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Quand les opposants refusent le pouvoir. Analyse des stratégies de la défaite. - Problèmes actuels de nos luttes actuels, Guillaume Henri Ngnepi, Philosophe

Quand les opposants refusent le pouvoir. Analyse des stratégies de la défaite. - Problèmes actuels de nos luttes actuels, Guillaume Henri Ngnepi, Philosophe

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Index de l'article
Quand les opposants refusent le pouvoir. Analyse des stratégies de la défaite.
2018: A vraincre sans péril, on triomphe sans gloire, par Jean Baptiste Sipa
Elections en 2018 au Cameroun : Faut-il déjà crier ''haro'' sur l'opposition?, par Roger Kaffo Fokou, enseignant, écrivain et chercheur
Les opposants et leurs stratégies de la défaite, par Ikemefuna Oliseh
Pour changer la donne
Le charlatanisme comme alternative politique, par Jean-Bosco Talla
Le défi de l'organisation
Les chances de succès des candidats potentiels ou déclarés sont assez limitées, par Ahmadou Sehou
Occasions manquées et myopie de l'opposition camerounaise, par Enoh Meyomess
Problèmes actuels de nos luttes actuels, Guillaume Henri Ngnepi, Philosophe
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Problèmes actuels de nos luttes actuels, Guillaume Henri Ngnepi, Philosophe
C’est un fait que nous souffrons, collectivement, d’une asthénie théorique. Elle nous expose aux effets délétères de toutes les mésaventures doctrinales impulsées par les Autres. Les thématiques de la ‘’bonne gouvernance’’, de l’‘’alternance’’ et de l’ ‘’émergence’’, avatar actuel du ‘’développement’’, en sont à titre d’exemple, quelques fleurons. Elles enveloppent l’idée qu’il ne serait plus besoin de révolution politique et sociale. Ni même de prise de pouvoir. Ni d’étatisation des moyens de production. Ni surtout, à plus forte raison, de leur collectivisation et socialisation : seulement d’une régulation administrative dépolitisée du fait de laquelle, la capacité de régulation et de contrôle, et par suite, la souveraineté de l’Etat se trouvent sinon abolies, du moins par trop affaiblies, amoindries, faisant place à une conception moralisatrice de la politique qui vise, fondamentalement, la réconciliation avec l’ordre établi, l’éviction de l’interrogation sur les possibles, les alternatives, sacralise le capitalisme, et pose que si l’on veut que change le monde, il suffit de changer les hommes, leur mentalité notamment, leur place et leur rôle dans la division sociale du travail.
De cette toile de fond doctrinale se détachent diverses pratiques politiques, celle du pouvoir d’État établi certes, mais aussi celle de l’opposition, du moins une certaine ‘’opposition’’. On peut en effet déceler entre les deux une insidieuse connivence du fait de laquelle le moment politique majeur serait celui du renouvellement du personnel politique, pas celui de la transformation du politique lui-même. Voie royale de ce renouvellement du personnel politique, l’élection devient le temps fort du temps politique, celui qui scande l’essentiel des activités : quand elle n’est pas en cours, on est en train d’y aller sous peu, et passe en conséquence le temps à y songer au point de n’en dormir plus, et si l’on dort on doit encore en rêver. On entretient ainsi une sorte de fétichisme des élections, un électoralisme qui pose que pour refaire le monde, il faut et il suffit des élections. Or leur propriété essentielle est uniquement de reconduire ou d’éconduire un personnel politique.
Mais si tel est, chez-nous, le fonds commun de toutes les pratiques politiques, comment s’expliquer que nous soyons durablement installés dans cette sorte d’oscillation pendulaire entre éconduire et reconduire un personnel politique ? La réflexion sur l’évolution de notre société, l’adaptation de nos luttes à cette évolution doit tenir compte de ce que l’État, colonial d’abord, mais ses oripeaux successifs ensuite, n’a eu de cesse qu’il n’ait brisé et anéanti le mouvement social en tant qu’il a pu être révolutionnaire : de l’avènement de Roland Pré en décembre 1954 à ce jour, nulle concession n’a été faite à ceux qu’anime la volonté de révolution ; invariablement il s’est agi de les anéantir, ou d’obtenir leur reddition. Sauf à s’assurer leur impuissance contrôlée.
C’est dans ce contexte qu’éclosent de ci de là diverses aspirations à jouer un rôle politique de premier plan. Le contexte de leur apparition les écarte d’emblée de l’orientation révolutionnaire. Par quoi pourraient-elles, dès lors, se justifier ?
Hier déjà, certains se sont, mais délibérément, écartés, eux aussi de la perspective révolutionnaire, et l’ont fait au nom d’une prétendue politique de présence : il s’est agi, pour eux, simplement d’être présents partout où se prenaient les décisions. Maints ralliements à la politique coloniale et à ses succédanés ont excipé de cet argument. Il est même arrivé qu’on croie pouvoir s’autoriser, ce faisant, du mot bien connu de Ruben Um Nyobè selon lequel « l’intransigeance n’est pas payante ».
À présent, ce qu’on tient pour des ‘’dynamiques nouvelles’’, et qui naît au confluent de deux polarités, celle qui éconduit et celle qui reconduit un personnel politique mais sans, de la politique elle-même, pouvoir rien modifier, tire son inspiration fondamentale de la même justification par la politique de présence érigée en une nécessité vitale. On veut à tout prix se porter candidat aux élections parce que la politique de la chaise vide serait nocive. Si tel est l’argument de fond, quelle en est la motivation essentielle ?
Certes, on a souvent jugé cette démarche en s’empressant de la brocarder, n’y voyant guère plus qu’une ruée vers les privilèges à retirer de la proximité ou même de l’exercice du pouvoir. Cette perception s’explique du fait qu’il s’est souvent agi de ralliements individuels assortis de reniements spectaculaires coutumiers des seuls renégats. Ne serait-ce que pour pallier notre asthénie du débat doctrinal, défaut majeur du ‘’jeu politique’’ sous nos climats, faisons l’effort d’envisager les choses de la manière la moins défavorable, a priori, à ceux dont l’entrisme sous-tend la démarche. Admettons donc que l’entrisme puisse procéder d’une décision collective, et qu’il s’agisse alors d’une question tactique subsumée à l’enseigne de la discipline de parti par exemple. Supposons en outre qu’il soit, de la sorte, expurgé de tout soupçon de recherche d’un confort personnel. Que pourrait-on, dès lors, lui reprocher de sérieux ? Précisément la faiblesse du débat doctrinal : la prédominance des préoccupations tactiques - à l’échelle de la municipalité, du parlement, du sénat, ou du gouvernement - n’est pas saisie pour ce qu’elle est, une conduite qui relève du ressort de la contingence, mais elle est donnée pour une nécessité qui éclipse le débat de fond dont le propre est de s’appuyer sur la connaissance scientifique du donné pour prendre des décisions politiques d’importance relevant du registre de la stratégie politique.
À titre d’exemple, la motivation essentielle d’un Ruben Um Nyobè était la promotion d’une certaine qualité du pouvoir d’État : non pas le pouvoir à tout prix, quel qu’il fût, mais uniquement le pouvoir habilité à penser et mettre en œuvre notre destin commun pour lors constitué d’Unification, d’Indépendance, et de Progrès socio-économique ordonné à notre bien-être collectif à commencer par celui des classes sociales les plus démunies.
Après les Um, et au nom de la politique de présence jugée nécessaire, la motivation essentielle de certains est le soutien du ‘’Prince’’ assorti de la participation au pouvoir, quel qu’il soit, indépendamment de sa nature, c’est-à-dire de son essence, ou encore de sa qualité qui se détermine, d’une part d’après son fondement qui peut être la force ou le droit, et d’autre part selon ses assises, lesquelles indiquent les aspirations et les intérêts auxquels il donne le primat, et qui peuvent être ceux des classes dominées, exploitées et opprimées, ou au contraire ceux des possédants, endogènes et exogènes. Cela pose des questions qu’il faut examiner hors de toute intention inutilement éristique. En se demandant, par exemple, quel est le bilan de cette participation en un demi-siècle et un peu davantage, non pas pour ses seuls partisans et protagonistes, mais pour la Totalité sociale, notamment la classe numériquement la plus importante, constituée de celles et ceux qui sont taillables et corvéables à merci. Mais déjà, quelle est la figure concrète du soutien participatif ?
S’agit-il de la conquête du pouvoir, c’est-à-dire de la tentative de l’investir en l’ordonnant à quelque régime de son choix ? Dans l’affirmative, l’atteinte d’un tel dessein est-elle possible si l’on commence par le plier aux buts propres d’un système où l’on s’enferme animé de l’arrière-pensée de pouvoir ainsi seulement l’influencer en provoquant, de l’intérieur, sa mutation ?
S’agit-il de l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire du fait de l’investir et d’y soumettre ses propres desseins aux rares opportunités que peut offrir le système dominant et dirigeant, rarement en porte- à- faux avec sa propre logique ?
Ou s’agit-il encore de l’occupation du pouvoir, c’est-à-dire, au nom justement de la politique de présence d’empêcher qu’il ne soit investi par des gens qu’on juge peu suspects de sympathie pour les desseins qu’on a soi-même formés ?
Dans tous les cas, on subit une sorte de tropisme de gouvernement qui, de manière implicite, certes, énonce que c’est par le gouvernement, et par lui seul, quel qu’il soit, qu’on peut faire tout ce qu’on ambitionne, s’approprier le pouvoir ou même simplement l’influencer. Le raisonnement est le suivant : le pire serait d’être absent, ne prenant pas part à la politique qui se fait, quelle qu’elle soit. Il faudrait donc se déterminer à collaborer, ou accepter de collaborer avec le gouvernement, et même d’y participer. Ainsi éviterait-on une attitude purement passive ; il ne faudrait pas attendre la longue maturation d’une situation révolutionnaire éventuelle. Ainsi n’y aurait-il pas de fatalisme non plus : seulement le souci de transformer le monde dans lequel on vit, en commençant par imprimer sa marque à la ‘’gouvernance’’ du moment.
Ce qui, de la sorte, motive maints acteurs politiques, c’est la quête de la tactique à adopter pour éviter le pire qui serait, paraît-il, de ne pas pouvoir justifier de sa présence physique dans un fauteuil du gouvernement, ou du sénat, sur un strapontin de l’assemblée, ou sur une chaise du conseil municipal. Cette posture s’autorise d’ailleurs des inévitables ‘’gouvernements d’union nationale’’ recommandés avec empressement, de l’extérieur, de façon systématique, dans l’arrière-pensée que puisqu’il n’y a rien à changer à l’ordre du monde, autant en faire profiter tout le monde, gouvernants et opposants. Et du coup, voilà le pouvoir d’État ordonné à la manducation, par les bailleurs de fonds eux-mêmes, sinon sous leur regard complaisant. Et l’acteur politique d’en devenir fondamentalement détourné du peuple et tourné vers l’État.
Mais quand on a pu, tant soit peu, s’exhausser au-dessus de cette conception triviale qui répudie la politique arrimée aux grands idéaux de l’humanité, et finit par en faire une entreprise ordonnée à quelque morale du confort personnel, on découvre que l’enjeu véritable est de trouver ce qui peut, aujourd’hui, influer fortement sur les motivations politiques du Tout-venant. Sur quelles bases est-il possible, en effet, de mobiliser ces femmes, ces hommes, ces jeunes qui, comme les acteurs politiques de premier plan eux-mêmes, et sans doute un peu plus qu’eux, vu l’étiage plus bas que terre du débat d’idées, subissent douloureusement l’enfermement drastique du ‘’jeu politique’’ dans les seules élections à la pratique desquelles d’ailleurs, de manière insidieuse, on réduit la démocratie ?
Suffit-il d’un catalogue de revendications immédiates telles que les memoranda des ethnies, tribus et clans en offrent invariablement la mouture ? Ce sont sans doute de bons indices du ressenti des besoins, et de la permanence des mêmes besoins d’une ethnie à une autre. Mais ce serait de fort mauvais programmes politiques car fondés sur l’idée fallacieuse qu’il suffirait d’une kyrielle de promesses pour, en toute légitimité, prétendre au suffrage de l’électorat. Si légitimes puissent-ils sembler, des besoins hétéroclites ne font pas sens ; il faut encore les ordonner à quelque dessein répondant à quelque préoccupation de l’ensemble de la Totalité sociale, quitte à devoir en passer par le souci prévalent de donner satisfaction aux besoins d’une catégorie sociale donnée. Toute démarche de programme vise le général à travers le particulier, poursuit le bien-être d’une catégorie sociale et découvre qu’il n’est possible qu’à travers celui, bien compris, d’autres aussi.
Au fond, tout le problème est de savoir où se trouve, aujourd’hui, le terrain véritable de l’affrontement politique. Est-il, comme on le prétend et veut à toute force le faire accroire, électoral ? Est-ce bien dans les urnes qu’on peut décider de l’avenir ? Évitons toute méprise, entendons-nous bien : on ne met pas en ballottage, ici, deux chemins, les urnes et les armes par contraste, loin s’en faut ! Encore que notre propre trajectoire historique depuis soixante ans, et un peu davantage, prouve à suffisance que ni les urnes, ni les armes n’ont de manière substantielle, apporté de réponse satisfaisante au problème de notre devenir commun en tant que peuple, nation, continent même ! Mais, bon, passons. Les urnes plaident seulement pour ou contre le passé : si on le reconduit ou l’éconduit.
Aussi est-ce bien en deçà des urnes que s’ouvre sur l’avenir une brèche : à travers le débat d’idées. Il repose sur le fondement suivant : le réel social, sans que ce soit la volonté, ni la responsabilité et la culpabilité de personne est, d’emblée, pluriel au niveau des croyances et des pensées, comme l’établit le philosophe Paulin Jidenu Hountondji (Sur la Philosophie africaine, Critique de l’ethnophilosophie, Clé, Yaoundé, 1977, p .). On peut, dans le discours, nier ce pluralisme intrinsèque ; il n’en existera pas moins dans les faits. Autant le reconnaître et en tirer parti en s’interdisant d’interdire de penser autrement que soi. Car comme le montre Bertrand Russell, nul ne détenant la vérité de manière infuse, nous ne pouvons que la rechercher chacun, de notre mieux ; ce qui ne se peut que si nous faisons droit à l’expression de toute opinion, sans restriction. Je ne puis résister à la tentation de citer, un peu longuement sans doute, mais le jeu en vaut la chandelle, ce fort beau fragment de Russell : « L’argument contre la persécution des opinions reste inchangé, quel que soit le prétexte de la persécution. Cet argument est que nul d’entre nous ne possède la vérité infuse, que la découverte des vérités nouvelles est facilitée par la libre discussion et rendue très difficile par la censure, et qu’à la longue, le bien-être humain est accru par la découverte de la vérité et desservi par les actes basés sur l’erreur. Les vérités nouvelles sont souvent gênantes pour les intérêts privés : la doctrine protestante selon laquelle il est inutile de jeûner le vendredi souleva l’opposition véhémente des poissonniers du temps de la reine Elizabeth. Mais l’intérêt général exige que les vérités nouvelles soient librement diffusées.
« Or, comme on ne peut savoir d’emblée si une doctrine nouvelle est vraie, la liberté pour la vérité nouvelle entraîne une égale liberté pour l’erreur. ». (Bertrand Russell, Science et Religion, Gallimard, Idées, 1971, pp 185-186).
Le terrain de l’affrontement politique est donc, fondamentalement, politico-idéologique. Par exemple, les élections de décembre 1956 sont passées depuis six mois quand, du fond du maquis, en juin 1957, Ruben Um Nyobè juge nécessaire et, ce qui est remarquable et significatif, trouve le temps d’éclairer le peuple sur la question essentielle, non pas de la forme, mais de la nature du pouvoir d’Etat, non pas à conquérir simplement, ou à exercer, ou encore à occuper : seulement à construire en le dotant d’assises populaires, et d’un fondement juridique faisant la part belle à l’individu conçu comme parcelle de souveraineté. Ce débat ouvert à l’époque demeure d’actualité : il continue à nous parler, et peut influer fortement sur nos propres motivations politiques, et sur notre mobilisation, y compris la simple mobilisation en vue d’aller aux urnes, car au-delà du débat d’idées sur les institutions, à commencer par celle qui est préposée à l’organisation des élections, il enclenche la nécessaire controverse publique sur les possibles, les alternatives. À commencer par la conception d’un droit alternatif, négation du droit en vigueur. Um en effet ne se représente nullement le droit telle quelque banale codification de l’ordre établi. Cette vision largement propagée par l’idéalisme juridique universitaire aujourd’hui lui est étrangère. II voit dans le droit un instrument d’émancipation et sait remarquablement se servir des clauses progressistes du droit international, quand elles existent, pour faire avancer la cause du peuple. De même pouvons-nous, à son exemple, penser un droit alternatif, et surtout établir la nécessité de le substituer au droit qui nous régit, car nous avons à mener à son terme la révolution politique initiée par les Um, l’Indépendance ne nous ayant donné que le droit à la liberté qui demande désormais à être exercé, ce qui induit le nécessaire changement du droit en vigueur.
Mais pourquoi nier le droit en vigueur ? dira-t-on. Parce que c’est un droit à privilèges, fondé sur les ‘’quotas’’ au référentiel ethnique, et qui, en un demi-siècle, n’a pu faire mieux que d’édifier, à notre usage commun, une justice qui consiste à justifier l’injustice.
C’est que la quotification ethnique, le fait d’attribuer des quotas aux ethnies dans l’éducation, la formation, l’emploi à tout le moins, implique la mise en exergue des différences référées à l’ethnicité, et par suite, leur exacerbation, et même leur sédimentation, pour autant que les filiations ethniques elles-mêmes sont l’objet de manipulations insidieuses, intéressées, qui ont pour elles l’onction du pouvoir exécutif, l’appartenance tribale des enfants se déterminant, unilatéralement et tout à fait officiellement, d’après la seule ascendance paternelle, celle de la mère n’étant pas prise en compte1, les brassages et métissages se trouvant, par le fait même, tacitement proscrits.
L’entreprise de quotifier, c’est-à-dire d’attribuer des quotas, ne vise pas, à proprement parler, la régulation du taux de présence des ethnies dans la sphère des activités diverses, publique ou privée : elle se borne en fait à récompenser, dans la particularité ethnique, bien moins que l’appartenance comme telle, la docilité qui donne droit à la promotion par cooptation parfaitement arbitraire au rang du petit nombre de privilégiés, qui sans doute recrutés, en amont, comme membres diversifiés d’ethnies multiples, se retrouvent, en aval, comme éléments plus ou moins homogènes, par leurs privilèges, d’une classe sociale en construction, dont le style de vie suscite des envies, sans doute de la jalousie aussi parfois, sans que pour autant les conceptions, politico-idéologiques notamment, induisent le consentement et deviennent, par suite, hégémoniques.
Ainsi montées en épingle, les particularités ethniques aboutissent à la constitution d’une caste de privilégiés, là où l’esprit de justice prescrit d’abolir les privilèges. Du fait de l’accent mis sur elles et sur les privilèges qui leur sont affectés, la cohésion sociale se fissure. La quotification, de la sorte, érige l’appartenance à une ethnie en un critère d’attribution, et donc aussi de déni de droits.
Tout cela pose des problèmes que la pratique de la quotification occulte et dont l’ un se pose au confluent de la démocratie et de la démographie : qu’est-ce qui donne le droit de légiférer pour tous ? En démocratie, par référence au grand nombre, on répond : la majorité. Mais c’est précisément ce que récuse quiconque est enclin à quotifier à tour de bras. Pourquoi donc peut-il ne pas être juste que la majorité légifère ? Parce qu’elle peut, toute numérique qu’elle est, recouper une majorité ethnico-démographique, dit-on. Contre cette allégation, il n’y a guère qu’une enquête empirique qui vaille et qui soit pertinente : déterminer le nombre des ressortissants de chaque ethnie, l’opinion de chacun d’eux sur chaque question d’intérêt commun, vérifier que des uns aux autres, ces opinions sont les mêmes, pour l’essentiel. Une telle enquête nécessite patience et longueur de temps, quand les partisans de la quotification n’en ont que pour les raccourcis expéditifs : par exemple, supprimer la genréfication féminine de la quotification, puisqu’ à en tenir compte dans la détermination de l’ethnie de l’enfant, on se retrouve affronté à la complexité qui oblige à faire litière de l’ethnicité dans les problèmes du devenir commun de la Totalité sociale !
Plus sérieusement, le grand nombre peut cependant ne pas être indiqué pour légiférer pour tous dans la mesure où il peut n’incarner guère plus que la force nue et brute qui, souvent, fait la loi, certes, mais sans constituer, pour autant un critère pertinent d’attribution ou de déni des droits.
Il faut donc, pour être, en toute légitimité, habilité à légiférer pour tous, que l’aspect quantitatif du grand nombre puisse s’assortir d’une certaine qualité. A quoi peut-on la reconnaître ? À ce que la volonté qui sous-tend la force est pénétrée de raison, et prend par conséquent en compte les intérêts et les aspirations de la Totalité sociale.
Autre problème occulté par la doctrine des quotas : peut-il y avoir une inégalité juste ? Ou encore, l’inégalité peut-elle, non pas s’expliquer seulement, mais se justifier en outre ? On sait que la quotification répond par l’affirmative et cherche dans la particularité ethnique le critère suffisant de cette justification. Ainsi somatise-t-elle, biologise-t-elle et naturalise-t-elle des phénomènes qu’à l’expérience on découvre culturels, déjà l’homme lui-même ne disposant pas d’une nature, mais étant plutôt une histoire, comme l’établissent trois grands courants de pensée qui vont du marxisme au culturalisme en passant par l’existentialisme athée.
Ce qui, en toute légitimité, peut justifier l’inégalité des biens comme des statuts ne saurait être ni la naissance, l’extraction familiale, sociale, ethnique, ni la fortune, l’héritage, ni même le savoir, les peaux d’âne, si élevées et prestigieuses soient-elles : seulement ce qu’on fait d’Utile à la Totalité sociale. En vertu de ce principe d’Utilité commune en usage au lendemain de la Grande Révolution (1789), on peut être différents et se valoir néanmoins ; le juste ne désigne pas le simplement égal :AAA p.10 AAA (suite de la p.9)  seulement le proportionnellement égal. Comment mesurer cette proportion ? A l’aune du principe d’utilité commune, publique. L’essentiel étant de veiller aux proportions en substituant au trop et au trop peu, le plus et le moins, dans la répartition des biens et des statuts.
Pour qu’une inégalité devienne juste il faut donc qu’elle soit, comme dit John Rawls, « à l’avantage de chacun », et relative à des « positions et à des fonctions ouvertes à tous », ce qui suppose qu’au départ tous disposent des mêmes « chances ».
Naturellement dans notre société embourbée dans l’ornière des clivages ethniques que le pouvoir exécutif gère à grand renfort de quotification tribale, régionale, d’aucuns se demandent que faire quand le déficit d’une ‘’ethnie’’ donnée se creuse dans un secteur quelconque, par exemple en matière d’éducation, de formation, d’emploi, de prestation en services divers, ou même d’occupation du sol. La réponse est dans l’activation d’une intensive politique d’incitation à son adresse, dans un temps expressément limité, et sans mettre en cause l’éventuelle progression des autres ethnies dans le même temps.
Ce qui empêche de faire droit à une telle solution, et pousse à lui préférer la doctrine des quotas c’est le péché originel de cette doctrine elle-même : elle n’est pas née pour sauver des régions entières de la misère et de toutes sortes d’autres fléaux, comme on l’a prétendu non sans désinvolture : seulement pour régler de sordides comptes de la politique politicienne en jouant de l’ethnicité à volonté, tantôt pour récompenser, tantôt pour punir, toujours pour séparer et dépolitiser, en vue de mieux diviser, régner en dominant, exploitant, opprimant ceux-ci avec l’aval de ceux-là, et réciproquement.
On voit de la sorte à quel point peut être fallacieux le droit à privilèges en vigueur qui s’accommode des gouvernements d’ ‘’union nationale’’, de ‘’coalition’’, d’ailleurs prescrits à tour de bras, entre le pouvoir en place et son opposition, au risque de faire perdre au mot opposition jusqu’à son sens élémentaire. Si, de fait, ce vocable, à défaut de dénoter, au moins connote un clivage quelconque, que concourt-il à séparer ? Des forces organisées ? Des opinions ? Et si pour faire une ‘’coalition’’, une ‘’union nationale’’, il faut tout de même un fonds commun de références, quelles peuvent-elles bien être quand le temps s’est passé à nier le pluralisme intrinsèque des croyances, des pensées, des sentiments, des opinions, et quand union et coalition ne sont que le couronnement de ce déni coutumier du pluralisme qu’on fait exprès d’induire à confondre avec le multipartisme ? Mais surtout, quel socle commun sans mémoire commune, la nôtre ayant, en soixante ans, subi toutes sortes d’assauts qui l’ont tronquée, délabrée, de sorte que nous sommes peut-être le seul pays au monde où des générations entières de jeunes gens, par ailleurs les plus nombreux, ne savent de leur Histoire que le présent immédiat, celui des gouvernants du moment, et sont pourtant appelés à faire leur propre Histoire, dont plus personne ne doute qu’elle dépend de celle qui ne leur a pas été enseignée ?
En réalité, faite sur des bases ménageant l’indépendance mutuelle (un peu comme en Allemagne ces temps-ci, entre droite au pouvoir et gauche dans l’opposition), l’union, l’unité ou l’alliance (qui ne se recoupent certes pas), se décline nécessairement comme opposition commune à…et donc comme alliance défensive, voire accord électoral. Et quand c’est fait pour gouverner, alors devient-il nécessaire de résoudre les contradictions qui ne peuvent manquer d’apparaître en divers secteurs, en politique socio-économique, diplomatique, militaire à tout le moins.
Mais chez-nous, sans renoncer théoriquement et explicitement à la révolution, on n’en parle plus, et sans doute n’y songe –t-on pas davantage, si même on ne se proclame pas réformiste, quoique dans les faits, on donne le pas à l’électoralisme. La véritable infirmité rédhibitoire de cette démarche, c’est qu’elle n’arrive pas à intégrer le fait et l’idée qu’un parti peut avoir une réelle puissance électorale au moment où il dispose en termes de militants, d’adhérents, de membres, d’un effectif faible : sur une population d’environ quatre millions d’habitants à l’époque, la glorieuse UPC des UM dénombre trente mille adhérents, mais quelle montagne n’a-t-elle pas soulevée ? Les élections ? Elles n’ont jamais été que truquées, dès cette époque déjà ! Mais quelle rigueur et quel panache dans l’animation du mouvement social ! Et donc dans l’organisation !
Il a pu en aller ainsi parce que l’influence d’un parti, son poids sur le consentement, non pas de ses seuls militants, mais aussi et surtout de la multitude est une question d’hégémonie, pas de dominance. Donc, non pas de nombre initial d’adhérents, de membres, de militants actifs, mais de capacité d’influence, d’aptitude à provoquer le consentement, à faire mouvoir la multitude dans une orientation déterminée. Or, de ce point de vue la corrélation entre le nombre des adhérents et la quantité des voix suscitées n’est pas de stricte égalité, elle est même inversement proportionnelle. Les deux éléments coïncident rarement : on peut avoir beaucoup de membres (au parti) et n’obtenir que bien peu de voix (aux élections), aucun parti ne faisant jamais, ni surtout systématiquement le plein des suffrages de ses propres partisans.
Voilà pourquoi il faut, au demeurant, savoir ce qu’on veut : des membres (de parti), ou des voix (électeurs) ? Et dans tous les cas, tout se joue, si j’ose m’exprimer ainsi, non pas dans les urnes, mais bien avant, dans le débat d’idées dont nous accusons, collectivement, un prodigieux déficit. Surtout à présent que sont déjà annoncées les élections sénatoriales pour mars 2018. C’est dans le débat d’idées que se forgent les croyances, sentiments, pensées, opinions, valeurs qui nous servent de béquilles au quotidien. Même notre comportement dans l’urne procède de nos échanges d’idées avec nos concitoyens, sans compter les enseignements des grands esprits du passé, le nôtre certes, mais celui des autres peuples aussi.
Normalement et fondamentalement les élections sont une question tactique. Et non pas stratégique : elles ne définissent pas une ligne de conduite générale, mais sa déclinaison au coup par coup, au quotidien. Ce qui empêche de s’en persuader c’est le tropisme de gouvernement du fait duquel on passe son temps à mimer les faits et gestes des gouvernants, leur organisation, leur façon de se déployer sur le terrain, leur calendrier, et pis, leur vision du monde et l’expression qu’ils en donnent : l’idée d’un Droit alternatif, par exemple, substituant au droit inique à privilèges un droit égalitaire pour tous, cette idée n’est guère agitée dans maints secteurs de l’opposition ; ce qui signifie qu’en ce domaine on ne s’aventure guère à soulever des questions qui ne soient compatibles avec l’ordre établi, et qu’on adhère à ses problématiques déterminées de la sphère de l’Etat, quand on devrait, à terme, viser la promotion d’un contre-pouvoir, à travers la construction d’une contre-culture, et d’une contre-société. Si du moins l’on ambitionne, au-delà de l’adaptation au cours du monde, sa transformation.
Aujourd’hui les difficultés et faiblesses de l’opposition, y compris celle qui se regroupe dans les ‘’ nouvelles dynamiques’’ tiennent, pour l’essentiel, à l’extrême faiblesse voire à l’inexistence de son appareil de propagande, à l’essoufflement de son idéologie qui ne suscite plus de réflexion doctrinale, ce qui équivaut à laisser le champ libre aux préjugés, contre-vérités et mensonges développés et diffusés à profusion, et d’ en face. Or, disait le fondateur, organisateur de l’armée rouge, et propagandiste révolutionnaire de renom, Léon Trotsky : « Celui qui s’incline devant les règles établies par l’ennemi ne vaincra jamais. ». En somme l’opposition est en butte à un problème d’assises sociales et d’organisation : elle croit que pour avoir l’oreille des paysans pauvres et des ouvriers, il lui faut commencer par se déployer en gigantesques sections répandues dans les coins et recoins du pays, comme le parti dominant. Elle oublie que la courbe du nombre n’épouse pas nécessairement celle de l’influence. Mais au fond elle pense nombre avant tout parce qu’elle a le regard fié sur les suffrages à engranger. Elle veut donc les engranger ; elle n’en prend pas le chemin.
Il lui faut comprendre que l’entrisme et le tropisme de gouvernement ne correspondent pas à une évolution irréversible, que leur temps, s’il exista jamais, est révolu parce que la Totalité sociale est entrée dans un conflit de classe de moins en moins larvé, de plus en plus ouvert. Il lui faut comprendre que ce n’est pas à elle de se modeler sur un électorat qu’elle n’a pas contribué (ou si peu !) à forger : mais elle doit s’atteler à informer (au sens premier de donner forme en informant justement, cette fois au figuré) un électorat qui, à présent, tel qu’il fonctionne, même indépendamment du faux en matière d’élection, est bien moins le sien que celui du pouvoir en place. Il faut enfin avoir à l’idée que le mécanisme même des élections (un seul tour pour la présidentielle par exemple, entre autres détails) impose l’unité d’action, qui n’est pas automatiquement une candidature unique de l’opposition, au demeurant fort improbable, faute souvent de référentiels communs, partagés, sans compter, je le crains, l’hypertrophie, parfois, des ego, dont il est arrivé qu’on parle, peut-être surabondamment.
Contre notre asthénie doctrinale, il est grand besoin de réflexion stratégique tenant compte de la tendance actuelle du capital à la mobilité ininterrompue et à l’expansion transgressant les frontières de toutes sortes. Marchand entre le 17è et le 18è siècle, industriel aux 19èet 20è, le capitalisme est dit « cognitif » aujourd’hui, et repose sur la prédominance du travail immatériel.
Mais comme l’a montré Rosa Luxemburg, pour résorber ses crises périodiques, et nous y sommes de nouveau, il a besoin d’un extérieur « non capitaliste » qui échappe à la surproduction et amortisse la crise de surproduction venue de loin. Aussi cet extérieur doit-il être maintenu comme tel, et par suite empêché de se développer. De là le sous-développement d’immenses régions du monde dont la nôtre. De là aussi les guerres pour la possession, le contrôle, et l’administration des ressources de la planète.
Trotsky résume parfaitement tout cela dans sa théorie du développement « inégal et combiné » : le développement des pays industrialisés a pour contrepartie le sous-développement des pays qu’on dit « en retard ». Dans ces conditions, impossible de rattraper ledit retard.
Dans son analyse du néocolonialisme, Nkrumah confirme ces thèses : la méthode du néocolonialisme consiste en effet à installer des gouvernements locaux fantoches, une administration locale asservie économiquement et idéologiquement aux investisseurs étrangers, et qui vit d’un soutien militaire et d’une aide économique qui garantissent la continuité dans la stabilité. La conséquence en est double dans les pays impérialistes. D’abord, l’accroissement du bien-être grâce aux impôts sur les industries et sur les investissements, impôts qui permettent de financer les équipements sociaux collectifs. La seconde conséquence c’est ‘intégration consécutive de la classe ouvrière au système capitaliste. Aussi la fin du néocolonialisme impliquerait-elle celle de l’état de bien-être en Occident. Le néocolonialisme est ainsi un phénomène mondial, impossible à réduire à nos bisbilles tribales qui se ravivent à chaque veille d’élections. Pour y mettre fin, une lutte mondiale est nécessaire, sous la forme d’une action coordonnée des progressistes et des révolutionnaires africains asiatiques et latino-américains.
Il faut donc, sur tous les plans, à commencer par celui des idées et de l’organisation, construire les forces sociales qui transformeront cette situation. Ce qui suppose qu’on se détourne du gouvernement pour se tourner vers le peuple avec qui il s’agit d’édifier une contre-culture, un contre-pouvoir, et une contre-société.
Guillaume-Henri Ngnépi
Philosophe

1 Faire un enfant est pourtant l’entreprise qui dévoile au mieux la stricte égalité des genres, homme et femme ne contribuant chacun qu’à concurrence de 50%.



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