• Full Screen
  • Wide Screen
  • Narrow Screen
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size

L'Etat privatisé menace le pays d'éclatement

Envoyer Imprimer PDF
Note des utilisateurs: / 0
MauvaisTrès bien 

« On ne s’amuse pas avec l’État ». J’ai entendu ce propos dans la bouche d’un militant du R. sur une Télévision. De fait, on ne peut jouer continuellement avec l’État sans risquer de nous conduire à l’anarchie et au chaos. C’est pourtant ce que font, avec arrogance, les fonctionnaires militants du RDPC qui, confondant leur parti avec l’État, prennent le peuple pour leur enfant ou pour leur servant, et croient pouvoir en même temps le frapper et l’empêcher de pleurer.
L’horreur que nous venons de vivre dans le Nord-ouest et le Sud-ouest - des agents dits « de l’Ordre » sortant filles et garçons de leur logis à coups de godasses et de matraque pour les rouler dans la boue en les rouant de coups - témoigne en ce 21e siècle que nous avons menti en modifiant notre hymne national. Nous vivons encore dans la barbarie, et n’avons pas commencé à sortir de la sauvagerie.
Il y a quelques jours nous dénoncions ici même le fait que les Camerounais s’étaient accommodés du tribalisme comme

 mode de gestion de l’État, et se substituaient au parlement pour porter toutes leurs revendications citoyennes, non au gouvernement, mais directement au Chef de l’État qui apparaît désormais comme seul capable quand il veut, d’apporter réponse à tous les desiderata. Nous voulions ainsi ressortir le fait que malgré la décentralisation (qui veut dire dévolution politique aux collectivités locales), les populations trouvaient toujours de moins en moins de solutions à leurs problèmes auprès de l’État.
On s’aperçoit à l’analyse que la problématique va plus loin que la volonté des hauts fonctionnaires de conserver un pouvoir centralisé, devenu prébendier entre leurs mains. Comme la compréhension camerounaise du mot politique qui veut dire « tromperie du peuple », c’est la perception de l’État qui est en cause dans notre pays.
L’État n’est perçu par personne comme cette institution consensuelle engendrée par la Nation pour gérer l’intérêt général. Il est seulement compris par nos dirigeants comme une position privilégiée qu’aurait une poignée de truands, de s’approprier le pouvoir institutionnel et ses privilèges, de commander les populations comme le maître avec ses esclaves, d’exercer sur elles un droit de vie ou de mort, et de leur imposer en guise de paix, la tranquillité dans la misère. Avec une telle perception de l’État, le bien-être du peuple n’est pas compris comme le ressenti de la réalisation de ses aspirations, mais comme un cadeau généreux espéré du gouvernement.
On est dans un paradoxe où le peuple, supposé avoir donné mandat à des gens pour s’occuper de ses intérêts et lui rendre compte, ne peut revendiquer aucun de ses droits, et doit attendre qu’ « à son rythme », le gouvernement qui les a confisqués les lui restitue sous forme de faveurs. Par exemple, si n’importe quel Camerounais veut jouir de son droit absolu de lire l’Acte uniforme de l’OHADA dans celle de nos deux langues officielles qu’il comprend ou pratique le mieux, il faut qu’il en obtienne la faveur de la traduction au prix du sang.
Le Cameroun en devient un espace d’incertitude, avec des poches de mécontentement dans toutes les régions du pays. Poches de mécontentement dues aux insatisfactions des besoins, aux frustrations des aspirations, aux violations des droits, toutes « bombes sociales à retardement » que le gouvernement pourrait désamorcer par le dialogue social, s’il prenait en compte que le peuple est le propriétaire de l’État.
L’État a l’obligation – toute discussion sur les moyens mise à part – de résoudre tous les problèmes qui peuvent empêcher le peuple et la nation d’être heureux. Ces problèmes sont nombreux et divers, et chaque région a les siens propres. L’État ne peut pas les résoudre de manière égale, mais il le peut de manière juste (chacun en son temps et à la mesure des moyens appropriés). Le bras de l’État pour résoudre ces problèmes, c’est le gouvernement, administration publique. Et pourtant…
Chaque fois qu’un groupe social ou professionnel lève la voix quelque part, à raison ou à tort, pour dire qu’il est oublié ou méprisé par le gouvernement, ou que ses droits sont bafoués, le réflexe de l’autorité administrative à tous les niveaux est de considérer à priori que la revendication est sans objet : soit parce que tout le monde doit être logé à la même enseigne de pauvreté ou de privations, soit parce que le groupe ne participe pas au « Njangui » politique au profit du régime, soit parce qu’il n’a pas de parrain dans la mangeoire, soit parce qu’il n’est pas du pays organisateur, etc.
Cette identification faite, on passe aux simplifications qui justifient l’évitement et la fuite en avant : « le chien peut aboyer tant qu’il veut, la caravane passera... » « Chaque région a des problèmes et ce n’est pas une raison pour remettre notre unité nationale en cause ». « Ils veulent même quoi alors que d’autres régions n’ont ni route ni école ? » « Pourquoi détruire notre image de paix devant les étrangers », et d’autres balivernes. Bref, le régime gouvernant fragmente le pays en tribus pour pouvoir régner, mais réprime avec barbarie toute revendication à laquelle il peut coller une étiquette tribaliste.
La bonne expression pour qualifier ce type de comportement gouvernant dans les pays où l’État n’est pas seulement un terrain de jeu politique, ou une table à manger, c’est «le mépris absolu pour le peuple au nom de l’État». Sauf qu’un État au nom duquel le gouvernement méprise le peuple ne peut se dire État de droit.
L’État de droit n’est pas l’État qui a le meilleur Droit, mais l’État qui se soumet à ses propres lois et respecte les droits des citoyens. L’État de droit c’est l’État où gouverner veut dire exécuter le mandat de service public que l’on a reçu du peuple électeur, pour conduire la nation au bien-être. Lorsqu’on a reçu du peuple le mandat pour gérer l’État qui est une création de la nation, on est comme le gérant désigné d’une boutique qui doit à tout instant avoir l’oreille du propriétaire, lui rendre compte et discuter avec lui des meilleures stratégies du profit futur. Si les choses ne se passent pas comme cela, il y a risque évident de conflit.
Et il coûte toujours plus cher de régler un conflit que d’empêcher sa survenance par un dialogue préventif au moindre signe précurseur. Dans un pays où l’État est au service de la nation, quand une catégorie sociale, un groupe socioprofessionnel, une communauté sociologique ou une collectivité citoyenne pose un problème collectif (qu’il soit politique, économique, social, culturel ou autre), soit l’État le résout directement si c’est dans ses obligations régaliennes et qu’il en a les moyens, soit il négocie avec la ou les parties à la cause, pour trouver une ou des solutions consensuelles. Un gouvernement qui n’appréhende pas cette nécessité impérative de dialogue sociopolitique avec les composantes sociologiques de la nation, ou entre elles sous son arbitrage n’a rien compris à son rôle de gestionnaire de l’État.
Mis à part le fait que chaque région a ses problèmes spécifiques, il y a des problèmes transrégionaux dont l’existence peut remettre en cause l’intérêt général ou le vivre ensemble. Il en est ainsi des infrastructures, de l’énergie électrique, de l’eau potable, de la traduction en français ou en anglais des actes de l’État et des instruments juridiques internationaux, de la sécurité routière, de l’habitat décent, de logements sociaux, du droit de vote, de la situation socioprofessionnelle des enseignants, de l’indépendance des juges, bref, de l’accès aux services publics en général.
Si l’État ne peut ni résoudre ces problèmes ni garantir sa suppléance ad hoc, par des citoyens organisés, alors, il n’a aucune raison d’exister. C’est pourquoi il a besoin d’un gouvernement comme instrument de sa mission, avec des départements ministériels par secteur de l’activité nationale, afin qu’aucun besoin des populations ne lui échappe.
Lorsque l’État n’est plus en mesure d’assumer sa mission d’offrir le bien-être à la nation, soit parce que ses moyens ont tari à force d’être pillés, soit parce que ses hommes sont incompétents ou sclérosés à force de durer, les mécontentements naissent, sourdent, s’enflent, éclatent et… menacent le pays de chaos. C’est désormais le cas au Cameroun où l’État paraît avoir atteint son seuil d’incompétence. Ceux qui sont payés pour mettre l’État au service du peuple s’en servent pour leur seul ventre.
L’administration publique camerounaise regarde les situations évoluer sans se sentir concernée, tel un pompier qui regarde s’étendre l’incendie jusqu’au point du ravage, avant d’en improviser les tentatives d’extinction. À ce réflexe, il y a une explication conjoncturelle. Depuis trois décennies, notre État est devenu la propriété d’une personne qui en a privatisé l’administration publique, en la transformant (hommes et moyens), en cellule stratégique géante de son parti, en tout outrage de la République au détriment de la fragile opposition, et contre les intérêts de la nation.
Se considérant comme ses « créatures politiques », ministres et hauts fonctionnaires se sentent moins concernés par la recherche des solutions aux problèmes de la nation, que par l’allégeance à leur dieu et la garantie de sa longévité au pouvoir. Ils ne se sentent préoccupés par rien d’autre que leurs salaires, privilèges et passe-droits. Ils ne peuvent rien faire ni dire (même pas le nombre de morts d’un accident de train), sans avoir reçu « les hautes instructions de Son Excellence Paul Biya, Président de la République, Chef de l’État ». Et comme celui-ci est généralement absent, les créatures dansent sur le trésor public (comme les souris quand le chat est absent) en le rongeant en attendant.
Voilà comment l’impuissance de notre État confisqué par une poignée d’oligarques permet que se multiplient les bombes sociales susceptibles de conduire notre pays à l’éclatement.

Jean-Baptiste Sipa

Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir