La république des voyous

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C’est devenu un rituel au Cameroun, comme d’ailleurs dans plusieurs pays du monde : à chaque fin d’année, le président de la République s’adresse à ses compatriotes, présente l’état de la nation et décline ses perspectives pour l’année nouvelle. Cette sortie codifiée de fin d’année du monarque présidentiel, le plus souvent préenregistrée, est savamment instrumentalisée par ses principaux lieutenants soit pour se faire bonne conscience auprès des principaux bailleurs de fonds en vue de se voir décerner le brevet de bonne gouvernance, précieux sésame qui ouvre la voie aux financements bilatéraux et multilatéraux, soit pour convaincre les sceptiques que le temps des magiciens et des vendeurs d’illusions est arrivé à son terme.

Depuis un certain temps, le roi du Cameroun s’est souvent livré à la dénonciation de l’inertie, de l’incompétence, bref des pesanteurs qui minent l’équipe gouvernante avec à chaque fois des engagements pris solennellement pour y remédier. Les thématiques (crise économique, insécurité, chômage des jeunes, etc.) sont devenues redondantes. Le 31 décembre dernier, au-delà de l’ajout d’une plus-value relative à l’évocation des projets structurants et de la célébration des cinquantenaires, la consolidation d’un État de droit démocratique et pluriel à travers la lutte contre la corruption, la consolidation de l’infrastructure normative et institutionnelle de la démocratie occupent depuis l’avènement du renouveau, jusqu’à nos jours, la majeure partie du temps des discours de Paul Biya.

Or, comme le fait remarquer le philosophe Fabien Eboussi Boulaga qui recommande aux jeunes chercheurs, mieux à tous ceux dont le bon sens fait encore sens, de procéder à une nouvelle interrogation de la catéchèse liée au politique, l’on doit reconnaitre qu’il est impératif de revenir sur la notion d’État de droit, qui de notre point de vue, ne saurait être une simple plaisanterie. Somme toute, de plus en plus ce terme sied peu d’un usage galvaudé.

Si nous nous en tenons à ce que nous avons appris auprès de nos maîtres :

- L’État de droit est un État dont les normes impératives s’imposent à tous.

 - Il renvoie également au principe républicain de l’égalité de tous devant la loi et devant la justice et au principe d’égale dignité.

C’est dire si, comme le relevait récemment Barack Obama après la condamnation, le 27 décembre 2010, de Mikhaïl Khodorkovski dans l’affaire Ioukos, l’application sélective de la loi sape l’État de droit.

À lire toutes les feuilles qui circulent à propos de l’enrichissement ostentatoire de l’actuel ministre délégué à la présidence de la République chargé de la Défense, on est en droit de se poser la question de savoir qui protège Edgar Alain Mebe Ngo’o. Dans une république digne de ce nom, les révélations faites par le Jeune Observateur et la saisine de la Conac par la Commission indépendante contre la corruption et la discrimination auraient donné lieu à l’ouverture d’une enquête judiciaire, avec le cas échéant, son départ du gouvernement.  Hélas ! Dans notre république des voyous, rester en poste, alors qu’on est impliqué dans des scandales et/ou soupçonné de détournement de deniers publics, est la règle. « La démission, souligne  J. Patrick Dobel (1999, 133), demeure elle, une option éthique oubliée, et ce en raison des conséquences morales qu’elle comporte et des pressions sociales qui [poussent la personne soupçonnée] à rester ».

L’obstruction de la justice est monnaie courante, surtout lorsque le suspect entretient des relations privilégiées avec le président de République, comme cela semble être le cas avec l’actuel ministre de la Défense.

Sinon, comment comprendre qu’un ministre, spécialiste de la manipulation et de la désinformation, qui se retrouve au centre de plusieurs dossiers portant atteinte à la fortune publique, si on en croit notre confrère, ne soit pas inquiété ? Comment comprendre le silence du président de la République ?

Sans prendre position, nous restons stupéfaits face au silence de Paul Biya sur la présentation qui est faite de la fortune de son ministre de la Défense et l’évocation de son implication dans des surfacturations quand il était directeur du cabinet civil, lui qui, si on s’en tient à ses discours, a fait de la lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics un axe majeur de son action publique.

Loin de nous la gestion des arguments en faveur de la thèse selon laquelle le ministre de la Défense est seul dans la situation que nous décrions. Les cas de Gervais Mendo Ze (gestion à l’emporte caisse de la Crtv), Paul Atanga Nji (détournement à la Compost), Inoni Ephraïm (Affaire Albatros), pour ne citer que ceux-là, restent vivaces dans nos esprits.

Maître du temps des arrestations des personnes suspectées de détournement des deniers publics, le silence de Paul Biya n’étonne plus grand monde.

Des analystes politiques n’hésitent pas à dire que le management politique du chef de l’État est « à dispense, à suspens et à distance » (Owona Nguini, 2010 :16). Selon ceux-ci, le monarque présidentiel sait « gagner du temps, faire le vide, jouer au mort et laisser pourrir » (Idem).

Cette perception du management politique est d’autant plus pertinente que Paul Biya passait aux aveux complets le 31 décembre dernier en affirmant, à propos des problèmes énergétiques dont souffrent les Camerounais, que : « je suis déterminé à faire sortir de l’ornière plusieurs dossiers qui stagnent depuis trop longtemps » (C’est nous qui soulignons). L’emploi de l’adverbe trop traduit l’excès et permet d’établir la responsabilité de Paul Biya qui a laissé faire jusqu’à l’exagération. Et le catalogue de bonnes intentions contenues dans son discours de fin d’année laisse de nombreux Camerounais sceptiques. Ceux-ci n’hésitent d’ailleurs pas de le considérer comme étant un marchand d’illusions.

Jean-Bosco Talla