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Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes - Et si le moment de la prise de conscience de la jeunesse était arrivé, par Blaise Djibùm

Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes - Et si le moment de la prise de conscience de la jeunesse était arrivé, par Blaise Djibùm

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Index de l'article
Crises multiformes: Le prix de la gouvernance différée des problèmes
Crise anglophone, Cause anglophone: Mobilisation identitaire et problème national camerounais, par Mathias Eric Owona Nguini
Les Camerounais d'expression anglaise, entre l'enclume et le marteau, par Jean Baptiste Sipa
Décentralisation, Fédéralisme, Sécession...par Alexandre T. Djimeli
Considérations générales sur la ''crise anglophone'', par G.L. Taguem Fah, Université de Ngaoundéré
La fronde des ''Anglos'', par Jean-Baptiste Placca, RFI
Pour une lecture politique de la crise dans les régions anglophones, par Serge Banyongen
Radiographie d'une dictature crépusculaire à huis clos, par Achille Mbembe
Anglophone Crisis: The Too Late President, par Njoya Moussa
Sauvons-nous nous-mêmes, par Guillaueme-Henri Ngnépi, philosophe
Crises anglophone: quelques vérités en guise de feuille de route, par Roger Kaffo Fokou
Et si le moment de la prise de conscience de la jeunesse était arrivé, par Blaise Djibùm
Quand Paul Biya joue la carte du pourrissement, par Mila Assouté
Comment éviter la fracture Francophone-Anglophone, Georges Dougueli
Existe-t-il un problème anglophone au Cameroun ou s'agit-il d'une vue de l'esprit?, par Jean-Emmanuel Pondi
Toutes les pages

Et si le moment de la prise de conscience de la jeunesse était arrivé
La scène est inédite et épique. Le 21 novembre 2016, une horde de jeunes envahissent les rues de la capitale régionale du Nord-ouest. Les revendications sont pêle-mêle : amélioration des conditions de vie, limogeage du délégué du gouvernement de Bamenda, promotion de l’emploi décent des jeunes, changement des conditions d’études, restauration du fédéralisme voire sécession du Cameroun anglophone.
Très rapidement, les forces de l’ordre rentrent dans la danse et décident de disperser ce qui jusqu’à présent n’était qu’une marche pacifique. Les lacrymogènes volent pendant que les coups de matraques claquent. L’on bascule dans les émeutes, et les choses deviennent très vite hors de contrôle.
Les gendarmes et policiers déployés sont débordés. Il faut alors user de tous les moyens pour atténuer la situation. Les autorités pensent au président du Social Democratic Front (SDF), Ni John Fru Ndi qui est crédité d’une autorité morale certaine et dont Bamenda apparait comme le bastion indiscutable.
Le Chairman ne se fait pas prier. Il s’engouffre dans son véhicule de marque Toyota Land Cruiser, immatriculé… Fru Ndi. Il se rend sur commercial avenue où il trouve de centaines des jeunes amassés. Il descend de sa voiture, happe au passage un mégaphone et décide de calmer les émeutiers. Mais à peine a-t-il entamé son discours que les choses tournent au vinaigre. Le ton monte et l’on entend entre autre, “Go to Yaounde continue to eat with your friend Paul Biya”. Il s’en faut de peu pour que le Chairman soit lynché par la foule, n’eût été l’intervention des gendarmes qui réussissent le tour de force de le faire rentrer dans sa voiture et l’accompagner à son domicile.
Dans la foule un visage se démarque. Un jeune homme, jusque-là peu connu des populations comme activiste politique débarque sur la plus grande avenue de Bamenda. On l’appelle Mancho Bibixi. Il a posé sur le toit d’un véhicule un cercueil et dans lequel il va entrer pour prononcer ce qui apparait à bien de titre comme le discours inaugural de la fronde anglophone. Une page de l’histoire politique du Cameroun venait de se tourner.
Les partis politiques traditionnels déclassés
L’actuelle crise anglophone a renforcé le déclassement des partis politiques traditionnels et des organisations officielles. En effet, le SDF dont on a toujours considéré la zone anglophone comme étant le socle granitique et le bastion historique n’a pas vu les évènements venir. Pris au dépourvu, les responsables de ce parti ont fait montre de tellement d’atermoiements qui trahissaient effectivement leur impréparation par rapport à la situation.
Il faut dire que depuis leur institutionnalisation, qui s’est traduit par leur accès au poste de parlementaires et d’édiles des villes, la plupart des responsables du parti de la balance ont déserté les rues qui les ont portées au pouvoir. Embourgeoisés et désormais plus préoccupés par la fructification de leurs fortunes, les leaders du SDF se sont enfermés dans leurs tours d’ivoire, et fréquentent davantage les élites bourgeoises gouvernementales du RDPC que leur base électorale. Les rencontres avec les populations sont épisodiques, sporadiques et participent davantage du folklore.
Pendant qu’ils désertent la rue et se déconnectent des citoyens, les responsables du SDF se livrent à des guerres intestines inlassables pour l’accession à des fonctions qui leur garantiraient des privilèges qui ont souvent toutes les allures de prébendes et de sinécures. Ce qui crée des contradictions internes démobilisatrices.
Ceci fait en sorte qu’ils ont perdu toute capacité de mobilisation véritable car éloignés de la base, ils en ignorent les problèmes, la profondeur de leurs difficultés, les ressentiments qui les animent. En un mot, ils ont perdu tout contact avec la réalité.
De guerre lasse de voir cette politique du ventre perpétuelle à laquelle s’adonnent désormais ces responsables, pourtant porteurs de leurs espoirs d’hier, les populations après une longue période de méfiance ont opté désormais pour la défiance.
C’est ainsi que le 22 septembre 2017, durant les émeutes monstres qui ont encore ébranlé la zone anglophone, des jeunes ont débarqué au domicile du vice-président du SDF, Joseph Njang Mbah Ndam, par ailleurs vice-président de l’assemblée nationale depuis des lustres, pour lui imposer de démissionner de son poste au parlement camerounais. Désormais, c’est la masse, plus exactement les jeunes, qui mènent la danse.
Le déclassement des partis politiques ne concerne pas seulement le SDF. Garga Haman Adji de l’Alliance Démocratique pour le Développement (ADD) l’a réalisé à ses dépends en janvier 2017, lorsqu’au lendemain de la présentation des vœux au président Biya, sur sa propre demande, il va se rentre dans la zone anglophone pour jouer les médiateurs. L’indifférence des manifestants face à son initiative n’avait d’égal que le ridicule dont il a été l’objet.
Les autres partis traditionnels tels que l’Union Démocratique du Cameroun (UDC), l’Union des populations du Cameroun (UPC), Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP), et bien d’autres ont été complètement largués lors de cette crise. Il faut dire que des années de connivence avec le système RDPC aura fini de les déconnecter d’une population dont 72% a moins de 35 ans  et qui ignore tout de leurs anciens faits d’arme des années 90, il y a … 27 ans !
En fait, les anciens leaders d’opposition ont oublié que de l’eau avait coulé sous les ponts et qu’une nouvelle génération est advenue. Désormais ils font partir de la catégorie des « Has been », qui doit céder la place, à défaut d’être chassés.
Bataille générationnelle au sein des formations politiques
La volonté de déboulonner les vieux routiers de l’opposition camerounaise de leurs éternelles fonctions de président-fondateur s’est exprimée plus que jamais lors de cette crise anglophone. Et la palme d’or de cette bataille générationnelle est détenue par la SDF. Plus que jamais, Joshua Osih ne fait plus mystère de sa volonté de remplacer Ni John Fru Ndi à la tête du parti, ou tout simplement lors du prochain scrutin présidentiel. Son allocution du 13 septembre 2017 à Boumnyebel a été interprétée ni plus ni moins que comme une déclaration ouverte de candidature. Depuis lors, le vice-président du Sdf ne rate pas une seule occasion de « prendre ses responsabilités », comme lorsqu’il a signé au nom du parti, et en dehors de toute procédure collective de son parti, un communiqué au lendemain des événements du 22 septembre 2017.
C’est désormais un secret de polichinelle, Joshua Osih veut la place de Ni John Fru Ndi. Ce dernier lui-même se sentirait largement dépassé par les évènements au point où il envisage sérieusement une autre candidature du Sdf à la prochaine élection présidentielle.
C’est ce dilemme qui expliquerait en très grande partie les multiples reports du congrès ordinaire du parti de la balance, car l’on ne saurait à cette occasion faire l’économie du renouvellement du leadership.
A l’Upc également Bapoh Lipot est monté d’un cran, et plus que jamais dans l’affirmation de ses ambitions légitimes à prendre le parti en main.
Si dans les autres formations politiques, la bataille n’est pas encore ouverte, il n’en demeure pas moins que la question du remplacement des responsables qui y trônent depuis mathusalem se pose avec acuité. Et les jeunes loups aux dents longues sont en embuscade.
Emergence d’un nouveau leadership au Cameroun
Les nouveaux visages de la contestation populaire au Cameroun se nomment Mancho Bibixi, Agbor bala ou encore Fontem Neba, qui ont pour caractéristique principale qu’ils sont encore dans la force de l’âge. Et à l’occasion d’une émission de l’Arène, les téléspectateurs ont découvert avec une surprise agréable, qu’un Ayah pouvait en cacher un autre.
Même si elle pêche dans leur démarche stratégique confine le mouvement social engagé dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest, étant donné que la plupart de leurs préoccupations sont communes à la majorité des Camerounais de toutes les régions, cette nouvelle génération des leaders a ses codes, ses usages, ses repères, ses aspirations, et surtout ses modes de mobilisation. Autant de choses qui échappent aux anciens et qui les condamnent à une transmission de témoin à plus ou moins brève échéance. Et qu’ils le veulent ou non, la jeunesse a décidé de remplir sa mission qu’elle s’est découverte : le changement au Cameroun.
Blaise Njibùm