, sauf qu’il est immédiatement confisqué par la fraction bourgeoise de ce tiers-état (cf. Le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier). Ce même processus avait déjà fonctionné dans la Grèce du VIè siècle av. J.-C. avec Solon. Au XXè siècle, autre temps autre lieu, il fonctionne à nouveau en Turquie. L’on sait que la montée en puissance des mouvements contestataires en Iran est liée à l’émergence d’un capitalisme interne de plus en plus puissant et d’une classe moyenne de plus en plus nombreuse. Il est certain que si le processus s’amplifie, le pouvoir religieux dans ce pays a ses jours comptés. Ce schéma pourrait-il s’appliquer aux pays musulmans de la Méditerranée et du Moyen-Orient pour les années à venir ? L’Union pour la Méditerranée chère à Nicolas Sarkozy entrait déjà dans cette stratégie. Une stratégie qui, si elle pouvait se mettre en place, referait du Moyen-Orient un allié sûr et plus stable du monde occidental. Un allié qui dispose d’un pouvoir financier considérable aujourd’hui (les fonds souverains du Golfe), dont le territoire pourrait constituer une base arrière terrestre pour déstabiliser la Chine et l’Inde dans le Grand jeu de demain. D’autant que ces pays dits émergents, disposant aujourd’hui de l’essentiel des moyens d’investissement (plus de 3000 milliards de fonds souverains), semblent décidés à se livrer à l’ancien jeu du néocolonialisme occidental, financer les dictatures aux pouvoirs sur le globe pour d’une part les arracher à l’influence de leurs concurrents, d’autre part conforter leurs positions de futurs maîtres du Grand jeu de demain. Et l’Afrique dans ce schéma ?
Avant la Tunisie, il y a eu la Côte d’ivoire. Puis Ben Ali s’en est allé, au diable vauvert pour ainsi dire, suivi de près par Moubarak. Et tandis que dans de nombreux pays musulmans la rue chante et que les palais tremblent jusqu’à Bagdad jusqu’à Téhéran, à Abidjan les jeunes patriotes chauffés à blanc par  Blé Goudé continuent à marcher pour protéger Gbagbo, comme à Yaoundé les étudiants défilent pour soutenir Paul Biya qui était déjà au pouvoir quand ils venaient au monde. Deux cultures, deux mondes, deux destins ? Alors que la révolution arabo-musulmane est en marche et que dans une espèce d’effet domino des forteresses tombent les unes après les autres le long de la Méditerranée, qu’est-ce qui a bien pu jusqu’ici bloquer l’aboutissement de la révolution ivoirienne qui devait être l’avant-garde de la révolution des peuples de l’Afrique au sud du Sahara ? Pour nombre d’intellectuels africains pourtant aguerris, c’est avant tout la faute de la communauté internationale. Diable ! Et qu’est-elle, cette fameuse communauté internationale ? Avant d’attribuer, comme l’a fait ces derniers mois l’intelligentsia africaine, l’essentiel de la responsabilité à cette nébuleuse, peut-être importe-t-il de se rappeler que la communauté dite internationale n’est  qu’une émanation parmi d’autres de la gouvernance mondiale dont la forme et la légitimité empruntent forcément à celles de cette dernière. Et il a existé autant de gouvernances mondiales que de mondialisations. Il faut se rappeler aussi que malgré l’acharnement de cette communauté dite internationale sur le pouvoir iranien, malgré l’appui multiple que l’Occident assure à l’opposition iranienne, la situation n’a point encore changé dans ce pays. C’est qu’au regard de l’équilibre des forces internes en présence – les forces religieuses, militaires, capitalistes et populaires – le moment n’est point encore venu pour un changement de s’y opérer. Des événements extérieurs peuvent accélérer ce mûrissement mais il faut qu’il ait lieu. Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe va à coup sûr constituer un accélérateur pour l’Afrique subsaharienne. Un important travail reste cependant à faire et il va falloir s’y atteler sans délai et avec sérieux. Le moment approprié pourrait venir plus vite que certains ne le croient.
Par Roger Kaffo Fokou
Enseignant-Ecrivain

1- Peter Hopkirk, The Great Game, Kodansha International, New-York, 1990.
2-Jean-Pierre Warnier, La Mondialisation de la culture, La Découverte, 1999.
3- Jacques Attali, Une brève histoire de 4- Samuel Huntington, Le Choc des Civilisations, Editions Odile Jacob, Paris, 2007


Crise ivoirienne: une opinion africaine de toutes parts handicapée
C’est depuis des siècles que l’Afrique n’est point en mesure de réagir promptement, de façon organisée, quelque peu homogène, même à des agressions qui menacent jusqu’à sa survie. Ce au niveau du continent comme à celui des pays ou des vieilles ethnies pourtant moulées chacune dans un long passé de vie commune, de souffrances et de petites gloires partagées. Au contraire, pour avoir pu préserver l’intégrité de ses valeurs culturelles, religieuses, l’Asie a mieux résisté que le reste du monde dompté à la bourrasque de l’occidentalisation.
La bouillonnante situation en Côte-d’Ivoire est venue rappeler la justesse du titre que Chinua Achebe trouva à son premier roman, Things fall apart ; parce que notre monde s’est effondré, que le Blanc est venu « mettre un couteau sur les choses qui nous tenaient ensemble et nous sommes tombés en morceaux » : plus nous tentons d’agir en organisme vivant, plus nous nous découvrons éloignés les uns des autres, du fait même de nos propres mouvements diversement centrifuges devenus mécaniques, notre éducation à l’école étrangère nous y ayant préparés de longue date ou du fait des dernières manœuvres de l’ennemi commun. Le matraquage médiatique, par des campagnes retentissantes de désinformation, est depuis longtemps conçu pour susciter, provoquer à souhait chez nous le chaos propice à la protection si ce n’est à la promotion des intérêts étrangers, de la Communauté Internationale.

Nous sommes à la fois coincés et éparpillés de maintes façons, au sein même de nos sociétés structurellement et mentalement déstabilisées. Très souvent l’Africain lambda ne dispose guère de moyen fiable d’accéder à l’information qui sauve ; il est tenu en respect par une classe politico administrative massivement infiltrée, globalement aliénée, dans un contexte mondial de retour à la fois feutré et précipité à la Guerre froide.

Que d’énigmes autour de la crise ivoirienne !

- L’Onu (du Conseil de Sécurité) peut-elle promouvoir la Démocratie ? En a-t-elle seulement l’intention ? Honnêtement !? Il lui faudrait commencer par démocratiser ses propres structures, son fonctionnement. En attendant, elle se sert du prétexte démocratique plutôt comme un instrument de domination du monde au profit de certaines puissances nucléaires : la fraude électorale est reconnue et assumée pour maintenir le fraudeur au pouvoir d’État alibi en Afghanistan, en même temps qu’elle est planifiée pour subvertir le nationalisme ivoirien, zimbabwéen, etc.  brandie pour ajouter à la diabolisation de Cuba, la Corée du Nord, l’Iran, la Libye, de la Chine, etc.

- L’agressé est souvent pris pour l’agresseur – toute lâcheté bue : « Si quelqu’un veut vivre en paix, il faut éviter d’attaquer la France. - Et si la France vous attaque !? - … - C’est Gbagbo qui a appelé la France et l’Onu ! qui s’accroche au pouvoir, pour faire souffrir les Ivoiriens ! » On planifie une crise post électorale en Côte-d’Ivoire, pour aussitôt violemment refuser le Président issu de la légalité constitutionnelle ivoirienne, pour ne pas devoir reconnaître, la flagrante imposture : l’accouchement par césarienne d’un Président homme lige de la Communauté Internationale. Un coup d’État, un hold-up électoral soigneusement concerté de longue main par les loups blancs d’une mondialisation cannibale est agité tel un haut fait d’humanisme, le tout premier maillon d’assainissement vertueux des relations internationales en pays pauvres (N. Sarkozy).
- La cécité du Nigeria, avec son Ecomog, au départ d’une guerre civile panafricaine sous prétexte de punir la morgue du « singulier » Bagbo qui s’obstine à refuser à haute voix de faire comme la majorité de ses homologues de l’Afrique noire, de baisser promptement la culotte au moindre désir du Maître aux yeux bleus : « Nous sommes la Cdeao : il n’y a pas de pays ouest africain qui n’ait de ressortissants en Côte-d’Ivoire. » (Laurent Gbagbo) Il n’y a pas une crise ivoirienne, il y a menace fantasmée à terme sur les intérêts occidentaux et apparentés en Côte- d’Ivoire.
- L’amalgame d’une France-Communauté Internationale-la quasi-totalité du Monde Entier, d’une Union Européenne à la discipline de fourmis entre des États apparemment sous tutelle automatique de l’Hexagone chaque fois qu’il faut punir « l’audace », «l’effronterie » d’un pays dominé. La fameuse Ivoirité de l’histoire ancienne, ressuscitée aujourd’hui pour espérer confondre celui qui a pu la contourner, après mout concessions plus ou moins suicidaires, pour permettre à quelqu’un de citoyenneté avérée douteuse de briguer la magistrature suprême.
- L’Union Africaine surgit in extremis et met sur pied une Commission de Facilitation en vue d’« évaluer le processus électoral » et le Secrétaire Général de l’Onu, sans aucun mandat moralement avouable, en prescrit l’objectif (négatif) : la Commission peut tout faire sauf procéder au recomptage des voix. C’est pourtant la même vénérable institution qui a exigé le recomptage en Afghanistan, à Haïti et ailleurs dans le monde, qui n’a pas levé le petit doigt en l’an 2000 lorsque les Usa se sont livrés à une telle opération en Floride pour pouvoir départager Bush et son malheureux vis-à-vis. Des députés Ump sont empêchés par Sarkozy d’aller observer de visu en Côte-d’Ivoire les dernières basses manœuvres de leur gouvernement pour tenter de maintenir pour l’éternité leur pays parmi les Grandes Puissances.
- L’épée à double tranchant de la désinformation, de l’arrogance tonitruante, en vue de pulvériser sa proie, ne manque pas,  à la longue, de discréditer gravement plutôt le bourreau : on crie au hold-up électoral de Gbagbo tout en refusant le recomptage qu’il propose. Sarkozy s’agite (à partir de la tribune de Bruxelles) comme s’il suffisait qu’il tousse pour que Gbagbo démissionne, en perdant certainement de vue le discrédit qu’il jette en même temps sur la fonction présidentielle en France, sur le gaullisme, sur l’humanisme de la culture française des Lumières, sur le sérieux de sa propre personnalité.
- Obama fait miroiter au regard de Gbagbo le costaud salaire d’une chaire à Boston s’il consent à quitter son poste à Abidjan. Est-ce pour reconnaître qu’il n’est lui-même à la recherche, à la Maison Blanche, que d’un peu plus de fortune personnelle, que le sort du peuple américain, du monde, de l’humanité ne l’intéresse guère hors des discours grandiloquents ? C’est à se demander si son étonnant Prix Nobel de la Paix n’est pas paradoxalement pour quelque chose dans la fulgurante maturation de son soudain esprit va-t’en-guerre ; s’il n’est qu’un naïf prisonnier du Système (Yankee) ou s’il a déjà basculé dans le cynisme arrogant d’un Nixon, des Bush ou des illustres Cows Boys géniteurs de la Guerre des Étoiles.

- L’étendard de l’humanisme chrétien tant déployé par des États qui sont en train d’étouffer le peuple ivoirien sous l’embargo multiforme du Vieux Continent, qui ont laissé bombarder tous les châteaux d’eau en Irak, qui viennent de débloquer deux cents millions de francs pour la promotion de l’homosexualité au Cameroun ; tout à fait comme s’ils ignoraient l’unique motif pour lequel leur Dieu avait, aux temps préhistoriques, fait pleuvoir des napalms bibliques sur Sodome et Gomorrhe. J.J. Rawlings disait que « ce qui distingue l’homme de l’animal c’est la honte », devant tout acte posé ou cautionné qui tend à dégrader l’homme, à susciter une idée malheureuse de l’humanité.

Le Front médiatique de la reconquête coloniale

De nos jours, une guerre se gagne ou se perd d’abord par les médias. Et les moyens africains de résistance, ici comme ailleurs se révèlent insignifiants, désespérément résiduels. Presque rien de consistant à l’échelle internationale : Nkrumah au pouvoir avait prévu une radio panafricaine ; Mengistu avait nationalisé dans le même but de conscientisation à longue portée « La Voix de l’Évangile » qui émettait depuis Adis Abeba. Un groupe de journalistes afro antillais avait lancé « Black » au début des années 80, qui avait vite fait long feu, non sans avoir fait un éclairage inédit sur les circonstances de l’assassinat de Syvanius Olympio, et les répugnantes implications françaises à tous les niveaux. A la même époque devait paraître en météore « Afrique », une initiative d’un groupe de journalistes ougandais et nigérians dont une  des constantes avait été d’attirer l’attention du monde sur la perpétuation de la traite négrière au XXe siècle en Afrique même, notamment en Mauritanie et au Soudan, où par exemple, sur les places des marchés périodiques un Noir s’échangeait contre cinq vaches. « Afrique nouvelle », journal catholique paraissant à Dakar, a beaucoup fait, au cours des deux premières décennies des Indépendances, pour accompagner, populariser dans l’opinion africaine, les luttes de libération nationale dans les colonies portugaises d’Afrique, en Namibie, au Zimbabwe et en Afrique du Sud.

A côté (ou en face), le nouveau colon avait lancé avec les Indépendances des années 60 une gamme de périodiques « africanistes » dont le porte-étendard était et demeure Jeune Afrique de Béchir Ben Yamed, révélé Jeune-à-fric par Canard Enchaîné dès 1983 et plus tard vulgarisé dans cette posture par François Xavier Vershave de regrettée mémoire, qui s’en est souvent pris à la presse organique de manipulation françafricaine,
« comme Jeune Afrique, qui ne cachait même plus ses longues relations avec Foccart - qui lui a légué ses archives. Elle est plus riche des articles qu’elle n’a pas publiés que des articles qu’elle a publiés : quand elle a préparé un article gênant, elle demande au dictateur concerné combien il l’achète. »(1).
C’est ainsi depuis longtemps de notoriété publique la perversion mafieuse de ses rapports avec Jacques Foccart, l’âme damnée de la Françafrique. Comme moyen fonctionnel de communication, il ne reste principalement aux résistants diversement isolés du panafricanisme que les pages des réseaux sociaux de l’Internet pour exprimer leur point de vue, se donner éventuellement la main pour plus d’efficacité dans leurs efforts de libération collective.
A l’échelle de chaque pays africain, il ne manque pas de « feuilles de chou » assez téméraires pour tirer plus ou moins fréquemment sur la sonnette d’alarme face à la fulgurante avancée du néocolonialisme. Mais presque partout ces organes de presse manquent de ressources à la fois humaines et matérielles (on ne peut s’y engager et persévérer que si l’on ne nourrit pas certaines ambitions immédiates, que si l’on préfère l’honneur aux honneurs, l’ascèse aux bombances, comme Pius Njawé). Ils n,ont pas accès aux grandes sources d’informations toutes aux mains d’une administration sous trop pesante tutelle, des agences internationales de presse en général montées et fonctionnant comme systèmes de conditionnement perpétuel des peuples à maintenir sous domination, à exploiter sans état d’âme.
Le souverain mépris du Nègre marron continue à se faire ostentatoire, pour pouvoir servir à jamais d’exemple : c’est en mondovision que commence le lynchage à mort de Lumumba par les forces de l’ordre colonial de reconquête immédiate2. Cinquante ans plus tard, Sarkozy procède de la même façon devant ses paires de l’Union Européenne en réunion à Bruxelles, pour hurler à Bagbo l’ordre de démissionner, de s’enfuir dans les 48 heures. Sinon, implicitement, qu’il s’attende à connaître soit le destin de Um Nyobe, de Marien Ngouabi, de Sankara, soit celui de Sékou Touré et consorts.

Des habitudes d’impudentes manipulations médiatiques pour tourner en bourrique même l’opinion occidentale et justifier des guerres de reconquête coloniale : on se souvient peut-être encore de cette « infirmière » effondrée qui témoigna de la dernière cruauté de Saddam Hussein, le massacre d’enfants en couveuses, qui libéra le déclic, vainquit les derniers scrupules de l’opinion américaine, pour laisser les mains libres à Bush Père d’ordonner la première invasion de l’Irak. L’« infirmière » se révéla plus tard, à quelques curieux, n’être que la fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington, « montée » pour les besoins de la cause.

Une Classe politique mandataire

Le colon est resté égal à lui-même – dans ses intentions comme dans ses objectifs : le vampirisme infini de l’économie, de la culture du néocolonisé. La seule nouveauté est qu’il s’affuble désormais de masques vivants en plus grands nombre – il a même changé de peau en Afrique noire. Il a toujours choisi avec un soin méticuleux ceux à qui il a remis l’« indépendance » comme il tend à leur trouver de dignes successeurs de plus en plus obéissants, dépersonnalisés, dévoués à faire appliquer la volonté du Maître, jusqu’au sacrifice de leur vie, des intérêts les plus inaliénables de leurs peuples. Autant que possible, la bonne culture s’étant révélée héréditaire (« L’émotion est nègre comme la raison est hellène. »(3)), on veille désormais à ce que l’alternance au sommet de l’État « républicain » se fasse de père en fils. La stabilité de putréfaction d’une domination étrangère des plus impudiques !

L’Administration des républiques bananières a été conçue et mise sur pied sur la base de la corruption – des hommes et des structures qui continuent de les conditionner dans le sens d’une morale assassine du chacun pour soi et Dieu (l’État aliénant) pour tous. Chaque bénéficiaire d’un bout de Pouvoir Discrétionnaire s’en sert d’abord à des fins personnelles. N’attendez point qu’il manifeste le moindre esprit de service public. Il attend de l’usager au quotidien qu’il contribue à rembourser les sommes engagées pour l’achat de sa nomination-couronnement, à constituer celles nécessaires au maintien de la bonne humeur des innombrables décideurs de la Voie Hiérarchique. Sans oublier l’enrichissement personnel du préposé en question, pris comme tout le monde dans la frénésie de l’enrichissement « sans suer ». La présence voulue sans fin des conseillers techniques de la Métropole garantit le fonctionnement normal du système, veille à ce que le Pouvoir néocolonial demeure aux mains des plus médiocres. Ils n’ont rien à craindre des rescapés de la persécution qui a préparé, accompagné l’« indépendance » et protège son sommeil : l’armée néocolonisée rassure assez, sinon les bases militaires françaises ne sont pas loin.

Le Mal vient de très loin

Malgré le tapage fait jadis autour de l’Assimilation Culturelle comme gage de l’humanisme français au secours des peuplades à sauver généreusement de la barbarie de leurs coutumes anthropophages, la colonisation et ses succédanés (Françafrique, Mondialisation) n’ont jamais fonctionné pour libérer tant soi peu l’homme noir.

« Pour lutter contre les tares héréditaires, ou tout au moins pour les atténuer, pour essayer d’améliorer physiquement et moralement l’indigène, il ne faut pas s’adresser aux parents asservis par les traditions séculaires, mais agir sur la mentalité des enfants. Et pour cela, il est indispensable de l’envoyer à l’école. »(4)
Il fallait donc bâtir la société coloniale sur les cendres de la civilisation africaine. Un homme tué spirituellement peut conserver son corps, comme il arrive qu’un arbre vermoulu, rongé de l’intérieur de sa substance noble, continue à afficher une apparence normale. Cet homme n’est plus un homme. Il a cependant gardé toute sa musculature, sa fonctionnalité animale. Il est devenu zombi, sans volonté propre, à la merci de son tueur utilisateur.

Ses enfants, on prétend pouvoir les sauver – sans leur passé - de leurs croyances ancestrales. Et le Salut, le Chemin de Damas, est dramatiquement élitiste : « Beaucoup sont appelés, mais peu seront élus ». C’est alors une société foncièrement inégalitaire, celle de la loi du plus fort, du plus armé (au fusil) qui se met en place. Civilisation ou barbarie(5) ? s’est inquiété Cheikh Anta Diop.

Sans un effort soutenu d’auto-libération, l’universitaire, l’intellectuel nègre ordinaire demeure culturellement aliéné, complexé à en mourir de haine de tout ce qui n’est pas conforme aux canons établis sur le Vieux Continent, de tous ceux qui ne cessent de prétendre que la source principale de leurs malheurs est la colonisation qui n’a pas cessé : « Il n’y a jamais eu décolonisation française de l’Afrique. Il y a cinquante ans, la France s’est aperçu que la première forme de colonisation lui coûtait trop cher. »(6) Un exemple tout simple : « Aime ton prochain comme toi-même ! » A l’exemple des États coloniaux, néocoloniaux ? De l’Onu, du Fmi ? … L’école coloniale a fait et continue de faire du bon boulot pour le maître d’esclave ; nombre de ses produits, même avant-gardistes continuent de céder à l’envie de penser et agir, de ressentir toujours dans l’attente plus ou moins consciente d’être approuvés, félicités par leurs formateurs dont le dressage a réussi au-delà des espérances les plus folles.

Ainsi, l’intellectuel africain moulé à l’afro pessimisme quelque peu refoulé a du mal à repérer ses meilleurs objectifs stratégiques, à les défendre ardemment, de toutes ses ressources. Il est plus souvent porté à se faire valoir personnnellement, à comprendre qu’à écouter, qu’à observer. Au niveau de la structuration de son argumentaire, il reste prisonnier de la vieille rhétorique de l’équilibrisme spéculatif, artificiel, qui d’habitude ne quitte les cours de philosophie orthodoxe qu’en vue de plomber la réflexion libératrice des « meilleurs élèves » de la Francophonie. Comme si sur un champ de bataille, pour faire Bien, juste mesure, il faudrait tirer autant de balles dans le camp ennemi que dans son camp à soi, dans ses propres jambes. Il en est même qui songent tout le temps à jouer aux arbitres impartiaux entre les paysans sans terre et les multinationales de des Ogm., entre un voisin, un parent en difficulté, agressé, et son bourreau. Voire à excuser ce dernier, par-dessus la tête de sa victime : en bon chrétien, Senghor n’hésite pas à pardonner à la France la perfidie, la roublardise perpétuelles de ses rapports avec ses colonisés.

En général c’est au moment de passer à l’action sociopolitique que l’intelligentsia e nègre conditionné est obligée de repérer par elle-même les innombrables pièges du champ de bataille où elle opère depuis toujours, à son corps plus ou moins défendant. Un autre cache-sexe dont elle s’affuble souvent est le non-alignement – ni à droite ni à gauche, ni du côté des paupérisés comme de celui l’État vampire ; à l’en croire, si les requins politiques de la Mondialisation sont au Nord, leurs victimes du Sud sont d’abord  prisonniers de leurs « sales » coutumes, des égoïsmes féroces de leurs carnassiers politiques.

C’est beau le non-engagement ; mais à quoi, à qui ça sert ? Comme on peut se révéler parfaitement inutile tout en se gargarisant tout le temps d’être le plus beau, le plus courtisé par les Maîtres du Monde ! heureux qu’ils sont de vous voir intéressé au sort de votre peuple uniquement à titre d’expert froid des plus désincarnés. Vous en méritez le salaire, le haut et disproportionné standing de vie par rapport à vos congénères. C’est la moindre des choses pour combler un précieux allié si sûr, même s’il est loin de pouvoir deviner son déterminant apport dans l’asservissement du monde, pour être psychologiquement en mesure d’exiger une rétribution conséquente.

Une nouvelle croisade impérialiste européenne en filigrane

L’Urss a disparu depuis la fin des années 80. La Chine s’est convertie à l’Économie du Marché – sans cependant rien perdre de l’essence de la révolution maoïste. Pour quel ennemi mortel l’occident chrétien se met-il sourdement en ébullition ces dernières décennies ? Peut-être pour en finir une fois pour tous avec Cuba, la Corée du Nord et l’Iran (après l’Irak de Saddam Hussein) ; ou pour achever de fermer le bec au Venezuela, à la Libye, à Mugabe, à Gbagbo ? Ce serait recourir à l’arme atomique juste pour assommer des mouches : la dernière, la moins nantie des puissances mondiales bénies du Saint Siège pourrait s’en occuper en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, si la survie de l’Empire du Bien devait passer par là.

Son enjeu réel en ligne de mire semble être le mondialisation absolue du Capital, surtout par la biais de ses travers les plus décapants : corruption des mœurs (de quoi fragiliser les victimes et les délester sûrement de leurs derniers scrupules humanistes) ; course perpétuelle au surarmement, avec les États amis ;  démilitarisation forcée ou « à l’amiable » des pays peu sûrs, jugés irresponsables ; le cynisme aggravé de faire prendre, de gré ou de force, aux nations dominées l’habitude de l’anormalie ; finalement faire de la grande majorité des habitants de la planète Terre de simples consommateurs impénitents, sans âme d’une industrie qui a depuis longtemps perdu le souci de l’humain.

Si l’humanité devait en périr, il resterait probablement la Solution Miracle du Savant Apprenti Sorcier, gai inspirateur de la Civilisation Universelle, un seul moyen de peupler à nouveau la Terre des hommes, cette fois uniquement de la race préférée de Dieu : le si apparemment controversé clonage. Qui prétend que Hitler est mort !? En tout cas pas en esprit. Le nazisme lui a survécu et prospère au XXIe siècle plus chez ses pires ennemis des années 40 que « nulle part ailleurs ».

Des leçons à tirer

Le premier mérite de la Crise ivoirienne est de révéler, de rappeler aux nations africaines, l’inanité, la vacuité de leurs indépendances ; qu’il est plus que temps de démarrer la dernière phase de la marche vers l’accomplissement total du Panafricanisme comme socle d’une libération collective mieux garantie. Un bon départ pour le second cinquantenaire, celui de la prise de conscience passée en acte ! de la fondation d’une solide tradition de lutte transfrontalière des peuples pour plus d’indépendance assumée. Ce que nous pouvons faire, Dieu ne le fera pas pour nous. Il nous faut davantage de discipline, savoir transformer la passion en compassion virile, sacrifier les plaisirs immédiats, égoïstes, au bien-être retardé, afin qu’il gagne en qualité, en profondeur, en équité. Montrer que l’on peut être à la fois candidat consciencieux au martyre, homme politique et homme de bien, en Afrique aussi. « L’Afrique de la honte, nous n’en voulons plus ! »(7)

Le soutien à Gbagbo va au-delà des clivages ethniques, idéologiques modernes, pour se situer dans l’espace du nationalisme panafricain, de la solidarité tiers-mondiste. De nombreux Gbagbo sont déjà tombés sur ce chemin escarpé de la libération des peuples par eux-mêmes. Mais leurs esprits, les diverses mélodies de leur foi en l’homme vont rythmer notre marche vers plus de hauteurs. « Quand c’est dur, ce sont les plus durs qui avancent. » (J. F. Kennedy)

Conserver la tête froide : le désespoir n’est pas nègre (nous avons survécu au Commerce Triangulaire !). Nos plus vielles cosmogonies révèlent un monde sans fin du monde, où n’est pas prévu le diable. Tout finit par s’arranger entre des hommes de bonne volonté, entre l’homme, la société et le monde, les Dieux. Les gladiateurs de la Rome antique, les Nègres marron de la forêt amazonienne et des environs, n’ont pas pour rien longtemps tenu tête. « Haïti où la Négritude se tint debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité ! »(8) Notre pire ennemi c’est la peur d’échouer, de nous tromper, et même de tenter l’aventure décidément émancipatrice, d’appuyer sur le déclic du processus de la libération collective.

Les afropessimistes de formation, de conviction ou de pure spéculation ont un nouveau souci : l’Union Africaine est en train de leur échapper ; elle vient de révéler qu’elle est autre chose qu’un club de chefs d’État indigènes, sans la moindre autonomie ni indépendance d’esprit, qu’elle n’est pas toujours manipulable ; elle leur a administré une historique gifle morale, en prenant à contre-pied  la Communauté Internationale et son Onu dans le Dossier ivoirien : renvoi aux calendes grecques de la menace de la guerre d’agression contre ce peuple victime de ses « scandaleuses » richesses tant convoitées, envoi d’une Commission de cinq chefs d’État pour réévaluer le processus électoral et décider en fonction de la réalité ivoirienne seulement et non des projets d’approvisionnement en matières premières bon marché de certaines puissances nucléaires.

Les Français sont-ils responsables de tous les malheurs de l’Afrique ? Cette question rhétorique commande que l’intellectuel sage réponde par oui et non, avant de plonger dans une érudition embrouillée, de pacotille, pour tenter de masquer sa peur bleue qui l’amène, à tout bout de champs, à éviter d’« attaquer » la France, de se mettre à dos les dispensateurs de bons et mauvais points en matière de discipline intellectuelle, de comportement « civilisé ». Quoi qu’il en soit, les Français de moralité ordinaire, la France officielle, sont plus en profondeur impliqués dans le délabrement orchestré du destin de l’Afrique que ne sauraient l’imaginer ou l’admettre l’Africain lambda ou son concitoyen universitaire sans culture autonome. « Le néocolonialisme est plus dur que le colonialisme. » (Sékou Touré). « Si demain la survie de la France passe par une nouvelle invasion de l’Afrique, elle ne va pas hésiter vingt-quatre heures. »(9) Elle n’a d’ailleurs jamais quitté ce continent, qu’elle occupe corps et âme – « éducation-dressage », « coopération » sans fin prévisible, bases militaires.

Au bout du compte, le Continent Noir se révèle de nos jours comme pris dans une nasse aux fils de tissage incolores bien que suffisamment acérés pour que sa capture prenne de temps en temps une allure d’éternité. L’eau matrice se trouve diversement polluée selon les lieux et les époques. Quoi qu’il en soit, il n’est plus question qu’elle retrouve un jour sa composition naturelle ; mais de travailler inlassablement à assécher les multiples sources soigneusement identifiées de pollution et d’assainir méticuleusement le nouveau milieu de vie à l’autonomie conquise de haute lutte comme vivier de l’auto régénération collective. « Là s’écrit en Côte-d’Ivoire les plus belles pages de l’histoire africaine. »(10)
Hilaire Sikounmo
Enseignant- Ecrivain
1-De la Françafrique à la Mafiafrique, Éditions Tribord, 2004, p.63
2 Le Congo belge est déclaré indépendant le 30 juin 1960, et la sécession katangaise survient seulement quatre jours après, le 04 juillet de la même année.
3 Léopold Sédar Senghor, Négritude et humanisme.
4 Rapport annuel du gouvernement français sur l’administration sous mandat des territoire du Cameroun, 1922, p.22, cité par F. Kangue Ewane, Défi aux Africains du IIIe millénaire, CLE, Yaoundé, 2000, p.98.
5 Civilisation ou barbarie. Anthropologie sans complaisance, Présence Africaine, Paris, 1981.
6 Malick Seck, journaliste sénégalais, à la Radio Télévision Ivoirienne, « Raison d’État », février 2011
7 Micro-trottoir, Paris, RTI, 22h30, 17/02/2011
8 A. Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine.
9Malick Seck, op. cit.
10 Calixte Beyala, RTI, 17/02/11


L’Afrique entre Révolution et manipulations
En 1952, dans la Revue Esprit, Frantz Fanon publie un texte intitulé : « Le syndrome nord-africain ». Le célèbre auteur de Peau noire, masques blancs y examine la condition du maghrébin souffrant de vivre comme un « homme quotidiennement mort ». Un être vivant à l’abri de lui-même! 60 ans après, l’Afrique du Nord est encore ou toujours en ébullition. Du Caire à Tunis, les chancelleries ont changé de locataire sans forcément passer par les dédales de la Démocratie qui est pourtant revendiquée par les manifestants. En Lybie, Kadhafi semble désormais assis sur un fauteuil éjectable. Au Cameroun, Paul Biya est tout aussi en difficulté. Le « Biya must go » est de retour.

Le pouvoir est donc dans la rue. La question n’est plus de savoir qui va mieux le gérer, à l’avantage de peuples; mais plutôt de savoir qui le prendra le premier. Le « pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple » devient « le pouvoir de n’importe qui », c’est-à-dire « le pouvoir de la foule ». Or, la foule est comme cette femme volage, prête à accorder ses faveurs à tous les hommes; à condition de la caresser dans le sens du poil! Autrement dit, à condition de lui tenir le langage qu’elle veut écouter. Les populistes savent bien se tirer d’affaires en surfant sur les aspirations des peuples.

Les peuples africains ont certainement des problèmes multiples et multiformes : pauvreté, chômage, liberté bafouée… Leurs dirigeants n’en ont pas toujours fait une préoccupation pendant leurs mandats présidentiels qui vont de 20 à 40 ans. Ce qui, logiquement expliquerait le courroux des millions de personnes longtemps trompées et abusées. Ce qui se passe aujourd’hui dans nombre de pays africains est donc incontestablement l’expression d’un désarroi total ; celui d’une masse qui ne sait plus à  quel saint se vouer. Cette colère légitime est-elle pour autant bien formulée et surtout bien orientée ? La question est loin d’être banale. Car elle tient du fait que les frondeurs, d’un pays à l’autre, n’ont pas les mêmes revendications. Pis, dans un même pays, les mécontents ne s’accordent pas sur les motifs de leur mécontentement, ni sur la nature des réponses qui devraient en être données. Pendant que les uns demandent « la démission pure et simple du président de la république », ou des monarques, les autres veulent qui du pain, qui un emploi. Toutes ces  revendications sont certes liées ; mais le désordre de leur expression semble symptomatique d’une inorganisation, d’une absence de stratégie et d’une précipitation qui compromettent les chances d’une réussite profonde et durable. On assiste hélas, ici et là, à une sorte de mimétisme, comme si les révoltes tunisiennes, égyptiennes ou libyennes pouvaient être transportées, en pleine saison sèche,  comme des méningocoques, germes pathogènes responsables de la méningite, d’un pays à l’autre.

Sans vergogne, des « intellectuels » ont déjà commencé à saluer la « Révolution » tunisienne qui a permis de chasser Ben Ali du pouvoir. Mais peut-il exister de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire ? Bien plus, peut-on parler d’une Révolution réussie sans une Avant-garde qui la porte et lui donne sens ? Les Révolutions sont-elles spontanées ? Bientôt des encyclopédies sur « la Révolution tunisienne vont inonder nos librairies. Leurs auteurs, présentés comme « expert du Maghreb », ou spécialistes des « mouvements sociaux » n’hésiteront pas à assimiler la fuite de Ben Ali à celle du Tsar Nicolas II de Russie en 1917 ou du despote cubain Batista en 1959. Malheureusement, aucun de ces « experts » ne dira que les Révolutions russe et cubaine étaient bien pensées et portées par une Avant-garde consciente et conséquente. Des auteurs de la Révolution maghrébine, ne préciseront  certainement pas qu’au lieu des blogueurs tunisiens il ya eu des pragmatiques russes. Qu’au lieu d’une Révolution égyptienne, il ya eu une hilarante révolte tunisienne. Laquelle a abouti au changement de la clique Ben Ali par une autre, tout en maintenant la superstructure (ou le système) pourtant mise en cause par les manifestants. Lorsque les manifestants ne préparent pas l’après dictateur les autres le font à leur place et parfois à leur détriment. Ce fut le cas en 1789 en France…

La révolte est une manifestation généralement violente à travers laquelle une personne ou groupe de personnes marquent leur désaccord par rapport à un système, une décision…Elle se caractérise en principe par une absence de leader, un défaut de programme et de méthode. Autant de manquements qui l’exposent à la récupération et les révoltés à la manipulation. Justement, depuis le déclenchement de ses mouvements sociaux, on constate des volte-face et surtout l’avènement d’un leadership politiquement en position de récupération et de positionnement. Ayant échoué dans leur mission d’éducation politique et de formation idéologique des masses, des responsables de partis politiques écument les colonnes de journaux et autres tubes cathodiques pour « inviter le peuple à prendre son destin en main ». Curieusement, tout leur génie semble s’arrêter à ce niveau. Car, ils ne proposent pas d’alternatives rassurantes. Certes, les dirigeants africains pour la plupart ne sont pas  irréprochables. Ils trainent de nombreuses casseroles. Certains méritent même la condamnation à mort et fusillade sur la place publique. Mais, un programme politique, l’instauration d’un nouvel ordre politique ne sauraient se réduire à des incantations récitée avec peine et hésitation telles que « le pays va mal »,  « Biya doit partir », et Tutti quanti. « Le pays va mal », « Biya must go », « ça suffit », et puis quoi ? Où sont les projets de société alternatifs ?  A moins d’être de simples agitateurs adeptes de sadomasochisme, les politiciens de l’opposition africaine doivent dérouler des feuilles de route contenant des projets et réformes concrètes et quantifiables sur lesquels ils devraient être jugés à leur tour. Sinon, demain sera un autre aujourd’hui.  Ils doivent taire leur égoïsme et leur division pour impulser des actions leur permettant d’instaurer un ordre politique nouveau.

Par contre, la Révolution est une exigence de changement total, un bouleversement du roc. C’est pourquoi, on n’entendra jamais un révolutionnaire dire « abat Ben Ali ! », « abat Moubarak ! » ou encore « Biya must go ! ».  Sa formation avant-gardiste le porte au dessus des individualités qui ne sont que les formes accidentelles de révélation d’un ordre bien plus grand.

La prospérité d’un Etat passe avant tout par la préservation des acquis. Ceux-ci peuvent être matériels ou humains. Autant il est difficile d’admettre qu’un régime mobilise les chars et les lance-roquettes contre les citoyens non armés, autant on peut interroger la sincérité de ceux qui, sans stratégie et  pour se faire un nom ou obtenir des positions de pouvoir, encouragent les masses à s’offrir comme chair à canon. Ils ne disposent pas de politique alternative à implémenter en cas de victoire. Il est admis que le sang des martyrs fertilise la révolution. Mais sans objectifs clairement définis et conduits par une stratégie conséquente, des litres de sang peuvent couler pour rien! Certes tout pain sans liberté est insipide. Mais que vaut une liberté sans pain ? Le recours à la violence devrait être une exception et non une règle comme c’est le cas aujourd’hui. Et la caution que des Etats dits civilisés apportent à ces vagues de violence laisse entrevoir des enjeux inavoués.

Alternance au Cameroun

Dans huit mois, les camerounais iront aux urnes pour élire leur président de la République. Que font les partis politiques pour encourager les populations à s’inscrire sur les listes électorales ? Rien ou si peu. Jusqu’ici, seul le Rdpc se déploie pour sensibiliser les électeurs et potentiels électeurs. Absents sur ce terrain qui reste l’un des moyens reconnus et recommandés pour une alternance au Cameroun, les opposants se sont jusqu’ici illustrés par le dilatoire, l’indécision, l’incohérence et la division. Certes, la crédibilité des Elections au Cameroun est aujourd’hui sujette à caution. Mais, il reste que cet organe organisera et supervisera les prochaines élections au Cameroun. Le monarque en a décidé ainsi.

Malheureusement, longtemps discrets, l’opposition et les forces du changement semblent s’être réveillés et se montrent  désormais déterminés à défendre les intérêts des masses. Après les tracts et les déclarations signées, l’heure semble être désormais à l’action. Bravo. Mais au-delà des mots, de l’appel au soulèvement, ils doivent relever le défi de la crédibilité et tenir compte du fait qu’au Cameroun l’élection présidentielle est une élection à tour. Au stade actuel, aucune formation politique ne peut seule remporter une élection au Cameroun face au Rdpc et la machine administrative mise en place. L’attitude des populations face aux mots d’ordre de l’opposition et des forces du changement doit les pousser à réfléchir, à faire leur propre introspection, à une autocritique. Car, la résistance du peuple peut être due au fait qu’entre les deux parties, la confiance s’est estompée.
Olivier A. Ndenkop
Journaliste
La colonisation Nègre
L’Afrique noire, surtout francophone, a vibré tout au long de l’année 2011 au rythme des célébrations relatives au cinquantenaire d’indépendance. D’un pays à l’autre, les liturgies politiques ont rivalisé d’ingéniosité cérémonielle. Malgré la diversité des rituels, on note cependant une constante : ces célébrations ont été pour la plupart des réjouissances au sommet, des retrouvailles de chefs d’Etat, qui ont couté à certains pays plus d’une dizaine de milliards.  Le Cameroun a même joué les prolongations avec la célébration à Bamenda du cinquantenaire de forces armées camerounaises. D’autres milliards y sont passés. Ces célébrations ont surtout été l’occasion pour les évolués au pouvoir de remercier symboliquement les Blancs pour l’importation de l’Etat colonial au Cameroun, lequel leur a donné la mainmise sur les ressources de leurs pays respectifs, le monopole de la violence illégitime.  

L’esclavage et la colonisation restent dans la mémoire collective et l’imaginaire nègres les deux grandes figures de la domination blanche. En d’autres termes, c’est un fait irréductible de l’histoire des Noirs qu’ils ont été conquis, violentés, dominés et civilisés par des Blancs dont la suprématie se perpétue aujourd’hui par le biais de la technoscience qu’ils produisent et que nous consommons. C’est aussi un fait que malgré les critiques les plus acerbes qui ont été formulées par les Noirs contre la colonisation, ses acquis ou ses fameux « bienfaits », ont été jalousement préservés, tout au moins dans la forme, pratiquement sur tous les plans : l’Etat moderne, l’école coloniale, la biomédecine, l’idéologie du développement, le capitalisme, les religions importées, la science et la technologie modernes, etc. Si notre critique de la colonisation avait été sincère nous aurions boudé ses fruits. Mais non, nous en régalons au point de défendre jalousement, parfois au prix du sang, des frontières dites nationales dont l’origine lointaine est bien la fameuse conférence de Berlin de 1884 où les Blancs s’accordèrent sur les règles du partage du continent noir. Ceux qui ont remplacé les blancs ont jalousement conservé les appareils idéologiques et répressifs ainsi que les symboles correspondants. Entre temps les choses ont même évolué en Occident, mais les successeurs des Blancs en Afrique multiplient des manœuvres pour résister à l’avènement d’une société ouverte, celle-ci constituant un danger pour leurs privilèges coloniaux.

L’état postcolonial au Cameroun

En effet, une fois les indépendances conquises ou concédées, les Noirs, pas toujours ceux qui avaient mouillé le maillot dans la résistance, se sont emparés du pouvoir et ont joué aux Blancs avec tous les oripeaux hérités, la copie n’étant pas souvent conforme à l’original. On se serait attendu à ce que dans la logique du rejet de la colonisation, les Noirs innovent pour se repositionner dans le réseau international où ils étaient désormais pris. Mais s’il y a eu innovation, c’est plutôt dans la propension des « évolués » à récupérer et à manipuler les symboles de la civilisation blanche pour poursuivre la colonisation de leurs congénères. Du coup le multipartisme du début a cédé la place à une dictature monopartiste et répressive dont s’accommodaient bien les pays occidentaux tant que leurs intérêts n’étaient pas menacés. D’ailleurs, encore aujourd’hui, la plupart de nos dirigeants se soucient davantage de contenter leurs maîtres occidentaux que leurs propres peuples. Comment en serait-il autrement, puisqu’ils sont encore pour un certain nombre faits et défaits par les anciens colons et non par les suffrages populaires. La colonisation n’est pas d’abord une question de peau, mais de violence structurelle. L’état postcolonial au Cameroun incarne la reproduction dans sa forme  « indigénisée » de la violence coloniale. Nous sommes restés mentalement et structurellement dans le schéma de la colonisation, et la plupart des nègres ont encore le Blanc pour modèle.

Arrêtons-nous un instant sur notre système éducatif, cet autre héritage de la colonisation. Nous avons conservé la coquille de l’école coloniale où nous consommons souvent, sans efforts d’innovation, ce que le Blanc a produit à la sueur de son front dans ses laboratoires. Ce sont leurs livres que nous lisons ; ce sont leurs formules et théories que nous répétons ; ce sont leurs découvertes scientifiques et techniques que nous reproduisons ; ce sont leurs voitures, ordinateurs et téléphones portables que nous utilisons ; ce sont leurs médicaments que nous consommons ; bref nous nous sommes spécialisés dans la consommation de ce que nous ne produisons pas, ce qui fait de la plupart des enseignants de simples perroquets. Pire encore, ce sont leurs langues que nous passons de longues années à essayer de maitriser, au point de se moquer d’un autre nègre qui parle mal français ou anglais. Nous copions même parfois jusqu’à l’accent. Silence, on « whitise » ! Nos langues locales sont aujourd’hui menacées de disparition parce que nos enfants les parlent de moins en moins bien et cela ne semble pas nous préoccuper. Au contraire, les centres linguistiques d’apprentissage de l’anglais, de l’allemand, de l’italien et de l’espagnol se multiplient, tout cela parce que nous cherchons un nid pour nos enfants dans les filets de la mondialisation. Nos langues officielles ne sont-elles pas l’anglais, le français, le portugais, l’espagnol, etc. ? Et vous me parlez d’indépendance !

Paradoxalement, plus nous parlons d’indépendance, plus nous avons le regard tourné vers l’Occident. Nous en venons même purement et simplement à en rêver comme alternative à nos enfers locaux. Combien de nos jeunes sont atteints du syndrome de l’émigration occidentale, cette autre forme d’évasion qui côtoie la religieuse. Drôle d’histoire ! Il y a quelques siècles, pendant la Traite des Noirs que nous décrions avec raison, c’est par la violence que l’on arrachait nos ancêtres à l’Afrique, notre mère patrie. Partir pour eux était un cauchemar, une mort sociale, d’où la casquette de génocidaire que l’on fait encore porter aux esclavagistes blancs dont la cupidité a inventé ce crime qui inaugurait notre cycle de « paupérisation anthropologique ».  Mais, aujourd’hui, frustrés par la politique postcoloniale et séduits par les symboles de la puissance occidentale, ils sont nombreux à prendre de gros risques pour le rêve occidental ou à tenter leur chance dans les loteries de l’immigration choisie. Les embarcations de fortune, les traversées de désert, les faux papiers, les mariages blancs, etc, ils sont prêts à tout pour partir. Car partir c’est renaître, tout au moins dans l’imaginaire.

Savoir fabriqué

Nous croyons avoir rejeté la colonisation, mais nous avons conservé ses moules qui façonnent aujourd’hui des colons noirs. Nous avons en effet fait de l’école coloniale le lieu où l’acquisition du savoir fabriqué par le Blanc donne du pouvoir. On a fait de l’accumulation, voire l’exhibition, des diplômes, peu importe s’ils correspondent à des compétences, la condition sine qua non de l’ascension sociale. Du coup la condition paysanne a été dévalorisée au profit de celle de l’instruit. Pourtant il devrait avoir plus de lycées agropastoraux que de lycées classiques dans nos pays. A quoi sert un lycée classique dans une zone rurale où des jeunes, pour la plupart, n’auront pas l’accès à l’enseignement supérieur. Mais pour des raisons politiques plus politiques que sociales, on les multiplie.  La jeunesse paie aujourd’hui le prix de ce manque de discernement et de vision entretenu par la mauvaise gouvernance. Ils sont nombreux à avoir des diplômes qui ne leur servent à rien alors qu’ils auraient fait de bons cultivateurs, pêcheurs ou pasteurs. C’est encore de la colonisation mentale, voire structurelle. Les instruits qui ont pris la place des colons perpétuent les structures de domination en s’arrogeant les pouvoirs politiques et économiques aux dépens des ruraux délaissés, voire méprisés. Il y a même lieu de parler de la colonisation des ruraux par les citadins. La maîtrise des langues coloniales étant devenue un facteur d’exclusion à l’intérieur de nos États, ceux qui ne les possèdent pas sont obligés de subir la dictature des instruits. N’est-il pas courant chez nous d’utiliser l’adjectif « villageois » comme une insulte. Comment s’étonner que nos villages se vident au profit des villes.

Par ailleurs, nous avons substitué aux termes « colonisation » ou « civilisation » celui de développement comme s’ils différaient dans le fond. Que signifie aujourd’hui se développer pour les Noirs, sinon courir après la science et la technologie blanches que nous maîtrisons si peu. On me dira que nous vivons dans un « village planétaire » dans lequel désormais tout le monde dépend de tout le monde. Mais la différence d’avec les autres maillons de la chaîne est que nous ne choisissons pas notre dépendance, nous la subissons avec un imaginaire écartelée entre le ressentiment et la séduction.  D’une part notre mémoire humiliante nous dicte du ressentiment par rapport à ceux  qui nous ont conquis et dominés mais en même temps nous nous sentons séduits par leur civilisation et ses produits. Drôle de condition, sacrée morbidité ! Nous sommes des malades gouvernés par des fous ! Après cinquante ans, nos pays ressemblent à des asiles où les plus fous jouent aux psychiatres.
C’est souvent en milliards que se chiffrent nos détournements de fonds publics. Les instruits ou les « évolués » trinquent au champagne pendant les anniversaires pendant que le petit peuple n’a pour seul repas du jour que les ongles à ronger. Ils se permettent des célébrations de plusieurs milliards alors que nos écoles n’ont pas de craie et nos hôpitaux n’ont pas de seringues ou de coton. Le pauvre doit tout payer, pendant que les évolués au pouvoir sont aux petits soins avec l’argent du contribuable. N’est-ce pas chez les Blancs qu’ils se font soigner par les meilleurs médecins du monde. Le train de vie de notre élite administrative et politique est scandaleux comparé à l’indigence du petit peuple. Ils ont fait du pouvoir, de l’argent et du ventre leurs dieux.

Par ailleurs, il faut que les Blancs, ou ce qu’on a pris l’habitude d’appeler la communauté internationale, nous surveillent pour que le peuple attrape quelques miettes au passage. A chaque élection, on craint le pire.  Oui, voilà ce que nous sommes après 50 ans d’irresponsabilité et d’égoïsme institutionnalisés : de grands adolescents que personne ne prend au sérieux, qui ne peuvent pas se prendre en charge, que l’on doit tout le temps assister, que chacun manipule à sa guise parce que nous y prêtons le flanc. Encore aujourd’hui, il faut que les Blancs nous surveillent, que les observateurs internationaux aient un œil sur nos élections, pour que nos démocraties embryonnaires ne se muent pas en « thanatocraties ». Quand deviendrons-nous des adultes ? La postcolonie politique chez nous c’est finalement porter des vestes et des cravates, circuler dans de grosses voitures, rédiger des documents stratégiques pour faire plaisir aux occidentaux, faire de beaux discours, bloquer la démocratie, s’accaparer le bien commun, tout en donnant l’impression que nous progressons.

Copies non conformes à l’original

Le Blanc est peut-être parti, mais son fantôme nous hante! Il vit en nous ! Pendant la colonisation, c’est le Blanc qui cherchait à recréer le Noir à son image, mais aujourd’hui c’est le Noir qui mime le Blanc, mal d’ailleurs. Nous restons presque tous des copies non conformes à l’original. Et nous ne sortirons de ce cercle vicieux que quand nous apprendrons à être solidaires et à innover pour créer de la plus-value, pour transformer notre environnement en fonction de nos besoins. C’est ça le vrai développement ! Dans l’euphorie des festivités pompeuses et des discours de circonstance, ne nous faisons pas d’illusions nous ne sommes pas indépendants. Hier c’était la faute du Blanc,  mais aujourd’hui c’est la nôtre. Mais tout dépend encore de nous, ce n’est qu’une question de responsabilité et de dignité. Si nous n’assumons pas nos responsabilités en exorcisant nos égoïsmes individuels et collectifs, nous sommes partis pour d’autres décennies de gâchis. En attendant le « évolués » trinquent. Après tout, leur plus grand exploit c’est d’avoir remplacé les Blancs ! On s’est peut-être affranchi de la colonisation blanche mais il faut encore s’affranchir de la colonisation nègre.

Les mouvements de rue de ces dernières semaines dans les pays arabes constituent une lueur d’espoir pour nos pays. Dans nos pseudo-démocraties qui maintiennent au pouvoir des kleptocrates pendant des décennies, il n’y a que la rue et le martyr pour les déloger. Mais on ne saurait faire du copier-coller en cette matière, car de telles révolutions ne sont possibles que dans des pays où il y a un semblant de peuple soudé par une solidarité dans la souffrance. Or beaucoup de nos pays d’Afrique noire sont encore une juxtaposition informe de consciences ethniques aux contours mal définis. Nos jeunesses constituent certes des bombes à retardement mais ont-elles bu la souffrance et la frustration jusqu’à la lie pour avoir le courage de se révolter ? Quoi qu’il en soit, la déstabilisation des dictateurs par la rue s’offre désormais à nos peuples spoliés comme une alternative. Et, une fois de plus, malgré la pêche en eaux troubles que la logique des intérêts (et les chinois ne sont pas différents) de la politique internationale incarnera toujours, la solution à nos problèmes sera toujours entre nos mains. Arrêtons d’accuser les blancs ! Nous aurons toujours la possibilité de dire  « NON ! » à la servitude. La question est celle de savoir si nous sommes enfin prêts à en payer le prix. Les blancs ne sont pas plus méchants que les noirs, l’homme est partout capable du meilleur comme du pire.
Après 50 ans les martyrs de la colonisation nègre se comptent en millions et nos armées ont souvent été plus au service d’un régime nocif que du peuple. Au Cameroun, les généraux et le Renouveau ont opté pour un mariage de raison, la sauvegarde mutuelle des intérêts de classe. Si le peuple se soulève contre les turpitudes du « Renouveau », l’armée déploie son arsenal pour le mater au nom du maintien de l’ordre. Quel ordre ? L’ordre du pillage et de la prédation au sommet.  Finalement, l’Etat c’est eux et ils en font ce qu’ils veulent. Comme diraient l’homme de la rue, « l’Etat, c’est leur chose ! » Nous sommes tout de même l’un des rares pays au monde où les généraux ne vont presque pas en retraite. On dirait une exception camerounaise. Pourquoi un traitement aussi spécial ? Tout simplement parce que ce que nous appelons, faute de mieux, « indépendance » n’a été pour nous que le remplacement d’une colonisation par une autre, et celle des nègres évolués semble même plus cynique et mortifère.  
Ludovic Lado
Jésuite et anthropologue