Paul Biya déterminé à laisser le Cameroun dans le chaos

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Ceux des Camerounais et observateurs qui se sont rendus au Palais des Congrès de Yaoundé les 15 et le 16 septembre 2011 afin d’assister au 3ème congrès ordinaire du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) et/ou qui ont écouté, à l’ouverture des assises,  Paul Biya, président national de cette formation politique et chef de l’État, ont probablement été marqués par la tonalité des propos qui voguaient entre l’invective, la véhémence, la menace et la lucidité.
Le ton est donné quand le monarque présidentiel rudoie ses contempteurs et adversaires politiques en leur donnant tous les noms d’oiseaux. Ils sont soit des « champions de la critique pour la critique » qu’il veut chagriner, soit « ceux qui ne voient que le mal partout », soit des « ténors de la péroraison creuse » et, soit enfin des « bonimenteurs du chaos ». Des propos d’un adolescent de 80 ans qui injurie ses compatriotes qui ont pourtant des bonnes raisons de se plaindre de sa gestion catastrophique du patrimoine commun. L’homme-lion, en injuriant les Camerounais, ne se rendait pas compte qu’il venait de dégoupiller une grenade.
Fort heureusement, le bullocrate (1) d’Etoudi ne manque pas, dans une lucidité déconcertante, de dévoiler sa nature de marchand d’illusions en déclarant : « Les « Grandes Ambitions » d’hier vont devenir les « Grandes Réalisations ». Et à partir de janvier 2012, le Cameroun sera transformé en un immense chantier ! » Sauf le respect que les Camerounais lui doivent, Paul Biya n’est-il pas un charlatan?
En s’exprimant ainsi, le bonimenteur Paul Biya passe aux aveux complets et admet qu’en 2004 il avait berné les Camerounais avec ses « Grandes Ambitions ». Car, si le début des concrétisations, des exécutions des « Grandes Ambitions » est fixé en janvier 2012, il confesse que les « Grandes Ambitions » n’étaient, au mieux, qu’un projet, qu’une ébauche de projet ou que des intentions et, au pire, qu’une volonté d’anéantir, de détruire le Cameroun et d’éliminer les Camerounais. Et c’est peu dire si on affirme que le Cameroun a été suffisamment détruit durant les 7 années qui viennent de s’écouler. Plaise à Dieu que Paul Biya n’ait pas l’intention de lancer une nouvelle dynamite dévastatrice de plusieurs tonnes pour détruire le Cameroun afin de le transformer « en un immense chantier », comme l’Otan l’a fait en Libye. Simple conjecture faite par un « ténors de la péroraison creuse » ? Peut-être !
Toujours est-il que le vacancier au pouvoir(2) ne convainc pas les Camerounais quand il embraye à nouveau sur la corruption et les détournements de deniers publics. Le président du Rdpc/chef de l’État avertit : « Sachez, Mesdames, Messieurs et Chers Camarades, que ma détermination à combattre ce fléau est totale et que la lutte contre la corruption va se poursuivre en s’in-ten-si-fiant, sans complaisance, sans discrimination, indépendamment du statut social ou de l’appartenance politique des personnes incriminées. Personne ne pourra se considérer comme étant au-dessus des lois. »
Cette posture avait déjà été adoptée, au Palais des congrès, le 21 juillet 2006 par le prestidigitaeur lors du 3e congrès extraordinaire du Rdpc. Parlant de la morale publique le Mnom Ngui déclarait : «  Nous avons encore un grave problème de morale publique. Malgré nos efforts pour les combattre, la fraude, les détournements de deniers publics, la corruption continuent de miner les fondations de notre société. J’ai eu souvent à m’exprimer sur le sujet et à dire ma détermination à éradiquer ces comportements asociaux. Des sanctions sévères ont été prises au cours des derniers mois. Nous n’allons pas nous arrêter en chemin. Ceux qui se sont enrichis aux dépens de la fortune publique devront rendre gorge. […] Les délinquants en col blanc n’ont qu’à bien se tenir »
Comme en 2006, le meilleur élève de François Mitterrand, s’est gargarisé, le 15 septembre 2011 des résultats obtenus dans la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics par la structuration d’un dispositif institutionnel dont notamment, la Chambre des Comptes, désormais fonctionnelle « qui juge de la régularité des comptes de l’administration publique et de ses démembrements [et] la Conac, ou Commission nationale anti-corruption [qui] est passée de la phase pédagogique et de sensibilisation à une phase véritablement opérationnelle », structures auxquelles s’ajoutent les actions de « l’Agence nationale d’investigation financière, du Contrôle supérieur de l’État, de l’Agence de régulation des marchés publics, de celle des différentes commissions ministérielles de lutte contre la corruption, des commissions de passation des marchés placées auprès des institutions publiques et parapubliques, sans oublier le rôle répressif des juridictions nationales  traditionnelles ».
La récurrence du thème de la morale publique dans les discours du président sortant prouve à suffire que ce problème est au centre de ses préoccupations et qu’il est parfaitement informé de l’état d’avancement des stratégies et actions mises en œuvre pour éradiquer, du moins pour atténuer ces fléaux qui gangrènent outrageusement notre tissu social et vident de leur contenu toutes les politiques de développement. Cependant, décrier dans les discours les comportements asociaux est une chose, poser des actes pour éradiquer lesdits comportements en est une autre.
On peut admettre, comme certains thuriféraires hypocrites, membres et sympathisants du Rdpc, que le système (ou le pouvoir) politique actuel, n’est pas totalement nul. Cependant, on ne peut s’empêcher de constater avec amertume que Paul Biya, qui trône à la tête de son parti (depuis 26 ans) et de l’État depuis presque trois décennies, veut changer pour que rien ne change. De sorte que même les sanctions prises, dans le cadre de l’Opération Épervier, contre les gestionnaires indélicats et brandies comme une manifestation de sa volonté de traquer les bandits en col blanc qu’il a nommés, promus et maintenus aux affaires contre vents et marrées, malgré les dénonciations par les médias de l’incurie de certains d’entre eux  y compris les mises en gardes, font rire aux éclats ceux qui pensent qu’il s’agit-là d’un jeu de massacre politique destiné à éliminer tous ceux qui lorgnent du côté du trône présidentiel ou que celles-ci ont été prises simplement pour contenter les bailleurs de fonds et bénéficier de leur «aide». Pour cette catégorie de Camerounais, et ils sont nombreux, les déclarations de Paul Biya faites lors du 3ème congrès ordinaire de son parti constituent un aveu d’impuissance et par ricochet de complicité.
En déclarant qu’il va intensifier, la lutte contre la corruption, n’avoue-t-il pas que « malgré [leurs] efforts pour les combattre, la fraude, les détournements de deniers publics, la corruption continuent de miner les fondations de notre société. » Sous cet angle, la menace de sanction et de poursuites judiciaires, « sans complaisance, sans discrimination, indépendamment du statut social ou de l’appartenance politique des personnes incriminées », qu’il fait planer sur la tête de tous ceux qui ont pioché dans les caisses de l’État, et principalement sur la tête de certains de ses camarades du parti, spécialisés dans la corruption et les détournements de deniers publics, n’est que pure démagogie. Paul Biya, qui sait dire ce que les Camerounais veulent entendre, sait faire rêver ses compatriotes. D’aucuns n’hésitent pas à dire de lui qu’il est un illusionniste patenté.
Étant donné que l’exemple vient d’en-haut, les Camerounais attendent de le voir donner l’exemple en commençant par balayer devant sa cour, en mettant en application l’article 66 de la constitution et la loi n° 003/2006 du 25 avril 2006 qui énumère les catégories de gestionnaires assujetties à la déclaration des biens et avoirs.
Faut-il le souligner, en 2007, lors du procès État du Cameroun contre Emmanuel Gérard Ondo Ndong et compagnies, les noms des structures que dirigent Chantal Biya avaient été cités parmi les bénéficiaires des largesses de l’ex-Directeur général du Feicom, autrement dit ces structures et par ricochet sa promotrice étaient considérées comme étant des complices de détournement des deniers publics. Le montant total versé par l’ex- Dg Ondo Ndong à ces structures avait été estimé à le somme de 201 355 899 FCfa, répartis ainsi qu’il suit : Synergies Africaines, 40 000 000 FCfa ; Fondation Chantal Biya, 156 355 899 FCfa ; Cerac, 5 200 000 FCfa.(3)
Si Paul Biya ne commence pas par balayer devant sa cour,  les Camerounais seront confortés dans l’idée selon laquelle la lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics tant proclamés du bout des lèvres est non seulement à tête chercheuse et un jeu de massacre politique, mais s’inscrit dans la logique des boucs émissaires qui consiste à se débarrasser de quelques brebis galeuses. Une telle attitude laisserait penser que le monarque présidentiel n’est pas le véritable maître du pays et qu’il joue uniquement le rôle de fondé de pouvoir. On comprendrait pourquoi,  ses détracteurs soutiennent que « Paul Biya ne peut rien contre les gens qui le tiennent, qui le maintiennent au pouvoir et qui sont les véritables détenteurs du pouvoir politique ». Aussi certains analystes pensent-ils  qu’il est illusoire de croire qu’on peut mener une lutte acharnée contre la corruption et les détournements de deniers publics sans remettre en cause la nature de l’État camerounais. Ils rejoignent ainsi les positions de Jean-Marc Ela qui souligne que « si la corruption est un élément central du fonctionnement de l’État, la détruire, c’est ébranler tout le système fondé sur un mode d’accumulation de richesses hors de tout processus productif. Pour les dirigeants qui ont besoin de la stabilité en vue de se maintenir au pouvoir, la lutte contre la corruption ne peut être que suicidaire » (4). Paul Biya n’avait-il pas dit qu’il n’avait ni changé, ni changé d’avis, sous-entendu qu’il n’avait ni changé d’avis sur le fait qu’il avait besoin de paix, de stabilité de son pouvoir et de son maintien au pouvoir. Il ne disait d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il affirmait dans l’hebdomadaire Jeune Afrique (5) que « si cette lutte impitoyable [contre la corruption] avait été déclenchée alors que nos fonctionnaires étaient sous le triple coup des baisses de salaires imposées par l’austérité, des licenciements suggérés par les bailleurs de fonds et de la dévaluation du franc cfa, l’émeute aurait été inévitable » et le régime aurait peut-être été emporté. Cette affirmation remettait au goût du jour les fonctions politique et sociale de la corruption, aussi considérée par certains politiciens comme un mode de redistribution dans les États néo-patrimoniaux, c’est-à-dire des États au sein desquels, « les domaines du public et du privé tendent informellement à se confondre », l’État étant en quelque sorte privatisé au profil des détenteurs des positions d’autorité, d’abord à son sommet, mais aussi à tous les niveaux de la pyramide étatique (5).
Ceux des Camerounais qui ont fait de la corruption et du détournement des deniers publics leur sport favori soutiennent mordicus que l’exemple vient d’en haut. Paul Biya ne dit autre chose lorsqu’il affirme que : « Les cadres du parti, les ministres, les directeurs généraux et les députés issus des rangs du Rdpc doivent montrer l’exemple ». En adoptant cette formule, ils admettent implicitement que « tout pouvoir recèle un virus qui s’empare de quiconque détient et exerce quelque autorité, mais finit par s’attaquer aussi, à celui qui la subit. La corruption inhérente à l’exercice du pouvoir impliquerait nécessairement la corruption généralisée de ceux sur ou contre qui s’exerce le pouvoir. Il y aurait alors comme une loi de réciprocité du fait de laquelle la corruption du pouvoir suscite celle de la société et en détermine l’ampleur, la nature et la forme » (G-H Ngnépi, 1997).
En tout cas, au crépuscule de sa vie, Paul Biya se trouve aujourd’hui face à une alternative : soit il s’implique personnellement et favorise l’avènement d’un État de droit, prospère et véritablement démocratique, et dans ce cas il entre dans l’Histoire comme un Grand Homme d’État, soit il se laisse embrigader par les forces d’inertie, auquel cas il laissera derrière lui un pays ingouvernable et quittera la scène politique par la petite porte. S’il opte pour le premier terme de l’alternative, il doit impérativement et immédiatement se débarrasser du vieil homme qui réside en lui et engager une course contre la montre pour le développement et la prospérité du Cameroun. À condition que le Cameroun ne soit pas déjà plongé dans le chaos. Top chrono !
Jean-Bosco Talla
(1)Lire «un vacancier au pouvoir», in Libération, 16 février 1995
(2) Quelqu’un qui se la coule douce à la tête de l’Etat tout en restant enfermé dans une bulle et en affirmant que les Camerounais en guenilles se portent bien. Ce terme est emprunté à Jean-François Kahn, auteur de Les bullocrates, Paris, Fayard, 2006, 225p.
(3) Le Messager n°2341, du 29 mars 2007, pp. 14-15.
(4) Jean-Marc Ela, Innovations sociales et renaissance de l'Afrique noire. Les défis du monde d'en-bas, L'Harmattan, Pris, 1998, p.240.
(5) Jeune Afrique, n°1990, du 02 au 08 mars 1999.
(4) Transparency International, Source book, p II.