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Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes - Les Camerounais d'expression anglaise, entre l'enclume et le marteau, par Jean Baptiste Sipa

Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes - Les Camerounais d'expression anglaise, entre l'enclume et le marteau, par Jean Baptiste Sipa

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Index de l'article
Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes
Crise anglophone, Cause anglophone: Mobilisation identitaire et problème national camerounais, par Mathias Eric Owona Nguini
Les Camerounais d'expression anglaise, entre l'enclume et le marteau, par Jean Baptiste Sipa
Décentralisation, Fédéralisme, Sécession...par Alexandre T. Djimeli
Considérations générales sur la ''crise anglophone'', par G.L. Taguem Fah, Université de Ngaoundéré
La fronde des ''Anglos'', par Jean-Baptiste Placca, RFI
Pour une lecture politique de la crise dans les régions anglophones, par Serge Banyongen
Radiographie d'une dictature crépusculaire à huis clos, par Achille Mbembe
Anglophone Crisis: The Too Late President, par Njoya Moussa
Sauvons-nous nous-mêmes, par Guillaueme-Henri Ngnépi, philosophe
Crises anglophone: quelques vérités en guise de feuille de route, par Roger Kaffo Fokou
Et si le moment de la prise de conscience de la jeunesse était arrivé, par Blaise Djibùm
Quand Paul Biya joue la carte du pourrissement, par Mila Assouté
Comment éviter la fracture Francophone-Anglophone, Georges Dougueli
Existe-t-il un problème anglophone au Cameroun ou s'agit-il d'une vue de l'esprit?, par Jean-Emmanuel Pondi
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Les Camerounais d'expression anglaise, entre l'enclume et le marteau
Le 22 septembre 2017, jour où le chef de l’État camerounais tenait un discours aérien devant les Nations unies sur les « mendiants de la paix », quelque chose d’inédit dans les mœurs sécuritaires du Cameroun s’est produit au cœur de la crise anglophone.
Un signe du temps, que les politiques au pouvoir comme à l’opposition devraient avoir perçu. Primo, la détermination et la qualité pacifiste des manifestations dans plusieurs localités des deux Régions ont montré que le peuple camerounais peut accepter toute invitation à manifester son indignation. C’est un avertissement politique. Secundo, les manifestations, à la surprise des manifestants eux-mêmes, ont été plutôt encadrées avec bienveillance par les forces de l’ordre, malgré quelques dérapages sans comparaison avec le comportement habituel de ces dernières.
Et même si le 1er octobre le comportement des antagonistes a semblé les relativiser, ces deux faits nouveaux au cœur de la crise indiquent 2 choses : (1) une situation prérévolutionnaire prévaut dans le pays et appelle une idée révolutionnaire cohérente, capable de mobiliser le peuple, non dans un objectif aussi farfelu que la sécession, mais pour se libérer de la misère et du régime néocolonial qui en est la cause ; (2) nos forces de l’ordre ne sont pas de hordes sauvages, et peuvent respecter les droits humains, dont la liberté de manifester, si elles en reçoivent l’ordre du pouvoir politique. Ce zest d’humanité dans le comportement des forces, formées pour réprimer le peuple et non pour le protéger, est si peu banal qu’on ne peut le taire. Notre souhait est ici que M. Biya et ses « élites » en tirent la leçon pour mettre fin à la stigmatisation.
Dans cet ordre de stigmatisation, notre vivre ensemble souffre d’un abus de langage devenu le lieu commun, qui consiste à nous éloigner psychologiquement les uns des autres, par des clichés artificiels dus à la non-maitrise de nos langues véhiculaires, importées et mal enseignées. En témoigne le regard porté sur les anglophones par certains bien-pensants.
Nombre de nos politiques – du pouvoir surtout – et d’« intellectuels » qui écument les plateaux et pages des médias, excellent dans la généralisation consistant à parler des anglophones comme catégorie ethnique gênante. A croire que l’anglophonie a un lien anthropologique avec les populations camerounaises ayant l’anglais comme langue de communication. On lit ou on entend : « Les anglophones n’ont pas de problème d’intégration au Cameroun ». « Ils veulent quoi ? ». « Les anglophones ont les mêmes problèmes que les autres régions du pays ». « Ce sont eux qui sont venus nous voir ». « Ils veulent la sécession et ils viennent envahir nos écoles ». Certains concèdent que le Pouvoir est incapable de résoudre la crise, mais pour y opposer « l’immaturité des leaders anglophones qui continuent de rêver […] qu’un pays comme le Cameroun peut accepter une sécession». L’on oublie ainsi qu’il y a LES anglophones et DES anglophones, la différence étant la suivante :
Les, article défini, désigne l’ensemble. Et donc, dire « Les anglophones », c’est désigner tous les Camerounais qui ont l’anglais comme langue véhiculaire, les ou des francophones compris. Veut-on dire par cette globalisation que ce sont tous les Camerounais anglophones qui veulent la sécession ?
Des, article partitif et indéfini, n’exprime que le pluriel contracté d’une partie spécifique d’une chose. L’appartenance du Cameroun au Commonwealth en fait un pays anglophone. Les Camerounais sont donc anglophones. L’exception à la règle, c’est qu’il y a des Camerounais anglophones (simple pluriel de quelques-uns) qui, à tort ou à raison, ne veulent pas rester Camerounais. Et ce n’est pas parce que la mal gouvernance fertilise le terrain à de prétendus sécessionnistes pour surfer sur les frustrations des populations, qu’on peut oser considérer tous les anglophones comme des sécessionnistes.
En face de la minorité qui parle d’Ambazonie et sert d’alibi à la fuite en avant coutumière du gouvernement, il y a une majorité d’anglophones qui réclament seulement d’être gouvernés avec justice, dans une nation unie, paisible et prospère pour tous. Le problème de cette majorité désormais entre l’enclume des sécessionnistes et le marteau de la répression, c’est l’impuissance de ceux qu’elle croyait être ses élites politiques, et qui sont devenus aphones à force de s’engluer dans les prébendes corruptives d’une autocratie prédatrice et étrangère à la patrie camerounaise.
Le seul discours politique pédagogiquement crédible, qui ait été adressé aux populations des régions anglophones en crise, si on met à part la dernière position de l’épiscopat national, ne vient, ni du gouvernement qui a l’obligation de promouvoir la paix ni du côté de ceux qui y aspirent, mais d’un leader social sortant de prison, qui appelle le peuple à la non-violence, et invite le gouvernement à l’ouverture d’un dialogue sur la crise.
Sitôt libéré de prison, Agbor Balla a lancé aux populations du Nord-ouest et du Sud-ouest (Le Messager du 25/9/2017), un appel dont il nous pardonnera de faire nôtres de larges extraits, sachant que l’Histoire lui donnera raison. Tant il est vrai qu’on ne peut tromper tout le peuple qu’une partie du temps.
« … Nous sommes conscients qu’au cours des 11 derniers mois, affirme Agbor Balla, diverses conditions nous ont amenés à être en colère, déçus, frustrés, mal informés et, dans certains cas, cela a conduit à des actes de violence. Conformément à notre approche, nous vous invitons tous, frères et sœurs et parents, à faire preuve de retenue et à lutter contre toute sorte de violence ». Et de citer Martin Luther King Jr : « Dans notre quête d’un espace légitime, nous ne devons pas boire la coupe de l’amertume et de la haine ». Invitant à abandonner la violence parce que, dit-il, « l’amour dépasse toujours la haine », il poursuit :
« Nous avons la responsabilité collective d’éviter l’incendie de nos bâtiments privés et publics, en particulier les écoles. J’ai eu l’occasion de lire et d’entendre certains d’entre vous sur vos expériences et vos aspirations. Nous pouvons vous assurer que nous avons entendu vos frustrations bruyantes et claires […] Même si nous pouvons différer d’approches, nous devons respecter les opinions des autres […] C’est une caractéristique d’une société démocratique d’avoir des opinions et des points de vue divergents.
Le gouvernement a la responsabilité de prendre des mesures pour atténuer les tensions au sein de nos communautés afin de réduire la probabilité de conflit […] La solution doit être politique ». Le leader de la contestation poursuit : « J’attends avec impatience que le chef de l’État demande un forum de dialogue pour aborder les causes profondes de la crise anglophone et pour y trouver des solutions durables. Je demande instamment à l’armée de se rappeler que leur principal devoir est de protéger les vies civiles […] »
« Vous avez tous montré, dit-il aux populations anglophones, que vous avez la résilience, la volonté et le courage nécessaires pour travailler en vue du changement en tant que peuple. Ce sont les qualités que nous défendons et dont nous aurons besoin lorsque nous nous efforcerons d’améliorer la société. Une société où les droits de tous les peuples sont respectés et protégés […] Une société où la prospérité est partagée, où les gens ont accès à de bons soins de santé, à des infrastructures et à des emplois […] Une société dans laquelle nous assumons collectivement nos responsabilités civiles et n’hésitons pas à lutter contre la mauvaise gouvernance » […].
« Nous en sommes là où nous sommes aujourd’hui, dit-il, parce que le statu quo est inacceptable. Une nouvelle génération est née et est prête à prendre le contrôle de sa destinée. Les dirigeants de tous les côtés ont l’obligation morale de se réunir, et de s’attaquer aux griefs du peuple, afin que nous puissions forger de nouvelles obligations qui nous permettent à tous de vivre dans la liberté, la paix et la prospérité.»
Un tel discours n’appelle pas à la sécession. Il invite à la prise de responsabilité des forces sociales et de l’Etat, pour reconstruire une nation apaisée, à laquelle l’appartenance n’est plus synonyme d’adhésion à un pacte jacobin empêchant les particularités régionales de s’épanouir. Chose possible si le pays a un chef capable d’impulser un dialogue inclusif, et de laisser émerger un leadership anglophone pour porter la parole des populations à cette table de dialogue. C’est parce que ce leadership originel a été déconstruit par le gouvernement que les sécessionnistes ont envahi le champ politique où ils capitalisent les souffrances des populations.
M. Biya est-il encore capable de répondre adéquatement à cette attente ? On en doute. Car qui ne peut pas le moins ne peut pas le plus. Le mieux c’est peut-être qu’il avoue son échec et passe la main, afin que l’escalade de la violence ne transforme le Cameroun en État néant.

Jean Baptiste Sipa, journaliste