• Full Screen
  • Wide Screen
  • Narrow Screen
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size
Livres Le Cameroun sous le Renouveau: la descente aux enfers

Le Cameroun sous le Renouveau: la descente aux enfers

Envoyer Imprimer PDF
Note des utilisateurs: / 0
MauvaisTrès bien 
Index de l'article
Le Cameroun sous le Renouveau: la descente aux enfers
Le chantage politique permanent et le poids des maux
Paul Biya rate encore le coche
Hans De Marie Heungoup, La libération des leaders ne marque pas la fin de la politique représsive
Une économie d'imprevision, d'imprévoyance et de prédation
Mathias Eric Owona Nguini, Une insécurité institutionnelle permanente et conflictogène
Toutes les pages

Calculs et signes de faiblesse
Une chose est sûre, certains leaders de la contestation anglophone se frottent les mains. Malgré des mois d’incarcération, malgré les souffrances endurées dans les goulags infects de Paul Biya, ils ont réussi à faire plier le président de la République et à obtenir presque tout et même plus que ce qu’ils revendiquaient aux premières heures de leurs mouvements. S’il est vrai que les pouvoirs publics soutiennent que c’est dans le souci d’apaisement que le président de la République a ordonné l’arrêt de poursuite pour certains leaders de cette contestation, il n’en demeure pas moins vrai que ce geste de Paul Biya donne à penser qu’il n’entend que le langage de la force, mieux du rapport de force. La brèche est ainsi ouverte. Aux autres Camerounais qui ont déserté le champ de la revendication de leurs droits les plus élémentaires de tirer les leçons du Mouvement social anglophone.
La question n’est plus aujourd’hui de savoir « on va faire comment ? »,  elle est de prendre conscience des enjeux, des difficultés

auxquelles font face les Camerounais et de s’organiser , de structurer un Mouvement social d’envergure national, donc transversal pour faire fléchir le président de la République et les conservateurs et sécurocrates qui l’entourent et de l’amener à utiliser à bon escient le mandat de service public qui le peuple camerounais lui a confié, en évitant bien sûr des erreurs stratégiques qui les conduiraient à infliger des souffrances inutiles aux populations et en ayant toujours à l’esprit qu’il n’existe pas de révolution spontanée et que le hasard ne profite qu’à ceux qui sont bien préparés. Les exemples pris dans d’autres contextes où les luttes sociales ont conduit au changement profond sont légion. Ces exemples parlent au peuple camerounais, principalement à la jeunesse camerounaise à qui on fait accroire que le système actuel est tellement fort qu’il n’y peut rien.
Le Cameroun ploie sous le poids de nombreux maux. Les Camerounais seront tenus pour complices de tous ceux qui sont responsables de la situation actuelle s’ils ne font rien pour arrêter cette marche inexorable qui nous conduit dans le fond du trou.

Source: Germinal n° 110, du 11 septembre 2017.


Le chantage politique permanent et le poids des maux
Pour accéder à la mangeoire ou s'y maintenir, des hommes politiques camerounais n’hésitent pas d’utiliser l'ethnie comme tremplin ou pour faire pression sur le Prince. Un chantage qui, en plus des maux qui minent le Cameroun, menace la stabilité du pays.
A la question de savoir comment faire pour accéder au pouvoir ou pour s'y maintenir, certains Camerounais n'hésitent pas à donner des réponses qui surprennent ceux qui croient en une République des citoyens. "Il suffit de formuler des revendications identitaires, c'est-à-dire de soulever les problèmes qui minent notre région, de montrer que le régime en place n'a rien fait pour notre région depuis l'accession de Paul Biya à la magistrature suprême,  pour que le prince prête une oreille attentive à celles-ci et coopte quelques-uns parmi nous au gouvernement", assure un observateur. Un chantage politique non dissimulé qui semble être devenu, pour certains hommes politiques et autres personnalités occupant de hautes fonctions, l'arme efficace  pour accéder à la mangeoire ou s'y maintenir. Certes, l'instinct de survie commande à chaque communauté ou chaque groupe ethnique de veiller sur ses intérêts. Tout sentiment d'insécurité, d'exclusion, de menace, provoque une réflexion légitime d'autodéfense. Et comme si le Cameroun avait atteint le stade suprême de développement, il a toujours été présenté comme un gâteau à partager, chaque groupe ethnique ou tribal se devant de conquérir sa part, grâce la ''répartition équitable des fruits de la croissance'' promise par les politiciens démagogues.
Selon Emmanuel Ekika, préfacier de l'ouvrage, Le Cameroun éclaté, que « l'interethnicité, pour être opérationnelle doit se fonder sur l'échange, la réciprocité, la reconnaissance et le respect de la différence entre les différences acteurs sociaux.» Mais, celle-ci devient problématique lorsque l'une des parties en présence s'érige en modèle à suivre au risque de susciter des attitudes hostiles envers des (groupes) de personnes qui ont des opinions différentes ou ne partagent pas les mêmes convictions politiques ou morales. ''On regarde son nombril, il est le plus beau. On regarde son biceps, on est le plus fort. On regarde son village, c'est le centre du monde.'' Démissions collectives suscitées, tracts, memoranda et autres lettres ouvertes prouvent que les hommes politiques ont très souvent instrumentalisé des identités  pour atteindre des objectifs précis.

Illustration
C'est Ahmadou Ahidjo, alors ministre de l'Intérieur et vice-Premier ministre, qui inaugure cette politique, avant même l'indépendance. Le 11 février 1958, il réussit à fédérer autour de lui tous les ministres du Nord. Ceux-ci démissionnent en bloc du gouvernement de Mbida. Cinq  jours plus tard,  le 16 février, il est appelé à former un nouveau gouvernement en tant que Premier ministre. 25 ans plus tard, le 18 mars 1983, après avoir volontairement quitté le pouvoir et au moment où la crise entre son successeur constitutionnel et lui évolue, il tente vainement, d'obtenir la démission en bloc des ministres originaires de la partie septentrionale du Cameroun. Avec le retour du multipartisme au début des années 90,  les manifestations de l'ethnocratie sont patentes. Il s'agit, selon les auteurs de l'ouvrage sus-cité, d'un ''système de gouvernement qui tire ses ressources, précise ses tenants et aboutissants, essentiellement dans le rapport de force entre les ethnies qui composent la société camerounaise''. Cette période est caractérisée par des récriminations tous azimuts et la profusion des écrits (memoranda, lettres ouvertes et autres tracts), généralement publiés dans les journaux. Les uns et les autres décrivent les aspects des marginalisations dont ils soutiennent être victimes, en même temps que des attitudes et/ou stratégies adoptés collectivement ou individuellement pour faire échouer toutes tentatives d'inclusion ou d'exclusion et dont ils rejettent presque toujours la responsabilité sur les autres. ''L'enfer, c'est les autres'', affirmait Sartre.
En 2002, l'élite du grand nord rédige un mémorandum, un véritable brûlot, qui ébranle le régime. Chiffres à l'appui, ce mémorandum du Grand Nord, publié dans Le Messager n° 1417 du 23-09-2002, ouvre les yeux des élites et originaires du Grand Nord et leur a fait prendre conscience qu'ils ne sont qu'une quantité négligeable depuis l'avènement du Renouveau. Les auteurs relèvent la dégradation croissante des voies de communication construites avant l'arrivée de Paul Biya à la magistrature suprême, l'absence de nouvelles structures scolaires et sanitaires, la sous représentation des fils de la région tant dans les cercles de décision qu'à la tête des entreprises étatiques ou d'économie mixte. Paradoxalement, après la publication de ce mémorandum, deux des rédacteurs, Dakollé Daïssala et Hamadou Moustapha sont rappelés au gouvernement après l'élection présidentielle d'octobre 2004. Marafa Hamidou Yaya, Amadou Ali et d'autres apparatchiks de la région sont maintenus au gouvernement. Certains parmi eux sont même dépêchés sur le terrain pour tenter d'atténuer les effets du mémorandum.Après un temps d’accalmie, l’élite du Grand Nord est revenur à la charge. En 2008, ils réussissent, en exerçant une forte pression, à faire entrer au cycle A et B de l'Ecole normale supérieure (Ens)  5615 candidats ressortissants des régions de l'Adamaoua, du Nord et de l'Extrême Nord  de Maroua.
De nos jours, à quelques différences près, les ressortissants des régions du Sud-ouest et du Nord-Ouest formulent les mêmes récriminations. Paul Biya a cédé sur presque tout. Sous certains aspects, on peut affirmer que les revendications identitaires ont encore de beaux jours devant elles. Surtout que le Cameroun est à la veille d’une année électorale décisive. Il est presque certain que Paul Biya sera incapable d’apporter des solutions à toutes ces menaces et insécurités qui menace son régime et qui risque d’hypothéquer durablement l’avenir du. Cameroun qui a amorcé depuis quelque temps sa descente aux enfers. Entre autres insécurités qui menacent la stabilité du régime et du Cameroun: Une économie embourbée et plombée par le laxisme, le casse-tête de l’accès aux soins de qualité; une justice accroupie caractérisée par une  insuffisance de l’offre en juridictions et des procès qui durent une éternité; l’insécurité chronique aux frontières du pays dans l’extrême nord et l’est, le difficile accès à l’eau et à l’électricité, l’absence de voirie dans la plupart des villes camerounaises, une insécurité institutionnelle permanente et conflictogène, une École du sous-développement; la question foncière qui constitue une véritable bombe à retardement. Pour tout dire, le Cameroun sous Paul Biya, non seulement coule sous les poids des maux, mais est devenu une véritable poudrière.
Serge Alain Ka’abessine


Paul Biya rate encore le coche

Il croyait qu’en libérant les leaders anglophones incarcérés, à tort ou à raison, dans ses geôles infectes, il étoufferait les revendications légitimes des compatriotes dans la zone anglophone du pays. Il espérait même une rentrée scolaire apaisée. Erreur ! Cette libération n’a pas atténué l’intensité des revendications légitimes formulées par les Camerounais d’expression anglaise vivant dans les régions du sud et du nord-ouest. Parce qu’il ne veut pas céder sur le fond du problème Paul Biya et le RDPC risquent de payer très cher leur entêtement dans les urnes

Dans un communiqué rendu public le 30 août 2017, le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, informait l’opinion publique nationale et internationale de la décision prise par Paul Biya « d’ordonner, l’arrêt de poursuites pendantes devant le Tribunal Militaire de Yaoundé contre les nommés Nkongo Félix Agbor. Fontem Aforteka’a NESA, Paul Ayah Abine et certaines autres personnes interpellées dans le cadre des violences survenues ces derniers temps dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. » Immédiatement après ce fait du prince, pris conformément aux articles 13 (4) et 14 (1) de la loi n°2017/012 du 12 juillet 2017 portant Code de Justice militaire, a été traduite dans les faits par la libération de plus de cinquante personnes détenues dans le cadre des événements du Nord-ouest et du Sud-Ouest.
S’il est vrai que cette décision, est prise en droite ligne « des multiples mesures déjà prises par les pouvoirs publics pour apporter des réponses aux préoccupations exprimées, par les ressortissants de ces deux Réglons, [et comme le souligne le communiqué] procède de la volonté inébranlable du chef de l’État de rechercher en tout temps les voies et moyens d’une résolution pacifique des crises, grâce aux vertus de la tolérance, du dialogue et de l’humanisme », il n’en demeure pas moins vrai que pour de nombreux observateurs, il s’agit moins d’une mesure d’apaisement qu’un calcul politicien de Paul Biya visant à endormir les esprits avant son éventuelle entrée en campagne pour la présidentielle de 2018.
Cette interprétation de la magnanimité présidentielle est d’autant plus plausible que Paul Biya ne cède pas sur le fond du problème soulevé, à savoir une remise en question ou du moins une discussion franche sur la forme de l’État. Cette position est partagée par Mathias Eric Owona Nguini qui, sur sa page Facebook, écrit : « Beaucoup de démagogues opportunistes tentent de s’approprier le mérite de la décision de Décrispation prise par le Président Paul Biya. C’est à peine si ce ne sont pas eux qui tenaient le stylo présidentiel pour que Paul Biya signe ces mesures d’arrêt des poursuites judiciaires des Personnes Interpellées et Jugées dans le cadre du Mouvement Social de l’anglophonie identitaire ! Cela est bien. Reste à ce que ces nouveaux Sherpas de l’Empereur présidentiel le tiennent par la main pour l’amener à une Conférence Tripartite ou une Conférence nationale new Style, le Dialogue sur la forme de l’État. Il ne faut pas s’y méprendre. Ce n’est pas à un tel débat que le président Biya a pensé en faisant libérer ces personnes associées à tort ou à raison au Mouvement social anglophone. Sa perspective transactionnelle d’apaisement n’a jusqu’ici rien à voir avec une dynamique de restructuration Institutionnelle imposant un changement substantiel et constitutionnel de la forme de l’État. Il n’est pas sûr que ce geste calculé d’apaisement ne soit pas perçu par les ultras du Mouvement social comme un signe d’affaiblissement ! Attendons de voir que le débat sur la forme de l’État ait un objet accepté par toutes les parties prenantes de la crise. »
Comment pouvait-il en être autrement quand on sait que Paul Biya, est un être essentiellement calculateur, pour ne dire cynique qui laisse volontairement pourrir les situations, afin d'intervenir magnanimement, montrant ainsi qu’il est le Dieu du Cameroun ayant le droit de vie et de mort sur tous ces compatriotes?
On serait attendu, qu’il se saisisse de cette situation pour aller vers ses compatriotes afin de discuter avec eux sur les problèmes qu’ils ont soulevés. Hélas, enfermé dans son tabernacle inaccessible, il s’est jusqu’ici contenté d’envoyer sur le terrain le premier des ministres, certains de ses ministres et autres sous-fifres dont l’unique ambition est de faire le clown pour obtenir un strapontin ou pour se maintenir autour de la Mangeoire.
Une fois de plus, avec la crise dite anglophone révélatrice d’une véritable fracture sociale, d’un déficit de gouvernance et d’une politique du pourrissement savamment entretenus, Paul Biya a raté le coche. Son « intégration nationale, stade suprême de l’unité nationale », sonne désormais dans les oreilles de nombreux camerounais, comme un slogan creux.
Un observateur attentif de la vie politique camerounaise, souligne: «Paul Biya pense que les Camerounais sont dupes. Le fait pour lui d’avoir attendu la veille de la rentrée scolaire pour ordonner la libération des leaders anglophones montre une faiblesse de la pensée stratégique de ses conseillers. Après la promulgation de la loi sur le Code de justice militaire, tout le monde savait qu’il allait faire un geste en direction des leaders anglophones. Mais, le moment a été très mal choisi. Il a fait comme s’il avait le couteau à la gorge, donnant ainsi une grande portée et un crédit aux méthodes de constestation des contestataires qui ont vite compris qu’ils tiennent le bon bout. C’est pourquoi, il n’y a pas eu rentrée scolaire et les villes mortes ont continué»
Ikemefuna Oliseh


Hans de Marie Heungoup, Chercheur à International Crisis Group
La libération des leaders ne marque pas la fin de la politique représsive
Après plus de dix mois de crise, parfois violente, dans les régions anglophones du Cameroun, le président Paul Biya ordonne la libération de trois leaders et 50 à 70 activistes de la contestation. Pourquoi cette décision subite ? Est-ce de nature à calmer une crise qui perdure depuis 10 mois ? Le gouvernement change-t-il de stratégie dans les provinces anglophones ? Hans de Marie Heungoup, chercheur à l'International Crisis Group, répond aux questions de RFI.
RFI : L’abandon des poursuites contre trois leaders de la contestation au Cameroun anglophone, c’est une reculade ou un geste d’apaisement du président Paul Biya selon vous ?
Hans de Marie Heungoup : C’est surtout et avant tout une bonne nouvelle dans la mesure où elle survient en rupture par rapport à plusieurs décisions allant plutôt dans le sens de la répression qui avaient été prises au mois d’août. Mais en effet, c’est un geste d’apaisement, quoique tardif.

Qu’est-ce qui pousse le régime à ce geste ? Pourquoi maintenant alors que cette crise dure depuis la fin 2016 ?
À mon avis, c’est la combinaison de la pression exercée par les militants anglophones qui, mordicus, ont tenu à ce qu’il n’y ait pas de reprise de la rentrée scolaire, couplée avec la pression de la communauté internationale qui inclue celle de l’Organisation des nations unies. Et lorsqu’on étudie la scénographie et même le timing de cette libération, on comprend qu’il n’avait pas été prévu et planifié préalablement de libérer ces leaders. C’est une décision soudaine, sans doute pour éviter une seconde année scolaire quasi blanche. De plus, c’est un mois qui a été émaillé par de nombreux incidents violents. Cela mis ensemble explique cette décision soudaine pour éviter une escalade dangereuse pour la stabilité dans ces régions.

Est-ce que dans cette décision, il y a aussi la perspective des élections de l’année prochaine ?
Très certainement. Une année scolaire blanche dans la zone anglophone et le prolongement de la crise auraient eu des effets dévastateurs sur les prochaines élections. Non seulement dans la capacité de l’État à organiser matériellement ces élections dans les deux régions mais aussi à maintenir l’ordre. Étant entendu que plusieurs leaders de la contestation à l’étranger avaient clairement fait savoir qu’ils perturberaient par tout moyen, y compris les moyens violents, l’organisation des élections si une solution structurelle n’était pas trouvée à temps à la crise.

Vous parlez d’une décision tardive mais est-ce que ce n’est pas trop tard justement ?
On peut le penser car d’une part les leaders détenus aujourd’hui libérés n’ont plus une emprise importante sur le mouvement anglophone. Et plusieurs leaders au sein de la diaspora ont déjà fait comprendre que la libération de leurs soldats n’entraînerait pas l’arrêt des villes mortes ou alors la reprise des cours. Cela dit, dans le camp modéré, la libération est très appréciée et beaucoup déclarent que si elle était suivie d’un dialogue franc entre la partie anglophone et Yaoundé, l’école reprendrait et les villes mortes cesseraient.

Est-ce que le dialogue est d’ailleurs encore possible ?
Oui, qu’il s’agisse de la frange la plus radicale du mouvement anglophone ou de la frange modérée, dans un camp comme dans l’autre, on dit qu’il faudrait aller vers la voie du dialogue. Simplement le camp le plus radical conditionne à un tel dialogue la présence d’un médiateur, en l’occurrence l’ONU qui est appelée.

Est-ce qu’il y a un risque de voir émerger une véritable lutte armée en zone anglophone ?
C’est un risque qu’il faut prendre très au sérieux. Il y a des groupuscules violents qui se sont constitués, je pense par exemple aux Vipers qui, chaque jour sur les réseaux sociaux, font circuler des vidéos sur comment fabriquer des cocktails Molotov ou comment se protéger face aux forces de sécurité. Même si matériellement, il est à douter qu’il y ait une infrastructure permettant une telle lutte, au moins déjà dans l’état d’esprit où une frange de la fraction radicale, la lutte armée est dans l’agenda.

Y a-t-il un risque sécessionniste au Cameroun aujourd’hui ?
Le risque sécessionniste en lui-même est très marginal car la majorité des anglophones demeure davantage intéressée par le fédéralisme mais aussi et surtout la communauté internationale, les Nations unies, les pays partenaires du Cameroun poussent plutôt vers des réformes structurelles allant dans le sens de la décentralisation ou du fédéralisme. Sans des réformes institutionnelles profondes, la crise perdurera et même si elle finit par s’éteindre, à moyen terme, elle finira par resurgir et probablement de façon plus violente.
Or, le pouvoir actuel de Yaoundé semble très réticent à toute réforme structurelle ou institutionnelle. Et donc peut-être que finalement, c’est la perduration de la crise et la pression des militants anglophones, de la communauté internationale, qui finiront par persuader le régime de lâcher du lest, ne serait-ce que sur le terrain de l’amélioration et de l’application des lois sur la décentralisation prévue dans la Constitution du Cameroun.

Est-ce que ce geste, la libération de ces leaders et a priori de plusieurs dizaines d’autres militants incarcérés marquent la fin de la politique répressive du gouvernement au Cameroun anglophone ?
J’en doute très fortement. N’oublions pas que quelques jours avant, 1 300 gendarmes ont été envoyés en renfort pour sécuriser la prochaine rentrée scolaire dans les régions anglophones. Au même moment où on libère ces détenus, il y a des journalistes qui sont arrêtés dans la zone anglophone ainsi que d’autres militants. Et le communiqué qui annonce la libération de ces leaders précise que cela n’empêchera pas les autorités d’arrêter tous ceux qui se font les chantres de la division, de la sécession en zone anglophone. Autrement dit, le gouvernement reste ferme dans sa politique répressive pour quiconque aurait des demandes visant la sécession ou le fédéralisme.
Par Pierre Pinto
Diffusion : vendredi 1 septembre 2017


Une économie d'imprevision, d'imprévoyance et de prédation
Nous ne pouvons pas nous voiler la face. La navigation à vue et la privatisation du patrimoine commun sont la source des maux qui minent la société camerounaise. Si aujourd’hui  nous sommes pieds et poings liés lors des négociations avec les institutions financières internationales, c’est bien parce que nous avons préféré manger notre part avant qu’il ne soit trop tard. Une chose est presque certaine, Paul Biya n’entrera pas dans l’histoire comme celui qui a apporté la démocratie et, surtout, la prospérité au Camerounais.
En attendant la très probable et prochaine dévaluation du Franc CFA, revoici le Fmi (« le Fonds de misère instantanée » selon les mots Tchundjang Puémi), qui vient encadrer de ses fourches caudines une économie camerounaise en délabrement avancée. Ce retour en force du Fmi qui rime avec paupérisation des populations et chômage accru, traduit l’échec des politiques économiques de Paul Biya et du Renouveau-RDPC et leur incapacité à apporter la prospérité comme l’avait promis leur champion, président à vie du Cameroun.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le DGA du Fmi explique ce retour par trois raisons : 1) la décélération de la croissance ; 2) la baisse des recettes fiscales et extérieures ; 3) la croissance constante de la dette publique. Bien que cette situation résulte d’une gestion économique caractérisée par l’imprévision organisationnelle et l’imprévoyance impénitente de nos dirigeants qui prétendent la justifier par le « contexte économique mondial marquée par la chute du prix du pétrole », mais aussi, à raison, par trois années de guerre contre Boko Haram.
Naturellement, ni les bailleurs de fonds, ni le gouvernement camerounais ne mentionneront l’étranglement du processus démocratique du pays comme facteur aggravant de notre dépendance vis-à-vis du FMI. Depuis quatre décennies, la gestion économique du Cameroun ressemble à un long voyage plein d’imprévus, parce qu’elle n’a plus de termes de références, indiquant avec clarté et cohérence un cap et des stratégies pour l’atteindre. Il faut pour cela des dirigeants qui comprennent l’urgence de privilégier l’intérêt du pays, plutôt que de « manger leur part avant qu’il ne soit trop tard ». La privatisation du patrimoine commun est la seule chose qui fait l’objet de planification.
Tout donne pourtant à penser que si le processus démocratique avait été authentique et libre ces 35 dernières années, une alternance de la gouvernance aurait au minimum mis fin à l’incompétence politique qui induit à la fois l’inertie, la permissivité et l’impunité, permettant que s’installent dans l’administration publique nationale, le laxisme, l’évitement, l’attentisme, la prévarication…et la corruption qui lubrifie tout le système de pourrissement.
Or, un gouvernement qui renonce à la planification de ses politiques publiques assortie d’un cadre logique fixant les responsabilités, ne peut qu’agir dans l’improvisation et l’imprévoyance, avec toutes les chances que sans boussole, il succombe à la tentation de l’irréflexion et de l’insouciance. C’est de ce mal que souffre le Cameroun, même si ses épiphénomènes, par leurs effets aveuglants, nous empêche de le percevoir. Ce sont l’irréflexion et l’imprévoyance qui justifient ces « projets immatures », ces « investissements inopportuns », ces « éléphants blancs », aux yeux de nos dirigeants à la nationalité transitoire, ces emprunts à échéance de 25 à 50 ans. Lesquels nous appauvrissent, en attendant que de génération en génération, notre progéniture continue à rembourser en double ou triple.
Si nous prenons l’argumentaire du FMI, nous verrons à l’analyse que le ralentissement de la croissance vient d’abord du fait que cette croissance est adossée essentiellement sur la consommation des produits importés, et sur l’exportation des matières premières dont nous, producteurs, ne maîtrisons pas le mécanisme des prix. Si nous nous intéressons à la baisse de recettes publiques, elle s’explique encore par l’extraversion de notre système économique désormais aggravée par les APE dont M. Biya connaît seul les raisons de la signature.
Dans le plus pur esprit de la « division internationale du travail » fixée en 1944 par les puissances colonisatrices, et qui fait de l’Afrique « le réservoir des matières premières et le déversoir des produits manufacturés », nous produisons pour les autres ce que nous ne consommons pas et dont nous ne fixons pas les prix de vente. Aux recettes de misère que nous tirons de ce commerce inique, nous  ajoutons nos recettes fiscales internes, et nous nous en servons totalement pour importer de l’extérieur ce que nous consommons, au lieu de produire.
Quand un menuisier camerounais (dont les meubles moisissent sur le trottoir parce que ses coûts de production l’empêchent d’être compétitif) paye ses impôts sur son modeste chiffre d’affaires, le gouvernement s’en sert pour importer des meubles italiens, au lieu de lui faire des commandes pour son équipement. C’est un indicateur sur mille…
Si nous en venons à la dette publique dont la croissance s’envole (42% du PIB avant le mois d’août courant), nous rappellerons d’abord que le budget de l’Etat voté par le parlement  est un état prévisionnel de recettes et limitatif des dépenses publiques sur une période donnée. Il est aujourd’hui difficile de dire si cette durée au Cameroun est de 12, 18, 24 ou 36 mois, tant le budget supposé annuel du Cameroun fait l’objet de manipulations gouvernementales entre l’exercice annuel, et les plans d’urgences, et autres…
Lors du vote du budget 2017, le plafond d’emprunt accordé au gouvernement par le parlement était de 1000 milliards de francs CFA. C’était déjà une incertitude quand à la réalité de l’enveloppe budgétaire. Pourtant, avant la fin du 1er semestre de l’année, le chef de l’Etat a relevé ce plafond de 700 milliards CFA, soit un emprunt de 1 700 milliards, dont 1200 milliards à taux d’intérêt non concessionnel (entre 10 et 12%). Faut-il le souligner, le président de la République l’a fait à titre discrétionnaire, sans consulter ni le parlement ni le peuple, preuve de l’étranglement du processus démocratique.
Il se trouve que justement, une « dette publique en pleine croissance » est citée par le FMI comme une des trois causes du nouvel ajustement structurel dont personne n’ose prononcer le nom, alors que sont encore ressenties dans le pays, les souffrances provoquées par le surendettement ayant causé la décennie du PAS (1986-2006). En 2006, au prix d’abandons des prises en charge sociales, de fermetures de sociétés publiques, parapubliques et privées entrainant des mises en chômage massif, d’arrêts d’investissements publics, de suppressions de bourses scolaires et universitaires, bref, d’un déficit global durable des services publics de base, le ratio de la dette publique par rapport au PIB du pays avait chuté de 51,5% à 15,8%.
Un gouvernement patriote (et non mandataire de l’Occident), aurait profité de cette opportunité pour réorienter sa politique économique vers une production et une transformation endogènes, aux fins d’échapper aux importations massives qui épuisent nos réserves de change. Il aurait également consacré un taux plus conséquent de son budget aux investissements rentables, au détriment de l’épargne privée des fonctionnaires dans les paradis fiscaux.
Au lieu de quoi le gouvernement camerounais s’est plutôt engouffré dans une nouvelle spirale d’endettement, sans que l’opportunité en soit évidente pour la nation, même si quelques grands projets peuvent relativement en attester de l’utilisation. Au point de se trouver, comme indiqué plus haut, à un ratio dette/PIB de 42%, alors que son taux minimal d’investissement fixé à 30% est difficilement atteint.  
De 2009 à 2014, la dette publique du Cameroun aurait augmenté de presque 150%, passant de 1368 mds CFA à 3 579 mds CFA. En 2015, l’encours est passé à 4 488 milliards (augmentation de 25,4% et 26,7% du PIB). Au 31 août 2016, il était estimé à 4 725 milliards (26,3% du PIB). Et si tous les acteurs se désolent aujourd’hui que notre taux d’endettement menace de dépasser les 42% de son PIB, on peut en déduire que la réalité de l’encours avoisinerait plus ou moins les 5 000 milliards CFA, avec des chances pour que la part de la dette intérieure soit de 18 à 20% (environ 5% du PIB). Ce qui est énorme.
On sait en effet  que cette dette intérieure représente très souvent le seul soutien sur lequel peuvent compter les opérateurs locaux pour fonctionner et réinvestir, au point que des entreprises font faillite lorsque leurs créances vis-à-vis de l’État ne sont pas honorées dans les délais contractuels.
En eux-mêmes, ces chiffres sont plus ou moins relatifs comptes tenus de leurs sources diverses (BM, FMI, Gouvernement, OSC.) dont certaines peuvent être colorées. Mais, deux certitudes demeurent :
1°) Le rythme d’endettement observé représente une sérieuse menace de surendettement sur une macroéconomie fondée davantage sur la spéculation que sur la productivité.
2°) Si les critères de convergence de la CEMAC fixe le plafond du ratio dette/PIB à 70%, cela veut dire que le potentiel évalué des Etats membres devrait pouvoir leur permettre de soutenir leur endettement à cette hauteur. Autrement dit, une dette publique de 5 000 milliards ne devrait pas handicaper la croissance économique du Cameroun au point que le FMI soit obligé d’intervenir.
Le problème se situe au niveau des orientations, les objectifs et la gestion de la politique nationale d’endettement qui n’obéissent pas toujours aux principes d’opportunité, d’utilité, de gestion honnête et transparence. Il résulte de cette mauvaise gouvernance de la dette, la double impression que d’une part, plus le pays est potentiellement riche, plus il s’endette comme si on était dans un jeu, et que d’autre part les emprunts ont pour principal objectif de donner aux fonctionnaires et différentes parties prenantes, l’opportunité de s’enrichir aussi facilement qu’impunément, par la corruption ou le détournement des fonds. Evidemment, nous n’oublions pas ces projets de prestige qui gonflent notre portefeuille de la dette, soit pour des résultats attendus dans 10 ans, soit dans une optique électoraliste.
C‘est donc à raison que nous estimons qu’une politique économique d’improvisation, d’imprévoyance et de prédation est à la base d’un endettement périlleux pour nos générations futures. Elle est susceptible de créer des tensions sociales aux conséquences imprévisibles.
Jean-Baptiste Sipa


Mathias Eric Owona Nguini
Une insécurité institutionnelle permanente et conflictogène
Le Cameroun au-delà de son affichage institutionnel ne dispose pas concrètement et substantiellement d’un cadre sécure et sûr de régulation constitutionnelle. Cela signifie que le cadrage constitutionnel et institutionnel de la vie politique ne repose pas sur des normes et procédures dûment organisées et orientées, de manière à prendre particulièrement en charge les problèmes de stabilité et de sécurité des règles et structures du jeu sociopolitique légitime. Or, la crédibilité et la légitimité d’une société étatique se mesurent à la capacité de celui-ci d’être doté et de disposer d’un code constitutionnel basé sur des normes et des procédures prévisibles et intelligibles permettant de réguler les incertitudes politiques et institutionnelles.
L’absence ou l’inconsistance des mécanismes de sécurisation et de stabilisation du cadre constitutionnel camerounais sont largement liées aux techniques et tactiques gouvernantes prévalentes. En effet, ces déficiences et défectuosités, révélatrices du laxisme institutionnel du régime du Renouveau, sont comme entretenues par les calculs gouvernants et politiques de l’équipe dirigeante et de son chef central. C’est que l’ordre gouvernant ne se montre pas véritablement pressé de clore le cycle de la transition constitutionnelle initiée en janvier 1996 avec une révision controversée de la loi fondamentale de juin 1972 - parce qu’interpellée par certains juristes ou politistes comme écriture d’une nouvelle constitution plutôt que comme une simple révision - qui a créé de nombreux organes dont certaines ne sont pas encore mis en œuvre.
En 2010, l’ordre gouvernant, déjà aux commandes de l’État en 1992, n’a toujours pas trouvé utile et opportun de mettre en œuvre un certain nombre d’organes-institutions créés à l’occasion de la réforme constitutionnelle de 1996 tels que le Conseil constitutionnel, [...]les Régions. Dans cette démarche peu porteuse de discipline politico-institutionnelle, la formation gouvernante et son leader central n’ont toujours pas, près de [21] ans après la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996, trouvé le temps ni l’intérêt de mettre en application ces dispositions qui apparaissent partout fondamentales dans la manifestation concrète d’une visée de modernisation démocratique et libérale de la constitution du 4 juin 1972.
Une logique de canalisation et de freinage apparaît au centre de cette démarche conservatrice de rétention des réformes constitutionnelles et institutionnelles initiées avec la loi du 18 janvier 1996 portant révision constitutionnelle. On ne comprendrait pas autrement que la formation gouvernante qu’est le régime du Renouveau se complaise dans une implication délibérée et organisée de dispositions constitutionnelles sensibles comme celles relatives au régime organique et fonctionnel du Conseil constitutionnel.
En se satisfaisant de dispositions transitoires de la constitution faisant de la Cour suprême le substitut du Conseil constitutionnel qu’on refuse manifestement de mettre en place, l’ordre gouvernant entreprend délibérément de vicier lui-même la mise en place d’un processus sérieux et serein de conduite résolue et définitive de la transition vers le cadre normatif, institutionnel et procédural de la modernisation constitutionnelle de 1996.

Le Conseil constitutionnel hypothéqué
Le principal élément de biais politique lié à cette stratégie conservatrice et manipulatrice d’une gestion de la transition constitutionnelle temporellement indéfinie et infinie, se trouve dans une démarche organisée depuis les sommets de l’État qui vise à empêcher la mise en œuvre concrète du Conseil constitutionnel. Usant à profusion et à l’excès des techniques juridico-politiques de rétention ou de diversion constitutionnelle ou légale, le pouvoir central camerounais bloque ouvertement la mise en place du Conseil constitutionnel pourtant posé en organe déterminant et fondamental dans la structuration d’un État de droit à constitution démocratico-représentative. Où l’on voit que le régime du Renouveau et son chef central bloquent la modernisation sûre et sécure des institutions étatiques d républicaines.
En retenant par des artifices et subterfuges légaux et réglementaires la mise en place du Conseil constitutionnel pourtant posé par la loi fondamentale de 1996 comme institution régulatrice, l’ordre gouvernant du Renouveau national et sa direction centrale expriment leur refus de laisser se mettre en place un régulateur indépendant, ou au moins autonome, du jeu constitutionnel. Ce faisant, l’équipe politique qui monopolise et/ou privatise les commandes de l’État exprime concrètement et manifestement son refus de laisser se mettre en place un cadre politico-institutionnel où le président de la République - envisagé dans la tradition présidentialiste pure et dure qui en fait un empereur présidentiel - ne serait plus le gardien exclusif ou principal de la constitution, la garde de la loi fondamentale étant assurée par le Conseil constitutionnel.
Le régime du Renouveau maintient, soutient et entretient une transition constitutionnelle sans fin dans le dessein manifeste de bloquer la mise en place sûre et sécure d’une modernisation constitutionnelle de facture démocratique et/ou libérale dont certaines perspectives institutionnelles, normatives ou procédurales peuvent contribuer à liquider le souverainisme et l’absolutisme présidentialistes. Ainsi, en fermant la mise en place du régulateur constitutionnel normal et légitime selon le texte propre de la constitution de 1996, jamais d’ailleurs retouché sur ces dispositions, le régime du Renouveau et son leadership central et principal contribuent à entretenir les sources de l’insécurité institutionnelle et constitutionnelle.
L’intérêt du musellement du Conseil constitutionnel s’est vu à l’occasion du pressing et du forcing politico-institutionnel - motivés par un exceptionnalisme autoritaire- que l’ordre gouvernant et son chef ont mis en œuvre pour restaurer le modèle typiquement monarchique du présidentialisme en pulvérisant l’article 6.2 de la constitution révisée de 1996 à l’occasion d’une révision menée manu militari en avril 2008 pour restaurer une présidence impériale dès lors débarrassée de toute contrainte de limitation des mandats présidentiels à deux septennats. Un Conseil constitutionnel posé en régulateur au moins autonome, à défaut d’être indépendant, aurait pu contrarier formellement une demande gouvernementale principale préoccupée de restaurer les conditions politico-institutionnelles pleines d’une présidence autoritaire, immunitaire et étemitaire, et de se permettre à l’occupant de la magistrature suprême d’en user comme une concession viagère.

Le brouillage juridique et l’intérim présidentiel
L’insécurité constitutionnelle peut être mesurée dans sa teneur et son ampleur politico-institutionnelles à propos d’une question politiquement et stratégiquement sensible comme celle du régime juridico-politique de la succession présidentielle. On sait, en effet, que le président de la République est un organe institutionnel de la puissance étatique camerounaise qui demeure normativement et concrètement prépondérant dans une organisation toujours présidentialiste des pouvoirs publics. Ainsi, le président de la République du Cameroun reste un César étatique véritablement posé en pontife suprême de l’État peu ou pas du tout domestiqué par une division des pouvoirs faiblement basée sur un jeu développé de docks and balances.
Les mécanismes de dévolution institutionnelle du pouvoir présidentiel au Cameroun ne sont pas basés sur une grande sécurité, dans l’hypothèse d’un intérim présidentiel dont l’aménagement juridico-technique demeure une grande préoccupation dans le droit constitutionnel camerounais. En effet, l’intérim est ouvert en cas de vacance dans les circonstances énumérées à l’article 6 alinéa 4 de la constitution issue de la révision du 4 avril 2008 à savoir le décès, la démission, l’empêchement définitif constaté par le Conseil constitutionnel. Ces différentes circonstances ne font pas nécessairement l’objet d’aménagements appropriés et adoptés capables d’éviter que l’on aboutisse à des controverses juridico-politiques porteuses d’incertitude et d’inquiétudes aussi bien en termes de sécurité institutionnelle qu’en termes de sécurité stratégique.
L’hypothèse du décès du président de la République en titre et en fonction est abordée sous un angle essentiellement factuel sans que le cadre formel de son constat soit dûment et expressément aménagé de manière à ce que s’opère l’ouverture juridique de la vacance appelée par le décès. Cela pourrait alors conduire, en l’absence de mécanismes procéduraux et institutionnels précis et adaptés à des controverses juridico-politiques favorisant un aiguisement des luttes de pouvoir et de domination relatives, à la conquête et au contrôle de la présidence de la République comme centre de gravité de l’ordre étatique et gouvernant camerounais. Le souci pratique d’aligner les conditions et les modalités de constat du décès sur les deux autres situations d’ouverture de la vacance de la présidence de la République, telle que transparaissant dans la loi relative à l’organisation et au fonctionnement du Conseil constitutionnel, ne saurait suffire.
L’hypothèse de la démission du président de la République en fonction comme situation d’ouverture de la vacance paraît mieux balisée que celle du décès. En effet, l’article 108 de la loi régissant l’élection présidentielle définit précisément les contours et les modalités de procédure de la démission.
Conformément à cette disposition, le président de la République qui démissionne est tenu d’informer préalablement la nation par la voie d’un message expressément publié selon la procédure d’urgence au Journal officiel. Par la suite, le président démissionnaire doit adresser son acte de démission au président du Conseil constitutionnel qui envoie une copie au président du Sénat. Pourtant, les conditions de délais encadrant une telle procédure ne sont pas formellement précisées, ce qui laisse place à une interprétation de la mise en œuvre de l’intérim de plein droit dès que le président du Sénat reçoit la copie de l’acte de démission à lui adressée par le président du Conseil constitutionnel.
La loi relative à l’organisation de l’élection présidentielle, la loi régissant l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel et la constitution n’envisagent pas de manière identique l’aménagement juridique de l’empêchement définitif comme l’un des cas d’ouverture de la vacance à la présidence de la République. Comme le note fort à propos Alain Didier Olinga, « les textes ne coïncident pas pour ce qui est des modalités de constat de l’empêchement définitif ». C’est qu’en effet, les différentes dispositions normatives évoquées n’envisagent pas l’objectivation de l’empêchement définitif de la même manière. Ainsi, alors que la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel (article 38) traite du constat de la vacance dans toutes les circonstances, la loi régissant l’élection présidentielle et la constitution ne l’évoquent que pour l’empêchement définitif.
Les modalités de saisine du Conseil constitutionnel sont différentes dans les textes que sont la constitution, la loi relative à l’élection présidentielle et la loi régissant l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel ; ce qui souligne l’orientation divergente des procédures envisagées de saisine du régulateur constitutionnel. Par ailleurs, les normes évoquées règlent de manière différente les conditions modales et processuelles de décision du Conseil constitutionnel : majorité absolue ici, majorité des deux tiers comme nous le rappelle encore - de manière magistrale - Alain Didier Olinga. Où l’on voit que les règles de droit positif ne règlent pas avec cohérence l’aménagement juridico-technique et juridico-politique des différentes situations de manifestation et d’objectivation de la vacance à la présidence de la République qu’ouvre une période intérimaire jusqu’à la remise enjeu politico-électorale du mandat présidentiel.

Le risque juridico-politique de l’intérimaire ambitieux
Les conditions juridico-politiques et/ou sociopolitiques de sécurisation constitutionnelles de l’intérim ouvert suite à la vacance de la présidence de la République du Cameroun ne paraissent pas être remplies de manière suffisante. La persistance du régime transitoire qui fait du […] président du Sénat, peut contribuer à une telle situation. Le bénéficiaire de l’intérim n’est pas strictement ni inconditionnellement tenu de se cantonner dans sa position de simple attributaire de l’intérim établi en tant que tel par l’article 67 de la constitution camerounaise. En raison d’une telle situation, il n’est pas exclu que l’attributaire initial de l’intérim présidentiel n’use astucieusement et pernicieusement de ses prérogatives constitutionnelles pour se poser en prétendant à la succession présidentielle.
L’intérimaire présidentiel a pour rôle d’organiser le scrutin devant désigner le nouveau titulaire de la fonction présidentielle, entre 20 jours au minimum et 120 jours au maximum après l’ouverture de la vacance « sauf circonstances exceptionnelles ». Où l’on voit comment le régime régulier de l’intérim présidentiel établi sur une base institutionnelle et normative, peut être exposé à des manipulations décisionnistes de la loi fondamentale. En effet, l’attributaire de l’intérim présidentiel peut devenir, selon le mot célèbre de l’éminent mais aussi controversé Cari Schmitt, « souverain » parce qu’il « décide de l’exception ». L’intérimaire présidentiel peut ainsi user et abuser du recours à l’article 9 de la constitution traitant de l’état d’urgence ou de l’état d’exception, si « les circonstances l’exigent » ou si les conditions de l’alinéa 2 sont réunies et objectives.
Si l’attributaire constitutionnel de l’intérim constitutionnel ne peut être normalement candidat à l’élection présidentielle, un intérimaire ambitieux et pouvoiriste peut utiliser des expédients juridico-politiques liés à un recours instrumental aux circonstances exceptionnelles afin de se maintenir au pouvoir, où l’on voit que les intérimaires peuvent entreprendre par une démarche juridico-politique et socio-politique exceptionnaliste de se transformer en titulaire de la fonction présidentielle véritablement posés en successeurs de fait et successeurs plutôt légitimes. Cela montre que les dispositions ne sont pas suffisamment resserrées pour empêcher que l’attributaire de l’intérim ne puisse manipuler des prérogatives constitutionnelles lui permettant de disposer de presque tous les pouvoirs associés à cette fonction, sauf la possibilité d’initier une procédure de modification de la constitution, de recourir au référendum et de modifier la composition du gouvernement à moins que ce cas soit imposé par une nécessité liée à l’organisation de l’élection présidentielle après avoir consulté le Conseil constitutionnel.
Les normes du droit constitutionnel camerounais, quoiqu’elles canalisent les risques d’une gestion successorale et patrimoniale de la dévolution du pouvoir présidentiel, n’éliminent toutefois pas les possibilités politiques de détournement ou de contournement des contraintes juridico-institutionnelles et juridico-normatives posées par les règles prévalentes en matière d’intérim à la tête de l’État. Ainsi, l’intérimaire présidentiel peut-il faire initier une modification de la constitution par la voie du parlement, sans s’impliquer dans la procédure menant à une telle initiative, y compris par la voie de la promulgation d’une telle loi. Dans une telle hypothèse, le président par intérim peut commodément laisser le président de l’Assemblée nationale se substituer à lui pour promulguer un texte qui lui soit politiquement favorable dans le délai constitutionnel imparti de 15 jours.

L’inertie gouvernante dans la politique institutionnelle
La constitution camerounaise n’est pas énoncée de telle manière que l’ensemble de ses dispositions correspondent systématiquement et de manière codifiée à un cadre sécurisé de régulation de la vie politique par une loi fondamentale posée en bonne forme du jeu politique. Ainsi, le groupe gouvernant maintient éhontément un régime de transition constitutionnelle, adoptant délibérément une démarche de politique constitutionnelle basée sur ce que Peter Bachrach et Peter Bakatz appellent « non-décision », en omettant de finaliser une mise en place des institutions nouvellement créées par la réforme constitutionnelle de 1996 qui sont dolosivement présentées comme devant se faire « progressivement » (article 66 de la constitution). On peut alors, dans les cercles supérieurs de l’ordre gouvernant, entretenir politiquement l’inertie en exploitant de manière exceptionnaliste les dispositions en matière de transition constitutionnelle.
Le laxisme gouvernant dans la formulation et l’application des mesures de politique constitutionnelle est révélateur d’un art de gouverner basé sur la licence et le passe- droit plutôt que sur la discipline et le droit. Il s’agit alors de favoriser la reproduction de l’arbitraire juridico-politique et sociopolitique peu propice à l’implantation et à la consolidation d’un État pluraliste de droit à constitution représentative et légalo-rationnelle, comme lorsque le régime du Renouveau fait preuve de toute son inertie en freinant la mise en place des régimes qui ont pourtant été créés par la révision constitutionnelle de 1996 au rang des collectivités territoriales décentralisées. Dans une telle optique conservatrice et manipulatrice de travestissement institutionnel et constitutionnel, le bicamérisme énoncé comme innovation apportée par la réforme constitutionnelle de 1996, [n’a été mis en application qu’en 2013 avec l’évènement d’un Sénat ayant à sa tête un octogenère nommé par le président de la République]
La gestion retardatrice qui freine l’achèvement de la période transitoire de mise en place des institutions constitutionnelles créées en 1996, mais toujours inopérantes en  [septembre 2017], est révélatrice de l’arrière-plan souverainiste et décisionniste qui bloque une transformation démocratique et libérale élargie et approfondie de la régulation constitutionnelle du jeu politique et institutionnel camerounais. Cette politique ultra conservatrice des petits pas vers la modernisation institutionnelle peut avoir des répercussions particulièrement délicates sur le plan politico-stratégique et politico-sécuritaire, parce qu’elle ne favorise pas l’avènement d’un cadre institutionnel, normatif et procédural clair en matière de succession présidentielle. En effet, si la dévolution du pouvoir présidentiel devait se faire suite à l’ouverture d’une vacance à la tête de l’État, dans une configuration où le régime transitoire de l’intérim présidentiel continuerait à prévaloir, la République du Cameroun pourrait être exposée à de sérieux et évidents risques de déstabilisation.
L’absence d’un régime ordinaire d’organisation de l’intérim ouvert dans le cadre d’une vacance à la présidence de la République, peut effectivement faciliter les calculs politiques des groupes de puissance et de pression dont les intérêts commanderaient de s’opposer aux-attributaires de l’intérim organisé dans le cadre d’un régime transitoire. Où l’on voit les problèmes de sécurité constitutionnelle posés par le fait que le schéma constitutionnel de dévolution des pouvoirs du président de la République ne serait pas suffisamment consolidé et légitimé parce que s’appuyant sur des règles et institutions transitoires plutôt qu’ordinaires. Une normalisation constitutionnelle et institutionnelle est à envisager aussi bien pour des raisons politiques, éthiques, civiques que techniques et stratégiques pour juguler les risques d’une crise explosive alimentée en partie par les manœuvres intrigantes, trafiquantes et délinquantes de la politique spéculatrice et manipulatrice du constitutionnalisme siamois qui est une politique délibérée de l’infirmité institutionnelle.
Mathias Eric Owona Nguini
Sources : Les Cachiers de Mutations, n°064, juillet 2010.
* Le titre est de la rédaction