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Le Dossier Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes - Pour une lecture politique de la crise dans les régions anglophones, par Serge Banyongen

Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes - Pour une lecture politique de la crise dans les régions anglophones, par Serge Banyongen

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Index de l'article
Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes
Crise anglophone, Cause anglophone: Mobilisation identitaire et problème national camerounais, par Mathias Eric Owona Nguini
Les Camerounais d'expression anglaise, entre l'enclume et le marteau, par Jean Baptiste Sipa
Décentralisation, Fédéralisme, Sécession...par Alexandre T. Djimeli
Considérations générales sur la ''crise anglophone'', par G.L. Taguem Fah, Université de Ngaoundéré
La fronde des ''Anglos'', par Jean-Baptiste Placca, RFI
Pour une lecture politique de la crise dans les régions anglophones, par Serge Banyongen
Radiographie d'une dictature crépusculaire à huis clos, par Achille Mbembe
Anglophone Crisis: The Too Late President, par Njoya Moussa
Sauvons-nous nous-mêmes, par Guillaueme-Henri Ngnépi, philosophe
Crises anglophone: quelques vérités en guise de feuille de route, par Roger Kaffo Fokou
Et si le moment de la prise de conscience de la jeunesse était arrivé, par Blaise Djibùm
Quand Paul Biya joue la carte du pourrissement, par Mila Assouté
Comment éviter la fracture Francophone-Anglophone, Georges Dougueli
Existe-t-il un problème anglophone au Cameroun ou s'agit-il d'une vue de l'esprit?, par Jean-Emmanuel Pondi
Toutes les pages
Pour une lecture politique de la crise dans les régions anglophones
Le 1er Octobre dernier des camerounais ont encore perdu la vie à cause de leur opinion politique. Comme c’est toujours le cas en pareille situation, les débats ont commencé sur le bilan des affrontements. 100 personnes selon les organisations non gouvernementales et la société civile, juste une dizaine selon le porte-parole du gouvernement. Quoiqu’il en soit dans une situation pareille peu importe le nombre, chaque mort est un mort de trop. La surenchère verbale fait appeler les manifestants des assaillants voir même selon le ministre de la communication des terroristes tandis que les médias parlent d’insurrection. Si le chaos né de ces mouvements sociaux a créé la confusion sur le terrain, celle qui émerge des esprits des analystes qui parlent pour la plupart des revendications identitaires tient surtout d’une lecture étroite des faits politiques au Cameroun.
Cette contribution postule qu’il faut remettre la politique au centre de l’analyse des faits.

Le conflit identitaire en question
Beaucoup ont perçu la crise dans la partie d’expression anglophone du pays comme un conflit identitaire qui faisait resurgir l’ethnocentrisme. Le concept d’identité est multi disciplinaire et  nécessite une critériologie pluriel pour être appréhender. En sociologie, l’identité renvoie à la conscience de soi qui conduit aux normes et aux pratiques culturelles débouchant à la constitution des groupes. En politique, l’identité est comprise comme une recherche de conciliation des concepts nation et ethnicité. Les études de la religion quant à elles attribuent l’identité à une croyance. Lorsque l’identité se rapporte aux conflits, de nombreuses sciences telles que l’anthropologie, la littérature, les sciences médicales, la philosophie et l’histoire ont leur propre lecture. Il y a donc conflit identitaire lorsqu’une personne ou un groupe de personnes a le sentiment que sa culture est menacée, déniée de tous respects et de la moindre légitimité. D’ailleurs pour certains auteurs comme Lederach, tout conflit est un conflit identitaire. Si on se rapporte ces définitions à la crise actuelle dans les régions anglophones du Cameroun, il est facile de conclure que l’on est devant un conflit identitaire qui est articulé par le priomordialisme et les relents d’ethnocentrisme. La plupart des analyses sont vite tombées dans l’essentialisme en mettant en avant l’histoire coloniale et même post coloniale. Plusieurs ont réifié l’identité dite anglophone dans l’optique de forger les traits et renforcer le discours dichotomique : eux-nous. Cette lecture ignore le caractère fluide de l’identité et le fait que celle-ci ne soit pas figée dans le temps mais En réalité, toute identité n’est pas qu’ethnique ou sociologique. La saillance politique et surtout idéologique d’une identité peut très bien en fonction des situations prendre le dessus sur la motivation à l’action. Dans son analyse sémillante sur les causes des révolutions sociales, Theda Skocpol explique que la crise de l’État et la domination des classes comptent parmi les principales causes des révolutions sociales. Le régime à Yaoundé lui n’a qu’une seule solution à toute crise politique au Cameroun : fournir des strapontins aux élites. Cette situation aggrave les deux causes mentionnées par Skocpol. L’État unitaire a toutes les peines du monde pour pénétrer le corps social. Si vous êtes un jeune né à Mamfé, le gendarme (visage de la répression) est souvent le seul élément de la présence de l’État avec laquelle on est familier. Les élites cooptées sans le consentement de la population narguent celle-ci en les éclaboussant avec leurs rutilants 4X4 nécessaires pour emprunter les pistes qui servent de routes dans ces régions. On a pas besoin d’être manipulé pour vouloir mettre un terme à une telle injustice et faisant la politique autrement que par les sempiternelles et inefficaces lettres ouvertes au chef de l’État.

Revendications politiques
La politique au Cameroun consiste très souvent en une lecture ethnique des situations qui surviennent avec une conviction toute camerounaise que les gens ne sont pas assez matures dans notre pays pour s’engager politiquement au-delà des liens sanguins. Si on regarde les faits sous cet angle, on se rend compte que même au moment du référendum de 1961, il y avait dans cette même aire géographique des points de vue différents sur cette question.
Ce qui se passe dans les régions d’expressions anglaises du pays est simplement et purement de la politique, de la vraie et de la pure comme on n’en a pas vue chez nous depuis longtemps. En effet si on comprend la politique comme étant la gestion des affaires de la cité, conscient que les ressources sont limitées, les groupes s’organisent pour  attirer l’attention sur leurs besoins ou pour promouvoir leurs idées. C’est ce qui s’est passé avec le consortium qui a revendiqué des changements dans les procédures administratives dans l’éducation et la justice. Ces réclamations ont abouti à un rejet total du régime. Ce refus a conduit à ce que l’on nomme en négociation la stratégie de la porte sur la face qui consiste à demander l’impossible (l’indépendance) pour obtenir le possible (autonomie plus accrue, fédéralisme). C’est ici que le régime dont l’unique pratique politique consiste à faire la cooptation néopatrimoniale a été largué. En effet, mal gouvernée, le Cameroun cette république des mémorandums, est souvent traversée par des revendications similaires comme a vu lors de l’admission à l’école Normale de Maroua, ou lors de cette de la faculté de médicine des sciences bio animales de l’université de Buea il y a quelques années pour ne citer que ceux-là. La différence est que cette fois-ci nous avons affaire à un groupe bien qu’organisé qui a néanmoins une structure acéphale, difficile de le détruire par simple corruption du chef. L’impossibilité de dicter les termes de la négociation est l’autre limite qui a conduit la crise dans une impasse et démontre l’incapacité du régime à faire de la politique. Les thuriféraires ont ainsi affirmé que la forme du régime politique ne pouvait pas être négociée. On a accusé le mouvement de s’être politisé (insulte ultime au Cameroun, pays ou cet adjectif contribue à jeter l’opprobre sur la moindre revendication sociale). Or il se trouve que l’idéal de tout mouvement social est de se politiser parce qu’ultimement c’est l’entité politique qui prend les décisions dans l’attribution des ressources. Dans un pays où les dirigeants sont convaincus que les urgences sont seulement dans les hôpitaux, comment on fait avancer une cause si on ne la rend pas politique?

Idées politiques
Discuter la forme de l’État est surtout et avant tout une idée politique. Contrairement à ce que l’on entend de la part des essentialistes, cette idée n’est pas l’apanage d’un groupe sociologique. Mais bien une vision de comment organiser le vivre ensemble. Cette idée ne saurait dont être déclarée illégale. Les gens doivent pouvoir parler librement de fédéralisme et même de sécession si telle est l’opinion qu’ils expriment.  L’idée du fédéralisme et même celle de la sécession des adeptes des deux côtés du Mungo. Il y a des camerounais d’expression francophone qui sont pour le fédéralisme pour toute sorte de raison et même certains qui s’ils n’étaient pas moins téméraires que leurs confrères anglophones demanderaient sans doute la division du pays eux-aussi. Le discours manichéen qui veut qu’il y ait d’un côté des patriotes qui veulent la paix et sont contre la division et de l’autre des aventuriers qui veulent la guerre est très limité. Personne ne milite autant pour la division du pays que ceux qui au pouvoir depuis des décennies font une utilisation privée des biens collectifs au mépris des besoins de la majorité. La mauvaise gestion de crise et l’absence de plan de sortie autre que la manipulation et à l’occasion l’intimidation ont fini par rendre populaire une idée politique comme la sécession qui était il n’y a pas longtemps somme toute marginale. En effet contrairement à une généralisation qui tend à étendre les idées défendues par ce mouvement à l’ensemble de la population dans une aire géographique donnée, il y existe au moins quatre grandes tendances dans la partie d’expression anglophone du pays quand il est question de l’organisation du vivre ensemble :
Les tenants du statu quo qui ne veulent surtout aucun changement dans la forme actuelle de l’État. On peut citer dans ce groupe les grandes familles patriciennes principales bénéficiaires de l’immobilisme.
Les adeptes d’une autonomisation plus accrue. Ceux-ci souscrivent aux prescriptions de la constitution de 1996 et qui souhaiteraient que plus de points d’autorités soient accordées aux paliers du gouvernement inférieurs ainsi qu’aux collectivités locales.
Les chancres du fédéralisme avec au premier rang desquels les militants du SDF désirent l’avènement d’une république où des États fédérés autonomes (le nombre de ceux-ci est un débat dans ce groupe) présideraient aux destinés des gens qui y vivent tandis que l’État central s’occuperait des dossiers comme l’armée et les relations extérieures.
Les mordus de l’indépendance insistent sur le fait que la réunification s’est construite sur le mensonge et elle a été maintenue sur des promesses brisées. L’idéal serait donc une séparation pure et dure.
Ces positions sont avant des idées qui méritent d’être débattue dans un cadre politique. S’il est regrettable que la bêtise humaine ait une fois de plus entrainé bêtement la mort des camerounais, on peut presque dire que cette crise est une aubaine pour la politique au pays. En effet, alors que depuis longtemps au Cameroun, l’activité politique est simplement réduite à l’appartenance ethnique, cette crise offre l’opportunité de faire la politique autrement. Elle permet enfin de cristalliser l’idéologie politique autour d’un débat sur deux grandes approches : le fédéralisme ou l’État unitaire. Comme il y a la gauche ou la droite ailleurs, on pourrait avoir des partis fédéralistes ou les partis unitaristes s’affronter sur leur lecture du vivre ensemble au pays. Au lieu de traiter les autres de terroristes ou de menaces pour la paix, le régime gagnerait à démonter faits et statistiques à l’appui l’avantage de sa posture actuelle et en quoi elle est préférable par rapport à l’option fédéraliste.

Le vrai enjeu :
Si elle n’avait pas débouchée sur la mort des camerounais, la surenchère verbale actuelle du gouvernement aurait été simplement risible. En effet en plus d’être depuis 20 ans un mouvement marginal et très esseulé, les indépendantistes camerounais sont de loin mais alors de très loin parmi les plus pacifistes au monde. La plus part des groupes indépendantistes évoluent de manière duale : un groupe armé et un mouvement politique. Ce qui est loin d’être le cas au Cameroun. Le SCNC est depuis 1995 date de sa création, un épouvantail qui s’agite au gré des évènements mais il n’a vraiment pas de quoi faire perdre le sommeil au pouvoir. Habitué au chantage à la sécurité, le régime compare déjà le mouvement de revendication ambazonien à Boko Haram. Outre le fait que ce gouvernement a quand négocié avec la secte islamiste qui a les mains tachées du sang des camerounais, il n’a en réalité aucune commune mesure entre Boko Haram et le mouvement dans les régions anglophones. Par ailleurs contrairement à ce que les médias et le gouvernement affirment, les risques réels de sécession dans cette zone sont vraiment minimes voir nuls. Parmi les principales conditions pour la souveraineté d’un État se trouve l’acceptation de son nouveau statut par les autres États et surtout les États voisins. Or le Cameroun et le Nigéria ne veulent pas entendre parler d’Amazonie. Bien que ces régions soient adossées à la mer et à un pays limitrophe, indicateurs qui font naître et perdurer une éventuelle rébellion, le Nigéria qui lui-même fait face à ses propres divisions internes avec les Ijaws et surtout les réminiscences du Biafra ne veut surtout d’une éventuelle sécession du Southern Cameroun qui risquerait de donner ses idées à certains États de sa fédération. Pour qu’il y ait division définitive du pays, les termes d’un éventuel référendum devraient être négociés entre le Cameroun et les séparatistes. Le pourcentage acceptable à ce référendum et les conditions de son organisation devraient si jamais il faille l’organiser un jour, faire l’objet d’un commun accord. On doit évaluer la part de la dette publique camerounaise qui reviendra à ce pays et bien plus encore. En fait durant cette crise à aucun moment, il n’y a eu un risque réel de partition du pays. Qu’est-ce qui dans ce contexte explique la frilosité du régime et le recours à la manipulation? C’est seulement le fait que la population comprenne enfin ce que c’est que la politique dans notre pays. Que les gens sachent enfin que pour faire avancer leurs causes, ils doivent prendre leurs destins en mains et négocier de pied ferme la part des ressources qui leur revient. En fait le vrai enjeu de cette crise est que les camerounais commencent enfin à faire la politique et dont à mettre mal à l’aise un régime qui n’a que la corruption des élites comme outil de transaction.
Serge Banyongen, Ecrivain