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Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes - Anglophone Crisis: The Too Late President, par Njoya Moussa

Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes - Anglophone Crisis: The Too Late President, par Njoya Moussa

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Index de l'article
Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes
Crise anglophone, Cause anglophone: Mobilisation identitaire et problème national camerounais, par Mathias Eric Owona Nguini
Les Camerounais d'expression anglaise, entre l'enclume et le marteau, par Jean Baptiste Sipa
Décentralisation, Fédéralisme, Sécession...par Alexandre T. Djimeli
Considérations générales sur la ''crise anglophone'', par G.L. Taguem Fah, Université de Ngaoundéré
La fronde des ''Anglos'', par Jean-Baptiste Placca, RFI
Pour une lecture politique de la crise dans les régions anglophones, par Serge Banyongen
Radiographie d'une dictature crépusculaire à huis clos, par Achille Mbembe
Anglophone Crisis: The Too Late President, par Njoya Moussa
Sauvons-nous nous-mêmes, par Guillaueme-Henri Ngnépi, philosophe
Crises anglophone: quelques vérités en guise de feuille de route, par Roger Kaffo Fokou
Et si le moment de la prise de conscience de la jeunesse était arrivé, par Blaise Djibùm
Quand Paul Biya joue la carte du pourrissement, par Mila Assouté
Comment éviter la fracture Francophone-Anglophone, Georges Dougueli
Existe-t-il un problème anglophone au Cameroun ou s'agit-il d'une vue de l'esprit?, par Jean-Emmanuel Pondi
Toutes les pages

Anglophone Crisis: The Too Late President
C’est l’histoire du Consul anglais Hewett, envoyé par Londres pour venir négocier avec les chefs Duala pour l’occupation du Cameroun. Malheureusement, lorsqu’il arrivera à le 19 juillet 1884 à Douala, depuis le Nigéria où il était établi, il trouvera que les allemands l’avaient devancé en signant le traité Germano-Douala les 11 et 12 juillet 1884, faisant du Cameroun un protectorat allemand. Il sera surnommé par la presse anglaise, « The too late consul ».
Cet épisode très marquant de l’histoire du Cameroun démontre à elle seule à suffisance que quelques jours de retard dans le timing d’une prise de décision ou dans la mise en pieds d’une action peuvent être lourds de conséquences dans la vie d’une action.
Aujourd’hui, le Cameroun est à la croisée des chemins. Plus que jamais par le passé son unité, longtemps utilisée comme cache-misère d’un bilan trentenaire largement déficitaire, est sur le point de s’effriter voire d’imploser. La faute à un ensemble de retard et de décalage dans les actions du président Paul Biya depuis le début de cette crise.

 

Une prise en considération tardive des revendications
Le 06 octobre 2016, les avocats avaient adressé une lettre au président de la république du Cameroun, Paul Biya, et dans laquelle ils faisaient part de leur intention de se mettre en grève durant la semaine allant du 11 au 14 octobre 2016.
Dans cette missive qui tenait lieu de préavis, qui avait été signé par Nkongho Felix Agbor Balla  président de la  Fako Lawyers Association (FAKLA), Awutah Philip Atubah, président de  Meme Lawyers Association (MELA), Harmony Bobga Mbuton, président de North West Lawyers Association (NOWELA) et Ngangjoh Sopseh Emilien président  de  Manyu Lawyers Association (MALA), ces avocats anglophones, placés sous la bannière de l’Association of Cameroon Common Law Lawyers relevaient un certain nombre de ce qu’ils considéraient comme étant des griefs à l’encontre du système judiciaire camerounais.
Tout d’abord, ils s’indignaient contre ce qu’ils considéraient comme le mépris des instances gouvernementales, en déclarant, «Cela fait plus de deux ans que nous avons servi à votre gouvernement les résolutions de la Conférence inaugurale de Bamenda des avocats du Cameroun Common Law Lawyers, et jusqu’à ce jour, nous n’avons même pas reçu un accusé de réception».
Par la suite, ils exigeaient qu’une commission ad-hoc soit mise en place « pour répondre aux  résolutions de Bamenda du 9 mai 2015 et la Déclaration de Buéa du 13 Février 2016 relative à l’érosion de la common law au Cameroun». En effet, durant ces réunions, les avocats avaient fait savoir qu’ils nourrissaient des inquiétudes quant à la préservation de la spécificité du droit anglais, la Common Law, dont certaines dispositions sont encore en vigueur dans la partie anglophone du Cameroun, en vertu de la dualité du système juridique et judiciaire.
Pour cela, ils estimaient que l’Etat du Cameroun est dans une dynamique d’imposition du droit civil d’inspiration française et se plaignaient de la présence des magistrats francophones dans les tribunaux et cours du ressort des cours d’appel du nord-ouest et du sud-ouest.
Au mois de juillet, les avocats anglophones vont refuser de voir appliquer le nouveau code pénal adopté le 12 juillet 2016 et qui doit être mis en œuvre sur l’ensemble du territoire national, au prétexte qu’il y a  la Common Law et le droit napoléonien, deux systèmes judiciaires totalement différents et qui sont en vigueur au Cameroun pourtant unitaire.
Enfin dans leur missive adressée au chef de l’Etat, les avocats anglophones vont rajouter comme revendication principale, la nécessité de traduire les actes uniformes de l’Ohada en Anglais.
En effet, le Cameroun est partie au traité de l’organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (Ohada) adopté à Port-louis en 1993 et révisé au Québec en 2008. Dans le cadre de sa mise en œuvre, des actes uniformes régissant des domaines d’activités tels que le commerce, les sociétés, le transport, etc. sont adoptés et appliqués dans les 17 Etats membres dont le Cameroun. Mais il se trouve que le Cameroun n’avait pas encore officiellement reçu les versions anglaises de ces actes uniformes.
C’est grosso modo ce qui va pousser ces avocats anglophones à entamer une grève qui va finalement se révéler illimitée dans le temps. Même la séance de travail au premier ministère le 04 novembre 2016 n’y fera rien. Les leaders multipliant les revendications au fil des jours au point de demander purement et simplement le fédéralisme.
C’est ainsi que dans la lettre qu’ils avaient envoyé au président de la République, ces avocats demandent au chef de l’Etat de « tenir une session d’urgence du Conseil supérieur de la magistrature afin de remplacer tous les magistrats du droit civil qui exercent dans les régions du Nord-Ouest et du sud-ouest par les magistrats du Common Law. »  
Ces avocats estimaient que l’anglais est et doit demeurer la seule langue utilisée dans les tribunaux du ressort de la cour d’appel du Nord-Ouest et du Sud-ouest. A cet effet, ces avocats Anglophone exigeaient le retour du Cameroun à l’Etat fédéral, question de préserver leur culture et le Common Law que « l’Etat veut annihiler », selon eux.
En guise d’exemple, ils fustigeaient l’implantation des notaires de culture francophone dans les juridictions de l’ex-Cameroun Occidental, car dans le system du Common Law, un avocat est d’office un notaire.
C’est ainsi que certains, à l’instar de Me Achu, vont exiger la création à la Cour suprême deux chambres, avec une consacrée à la Common Law, pour préserver les deux identités culturelles.
Pour les enseignants, tout a commencé le 26 octobre 2016, lorsque les enseignants anglophones, placés sous la bannière de six syndicats, dont les principaux étaient la Cameroon Anglophone Teachers Trade Union (Cattu), la Teachers Association of Cameroon (Tac) et la National Union of Teachers of Higher Education (Synes), ont adressé un préavis de grève pour le 21 novembre 2016 au premier ministre.
Dans cette correspondance, ils font savoir qu’ils avaient déjà eu à rencontrer le 13 décembre 2015 le ministre de l’enseignement supérieur pour se plaindre des affectations des lauréats des écoles normales francophones dans la zone anglophone pour enseigner des élèves anglophones. En guise de réponse, celui-ci leur avait fait savoir qu’en vertu des lois en vigueur et notamment du droit de la fonction publique, tout camerounais est appelé à travailler partout sur le territoire national.
Par la suite, ils étaient allés à la rencontre du Gouverneur de la région du Nord-ouest, les 31 décembre 2015 et 02 janvier 2016, pour lui réitérer plus en profondeur leurs revendications. A l’issue de ces échanges, ils avaient été conviés le 04 janvier 2016 à Yaoundé. Mais selon eux, aucune solution viable n’a été apportée à leurs revendications. C’est ainsi qu’en cette fin du mois d’octobre 2016, ils vont revenir à la charge auprès du premier ministre afin de les réitérer.
Dans ces revendications, les enseignants anglophones font savoir qu’ils exigent le retrait de tous les enseignants et personnels de l’administration francophones des universités de Buea et de Bamenda, tout comme l’exclusion des étudiants francophones inscrits dans la filière lettres modernes anglaises de l’école normale de Bambili, et plus généralement de tout étudiant francophone inscrit dans une école de formation des universités de Buea et de Bamenda.
Dans cette dynamique exclusive, ils exigeaient le retrait de tous les enseignants francophones des écoles, lycées et universités anglophones, et leur redéploiement en zone francophone. Ils demandaient également un arrêt immédiat des affectations des enseignants francophones en zone anglophone, ainsi qu’une réévaluation du diplôme de professeur d’enseignement secondaire (Dipes I) de tous les lauréats francophones de l’école normale de Bambili qui veulent enseigner l’anglais.
Concernant les recrutements dans les écoles de formations situées en zone anglophone, ces enseignants vont exiger que seuls les titulaires du Gce, équivalent anglophone du baccalauréat, doivent pouvoir postuler, tandis qu’un recrutement spécial des jeunes anglophones doit être fait à l’école normale supérieure de Bambili, ainsi que dans les écoles normales supérieures d’enseignement technique de Bambili et de Kumba. Un autre recrutement exclusivement réservé aux jeunes anglophones spécial devrait également avoir lieu dans les universités de Buea et de Bamenda, afin que ceux-ci prennent les places qu’occupent les francophones dans les différents départements.

Des décisions trop tardives
De tout ce qui précède, il appert que les revendications du consortium de la société civile dans ses composantes avocats et enseignants dataient de plus de deux ans, sans qu’aucun début de solution ne soit apporté.
Si dès le départ, le président Paul Biya avait prescrit des mesures fortes à son gouvernement, notamment certaines qui sont entrain d’être prises actuellement, tout porte à croire qu’on n’en serait pas là.
Pire encore, lors de son discours de fin d’année, alors que tout le monde s’attendait à ce qu’il prenne la pleine mesure de la crise qui avait cours, et qu’il annonce des actions fortes allant dans le sens de sa résorption, il s’est contenté de sa posture christique habituelle, faite de distance vis-à-vis des souffrances populaires et d’incantations sur la toute puissance de l’Etat.
Il n’en fallait pas plus pour envenimer les choses puisque dès la première semaine de janvier 2017, les échauffourées ont repris des plus belles. Et comme réponse à celles-ci, le président Paul Biya, confondant assurément d’époque va instruire l’interdiction du consortium et surtout l’arrestation des leaders anglophones avec qui le gouvernement venait pourtant d’ouvrir le dialogue.
Il faudra huit mois, des centaines de jours de villes mortes et de dizaines de victimes pour qu’il comprenne la nécessité de les libérer. Mais comme à son habitude, il n’ira pas au bout de la logique d’apaisement, en décidant de garder une partie de ces leaders en détention.
Résultat des courses, la rue s’est radicalisée et les extrémistes ont pris le pouvoir. Désormais, le fédéralisme est une revendication à minima tandis que la sécession est l’option de plus en plus de la majorité.
Paul Biya aurait pu profiter de la tribune des Nations Unies le 22 septembre dernier pour annoncer les mesures salutaires nécessaires à l’ouverture d’un véritable dialogue franc et sincère, que tout le considère comme la solution incontournable, mais malencontreusement, il a choisi la tactique de l’ignorance.
Il en est de même de la nécessité d’une visite présidentielle dans les régions anglophones en proie à ces spasmes. Vivement qu’au moment qu’il se décidera de le faire, qu’il ne soit pas the too late président !
Njoya Moussa
Enseignant /Chercheur