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La tentation monarchique au Cameroun

La tentation monarchique au Cameroun

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Dans son numéro du 17 février 2019, le magazine Jeune Afrique, hebdomadaire africain édité à Paris, a publié une information qui se murmurait depuis des lustres dans nombre de chaumières au Cameroun, à savoir la transmission de gré à gré, dans le cadre d’une coterie ethnique et familiale du pouvoir au sommet de l’État. Le tollé soulevé par cette « révélation » dans les médias d’État et ses nombreux affidés montre à quel point le dossier du journal de Béchir Ben Yahmed était pertinent et trahissait un secret qu’on croyait bien gardé.
À vrai dire, Jeune Afrique dévoilait une construction qui s’observe depuis belle lurette puisque les axes majeurs qui fondent la gouvernance du pays convergent presque exclusivement vers la préparation d’une passation monarchique de pouvoir comme cela s’est vu au Togo, au Gabon ou potentiellement en Guinée Équatoriale. Pour cette raison, les crédos démocratiques du régime ainsi que son adhésion du bout des lèvres à certaines conventions internationales sur les libertés individuelles et les libertés démocratiques n’engagent que ceux qui y croient.
Souvenons-nous

qu’il y a plus de vingt ans, Mongo Beti, dans Trop de soleil tue l’amour, mémorable roman dans lequel il transpose une partie de son expérience d’ancien exilé, campe de manière saisissante la stratégie de gestion des dirigeants du pays. Comme on peut le lire dans le passage suivant, seule compte la volonté du prince. Au sujet des pratiques électorales, l’auteur écrit : « Un beau matin, on apprit par la radio et la télévision d’État, seuls grands médias locaux, que les élections avaient été reportées à une date ultérieure non précisée, et, par conséquent, que la campagne électorale était comme les élections elles-mêmes, renvoyée à plus tard ». L’auteur profite alors de cet incident pour mettre à nu la stratégie gouvernante de l’autocratie au pouvoir :
« Protestations indignées des chefs de l’opposition, éditoriaux incendiaires dans les journaux indépendants, rien n’y fit. Le pouvoir appliquait une tactique qu’on peut appeler de l’édredon : il ne répondait à aucune accusation, dédaignait les interpellations, faisait la sourde oreille aux propositions de dialogues, s’en tenait aux rigueurs implacables de la répression dès que les opposants faisaient mine de descendre dans la rue, tirant à l’occasion sans état d’âme sur la foule, ce qui avait le don de refroidir les enthousiasmes dans les rangs des contestataires. Le gouvernement ne s’embarrassait pas des finasseries dans les républiques africaines francophones » (Trop de soleil tue l’amour, Paris, Julliard, 1999, 172-173)
Il arrive cependant que la manière de traiter ainsi le peuple et les opposants crée une certaine indignation dans quelques-uns des milieux qu’il est convenu d’appeler la communauté internationale. Les autorités camerounaises sont alors interpellées sur leurs pratiques anti-démocratiques et sur la manière de traiter leurs citoyens. Car si la démocratie reste entendue comme gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, comment alors expliquer que le Camerounais se retrouve presque dans un pays sans droits civiques, puisque l’essentiel des libertés individuelles et publiques reconnues aux citoyens dans une nation démocratique lui sont constamment déniées. La réaction du pouvoir obéit presque toujours aux mêmes schémas. Lorsque les partenaires ne sont pas accusés d’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain, on les accuse d’être ignorants des réalités du Cameroun. On pourrait presque dire que les porte-paroles du gouvernement font de l’essentialisme politique, tant il est vrai qu’ils suggèrent que nos réalités sont d’une telle “complexité” que nous sommes pratiquement les seuls sur terre à pouvoir les appréhender et les gérer. À la limite, dit-on à ces intrus, que vous importe qu’on décide de s’entretuer ! Ce faisant, on feint d’oublier que nombre desdits partenaires, en plusieurs autres circonstances, participent de diverses manières à la recherche des solutions aux problèmes de développement du pays et ont même contribué à l’occasion à la lutte contre l’insécurité émanant de l’extérieur des frontières nationales, dans le cadre des conventions précises et parfois contraignantes. Ainsi en va-t-il des luttes contre le djihadisme ou des rebellions transfrontalières. Le paradoxe ici est d’observer que le pays se gère avec une morgue et des ambitions dignes des dirigeants de la Corée du Nord ou de la Chine d’autrefois, sans nécessairement s’être donnés les moyens des pays sus-cités. Dans quels secteurs économiques, scientifiques, stratégiques ou autres pouvons-nous revendiquer une souveraineté digne de respect ? En clair, les responsables camerounais aiment jouer aux enfants gâtés. Ils reçoivent des appuis divers des pays amis pour leur survie, signent même parfois des conventions contraignantes d’utilisation desdites offres mais ne souffrent nullement que leurs partenaires puissent revenir leur demander de respecter les engagements dûment pris !
Pareil comportement qu’on peut observer dans les rapports du régime avec ses partenaires y compris les plus distingués s’expliquent par un ensemble de pratiques quotidiennes du pouvoir qui enlève toute sa substance au concept d’élections. A l’Assemblée Nationale comme au Sénat, les élus sont zombifiés puisque c’est le monarque qui semble orienter toute l’alchimie du fonctionnement des élus de la nation. Tout(e) élu(e) est presque toujours recadré(e) par des dispositions de l’exécutif qui lui enlève la marge de manœuvre ailleurs reconnue aux élus. Voilà qui explique les obstacles à la décentralisation du pays. Le régime peut-il envisager de vivre avec des gouverneurs de régions élus par les populations et n’ayant de compte à rendre qu’aux dites populations ? Déjà les maires, bien qu’élus, dépendent des sous-préfets et des préfets qui sont les gardes-chiourmes du pouvoir exécutif. Dans les grandes villes, une stratégie a été trouvée pour nommer des Délégués du gouvernement, souvent de simples quidams sortis du chapeau mais qui coiffent les maires légitimement élus des communes d’arrondissements. On se demande pourquoi les maires d’arrondissement ne peuvent pas élire le Délégué du Gouvernement qui aurait donc à leur rendre compte de sa gestion.
Ainsi posée, l’interrogation est essentiellement rhétorique tant le système suggéré paraît difficile à envisager. L’ensemble de notre gouvernance repose sur une oligarchie omnisciente dont les bras armés sont presque tous issus d’une écurie dont on dit que la création s’inspire de l’Ena (École Nationale d’Administration), une prestigieuse institution française de formation des grands architectes de la puissante administration de notre ancienne métropole. Ce sont les anciens de cette curieuse école qu’on retrouve à la tête des entreprises publiques et parapubliques. Pendant longtemps ce sont eux qui ont plastronné à la tête de l’université d’État au lendemain du départ des experts de la Coopération Française (Fondation Française de l’Enseignement Supérieur en Afrique Centrale) au début des années ’70. La nomination de ces oligarques à la tête de l’université a confirmé leur omniscience. Et du coup c’est leur système qui semble avoir triomphé. Dans les autres pays du monde, il peut arriver que les responsables des institutions universitaires soient nommés par l’autorité compétente. Mais le choix de la personne nommée obéit presque toujours à une sélection compétitive. Ainsi le recteur, le doyen ou le chef de département est élu par ses pairs ou sélectionné sur la base des compétences avérées ou d’un projet de programme particulièrement attrayant. Dans l’un ou l’autre cas, le postulant aura à rendre compte à la base et ne pourra donc pas, fort de son décret de nomination se contenter de jouer au mouchard au profit de son créateur.
Le système actuel de gestion de nos institutions universitaires peut difficilement révéler des managers de talent et de haute qualité au service du développement de l’excellence académique. Lorsque les patrons desdites institutions ne s’empressent pas d’enfiler les uniformes du parti pour faire montre de leur allégeance dans l’espoir de nouvelles promotions, ils s’affairent à tripatouiller le budget pour assurer leurs arrières, quitte à terminer leurs courses en taule pour les moins futés d’entre eux. Et à y regarder de près, on se rend compte qu’il s’agit là d’un syndrome dont souffrent la plupart des dirigeants des sociétés publiques et parapubliques camerounaises. Ailleurs, la gestion de ce type d’entreprise fait l’objet d’un cahier de charges rigoureux suivi généralement d’un appel à candidatures au niveau national et même international. De la sorte, on a des chances de s’attacher les services d’experts susceptibles d’assurer au pays une avancée significative, à l’instar de ce que la Fédération camerounaise de football (Fecafoot) essaie de faire au niveau de l’équipe nationale. Ajoutons tout de suite que même ici, les responsables de la Fecafoot n’ont pas encore réussi à s’émanciper des complexes d’infériorité qui les accablent et des diktats monarchiques qui les enserrent et qui semblent s’exercer de manière feutrée mais efficace.
Et si les stratégies de la Fecafoot étaient appliquées, même de manière balbutiante au niveau des entreprises publiques et parapubliques du pays, il y a fort à parier que le développement du Cameroun aurait connu une accélération certaine. Malheureusement, la gestion monarchique amène le pouvoir à n’installer à la direction desdites entreprises que des apparatchiks choisis sur la base des critères inavouables. Ils y ont parfois des mandats à durée quasi-indéterminée et il arrive qu’on découvre seulement que certains se sont installés à la tête des sociétés à eux confiées comme des rats, c’est-à-dire avec des greniers souterrains généreusement garnis au détriment de la structure dont ils ont la responsabilité. Pourquoi s’en étonner ? C’est moins leur compétitivité que leur loyauté qui justifie leur longévité.
En somme, tout se passe comme si les lois et règlements qui sont censés gouverner le pays n’étaient en réalité qu’un cache sexe, les corps législatifs et judiciaires n’étant que des faire-valoir. Tout tourne autour du monarque, de l’autocrate et de la petite oligarchie à qui il confie des missions en fonction des intérêts dont il est seul à en comprendre les tenants et les aboutissants. Même le parti politique sur lequel il est censé reposer n’est qu’une fiction, puisque chacun(e) n’adhère au mouvement qu’en fonction des intérêts immédiats qu’il/elle peut en tirer. Un commentateur bien avisé faisait remarquer il y a quelque temps dans une intervention télévisée qu’au Cameroun, l’on a affaire, non point à un parti État mais bel et bien à un État parti. En clair, nombre de militants du parti au pouvoir ne le deviennent qu’une fois qu’ils sont cooptés dans les cercles du pouvoir et qu’ils évaluent l’importance des avantages à en tirer. C’est dire que leur militantisme ne repose nullement sur des convictions ou sur l’adhésion à un projet de société. L’intérêt ou plutôt leur ventre comme l’aurait dit Eboussi est leur seul guide.
Et voilà qui explique pourquoi au Cameroun, la notion de peuple et de l’intérêt du peuple sont des concepts sans aucune signification aux yeux des gouvernants. Le confort des dirigeants est la préoccupation exclusive de ces derniers. Et comme le pays regorge d’abondantes ressources naturelles pour leur permettre de mener grand train sans se soucier des tensions de trésorerie, le monarque et ses oligarques n’ont point de souci à se faire. On comprend alors leur étonnement lorsque des étrangers osent les interpeller sur le piétinement des droits des citoyens. Ils sont pour ainsi dire abasourdis car ils se demandent de quoi il est véritablement question. Il est évident qu’il y a un énorme hiatus entre notre monde et l’univers de l’oligarchie qui est aux commandes du pays. Nous ne partageons qu’un espace physique mais nous ne vivons pas du tout les mêmes réalités, l’édredon, pour reprendre l’image de Mongo Beti, les ayant rendus presque irrémédiablement sourds.
En guise de conclusion, il faudrait une fois de plus attirer l’attention des Camerounais, eu égard à l’actualité des écrits de Mongo Beti, sur le fait que, nulle part au monde, les valeurs démocratiques ne sont acquises de manière définitive. On voit bien qu’aux États-Unis d’Amérique pour se limiter à cet exemple-là, un président intempestif aurait pu faire faire au pays de Lincoln, Jefferson et autres Roosevelt, Kennedy, plusieurs années de marche arrière, n’eût été la vigilance du peuple, de la société civile, constamment vent debout contre des propositions de réformes peu orthodoxes. Au Cameroun, les citoyens doivent comprendre qu’il leur suffit d’être un tant soit peu distraits pour que les espaces démocratiques conquis à grand-peine par leurs prédécesseurs soient habilement remis en cause par les faucons tapis dans les placards du régime.
Ambroise Kom
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Mars 2019