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Université des Montagnes: l'Enfer du décor - Chronique d'une déconfiture annoncée, par Jean-Blaise Samou

Université des Montagnes: l'Enfer du décor - Chronique d'une déconfiture annoncée, par Jean-Blaise Samou

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Index de l'article
Université des Montagnes: l'Enfer du décor
Remise des diplomes à l’UdM : L’arbre qui cache la forêt,par Etienne Lantier
Un temple de savoirs et de...convoitises, par Olivier Ndenkop et Ikemefuna Oliseh
L'impératif d'un aggiornamento, par O.A.N et I.O
UdM, une vache à lait, par Ikemefuna Oliseh
Professeur Jeanne Ngogang: l'Amère de l'UdM, par Maheu
Quand un temple scientifique devient un sujet de littérature, par Olivier A. Ndenkop
Témoignage: AED-UdM, travestissements des faits et inversion des rôles, par Innocent Futcha
Chronique d'une déconfiture annoncée, par Jean-Blaise Samou
Pour solde de tout compte : Ambroise kom, l’intellectuel indocile, par Gérard Keubeung
L'UdM et la fin de l'utopie, par Alexis Tcheuyap
UdM : du site captatoire d’un rêve au lieu de surexposition d’un cauchemar, par Hervé Tchumkam
Interview : Les dirigeants sont dépourvus d'ascèse et ont du mal à s'élever au-dessus des besoins primaires, Professeur Ambroise Kom
''Certains ont toujours pensé qu'ils étaient indispensables, irremplaçables, incontournables, qu'en leur absence tout irait mal'', par Henri Njomgang; président de l'AED
Lettre de Shanda Tomne à l'hebdomadaire Jeune Afrique
Au-delà de la faillite morale, imaginer l'architecture du futur, par Cilas Kemejo
Refaire ou ajuster l’université africaine ?, par Jean-Marc Ela
Lettre ouverte au Président de l’AED, par Professeur Jean – Baptiste Fotso Djemo
Toutes les pages

Note de lecture: Pour solde de tout compte
Chronique d'une déconfiture annoncée, par Jean-Blaise Samou
Comment expliquer qu’après bientôt 60 ans d’indépendance politique, qu’ayant forgé un projet de développement endogène et l’ayant porté sur les fonds baptismaux, des Africains initiés à l’école occidentale et dont la réputation (du moins au niveau scientifique) est incontestée dans leurs domaines respectifs du savoir, ne soient pas en mesure de piloter ce projet de manière rationnelle et fructueuse sans fléchir à l’appel du ventre? Aucun esprit critique ne peut se pencher sur le drame qui se joue à l’Université des Montagnes depuis ces cinq dernières années sans que cette interrogation ne revienne le hanter. Le dernier livre d’Ambroise Kom, Université des Montagnes. Pour solde de tout compte (2017) éclaire d’une lumière neuve et inattendue la crise des valeurs que traverse cette institution dont il est à plus d’un égard l’initiateur. À force d’y penser, on est tenté d’invoquer la triple malédiction nègre, francophone et bamiléké, thèse qui passe en filigrane dans les réflexions de l’auteur au sujet de son expérience dans cette institution. Mais de quoi s’agit-il?
Entre 2015 et 2016, dans la presse comme sur certains plateaux de télévision au Cameroun et en ligne, des membres de l’équipe dirigeante de l’UdM s’étaient livrés à des joutes oratoires dans lesquelles ils revendiquaient à cors et à cris la paternité de l’UdM, jetant l’opprobre sur leurs pairs, en l’occurrence Ambroise Kom, Hervé Mogto Tamnou, Henri Djoko, Armelle Cressent et quelques autres, qui étaient régulièrement dépeints sous les traits les plus odieux. Alors que le vice-président de l’AED, l’architecte Yimgaing Moyo présentait Ambroise Kom comme un vulgaire “voleur” qui veut “diriger l’UdM alors qu’il n’est qu’un littéraire”, le président de l’UdM, le Professeur Lazare Kaptué dans une mise au point publiée sur Camer.be le 26 décembre 2015 affirme quant à lui que «M. Ambroise Kom […] a enseigné au Cameroun, au Maroc, au Canada, aux Etats-Unis d’Amérique uniquement dans le but d’amasser beaucoup d’argent. Pendant les années chaudes du projet UdM, ce dernier s’est réfugié aux USA pour amasser davantage de dollars. Quand en 2012, il s’est rendu compte que la tempête s’était apaisée et que l’UdM avait pour ainsi dire acquis ses lettres de noblesse, il est rentré au pays pour ‘’gouverner’’ l’institution.»
Si l’on en croit MM. Moyo et Kaptué, Ambroise Kom serait essentiellement mû par la quête matérielle et le pouvoir, alors qu’ils ont pour leur part sacrifié leurs vies à bâtir l’UdM. Il avait fallu les prises de position courageuses et vibrantes du Professeur Innocent Futcha, de Benjamin Zebaze, et plus récemment du Professeur Hervé Tchumkam pour apporter un brin de lumière dans ces messes lugubres. Il faut rappeler que dans leurs sorties respectives, ni Yimgaing Moyo, ni Lazare Kaptué ne font aucune référence à la  genèse de l’UdM, épisode crucial qui les aurait confondus dans leurs machinations. Université des Montagnes. Pour solde de tout compte apporte une réponse claire à ceux qui voudraient comprendre les dessous réels de cette affaire, expliquant au passage les fondements de la déconfiture intellectuelle et managériale qui se produit en ce moment à l’Université des Montagnes.

Le culte de la personnalité et de la totemisation
S’énonçant comme une autofiction, le livre remonte en effet aux origines du projet qui avait donné naissance à l’UdM. En 1987, après avoir diagnostiqué les problèmes qui minaient l’équilibre social et le développement harmonieux du Cameroun dans un article visionnaire – “Le Cameroun de Paul Biya, autopsie d’un chaos annoncé” –, Ambroise Kom avait alors rassemblé autour de lui un nombre d’intellectuels camerounais sous la bannière “Collectif Changer le Cameroun” (ou C3) qui s’était donné pour mission de “rédiger un livre blanc sur nos trente années d’indépendance” (p.74-75).  C’est dans le cadre des travaux de ce collectif qui publia en tout quatre ouvrages entre 1990 et 1994 qu’Ambroise Kom, «au vu du chaos qui régnait alors sur le campus de l’Université de Yaoundé», et s’inspirant du modèle nord-américain qu’il a côtoyé pendant plus de quinze ans, proposa de « créer une université et de la faire fonctionner correctement»  (p.83). Il en proposa le nom « Université Libre des Montagnes », qui mua plus tard pour devenir simplement «Université des Montagnes » (UdM), suivant une suggestion de Jean-Baptiste Yonkeu (p.85).
Il faut préciser que le nom de Lazare Kaptué ne figure nulle part dans les registres du C3, tel que ce dernier le reconnaît lui-même: « Je n’étais pas membre du C3 […], je ne sais pas de quoi il s’agit!» Autrement dit, lorsqu’il crie à l’ironie qu’Ambroise Kom soit présenté comme fondateur de l’Université des Montagnes, on peut se demander de quel côté se trouve l’ironie si ce n’est dans ses propres propos. Sinon  « comment se fait-on éjecter d’une entreprise qu’on a soi-même créée?» Cette interrogation jadis soulevée par Steve Jobs, l’inventeur de Apple Computer, trouve son pendant tropical en Kom. Le drame qui se déroule à l’UdM est ainsi à l’image de celui qu’on observe à l’échelle nationale et continentale où, à peine propulsé à une position de pouvoir, chaque souverain joue de toutes les ficelles pour effacer les traces de ses prédécesseurs, s’enlisant ainsi dans le culte de la personnalité et de la totemisation. Aussi pourrait-on déduire que les manipulations qui ont conduit Lazare Kaptué et de son équipe à éjecter Ambroise Kom relèvent simplement de ce que Innocent Futcha dans sa prise de position a appelé «stratégies d’appropriation» de l’AED-UdM par une équipe d’opportunistes qui n’avaient rien à voir au concept initial.
C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’Ambroise Kom aborde la question de savoir «à qui profite l’UdM» (pp. 123-136). Voici une institution au sein de laquelle les pères fondateurs, tous membres du C3 (ancêtre de l’AED) ne souhaitaient « ni plus ni moins que de mettre en pratique l’ambition affirmée dans leur manifeste Changer le Cameroun. Pourquoi pas?» (p.126), à savoir: « tourner le dos à la bureaucratie improductive, à la filouterie, à la gabegie et à la gestion discrétionnaire et opaque qui plombaient l’avenir du pays » (p.125). C’est également dans cette perspective que fut élaborée une charte qui énonce la philosophie fondatrice ainsi que le caractère d’initiative à but non lucratif de l’UdM. L’utopie était-elle surréaliste?
Toujours est-il que ce qui fait courir tant de personnes sur la colline de Banekane aujourd’hui c’est justement ce contre quoi la charte fut élaborée. Ambroise Kom en explique les rouages en des termes qui frisent la malédiction:
« Inaptes à comprendre le rôle que pouvait jouer une institution d’avant-garde dans leur environnement et totalement fermés à ce que pouvait être une aventure à but non lucratif, nombre de bamilékés, hormis la diaspora, n’y ont vu qu’une opportunité d’affaire, quitte à tremper l’institution dans une sauce à leur goût […] À y regarder de près, la rapacité rageuse de certains membres ordinaires de l’association n’était qu’un épiphénomène, étant donné le système de prédation que la poignée d’individus qui géraient l’institution au quotidien était en train d’instaurer sur le campus […] L’UdM se retrouva ainsi avec un nombre d’employés totalement improductifs mais bénéficiant d’avantages inconsidérés, afin de nourrir les membres de son réseau […] Comme on l’aura compris, l’UdM était devenue une structure ventriloque et népotiste, distribuant des prébendes, une structure en tous points semblable aux structures publiques ou parapubliques contre lesquelles elle s’était pourtant construite » (pp.128-134).  
Il est important de préciser, à la suite du Professeur Futcha, que les déboires d’Ambroise Kom commencent au moment où ce dernier négocie et obtient auprès de l’Agence française de Développement un prêt concessionnel de 5 milliards de nos francs pour l’extension et la modernisation des infrastructures de l’UdM. Un prêt concessionnel dont l’annonce « força tous les loups, pourrait-on dire, à sortir du bois [pour des] messes basses, des coups bas et des contre-coups qui se mirent à pleuvoir, publiquement ou non, à l’occasion du virage annoncé » (p.140). Au vu de ces développements, et au souvenir des mots allégation révélatrices de Lazare Kaptué qui reproche à Ambroise Kom d’être rentré au pays en 2012 avec l’intention secrète de «  gouverner» l’UdM, on comprend que le malheur de ce dernier est « de trop ouvrir l’oeil sur les réseaux de prédation en place », c’est-à-dire d’empêcheur de piller en silence. Il faut souligner que le témoignage d’Innocent Futcha lui valut d’être radié non seulement de l’AED, l’association porteuse de l’UdM, mais aussi d’être licencié de son poste d’enseignant à l’UdM.

La malédiction bamiléké
On peut dès lors se demander si l’UdM n’est  «qu’une épicerie qui doit distribuer à manger à ceux qui se considèrent, à tort ou à raison comme des ayant-droits ou [s’il s’agit toujours] d’un projet de développement social et culturel au service de la jeunesse et du pays» (p.147). Le résultat de cette gestion à l’emporte-pièce est « une énorme gabegie qui, outre son coût financier, a un coût moral incalculable sur l’idée même de l’UdM ». Ambroise Kom en conclut que  « par-dessus tout, il est évident que ce qui était pensé comme une utopie collective a fait long feu, nos défauts ‘culturels’ et nos égos hypertrophiés nous ont encore rattrapés» (p.149). On ne peut s’empêcher d’invoquer avec Benjamin Zébazé « la malédiction bamiléké » selon laquelle « dès qu’un groupe de bamilékés se réunissent pour initier un projet, il est courant que l’un d’entre eux trouve un moyen d’écarter les autres pour s’approprier l’initiative ». À ce titre, Ambroise Kom note que « la question ethnique risque d’être précisément le talon d’Achille du devenir de l’UdM » (p.160). Toutefois, au-delà des conséquences ravageuses de cette appropriation d’une entreprise de la société civile qui, s’entend, était initialement conçue pour n’appartenir pour ainsi dire à personne sinon au Collectif tout entier, que retenir de la chronique d’Ambroie Kom sur la déconfiture de l’UdM?  
On n’a pas besoin du témoignage des élites intellectuelles aussi intègres que Fabien Eboussi Boulaga et Innocent Futcha, ou même de connaître personnellement Ambroise Kom – sa réputation le précède sur les cinq continents – pour percevoir que les accusations contenues dans la mise au point de Lazare Kaptué sont cousues de fil blanc. Au final, il ressort de toute cette tragédie une distinction nette entre les esprits petits et les grands hommes, ceux qui de manière narcissique ne pensent qu’à eux-mêmes, à leur pouvoir, leur argent, leur image ; et ceux qui mettent la collectivité, le bien-être national au-dessus de tout. Ambroise Kom en est un exemple : il conçoit son récit pour conjurer l’afro-pessimisme, afin que s’en inspire quiconque serait en quête d’une voie alternative de développement au profit de notre pays”.
Jean-Blaise Samou
Assistant Professor of French and Francophone Studies
Ripon College, USA