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Les dossiers noirs de la République - Pierre Mila Assoute : ''Le plus grand echec de Paul Biya est son incapacite politique de conserver l'heritage politique de son predecesseur''

Les dossiers noirs de la République - Pierre Mila Assoute : ''Le plus grand echec de Paul Biya est son incapacite politique de conserver l'heritage politique de son predecesseur''

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Index de l'article
Les dossiers noirs de la République
Jean Fils Kleber Ntamack détermine l'indéterminé
N'ayons pas peur des maux
Quand les tontons macoutes voulaient éliminer des personnalités
Cameroun: un danger permanent
Liste non exhaustive des assassinats non élucidé sous le Renouveau
Pierre Mila Assoute : ''Le plus grand echec de Paul Biya est son incapacite politique de conserver l'heritage politique de son predecesseur''
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Pierre Mila Assouté : ''Le plus grand échec de Paul Biya est son incapacité politique de conserver l'héritage politique de son prédécesseur''
On le présente plus. Ses faits d’arme sont connus de ses compatriotes. Ancien membre du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), chef de file des modernistes, il avait cru au Renouveau originel, avant de réviser sa position. Depuis lors, ses positions critiques vis-à-vis de son ancien parti n’ont pas changé. Même en exil forcé, il a toujours un oeil rivé sur le Cameroun. Selon lui, le plus grand échec de Paul Biya est son incapacité politique de conserver l’héritage de son prédécesseur fondé sur l’unité, la paix et le développement. Conséquence, le rapport de force est inévitable pour modifier l’ordre actuel. L’opposition camerounaise doit mettre à jour son logiciel afin de trouver, dans une démarche inclusive, les voies et moyens pour une alternance politique au Cameroun, cet Etat captif d’une clique de gérontocrates corrompus dont l’unique but politique est de jouir et de se perpétuer ad vitam aeternam. Entretien à bâtons rompus.
Germinal : Qu’est-ce qui explique votre absence de prise de position dans les médias nationaux sur la crise dite anglophone, crise au cours de laquelle de nombreux Camerounais sont tombés sous les balles de la soldatesque de Paul Biya ? Quel est votre regard sur cette crise ?
Pierre Mila Assouté : À vrai dire, je me suis exprimé sur ce mélodrame. Ce qui est devenu « « une crise anglophone », pour le déplorer, est une crise du laxisme d’État, de repli identitaire aussi, provoquée par l’irresponsabilité, voire de l’insouciance politique qui traduit une légèreté politique.
Je m’associe aux douleurs des familles des victimes directes ou collatérales de cette crise. Les pertes en vies humaines enregistrées parmi nos compatriotes tombés sous les balles de l’armée ne s’expliquent pas,  dans le mesure où manifestement les populations victimes des exactions ne sont, elles-mêmes, pas armées.
Les dirigeants de ce pays englués dans les jouissances de leur propre confort, des détournements de fonds et de mépris, ont par leur irresponsabilité connue, provoqué la crise. En bloquant la décentralisation et ne respectant pas durablement l’esprit et la lettre de la Constitution sur des questions essentielles telles que la pratique courante des deux langues officielles dans la diffusion administrative, ils ont laissé incuber, féconder et grossir des frustrations linguistiques, politiques et sociales ainsi que celles de représentation hiérarchique dans les instances politiques et des administrations. Le silence de M. Biya en dit long. C’est, hélas, le plus gros échec de l’ère Biya. C’est l’incapacité politique de conserver l’héritage politique de son prédécesseur sur les fondements de l’unité et de la République fédérale en 1961. Ceux qui parlent de sécession, de sédition, et qui ont toujours dormi en dessous des flammes ardentes de l’unité retrouvent des espaces de propagande de la division. Ils attisent la haine et les appétits de l’exploitation des ressources naturelles mal gérées pour le développement global. Les appétits de pouvoir fécondent ci et là et surtout en Diaspora. À quoi servent les arrestations en nombre des leaders politiques au lieu de s’y rendre et leur parler ?

Les solutions apportées à cette crise vous semblent-elles pertinentes ? Sinon, comment faire pour la résorber définitivement ?
Les solutions combinées à l’exercice de la force brute radicalisent les positions. D’abord, elles sont tardives et ensuite elles évitent la question de fond qui, elle, est politique et sociale dans l’ordre constitutionnel sur la forme de l’État.
Il nous faut répondre à cette question qui semble déborder au-delà des seules régions sous influence linguistique britannique de l’époque coloniale. Les Camerounais veulent-ils, doivent-ils après 60 ans d’indépendance faire machine arrière et se regarder sous le prisme de l’héritage linguistique colonial ou est-il temps d’affirmer notre indépendance et nous réapproprier fièrement qui nous sommes pour mieux définir notre marche commune vers les progrès humains ? Tels sont les défis d’avenir de notre vivre ensemble harmonieux. Nous ne pouvons pas regarder le Cameroun de demain avec les lunettes de 1884. Il faut déjà interroger aujourd’hui dans ce monde tourmenté ce que sera le Cameroun de l’an 3000. Cette interrogation porte un nom : la vision politique prospective. Un leader légitime et visionnaire répond aux crises du présent avec des réponses du futur. Cela demande du courage, du sérieux et de la responsabilité reconnue et assumée. Dans le logiciel politique d’aujourd’hui cela impose dialogue participatif majoritaire et transparence. M. Paul Biya en est-il apte ? Non. Evidemment.

Quel qualificatif pouvez-vous donner aux règnes Ahmadou Ahidjo et de Paul Biya ?
Le régime du Président Ahmadou Ahidjo était un régime autoritaire et policier, un régime de grande peur, mais en même temps, c’était un régime responsable et sécuritaire.
Quant au Président Paul Biya, son régime est une autocratie oligarchique corrompue, autoritariste et irresponsable. C’est un régime de jouisseurs à la fois pernicieux et insidieusement violents. La libre expression et la ploutocratie sont pratiquées comme des alibis de persuasion internationale en matière de démocratie.

Que diriez-vous, s’il vous était demandé de comparer, au fond, le système Ahidjo et celui de Paul Biya en termes de vision politique, de gouvernance, de gestion des hommes et des biens ?
Le régime de Biya est fondamentalement la continuité du régime d’Ahidjo, notamment aux plans néocoloniaux et de la perception des processus de reproduction du pouvoir. Seulement, le premier, M.  Ahidjo était un homme d’État fier de lui tandis que le second M. Paul Biya ne l’est pas vraiment. Le président Ahidjo avait une bonne vision politique, ce qui n’est pas le cas chez Paul Biya. Il a créé un État dont il garantissait le respect à l’intérieur et à l’extérieur, parfois par des méthodes fortes et loin de l’orthodoxie républicaine. Mais par son sens élevé de l’intérêt général et des affaires publiques de son pays, il avait le respect de l’Occident. Cependant, le pays était bien gouverné, on sentait une présence ; les Camerounais étaient moins divisés et moins tribalisés qu’aujourd’hui. Les tentatives de détournements étaient immédiatement et sévèrement réprimées. D’ailleurs, on ne parlait pas de détournements en termes de milliards, mais de millions. Sous M. Ahidjo personne n’a pu détourner 100 millions F.CFA sans être rattrapé et jeté en prison. Les plans quinquennaux permettaient un développement planifié et équilibré du pays. La gestion des finances publiques était rigoureuse et moins passéiste. Le choix des investissements productifs était observé. D’ailleurs, en quittant le pouvoir, le Président Ahidjo a laissé les caisses pleines, des finances saines, après avoir investi positivement dans tous les domaines : Éducation, santé, diplomatie, secteur industriel, Hôtellerie, routes, stades, bâtiments publics, habitat social, pouvoir d’achat des paysans et des salariés, etc. Le Président Ahidjo tenait des conseils de ministre au moins une fois par mois.
Avec le Président Biya, on note une gestion chaotique d’un héritage politique inattendu. On assiste à un pilotage à vue du Cameroun par une présidence en vacances perpétuelles. Une situation de surendettement de l’État pour un niveau d’investissements des plus médiocres. Le Cameroun se pilote d’ailleurs tout seul comme un cerf-volant ou un drone. La comparaison saute aux yeux : injustice croissante; arbitraire administratif et judiciaire; premier pays parmi les plus corrompus au monde, insécurité chronique, Boko Haram, disparition de l’embryon industriel du pays, déclassement international du pays, chute de 60% des revenus salariés ; abandon des producteurs paysans, disparition des bourses d’études, chômage chronique, violences démocratiques, etc. À comparer les deux régimes, nous avons l’impression de parler du jour et de la nuit. Personnellement, je me demande ce que le Président Biya va laisser comme souvenir au peuple du Cameroun. Les gens le perçoivent de plus en plus comme un vacancier au pouvoir dans un pays qui se meurt. Il souhaitait pourtant être celui qui a apporté la démocratie aux Camerounais. J’y avais cru avant de réviser ma position et d’avoir le courage de changer d’avis. Je sais qu’il y en a beaucoup de Camerounais comme moi, mais ils ne sont pas libres comme je l’ai été en décidant de critiquer les méthodes du Rdpc dès 2002 et de démissionner alors que j’étais membre du comité central.

L’actualité est marquée par l’assassinat ou la noyade, c’est selon, de Mgr Jean-Marie Benoit Bala. Quelles réflexions cette mort suscite-t-elle en vous ?
Lorsqu’un doute envahit l’opinion sur la mort suspecte d’un citoyen et que l’État garant de la justice n ‘est plus en mesure de lever les doutes, cela veut dire qu’il y a manifestement faillite morale des dirigeants. Lorsque la faillite morale des dirigeants est acquise à l’opinion peut-on gouverner sans le bâton ?
Ce qui semble plus qu’apparent reste que M. Bala n’avait pas besoin de se suicider la nuit. Il pouvait le faire en journée si telle était son libre arbitre.
Nous sommes devant un cas parmi tant d’autres jamais élucidés qui confirme la banalisation de la vie humaine sous le renouveau et l’enracinement dans la conscience collective de la croissance d’un régime mortifère. Guerandi Mbara a disparu avec des traces connues sous le silence de l’État dont il est ressortissant malgré la publication de l’hebdomadaire Jeune Afrique

Au regard de nombreux assassinats non élucidés connus sous le Renouveau, peut-on dire que la gouvernance de Paul Biya est ensanglantée ou que l’histoire du renouveau continue de s’écrire en lettre de sang ?
Je viens de le dire. Il y a des raisons objectives d’affirmer que le régime de M. Biya est devenu mortifère.
Lorsque la police politique pratique des enlèvements de militants des partis politiques en bordure de route en train d’attendre le taxi pour le soustraire sans cause dans les réduits de tortures sans laisser de traces il s’agit d’indices graves des régimes déviants. Tous ces cadavres qui se trouvent dans les tiroirs du Renouveau engagent la responsabilité de ceux qui les tuent si l’État se montre incapable à répétition d’établir la vérité et de punir.
Le sang a commencé en avril 1984. Il s’est poursuivi dès 1990. En février 2008, les émeutes, dit-on, de la faim, alors que tout le monde sait que c’était des émeutes contre la révision au forceps de la constitution, ont fait tuer autant que le coup d’État du 6 avril 1984. Les crimes de sang ont marqué le régime de manière indélébile. Vous savez que le Vatican en a parlé ouvertement et demande des comptes sur certains crimes. La France aussi veut savoir à propos d’une de ses citoyennes. Il y a la famille du jeune Pokam défenestré au Hilton qui veut savoir! Il y a les morts d’Eséka, etc. Il est difficile de parler d’Ahmadou Ahidjo et de Paul Biya, sans que ne viennent à l’esprit, les événements survenus le 6 avril 1984 et le décès, à l’exil, du premier président de la République du Cameroun.

Que vous rappellent ces événements qui continuent de structurer les rapports entre les fils du Cameroun et nous installent dans une sorte d’impasse ?
Je suis témoin de cette période. Je venais d’accéder au parlement comme le plus jeune député, à 24 ans. Ahidjo était blessé par le traitement qu’il a eu après avoir cédé le pouvoir. C’est un remaniement ministériel qui a mis dehors de ministres soupçonnés proches d’Ahidjo qui va mettre le feu aux poudres. Ahmadou Ahidjo tente une manoeuvre dans le parti qu’il conservait après avoir cédé l’État à Biya. Il y a bicéphalisme de fait. Bien sûr, en pareille situation, des camps de partisans se forment. Le système qu’il avait mis en place a eu raison de lui et l’a broyé. Sa déclaration sur Rfi en avait fait l’instigateur du coup d’État et un jugement s’en est suivi...Il y a eu évidemment beaucoup de morts à Mbalmayo dans l’armée et pour la plupart originaires du Grand Nord. Ça laisse forcément des blessures profondes. Le déni d’État à Ahidjo ne panse pas (plus) ces blessures...Il faut pourtant réconcilier les Camerounais du nord au sud, de l’est à l’ouest.

En quoi le retour des restes d’Ahmadou Ahidjo peut-il constituer un facteur de réconciliation nationale ? Quels peuvent être les autres facteurs pouvant contribuer à la réconciliation des Camerounais au moment où l’actuel président semble n’avoir plus d’avenir politique?
Le retour des restes du Président Ahidjo, au-delà de toute réconciliation, est un devoir national. Évidemment, le retour de ses restes va renforcer la cohésion nationale et apaiser les ressentiments. On ne peut pas parler de réconciliation nationale, s’agissant seulement de Monsieur Ahidjo, sans exagération. À ma connaissance, il n’y a pas de guerre entre le Nord et le Sud du Cameroun sur la question du rapatriement des restes d’Ahidjo. Il y a cependant, un parricide indécent entre un fils politique et un parrain politique que vit mal l’ensemble du peuple du Nord au Sud. Si Monsieur Biya quitte le pouvoir, la dépouille du Président Ahidjo sera ramenée au Cameroun avec l’avis ou non de sa famille ; des obsèques officielles seront organisées et ses restes placés au panthéon de la Nation. Monsieur Ahidjo, ancien chef de l’État du Cameroun, ayant servi fièrement avec plus ou moins de patriotisme son pays, est devenu un patrimoine national. Cela est inscrit dans le programme politique du Rdmc de ramener immédiatement ses restes, si nous étions  élus à la tête du Cameroun.
Par contre, la réconciliation nationale en elle-même est nécessaire pour faire oublier la période pré-indépendance qui avait conduit le pays à un embrasement général, en arrachant à la vie, des compatriotes, des patriotes tels que MM. Um Nyobe, Osende Afana, Ouandjié Ernest, Félix Moumié, etc. Vous savez que les régions de l’Ouest et du Littoral gardent des séquelles de cette période qu’il faut exorciser. C’est l’une des raisons des multiples complexes du rejet bamiléké qui persiste dans certains esprits de nos compatriotes.
On peut également évoquer la question anglophone quand on parle de réconciliation nationale. Notre pays doit se réconcilier avec son histoire, ses peuples, son passé et son présent. Évidemment, les frustrations du Grand Nord ne peuvent être balayées du revers de la main dans la question de réconciliation. Il en existe réellement. On ne peut pas vivre dans la suspicion permanente de coup d’État avec pour seul faute d’appartenir à la région géographique de l’ancien régime. Il faudra vider ce contentieux historique.
Le retour des restes du Président Ahidjo peut apaiser des tensions au nord. Dans la Sanaga maritime, ce n’est pas très sûr. Mais Ahidjo, Foncha et Muna, entre autres, seront au panthéon avec Um Noybé et les autres patriotes morts pour leur pays, y compris nos soldats tombés pour le Cameroun. Ce sera la réconciliation de nos morts qui fera celle des vivants. Nous devons nous réconcilier avec notre histoire. Que nous soyons francophones ou anglophones.

Certains observateurs avertis affirment, au regard de l’âge avancé de Paul Biya, des maux qui minent la société camerounaise, des clivages et tensions qui opposent certains clans, que l’avenir du Cameroun est très sombre et que nous nous acheminons vers une transition heurtée, pour dire le moins, si rien n’est fait. Êtes- vous de cet avis ?
L’avenir du Cameroun est chaotique si rien n’est fait. C’est un postulat qui tombe sous le coup du sens. Il n’y a qu’à voir l’organisation institutionnelle pour s’en convaincre. S’il y a vacance subite de pouvoir, il faut extrêmement craindre pour notre pays. On ne peut comparer notre situation à aucun autre pays en Afrique, même pas les plus proches ou certains pays en Afrique de l’Ouest. Ce serait pire.

Pensez-vous que les événements survenus dans les zones anglophones du pays sont un prélude à ce qui attend le Cameroun dans les prochaines années ?
Oui je le pense et je n’ai eu de cesse de le dire. Si M. Biya n’organise pas une élection paisible en commençant par anticiper des réformes électorales, tout ce que je dis se manifestera comme ce que j’ai dit par le passé. S’il ne le fait pas immédiatement, il laissera derrière lui un pays en flammes. Notre responsabilité est engagée et je compte bien assumer les miennes pleinement pour éviter à ce pays de sombrer dans l’anarchie, le chaos. Je l’avais déjà dit à un fils de la Menoua. Nkuete Jean, le secrétaire général du Rdpc, lorsqu’il est venu me voir à Paris. Je l’avais dit à mon ancien camarade Sadi René, ministre de l’Administration territoriale lorsqu’on s’est croisé dans le hall de l’hôtel Le Méridien. Je lui avais dit de dire à M. Biya de sortir courageusement de l’emprise familiale de gestion du pouvoir au risque de fuir par la forêt sans pouvoir prendre tous ses bagages. Je le réitère par voie de presse ici.

Que faut-il faire pour éviter le chaos ou la transition heurtée tant redoutée ?
Pour éviter le chaos, il y a deux solutions :
- soit le Président Biya doit s’abstenir de se présenter à la prochaine élection présidentielle et organiser de vraies élections. En contrepartie, on peut lui assurer une retraite paisible.
- soit le Président Biya met en place une véritable commission électorale indépendante, composée de religieux, des représentants des partis politiques, de la société civile, pour organiser des élections libres et transparentes auxquelles il prend part et sous l’œil vigilant des membres des Nations unies. Mais tous les Camerounais, tant à l’étranger qu’à l’intérieur du pays, doivent, sans exclusive, être inscrits. One man One vote. Si Monsieur Biya procède comme d’habitude avec l’antichambre du Rdpc appelée Elecam, on va droit dans le mur. S’il y a exclusion des Camerounais de la course pour la présidentielle de 2018, notre avenir n’en sera que plus sombre encore.

Le biyaïsme et le Renouveau national, des erreurs originelles ou des vastes malentendus ?
Le Biyaïsme est en fin de compte, toute analyse faite, un mauvais accident de l’histoire de notre nation. Il faut tourner la page sereinement avec sagesse et détermination. C’est de la responsabilité du peuple du Cameroun d’écrire une nouvelle page de son histoire, après ce long métrage abracabrantesque et cauchemardesque qui dure depuis 35 ans.

Quelles significations et quel crédit donnez-vous, à votre vraie fausse ou fausse vraie invitation pour rejoindre une soi-disant Nouvelle dynamique ? Un piège ou une tentation ?
J’ai compris tout de suite en fait de « nouvelle dynamique programmée » qu’il s’agit de manoeuvres habituelles de dupe pour soutenir la reconduction de M. Biya en 2018. Je ne suis pas surpris d’entendre ce slogan circuler au pays dans une certaine opinion... Le courrier était à dessein rédigé avec des apparences équivoques. Mais un numéro de fixe et de portable confirme bien que c’est de la présidence qu’elle est partie. La personnalité qui m’a parlé et a parlé à mon assistance s’est présentée. Il était SGA a la présidence et maintenant il est au premier ministère. Il y a eu plusieurs tentatives pour me ramener dans le giron ou pour me piéger après d’autres qui visaient à m’assassiner. Une note de renseignement militaire que M. Biya avait reçue en 2010 avant la présidentielle de  2011 indiquait des noms  des personnalités qu’il fallait assassiner dont moi et bien d’autres curieusement ministres ou membres du pouvoir. Il y en a qui sont effectivement soit tués, soit en prison ou malades, hormis le Cardinal Tumi.

De votre position actuelle, que pensez-vous des formations dites de l’opposition actuelle, bref de ce qu’il est convenu d’appeler opposition politique actuelle ?
Notre opposition n’est pas à la hauteur des défis qui attendent notre pays. Elle n’a pas, ne sait pas donnée les moyens pour venir à bout du régime Biya, en tout cas, pas par les urnes comme le clament certains que, de mon point de vue, je trouve plutôt naïfs. C’est fantasmagorique de le penser, d’y croire ou affligeant le dire à nos compatriotes. Je connais les méthodes.
C’est amusant d’entendre certains qui vous parlent de masse critique. Pourquoi attendrait-elle la fraude et pas la révision de la Constitution pour agir ?
Qui laissera un rassemblement de plus de 10 personnes se faire en ce moment-là pour attendre d’atteindre cette masse dite critique sur du papier, surtout au moment où la lutte contre le terrorisme est devenue un prétexte à toutes sortes de violations des droits humains au Cameroun ?
Que de rêve d’innocence et de juvénilité politique !

Que doit, ou devrait-elle faire pour constituer une force réelle pour l’alternance politique au Cameroun ?
Ce que l’on peut nommer opposition au Cameroun a, hélas, une ossature qui s’est autoflagellée et forme des partis satellites avec des rivalités et des conflits irréconciliables d’ego des individus. Le système électoral est conçu pour renforcer l’éparpillement des ambitions des personnalités auxquelles il serait demandé au faciès de fondre au profit d’un candidat messianique dont personne ne connait le poids politique réel, en dehors de ceux qui ont déjà pris part aux précédentes élections présidentielles. C’est tout simplement surréaliste. Au Gabon, Jean Ping avec son statut d’ancien président de l’Union africaine, ami de plusieurs chefs d’États africains, a pu fédérer autour de lui plusieurs forces politiques, avec l’argent dont il dispose. La fin de l’histoire est connue de tous.
Il faut aujourd’hui fédérer un front commun pour l’obtention d’un système électoral et une gouvernance électorale neutre et transparente. Il ne s’agit donc pas seulement du Code électoral comme on l’entend ci et là parmi les profanes et les néophytes. Il faut la refonte totale du fichier électoral. C’est à dire recommencer à zéro, en commençant par la publication des résultats d’un vrai recensement de la population. Ensuite, il faudra créer un organe électoral qui conduit les élections et en proclame les résultats, avec à la tête de la structure chargée de la gestion du processus électoral, des personnalités reconnues pour leur indépendance et pour leur compétence ; mettre en place le Conseil constitutionnel qui examine la régularité électorale et en fin organiser des élections à deux tours. C’est cette bataille que l’opposition et la société tout entière doivent mener pour nous éviter le chaos. Sinon on aura un renversement de régime ou il se reproduira.

Dans l’optique d’une transition politique au Cameroun, quels rôles devraient jouer : la diaspora, du moins celle dite progressiste ; les organisations de la société civile ; les médias ; les hommes de l’Église et les partenaires au développement ?
Il y aura forcément une transition ou une élection transparente. C’est toujours très fantasmagorique de tirer des plans sur la comète. Tous les acteurs sont importants dans une transition, chacun dans son rôle.
Il faut envisager un pays d’accord avec lui-même et avec ses intervenants politiques et corporatifs dans le cadre d’une reconstruction d’une société d’apaisement et de confiance entre les acteurs politiques et le corps social
La diaspora ne peut pas et ne doit pas être perçue comme distincte des citoyens vivant sur le territoire national du fait de leur extraterritorialité. Il n’y a pas deux Constitutions, celle qui traite de la diaspora et celle des autres.

Autrement dit, quelle alternative crédible contre le biyaïsme ?
L’alternative crédible devra être inclusive et participative

Compte tenu du contexte actuel (code électoral imparfait, Elecam non indépendant, peut-on avoir une transition politique au Cameroun par les urnes, comme le souhaitent certaines femmes et hommes politiques ?
Lorsqu’on parle de transition, il ne s’agit plus des urnes. La transition suppose une période intérimaire entre l’exercice consensuel du pouvoir et l’exercice légitime du pouvoir. Elle survient en cas de rupture constitutionnelle ou de vacance subite du pouvoir induisant l’intérim.
Les urnes dans la situation des lois et du système actuels n’ont de concept et structures que la reproduction de M. Biya ou de quelqu’un que lui-même aura désigné pour lui survivre au Rdpc et le succéder.
L’alternative est donc unique : la transition ou l’alternance.
Si nous nous confinons dans la fuite en avant en caressant de faux espoirs du genre « inscrivons-nous par millions on va gagner ». L’on joue leurs jeux et se nourrit de fantasmes. D’autant plus que même si l’inscription sur les listes électorales est une étape essentielle, c’est la participation effective des électeurs inscrits au vote et le respect de la vérité des urnes qui sont les étapes décisives. Quinze millions de Camerounais peuvent bien s’inscrire, mais seulement trois ou quatre millions prennent part effectivement au vote. Le rapport de force est inévitable pour changer ou modifier l’ordre actuel, sinon M. Biya sera là en 2018.
Entretien mené par:
Jean-Bosco Talla