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Economie Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes - Sauvons-nous nous-mêmes, par Guillaueme-Henri Ngnépi, philosophe

Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes - Sauvons-nous nous-mêmes, par Guillaueme-Henri Ngnépi, philosophe

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Index de l'article
Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes
Crise anglophone, Cause anglophone: Mobilisation identitaire et problème national camerounais, par Mathias Eric Owona Nguini
Les Camerounais d'expression anglaise, entre l'enclume et le marteau, par Jean Baptiste Sipa
Décentralisation, Fédéralisme, Sécession...par Alexandre T. Djimeli
Considérations générales sur la ''crise anglophone'', par G.L. Taguem Fah, Université de Ngaoundéré
La fronde des ''Anglos'', par Jean-Baptiste Placca, RFI
Pour une lecture politique de la crise dans les régions anglophones, par Serge Banyongen
Radiographie d'une dictature crépusculaire à huis clos, par Achille Mbembe
Anglophone Crisis: The Too Late President, par Njoya Moussa
Sauvons-nous nous-mêmes, par Guillaueme-Henri Ngnépi, philosophe
Crises anglophone: quelques vérités en guise de feuille de route, par Roger Kaffo Fokou
Et si le moment de la prise de conscience de la jeunesse était arrivé, par Blaise Djibùm
Quand Paul Biya joue la carte du pourrissement, par Mila Assouté
Comment éviter la fracture Francophone-Anglophone, Georges Dougueli
Existe-t-il un problème anglophone au Cameroun ou s'agit-il d'une vue de l'esprit?, par Jean-Emmanuel Pondi
Toutes les pages

Sauvons-nous nous-mêmes
Pour être placé sous mandat des Nations-unies et partagé entre deux moutures de l’impérialisme, à savoir les colonialismes britannique et français, il a bien fallu que le Kamerun fût, initialement, UN. C’est cette unicité territoriale, d’origine en quelque sorte, et au vrai, vestige de la colonisation allemande, que revendique le nationalisme révolutionnaire que Ruben Um Nyobè, son chef de file, dit inspiré de principes marxistes ayant fait leur preuve dans la lutte des peuples pour leur libération.
Dans les faits, l’accord des Kamerunais, sans acception de langue aucune, s’est d’ailleurs tôt réalisé sur cette perception d’eux-mêmes comme disposant d’un seul et même pays. À preuve, le congrès pan-kamerunais de Kumba, organisé du 12 au 17 décembre 1951, à l’instigation de Ruben Um Nyobè, et en préparation de son intervention à la tribune des Nations-Unies l’année suivante, pour y faire valoir les deux résolutions fondamentales ci-après, sorties dudit congrès justement : 1. Contre le partage du pays, réaliser son unification immédiate, avant toute chose ; 2. Contre l’impérialisme et le colonialisme, aller ensuite à l’indépendance, à l’unisson, et ainsi, se rendre maître du destin collectif du pays dès janvier 1957.
Dès lors, d’où vient-il que ce projet pourtant porté par les masses populaires, sans acception de langue aucune, n’ait pas pris forme concrète, et que soixante-six ans plus tard, nous nous retrouvions en butte à la question dite de la ‘’sécession’’, laquelle par ricochet, renvoie d’ailleurs à celle d’une unicité territoriale primordiale ?
C’est essentiellement parce que notre unification, si bonne pour nous qu’elle ait pu nous sembler, a été férocement combattue de l’extérieur par l’impérialisme, et à l’intérieur par ses suppôts, petits-bourgeois trop contents de se mettre au service du Capital pour rêver d’autre chose, et par conséquent, adversaires dorlotés de la glorieuse UPC des Um.
Contre le projet unitaire du nationalisme révolutionnaire vont en effet s’élever, hors du pays, la voix de l’ONU mimant celle du colonialisme franco-britannique, à laquelle fera écho, dans le pays, celles des comparses, portés à bout de bras par l’administration colonialiste, et promus adversaires politiques du Mouvement national Kamerunais. Le colonialisme va baptiser ‘’modérés’’ ceux que leurs propres intérêts de classe portent à lui faire allégeance, et flétrir d’épithètes qui se veulent infamantes au possible ceux qui, pour lors, exigent l’unification d’abord, et l’indépendance ensuite.
Ainsi, plutôt qu’une banale affaire entre congénères, le problème national kamerunais est, dès sa position, indiscutablement caractérisé par sa dimension internationale, tantôt occultée et niée, tantôt sous-estimée et méconnue, jamais sérieusement démentie, toujours présente aujourd’hui encore, en dépit des dénégations et des falsifications de toutes sortes. Par elle s’éclairent maints aspects de nos tribulations. Sans nous défausser de nos éventuelles responsabilités et culpabilités mêmes sur les autres.
À preuve, c’est bien une implacable machine actionnée de l’extérieur, qui va, fort savamment méticuleusement, entreprendre de tordre le cou au nationalisme révolutionnaire. Ainsi, dès le 13 juillet 1955, force motrice du nationalisme révolutionnaire, l’UPC est interdite de toute action légale. De même ses organismes annexes spécialisés dans les questions des femmes et des jeunes.
 Ce n’est pas un hasard si cela se passe à cette date précise : les élections à l’ Assemblée territoriale du Cameroun (ATCAM) où siège le margoulinat colonial en compagnie de quelques nègres autorisés à discuter des affaires courantes sans plus, sont programmées pour décembre 1956 ; et pour faire en sorte que n’importe qui ne se voie attribuer un strapontin, mieux vaudrait deux précautions plutôt qu’une seule : s’interdire toute surprise en fait de candidature, en attendant de faire encore mieux au niveau des résultats.
Mais l’UPC, seule force réellement organisée, même mise hors du ‘’jeu politique’’ légal, dispose encore d’une capacité d’influence redoutée : des secteurs entiers de l’opinion, même sans être encartés au Parti, obéissent à ses mots d’ordre, tant se fait sentir le poids de son hégémonie politico-idéologique, morale, intellectuelle, etc. C’est elle qu’il faut, au colonialisme inquiet, anéantir. Ce qui ne se peut qu’en poussant cette organisation dans ses derniers retranchements, la contraignant à une inéluctable lutte armée qu’elle ne pourrait engager qu’à l’improviste, sans préparation aucune, sans ressource d’aucune sorte, ni logistique, ni financière, ni même simplement humaine. Humilié en Indochine, tenu en respect en Algérie, l’impérialisme a besoin d’une victoire, même postiche, sur les Nègres pour ne pas déchoir à ses propres yeux. Dans ces conditions,  eût-elle, par impossible, ou par extraordinaire, pu renoncer au maquis, l’UPC n’en eût pas moins été combattue jusqu’à l’anéantissement. C’est pourquoi l’impérialisme, ici, n’a rien épargné, a visé l’extermination de tous ceux qui lui ont résisté : on va, par exemple, capturer Ruben Um Nyobè, tenter, mais en vain de le circonvenir et corrompre, et, dépité, on va le ramener sous maquis, l’assassiner le 13 septembre 1958, et profaner sa dépouille, la traînant par terre, tel quelque banal hochet, histoire d’anéantir l’immense respect et le profond attachement que suscitait l’évocation même de son seul nom. Il lui est ainsi reproché de n’avoir pas vendu son âme au grand Capital,  comme en octobre 1950 le fit un certain Houphouët-Boigny, mettant fin à l’apparentement du RDA au PCF, contre l’avis du vice-président de cette institution, qui n’était autre que Ruben Um Nyobè.
Dans la zone assujettie au colonialisme anglais, la direction du mouvement social va, en partie, échoir aux ‘‘modérés’’ portés au compromis sans principes, autant dire à la compromission. Ils n’ont pas pour souci majeur l’unification du pays : seulement l’autonomie de la zone anglaise par rapport au Nigéria. Toutefois une frange de cette classe sociopolitique, au-delà du refus de l’intégration au Nigéria exige la réunification. C’est le cas du KNDP en 1955 dont la hardiesse cependant n’ira pas jusqu’à consentir à la fusion avec l’UPC qui lui est pourtant ouvertement et franchement demandée, sans nulle arrière-pensée.
Ainsi, en 1956, sont contre la réunification, le KNC d’Endeley, le KPP, le BDC, les églises chrétiennes, spécialement la catholique, de mèche avec le BDC où voisinent Aujoulat, André-Marie Mbida et Ahmadou Ahidjo. En fait, bien au-delà de la simple opposition à la réunification et à l’indépendance, le KNC et le KPP, en 1958, se prononcent en faveur de l’intégration à la fédération nigériane pour lors en gestation.
Cette année-là les événements vont se précipiter : caractériel et pas aisé à contrôler, Mbida est remplacé par Ahidjo comme Premier ministre. Le 13 septembre Ruben Um Nyobè est assassiné. Jusque-là hostile à toute idée de libre-disposition, l’ONU elle-même adopte une motion en faveur de la réunification et même de l’indépendance, désormais programmée pour le 1er janvier 1960. Une fois levée l’hypothèque UM NYOBE, en quelque sorte. Dans l’intervalle, s’opère, dans la partie nord de la zone anglaise, un beau trucage électoral du fait duquel l’impérialisme britannique conserve sous son contrôle une portion du Kamerun désormais intégrée à la future fédération nigériane non encore indépendante. Preuve que le faux en matière électorale ne procède guère d’on ne sait quelle tare spécifique aux tenants actuels du pouvoir africain, mais plonge à pleines racines dans le passé colonial et le système socio-économique et politico-idéologique engendré par l’impérialisme. Le noter ne disculpe personne de ses propres responsabilités, voire culpabilités, quand elles viendraient à être établies.
L’idée de la réunification va, malgré tout, l’emporter sur celle du rattachement au Nigéria, chère au cœur des Endeley et consorts. En les battant le 23 janvier 1959, John Ngu Foncha devient Premier ministre de la zone anglaise. Il est, dans notre histoire pratique, le promoteur de l’idée d’une fédération à trois États dont il parle à Douala en novembre 1958, pour la première fois. Quand, en 1959, Ahidjo se rallie à cette thèse, elle subit une modification qui fait passer la fédération de trois à deux États aux contours calqués sur la ligne de partage des anciens colonialismes à base linguistique.
En1959, l’impérialisme manœuvre au sein de l’ATCAM pour, contre le gré d’un Daniel Kemajou, octroyer au Premier ministre de la zone française ‘’les pleins pouvoirs’’ en vertu desquels il signe avec la France des Accords léonins et secrets, d’ordre militaire par exemple, ou dans le style bail emphytéotique sur la forêt,  quelques jours avant l’ ’’indépendance’’. Commence ainsi à se mettre en place le système socio-économique et politico-idéologique qui plus tard s’appellera la Françafrique et qui a pour fondement ouvertement avoué la fascisation comme méthode de gouvernement. Il importe d’avoir à l’esprit cette dérive du pouvoir d’Etat qui, l’UPC en exil exceptée, n’a pas suscité l’attention d’un grand monde, même et surtout en Occident, habituellement plutôt disert sur les méfaits des Etats, mais hors de sa zone d’influence.
Comme de juste, l’ UPC en exil choisit son vice-président, Abel Kingué, pour rappeler, dans ce contexte propice à la liquéfaction des valeurs, la position constante du nationalisme révolutionnaire, le 16 décembre 1960, à savoir un État unitaire démocratique et décentralisé.
Mais en août 1961, de façon expéditive, la Conférence de Foumban qui réunit la petite-bourgeoisie gouvernante sans acception de langue en décide autrement, et désormais le cap se trouve mis sur une fédération à deux États adossés sur les vestiges de la féodalité, de part et d’autre des zones anglaise et française.
Et, en 1972, ce sera la vaste galéjade de l’ ‘’État unitaire’’ issu de ‘’la révolution pacifique du 20 mai’’ : la petite bourgeoisie au pouvoir, sans acception de langue ni de tribu, d’un commun accord, offre au Capital français qui l’exige et ne peut sans échec affronter la concurrence inégale du mastodonte anglo-saxon, les coudées franches sur l’exploitation du pétrole, dont les puits sont situés en zone anglaise.

 

État : Quelle forme ? Ou quelle nature ?
L’idée de la sécession fait son nid principalement dans la zone anglaise. L’ancien bâtonnier, Me Gorji Dinka, en fonde la doctrine sur la différence de colonisation, la britannique ayant reposé sur l’indirect rule, et la française sur l’assimilation. Il appelle alors ‘’Ambazonia’’ la zone de colonisation anglaise qu’il se représente tel un pays à part, distinct tout à la fois du Nigéria et surtout du Kamerun, au nom de mœurs socio-économiques, politico-administratives, socioculturelles spécifiques héritées de la colonisation anglaise, pour lors magnifiée.
Cela, naturellement pose une question : est-il légitime de s’autoriser d’une différence d’inflexion pour préférer un colonialisme à un autre ? C’est, en tout cas, évincer une question de fond, et donc de nature, au profit d’une question de forme. Pis, c’est somatiser, biologiser les pratiques institutionnelles qui sont à l’évidence non pas innées, mais acquises et susceptibles d’apprentissage, donc de transmission sans préjudice. Autant convenir de ce que l’argument de la différence de colonisation, si gratifiant puisse-il sembler, ne pèse pas lourd : il n’existe nulle part de mœurs politico-idéologiques naturelles, indécrottables, inhérentes aux personnes et à leurs cultures.
Il faut par conséquent que se trouve ailleurs le mobile véritable d’un projet séparatiste. Mais où ? Dans Le Capital, Karl Marx enseignait que « si la manifestation des choses correspondait à leur essence, il n’y aurait nul besoin de science » ; plus près de nous dans le temps, et rationaliste pourtant, donc pas le moins du monde matérialiste au sens non pas moral, mais philosophique du terme, Alain, dans Études, nous prévient que « tout ce qui se montre est faux ; d’aucun objet, la vérité n’est dans la première apparence ». Il faut en conséquence, par delà le visible, interroger l’invisible par lequel il s’explique.
Déjà dans notre histoire pratique, la naissance du One Kamerun, avec Ndeh Ntumazah et l’écrivain Albert Mukong, correspond au dessein de poursuivre les objectifs de l’UPC (Unification, Indépendance, Essor socio-économique du menu peuple) après son interdiction en 1955, la persécution consécutive de ses dirigeants, aussi bien en zone française qu’en zone anglaise d’où ils ont entrepris de relancer la lutte. Um Nyobè, à juste titre certes, a pu dire que ce changement d’étiquette ne saurait personne tromper, surtout pas la vigilance du colonialisme. Mais c’était déjà, avant la lettre, le combat anticipé contre toute forme de séparatisme, combat mené, soulignons-le, du sein même de la zone anglaise. Ce qui signifie qu’en cette zone, le séparatisme est, à sa naissance doctrinale, d’emblée en butte à un rejet diffus dont le réflexe spontané est entretenu par la lutte du significativement bien nommé One Kamerun.
Dès lors, d’où vient-il que l’idée de la sécession ait pu, non certes pas forcément gagner en audience, mais se trouver agitée à ce jour encore ? La réponse est à chercher, fondamentalement, dans les structures socio-économiques et politico-idéologiques qui ne se laissent pas saisir à l’œil nu, et qu’une analyse attentive seule permet de mettre au jour. À défaut de disposer d’informations autorisant une telle analyse, on peut, sur la foi de linéaments significatifs, émettre quelque hypothèse. Ce qui se met graduellement en place, de la Conférence de Foumban en 1961, à la réunification la même année, et à l’État ‘’unitaire’’ en 1972, ce n’est pas une succession de réformes institutionnelles : plutôt un corset de plus en plus étroit dans lequel une frange de la bourgeoisie issue de l’ancienne zone dite anglaise se sentira de moins en moins à l’aise. Du fait de ce corset, le primat se trouve systématiquement donné aux capitaux français sur tous les autres dans notre pays. Selon qu’on est ou non enclin à la francolâtrie, on peut se réjouir de ce processus, ou le trouver vexant. Dans ces conditions, si l’Allemagne avait pu conserver une influence significative sur une portion du territoire de notre pays, nul doute qu’on verrait aussi éclore quelque revendication prenant appui sur la germanophonie. Mais ce ne serait, là encore, qu’une apparence, la réalité étant à chercher au-delà de la façade, dans le mouvement d’expansion des capitaux. Externes notamment, et avant tout autre. En ce sens, nous payons au prix fort la rivalité sourde et impitoyable à laquelle les autres se livrent chez nous, en se servant de nous comme de relais, certes pas exactement innocents, mais consentants, souvent, donc responsables, voire coupables.
En s’accumulant sur des décennies, les menues frustrations de la bourgeoisie finissent par envisager comme l’une de leurs voies d’éviction possibles, la sécession. Elle repose alors sur le credo et le précepte suivants : plutôt que de continuer à se sentir étranger dans le pays et l’État communs, autant entreprendre de se doter d’un pays et d’un État à soi, où l’on se sentirait bien au chaud, en se tenant entre soi.
Fort bien. Mais avec quelles ressources ? Et quelle expertise pour y avoir accès quand elles viendraient à se trouver logées dans le sous-sol ? C’est ici que commence à s’éclairer cette sorte de bouteille à l’encre qu’est devenue notre histoire pratique commune : seuls les étrangers disposent de la connaissance approfondie de notre sous-sol. Eux seuls ont sous la main une pléthore d’experts divers préposés à l’extraction et à la transformation de toutes sortes de minerais.
Dans ces conditions, acquiescer au séparatisme, peu en importe le mobile ou le motif, c’est ouvrir inconsidérément les vannes d’un émiettement territorial que personne ne saura arrêter, seul l’épuisement des ressources exploitables pouvant, tant soit peu, atténuer l’appétit d’ogre bien connu des oligarchies politico-financières et militaro-industrielles. Du moins, en l’absence d’un État aux assises sociales larges, et par conséquent solides. Sauf à être tombé sur la tête, personne ne saurait, raisonnablement, appeler de ses vœux un tel processus de parcellisation indéfinie. Et le projet séparatiste adossé sur les différences de mœurs de toutes sortes et sur les différences de langues et de colonisations équivaut à quelque pari qui engagerait l’avenir sur un mouvement d’humeur instantané.
La seconde voie d’éviction des frustrations de la bourgeoisie sans acception de langue ni de culture politique est la thèse fort professée depuis les années 1980, du fédéralisme. Il est certes des pays qui, sans préjudice, s’accommodent de cette forme de l’État. Ce sont des pays réellement, véritablement souverains, dont nul autre ne se sent de droit sur leurs ressources, et qui eux-mêmes, de toute façon, ne se privent pas, le cas échéant, de s’assurer le contrôle, fût-il subtil, des autres, dont les pays comme les nôtres.
Dans ces conditions, avant d’emboucher à tue-tête la trompette du fédéralisme au motif que ça ne divise pas et que ça marche ailleurs, rien ne nous interdit de mettre à profit la possibilité de nous parler sans nous disputer en vain. Commençons ainsi par avoir bien présente à l’esprit l’idée selon laquelle la première clause de tout fédéralisme est la possibilité juridique offerte à tout État fédéral de se retirer de la fédération, à tout moment, selon ses propres convenances, dont il n’a pas à s’expliquer, qu’elles aient pu lui être dictées, ou qu’elles résultent de son libre arbitre, qu’importe.
Cela fait, souvenons-nous que près de soixante ans après ce qui s’est appelé les indépendances, nous n’avons toujours pas une masse critique suffisante de matière grise pour réellement nous prévaloir de quelque autonomie que ce soit en fait d’exploitation de notre sous-sol. Nous en aurons encore bien moins en commençant par disperser nos énergies mentales, et de la sorte à nous fragiliser, à nous rendre vulnérables au possible, quant aux dires d’un Alvin Toffler, dans Les Nouveaux Pouvoirs, le XXIe siècle est déjà celui du cerveau. De sorte que venant à s’effectuer à nouveau, l’esclavage de demain ne se fera pas comme celui d’hier : ni sévices aux cruautés indicibles ni déportation, etc. ; nous pourrons rester chez nous et devenir, néanmoins de pires esclaves que nos aïeux ; surtout au moment où les puissants ne se privent pas d’importer, de toutes provenances, des cerveaux, en se bornant à s’assurer de leur ‘’intégration’’ au système socio-économique et politico-idéologique en vigueur chez eux.
Notre connaissance dérisoire de la cartographie de nos richesses, le néant de notre expertise quant à leur exploitation, l’enfermement tendanciel dans nos identitarismes communautaristes les plus étroits,  tout cela nous rend poreux à l’émiettement chaque fois qu’il viendrait à s’avérer qu’une portion du territoire recèle tel minerai ou tel autre. On verrait alors, le cas échéant, autant de républiquettes surgir du néant, chacune revendiquant pour soi les trésors enfouis sous le sol. Au nom du fédéralisme. Mal compris certainement. Mais le moyen de le comprendre autrement sans prêter le flanc à la manipulation dans l’art de laquelle les puissants sont dès longtemps passés maîtres ? Un des effets les plus mortifères de cette manipulation est assurément la croyance désormais bien ancrée qu’il faudrait,  à l’usage des Africains, un type spécifique d’État, introuvable ailleurs au monde, mais bon pour les Africains, les seuls Africains. Cette croyance n’est pas exactement une trouvaille africaine : elle plonge à pleines racines dans les premiers moments de l’ethnologie colonialiste, si même à ce jour, elle se trouve restaurée, rafraîchie, sous la plume d’éminents universitaires, étrangers comme de juste, et par suite locaux, le psittacisme, sous nos climats s’accommodant sans peine des peaux d’ânes les plus prestigieuses.
Tout cela, naturellement, soulève des questions : 1. Si depuis la nuit de l’ethnographie colonialiste nous avons le crâne bourré d’idées fausses sur nous-mêmes et le fonctionnement de notre monde qui s’effectuerait selon le paradigme de l’exceptionnalisme ethnique qui serait spécifiquement africain, paraît-il, comment se fait-il que cela dure si longtemps ? Ici, l’influence des idées est portée par la persistance de structures frustes qui limitent au strict minimum nos brassages, comme seule a su l’établir dans la pensée humaine, la conception matérialiste de l’histoire pratique selon laquelle le facteur déterminant en dernière analyse, c’est la production et la reproduction de l’existence : « Moins le travail est développé, moins est grande la masse de ses produits et, par conséquent, la richesse de la société, plus aussi l’influence prépondérante des liens du sang semble dominer l’ordre social », écrivait Engels en 1884 dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Nos replis identitaristes exacerbés et enclins au chauvinisme outrancier s’expliquent ainsi du fait d’États inaptes à ordonner leurs rapports extérieurs à l’essor de la production endogène. Et pourquoi en est-il ainsi, sinon en raison du pillage impérialiste à vaste échelle ? En colonie, hier, ce pillage nécessitait la présence physique du colonialiste ; en néocolonie, et dans le monde tendanciellement unipolaire qu’est celui du marché mondial actuel, le contrôle des ressources de la planète s’opère loin du champ, par État dominé interposé. C’est ce type d’État dont les fondements sont posés chez nous dès le projet d’anéantissement de la glorieuse UPC des UM. C’est un type d’État pensé entre 1945 et 1950 par les White Whitman Rostow (conseiller de deux chefs d’État américains et disparu en 2002)  préoccupés, à l’époque, de faire pièce au communisme en désamorçant l’explosion révolutionnaire des masses en Afrique. C’est un Etat invariablement postulé ‘’fort’’ et couronné d’un homme dit ‘’fort’’ lui aussi. Force appliquée aux rapports internes uniquement. Pour, paraît-il, maîtriser la malfaisance des tribus données pour antagoniques et belligènes.
Cela naturellement pose la question de la justesse de cette saisie de nous-mêmes. On a si loin poussé le culte d’un exceptionnalisme prétendument africain qu’on s’en est trouvé conduit à former le projet d’un État ‘’pour’’ l’Afrique, mais invalide partout ailleurs au monde. Cet État ‘’pour l’Afrique’’ est tout bonnement ethnique. Le pouvoir qu’il soit selon la distinction spinoziste pouvoir ‘’sur’’ (contraintes), ou pouvoir ‘’de’’ (actualisation de potentialités qu’on possède), y est peint aux couleurs des tribus. De même la démocratie et la représentation sous toutes les latitudes, à l’échelle nationale comme au plan local. Ayant posé l’unité nationale,  non pas comme un possible, mais comme un mythe, on s’est tôt avisé de son inexistence, et l’on en a conclu que puisqu’il n’y aurait pas d’unité nationale, il faudrait fonder les institutions de l’État sur la seule entité qu’on juge réelle, la solidarité tribale. Et ainsi, on en est arrivé à la conception de l’idée d’États ethniques qui se fédéreraient et se confédéreraient. Il y a, toutefois, un hic : comment assurer cette sorte d’enfermement au sein des ethnies, tribus et clans dans un monde où l’expansion des Capitaux génère celle des luttes de classes, des cerveaux et des hommes, par-delà leurs diversités et différences de toutes sortes, inexorablement ?
Toutes sortes d’identitarismes communautaristes avaient déjà pignon sur rue, chez nous ; depuis 1996, ce sont les honneurs de la Loi fondamentale qui leur sont désormais prodigués. Que le sentiment national, autrefois si ardent du temps des UM, s’en trouve désormais en déclin ostensible, au point d’inspirer les doctrinaires et doctrines du pouvoir ethnique, rien d’étonnant à cela. Le pas, désormais est si bien donné au particulier sur le général que susciter des schismes à n’en plus finir, des chapelets d’États ‘’autonomes, indépendants, souverains’’, etc., serait, le cas échéant, l’enfance de l’art pour les intérêts exogènes, quand ils viendraient à trouver à s’épanouir dans notre sous-sol qu’ils connaissent mieux que personne, et que nous, seuls, ignorons paradoxalement. Désormais, à tout moment, un bon et tout petit État minuscule pourrait se créer partout où se découvrirait des minerais bons à être exploités au gré des autres. Là-contre, même le principe de l’intangibilité des frontières énoncé en 1963, juste par souci de contenir les explosions révolutionnaires, d’en prévenir la contagion et l’expansion, ne pourrait rien : il a été traité par-dessous la jambe chaque fois que l’impérialisme l’a éprouvé comme quelque entrave à ses propres desseins ; ainsi du Soudan, un des territoires les plus vastes d’Afrique, désormais morcelé en deux États prétendument homogènes au plan ethnique, et néanmoins en butte à un génocide (au Soudan du Sud), dans le temps même où l’extraction et l’exportation des minerais suit son cours des puits du Sud vers le port du Nord, et à l’étranger, sans perturbation.
Deux grammes d’uranium c’est, en quantité, l’équivalent d’un tout petit sachet de Nescafé valant, au cours actuel, cinquante francs CFA ; mais il n’en aura pas fallu davantage pour obtenir à Hiroshima en août 1945 l’explosion qui a causé des désastres sur un périmètre de dix kilomètres à la ronde. Cet uranium venait du Congo toujours aussiAAA AAA riche, convoité, et en guerre par conséquent. Notre pays n’est pas pauvre, et ses richesses pourraient fort bien l’exposer à tous les schémas de partition, dans un monde en pleine recomposition, où les puissants exportent leurs rivalités, les règlent dans d’autres contrées, par ethnies, tribus et clans interposés, et où le réaménagement des rapports de force internationaux s’effectue en fractionnant au possible.
Le fédéralisme peut fort bien n’être pensé que comme une modalité d’organisation de l’exercice du pouvoir à l’échelle interne de notre pays. Comment l’empêcher de se prêter aisément aux calculs fondés sur les insatiables appétits des puissants ?
Comme forme, l’État unitaire, même décentralisé, n’empêche en rien l’assaut des convoitises et appétits. Mais au moins fait-il obligation aux citoyennes et citoyens de se sentir rivés à quelque identique destin qu’il leur appartiendrait de convertir en un dessein commun de leur choix.
Le fond du problème, plutôt que la forme de l’État, est celui de sa nature, comme nous l’enseignait déjà Ruben Um Nyobè, en 1957 : il exigeait, pour nous, un État réellement habilité à décider de notre destin, ayant une assise sociale populaire, un ennemi externe qu’il voyait dans le grand Capital, avec lequel un compromis lui semblait possible, et toute compromission, en revanche,  répudiée, un pouvoir limité par le droit et dans le droit, dans la mesure où, aucun individu, parcelle de souveraineté,  ne devait plus être inquiété pour ses opinions.
Nous sommes aujourd’hui bien éloignés des préoccupations touchant à la nature de l’État ainsi esquissée. Seul un sursaut collectif de patriotisme pourrait nous y ramener, en nous faisant revenir, d’un commun accord, à nos fondamentaux, tracés avec dévouement dans le sang par les Ruben Um Nyobè.
Un aspect, un seul, de notre constitution se prête à une possible sortie de crise : l’aspect par où se trouve envisagé un État unitaire démocratique et décentralisé. Qui n’existe encore qu’en projet, sur le papier.
Lui donner forme concrète à présent c’est :
- Renoncer au droit à privilèges qui nous régit et dont le référentiel basique est ethnique.
- Le remplacer par le droit égalitaire pour tous.
- Promouvoir le citoyen, cet individu auquel la Loi fondamentale elle-même reconnaît le droit de prendre part à la marche des affaires publiques comme législateur, électeur, élu, etc., et auquel la justice distributive alloue le moyen de donner à sa liberté un contenu socio-économique.
- Promouvoir plus d’une génération de cerveaux formés aux sciences les plus ardues, de sorte qu’avant que ne s’épuisent nos ressources à ce jour exploitées par les autres, nous puissions nous-mêmes, dans la décennie à venir, nous y employer, au profit du menu peuple de notre pays.
Mais le sursaut de patriotisme  ne saurait, tout seul, éclore spontanément : il faut y pourvoir, en faisant honorer la mémoire, et connaître la pensée des patriotes tombés pour nous. Sans une croyance commune, républicaine, laïque et forte, nous sommes collectivement perdus.
Guillaume-Henri Ngnépi
Philosophe
Bibliographie
1. Alain, Etudes, Gallimard, Idées, Paris, 1968.
2. Engels, L’Origine de la Famille, de la Propriété privée et de l’Etat, A propos des recherches de L H Morgan, Editions du Progrès, Moscou, 1980.
3.Marx, Karl, Le Capital, Ed Sociales, Paris, 1977
4. Mbuyinga, Elenga, Tribalisme et Problème national en Afrique noire, Le cas du Kamerun, L’Harmattan, Paris, 1989.
5.Toffler, Alvin, Les Nouveaux Pouvoirs, (Powershift), Savoir, Richesse et Violence à la veille du XXIe S, Fayard, Le Livre de Poche, 1991.