Droits de l'homme sans problème...

Imprimer
Note des utilisateurs: / 0
MauvaisTrès bien 

Parmi les plus remarquables déclarations faites par M. Biya, lors de son dernier voyage en France, j’ai retenu pour que nous y revenions ensemble, celle selon laquelle « il n’y a pas de problème de droits de l’Homme au Cameroun » Il est malheureusement interdit dans ma langue maternelle de dire à un Chef qu’il ment.
Etant donné que cette fois-là, il ne lisait pas un discours préparé par quelqu’un d’autre, mais répondait spontanément aux questions de la presse, on peut dire comme chez les Banen, que « la bouche parlait de l’abondance du cœur ». Autrement dit, il pensait ce qu’il disait. Et l’on peut donc en déduire qu’il parlait probablement d’un Cameroun différent du nôtre. A moins qu’il ait choisi cette terminologie paradoxale qui caractérise souvent ses discours, pour dire à l’opinion publique française que « les droits de l’Homme » au Cameroun, étant exclusifs aux dignitaires de son régime ou au cercle de ses collaborateurs, ne sont pas violés, du moment où les dignitaires en question sont en prison pour « détournement des fonds publics », et non comme « ennemis politiques ».
On croirait volontiers le Président, si l’opération épervier dont il est de toute apparence le « commandant », ne donnait pas toujours la gênante impression d’être à tête chercheuse. Pourquoi se complaire à regarder un collaborateur piller impunément les caisses de l’Etat pendant des années, lui donner même des promotions à forte teneur de prébendes, et subitement ordonner son arrestation résolument spectaculaire et humiliante, en violation des règles essentielles de Procédure, livrant sans pitié au lynchage médiatique le collaborateur d’hier devenu un « présumé coupable » ?
Et si ce « il n’y a pas de problème de droits de l’Homme au Cameroun » se rapportait à Thierry Michel Atangana, ce Franco-camerounais qui après avoir purgé 15 ans de prison de 1997 à 2012, vient d’en prendre encore pour 20 ans dans une même affaire, vraisemblablement montée de toutes pièces, alors il faudrait douter de la compréhension qu’a notre Président du signifié des « droits de l’Homme ».
Michel Thierry Atangana, d’origine camerounaise, et dont les adversaires ont longtemps et vainement fait semblant de méconnaître la nationalité française acquise en décembre l988, avait été sollicité à la genèse de cette affaire, par le Chef de l’Etat camerounais, pour le soutenir dans ses engagements auprès des populations du Sud et de l’Est, dans le cadre de la mise en œuvre des promesses qu’il leur avait faites lors de la Campagne de l’Election Présidentielle en 1992, promesses portant sur des projets routiers.
Pour ce faire, et au moment où les entreprises françaises fuyaient le Cameroun pour cause de crise, le chef de l’Etat avait créé un Comité de Pilotage et de Suivi des Travaux Routiers (COPISUR), et nommé à sa tête le franco-camerounais, avec pour mission de « rechercher des financements » aux fins de réaliser les projets routiers objets des promesses. La stratégie avait porté, puisque Thierry Atangana va réussir à mobiliser auprès de quelques entreprises françaises dont celle de son employeur, la rondelette somme de plus ou moins 278 milliards FCFA.
Mais, dans le cercle du pouvoir, tout le monde n’a pas apprécié ce mécanisme de financement des projets routiers du COPISUR qui manifestement leur échappait, et c’est le Ministre des Finances même qui va déclencher des procédures judiciaires, sans objet et sans fin, contre Michel Thierry Atangana, en violation de tout le dispositif mis en place en 1996 par le Chef de l’Etat et le Ministre des Finances précédent, pour permettre un fonctionnement autonome de la structure.
D’anomalies en irrégularités, le procès de 16 ans qui s’en est suivi, et qui est maintenant pendant à la Cour suprême, n’a jamais permis de savoir si derrière la cynique cabale qui a brisé le Franco-camerounais, se trouvent seulement des vautours du système qui voulaient détourner à leur compte les milliards mobilisés par Atangana pour le projet routier, ou des collaborateurs autant zélés que manipulateurs qui ont leurré le chef de l’Etat avec une « proximité politique » imaginaire entre Thierry Atangana et Titus Edzoa, compagnon entré en dissidence du système.
Le moins que l’on puisse en dire, c’est que Michel Thierry Atangana, pour s’être trouvé au mauvais endroit, et au mauvais moment, aura déjà passé 16 ans de sa vie sous un rouleau compresseur aux mains de conducteurs invisibles, mais assez puissants pour manipuler à souhait le système judiciaire camerounais. Et devra y rester encore 20 ans si Dieu lui prête vie, à moins que dans un sursaut d’indignation et de défense de son indépendance, la Cour suprême ne décide  de défier la mafia corrosive de l’oligarchie régnante, pour dire enfin le droit. En  attendant, on a le loisir de tenir la situation de Thierry Atangana pour preuve qu’ « il n’y pas de problème de droits de l’Homme au Cameroun ».
Toujours est-il qu’aujourd’hui, les créances des sociétés françaises sur l’Etat du Cameroun, qui avaient été soigneusement cachées à M. Biya et à la Justice, aux fins de pouvoir inverser les rôles dans le détournement des fonds, sont désormais connues et reconnues officiellement, et rentrent désormais en ligne de compte dans le sort de Th. Atangana, légitimement pris en main dans les démarches diplomatiques du gouvernement français. Aux droits civils et politiques violés de Th. Atangana, s’ajoutent donc désormais, les droits économiques des sociétés françaises qui avaient cru pouvoir tirer fierté d’une aide à leur ami Biya, par le billet de leur compatriote et employé. Il sera assez difficile par conséquent, à l’heure des réparations des préjudices, de répondre que le Cameroun n’ayant pas de problème de Droits de l’Homme, il n’y ait rien à réparer. Et salut la crédibilité du pays.  
« Nous sommes un pays où il n’y a pas de prisonniers politiques, il n’y a pas de torture, les gens sont libres », affirme Paul Biya pour conforter sa certitude ( ?) qu’il n’y a pas de problème de Droits de l’Homme au Cameroun.
Soit. Il se trouve seulement qu’aucune fonction ne permet à un agent de l’Etat camerounais honnête, en quelques mois, voire en une décennie, de devenir un « multimilliardaire » en francs CFA, grâce seulement à la somme de son salaire et ses indemnités mensuels. Or, dans la classe des milliardaires camerounais, les fonctionnaires sont de loin plus nombreux que la petite  poignée de capitaines d’industrie et quelques hommes d’affaires réunis. Ce qui veut dire que la commission des délits qui envoie en prison toute la crème du système Biya, n’est pas l’apanage de ceux qui partagent son pouvoir. Pourquoi donc les poursuites ne sont-elles pas d’ordre public, mais exclusivement  ordonnées par la Présidence de la République, si elles ne sont pas politisées ?
« Plus de torture au Cameroun » ? Tout dépend de ce dont on parle. Il est probable que les cigarettes incandescentes, les dos de machette, le courant électrique branché sur les testicules ou les tétines, n’ont plus  cours pour obtenir des aveux dans les interrogatoires de police. Il n’en reste pas moins que le surpeuplement généralisé des prisons devient une torture suprême, quand plus de 3000 personnes s’entassent dans des cagibis construits il y a 50 ans pour loger au maximum 800 détenus.
Il n’en reste pas moins que dans un commissariat de police camerounais  en 2013, une jeune femme interpelée peut être jetée dans une cellule avec des hommes, pour finalement faire l’objet d’un viol collectif. Si les policiers responsables et ces mâles détenus ne sont pas des tortionnaires, alors que sont-ils ?
Et lorsque des prévenus bénéficiant de leur présomption d’innocence, restent en détention provisoire durant des années dans la promiscuité de ces prisons surpeuplées, en raison du déficit chronique du personnel judiciaire, n’est-ce pas aussi de la torture ? Et comment M. Biya qualifie-t-il le fait que des milliers de Camerounais victimes des privatisations et des faillites des sociétés publiques, ou d’éviction pour cause d’utilité publique, attendent depuis 15, 20 ans ou plus (et en meurent quelques fois) les indemnités, soit de reconversion, soit de recasement, ou les compensations qui ont été promises, budgétisées, voire débloquées pour eux à l’époque, si ce n’est pas de la torture ?
Pour ce qui est d’être libres, on peut dire, comme le philosophe, que « le meilleur mensonge est celui qui contient une petite dose de vérité ». On est en effet au Cameroun, depuis 1982, libre de bavarder et de s’insulter sans grand risque, libre de s’approprier le bien d’autrui, libre de piller impunément le trésor public, libre de boire de la bière, même dans les enceintes des écoles, de se droguer, de voler, de violer, de frauder, libre de corrompre… mais, pour les libertés civiles et politiques théoriquement affirmées, c’est aux sous-préfets qu’il faut demander la permission et le mode d’emploi. Et les sous-préfets sont les agents obligés du parti au pouvoir, dont l’ultime réussite de ces trente dernières années est manifestement la domestication clientéliste de l’administration publique. Un citoyen qui n’est pas politiquement libre est sujet. Une « République » (soi-disant) qui n’a pas une Administration politiquement neutre, et au service du peuple, est une dictature.
Jean-Baptiste Sipa