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Les chantiers de l'inertie dans un Etat voyou - Pr Magloire Ondoa : Nous n'avons pas de constitution tant que son protecteur n'est pas mis en place

Les chantiers de l'inertie dans un Etat voyou - Pr Magloire Ondoa : Nous n'avons pas de constitution tant que son protecteur n'est pas mis en place

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Index de l'article
Les chantiers de l'inertie dans un Etat voyou
L'aloi fondamentale de Paul Biya
La Haute cour de justice pour le décor
Cachez vos biens!!!
La réforme de l'Education aux calendes camerounaises
Quand les syndicats indépendants donnent une trouille bleue à Paul Biya
La CSP soumet au gouvernement un avant projet de loi
Le Cameroun, un Etat voyou
Pr Magloire Ondoa : Nous n'avons pas de constitution tant que son protecteur n'est pas mis en place
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Pr Magloire Ondoa : Nous n'avons pas de constitution tant que son protecteur n'est pas mis en place
Au sortir du bureau de vote, le 30 septembre 2013, Paul Biya déclarait : « Nous sommes en train de faire des progrès gigantesques et après les législatives et les municipales, nous mettrons en place le Conseil constitutionnel ; l’édifice démocratique du Cameroun sera ainsi achevé ». 3 ans après cette déclaration, 8 ans après la promulgation le 14 avril 2008 de la loi constitutionnelle révisée, 20 ans après celle promulguée le 18 janvier 1996, la mise en place de cette importante institution est toujours attendue. Lors du Grand Oral de La Grande Palabre, tenu le 28 novembre 2013, sur le thème, ‘’La mise en place du Conseil constitutionnel et son impact sur l’ordre constitutionnel camerounais’’, le professeur Magloire Ondoa n’avait pas usé de circonlocutions pour affirmer que « nous n’avons pas de constitution » tant son protecteur qui est le Conseil constitutionnel ne sera pas mis en place. La transcription de cet échange a été faite par la rédaction de Germinal.
Je voudrais d’abord remercier l’auditoire d’être venu nombreux pour cette discussion. Le thème sur lequel il m’a été demandé de parler est d’actualité. Depuis un certain temps, on parle de la mise en place du Conseil constitutionnel. En fait, c’est depuis 1996. La loi du 18 janvier 1996 avait institué un Conseil constitutionnel qui devait faire partie du paysage institutionnel de notre pays. Et si l’on a voulu mettre en place ce Conseil constitutionnel, c’est parce qu’on y fondait beaucoup d’espoir. Aujourd’hui nous sommes en 2013, cela fait 17 ans que nous attendons le Conseil constitutionnel. Qu’en est-il du Conseil constitutionnel? J’ai toujours dit à ceux qui m’ont approché que j’étais pessimiste quant à la mise en place du Conseil constitutionnel. J’ai été pessimiste parce que tous ceux qui connaissent l’importance de Conseil constitutionnel dans le jeu démocratique ne pouvaient qu’être quelque peu sceptiques, voire dubitatifs. Mais, peut-être avant de parler des questions relatives à la mise en place et surtout des espoirs que l’on peut fonder sur cette institution, faut-il répondre aux interrogations suivantes : qu’est-ce que le Conseil constitutionnel ? D’où vient-il ? Comment se fait-il que nous ayons un Conseil constitutionnel ?
L’histoire du Conseil constitutionnel peut être située, pour certains, à partir de 1803-1804 aux États-Unis, avec le contrôle de constitutionnalité des lois qui est institué à travers l’arrêt Marbury v/ Madison de la Cour suprême américaine. Lorsque le juge américain met en place ce contrôle de constitutionnalité des lois, il se situe dans une perspective politique bien déterminée. On le sait, en 1804, les États unis sont en train de se constituer comme un État fédéral. On sait aussi que tous les petits États ne voulaient pas de cette fédération. Et lorsqu’ils souhaitaient l’avoir, beaucoup de problèmes devaient être réglés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le président des États unis est élu au suffrage universel indirect. Parce qu’il fallait mettre entre l’électeur et le président de la République une instance appelée les grands Électeurs dont le rôle devait être de s’assurer que le futur président est fédéraliste, comme on se disait à l’époque, autrement dit il fallait s’assurer que celui-ci ne viendra pas détruire le système mis en place par les pères fondateurs et consigné dans la constitution du 13 septembre 1787. Parmi le train de mesures exigées par le besoin de protéger la fédération américaine figurait le contrôle de la constitutionnalité des lois parce qu’exercée par la Cour suprême américaine, la Cour suprême centrale et même les autres juridictions inférieures, elle devait s’assurer que toutes les lois respectaient le principe de l’unité de l’ordre juridique, c’est-à-dire que toutes les constitutions, toutes les lois des États fédérés respectaient la constitution de l’État fédéral.
C’est donc une idée politique qui se trouve à la base de la création de ce qui sera la fonction principale de la Cour suprême, à savoir le contrôle de la constitutionnalité, des lois, c’est-à-dire la vérification de la conformité des lois à la constitution. C’est un système diffus parce que tous les tribunaux peuvent le faire. La vérification se fait a posteriori parce que même les lois promulguées pouvaient faire l’objet d’un contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois.
Mais, ce cas est l’ancêtre lointain du Conseil constitutionnel parce qu’en Autriche, naîtra Hans Kelsen qui critiquera le système américain de contrôle de constitutionnalité des lois. Il développera des théories, dont la théorie de la formation du droit par degré, à partir de la hiérarchie des normes juridiques. Il aboutira à l’idée selon laquelle le contrôle de constitutionnalité des lois ne peut être fait que par un organe que l’on appelait la Cour constitutionnelle d’Autriche. Hans Kelsen en était devenu le premier président. On lui a dit, « c’est vous qui aviez eu l’idée, allez donc l’appliquer ». Malheureusement, il n’a pu l’appliquer. Il a dû démissionner par la suite parce que les réalités politiques jurent souvent avec les réalités intellectuelles. Compte tenu de la proximité intellectuelle qu’il y avait entre les positivistes autrichiens et les positivistes allemands au premier rang desquels se situe à cette époque (Paul Lamarque) (époque de Bismarck). Ce positivisme autrichien a atteint l’Allemagne. Et lorsque l’Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale, décide de mettre en place un État de droit, elle a compris qu’il n’y a pas un État de droit possible sans Conseil constitutionnel. Il convient de souligner que le mot État de droit est d’origine allemande. À l’origine on parlait de Reichstag. Cela peut se comprendre compte tenu des atrocités que l’Allemagne avait connues avant, pendant et après les deux précédentes guerres. C’est pourquoi ils se sont dit: plus jamais ça. Le remède de toutes ces atrocités est l’institution d’un État de droit. Et parmi les institutions chargées de garantir l’existence d’un État de droit, il y a le Conseil constitutionnel.
C’est comme cela que le mouvement a évolué. L’Italie a suivi. L’Espagne suivra en 1974. Ces pays sont les plus avancés en la matière.
La France qui est notre inspirateur direct en ce qui concerne le Conseil constitutionnel avait longtemps tergiversé. Le contrôle de la constitutionnalité des lois se posait déjà depuis la Révolution de 1789. C’était un contrôle que personne n’en voulait. On discutait de la légitimité des personnes chargées de faire ce contrôle. Et puis, c’était le règne de la loi. Tout le monde, avec en tête Jean-Jacques Rousseau qui disait que la loi est l’expression de la volonté générale, se demandait si on peut remettre en cause la volonté générale alors que par principe la loi est incontestable, irréprochable et inattaquable. La question a été longtemps discutée. C’est d’ailleurs l’une des origines du sénat. Sous Napoléon (le Premier Empire), la chambre haute était appelée le Sénat conservateur. Même sous le second empire, on l’appelait le Sénat conservateur, parce que l’une des fonctions premières du Sénat était justement de conserver la constitution, de faire en sorte qu’elle ne soit pas violée.
Effectivement, la France a créé sous la IVe République, le Comité constitutionnel qui est en fait un ancêtre lointain (au plan fonctionnel et idéologique), mais ancêtre immédiat au plan chronologique du Cour constitutionnel. Et précisément, le 14 octobre 1958, la constitution française crée un Conseil constitutionnel non pas avec les fonctions qu’on lui reconnaît aujourd’hui, mais plutôt comme instrument pour museler le Parlement. C’est ce que l’on oublie souvent, que le Conseil constitutionnel est un instrument de respect du parlementarisme rationalisé, d’affaiblissement du Parlement et de restauration de l’autorité du président de la République. Ce qui fait qu’aujourd’hui, l’on peut dire que cet instrument était chargé initialement de protéger le président de la République, de Gaulle, et d’ailleurs la composition du tout premier Conseil constitutionnel en dit long sur les fonctions politiques qui lui étaient assignées. De Gaulle avait ses amis politiques qu’il ne pouvait caser nulle part. Il y a mis tous les ambassadeurs vieillots qui ne pouvaient plus rien faire, faisant du Conseil constitutionnel une maison de retraite jusqu’à ce que les Conseillers se rebellent.
Souvenons-nous de la décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association lorsque le Conseil constitutionnel exige que le pouvoir exécutif respecte la constitution, proclamant ainsi que son rôle est de faire respecter la constitution par tous les pouvoirs exécutif et législatif. Quelques années plus tard, en 1985, avec l’arrêt sur La Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel opère une sorte de révolution au plan juridique, parce que jusqu’à cette date la France vivait sous le règne de la souveraineté de la loi. Comme je viens de le mentionner, des dogmes avaient été enseignés aux Français qui affirmaient toujours que la loi est l’expression de la volonté générale, qu’elle est inattaquable et incontestable. Les députés ne peuvent rien faire de mauvais. Tout ce qu’ils font en tant que représentants du peuple est bon parce que le peuple ne peut pas se faire mal.
Le Conseil constitutionnel transformera la phrase de Rousseau que nous connaissons tous et selon laquelle la loi est l’expression de la volonté générale. Dans son arrêt du 23 août 1985, il dira que la loi n’est l’expression de la volonté générale que dans le respect de la Constitution. C’est cette révolution juridique qui fondera en théorie et en droit le contrôle de la constitutionnalité des lois comme instrument de soumission des gouvernants à la constitution. Au point qu’aujourd’hui, parler de constitution sans le Conseil constitutionnel est quelque peu une hérésie.
Souvenons-nous de cette belle phrase de Dominique Rousseau qui dit que « depuis la décision de 1985, le texte constitutionnel n’est qu’un ensemble de signes auxquels le juge constitutionnel donne un sens ». Cela signifie que sans décision du Conseil constitutionnel, sans jurisprudence constitutionnelle, le texte constitutionnel ne sert à rien, il n’est qu’un chiffon de papier. Car le garant de l’application de la constitution est le Conseil constitutionnel.
En clair, s’il faut rester dans cette logique, et je ne suis loin de le penser, nous n’avons pas de constitution. Jusqu’à présent, il lui manque un élément fondamental qui est le protecteur de la constitution. Une constitution sans protecteur n’existe pas, car elle peut être violée allègrement. Vous comprenez, je le répète, que le rôle, la fonction première du Conseil constitutionnel est de protéger l’intégrité de la Constitution. Mais son rôle va au-delà, car derrière la protection de l’intégrité de la constitution c’est finalement tout le jeu politique de l’État qui doit être régulé.
Je prends l’exemple malgache avec les présidents Albert Zafy et Didier Ratsiraka. En 1993, Albert Zafy remplace Didier Ratsiraka. Mais, il est un roi fainéant qui ne respecte pas la constitution, ne promulgue pas les lois dans les délais prescrits par celle-ci, etc. Un bras de fer s’engage entre lui et le pouvoir législatif. Face à un président si peu respectueux de la constitution, le président de l’Assemblée nationale prend ses responsabilités et saisit le Conseil constitutionnel qui destitue le président Albert Zafy le 5 septembre 1996, après l’adoption d’une motion d’empêchement par l’Assemblée nationale. L’empêchement définitif est le mot intelligent et savant, un euphémisme pour signifier que le président est révoqué. Une autre élection a été organisée à laquelle prenaient part le président déchu et son rival Didier Ratsiraka qui, élu, revient au pouvoir, à la tête de l’État malgache.
Toutes ces dispositions existent dans notre loi constitutionnelle. Vous comprenez quelle est l’importance du Conseil constitutionnel. Celui-ci est pour ainsi dire un instrument de protection de la liberté individuelle, car il empêche que le législateur, mû par des préoccupations de politique politicienne, ne viole la constitution ou ne viole les droits et libertés individuelles. Il est non seulement le protecteur des droits et libertés individuelles, mais il est également le régulateur de la vie politique. Cela s’observe à travers ses compétences en matière électorale, même si de ce point de vue j’ai toujours pensé, je peux me tromper - que Elections Cameroon (Elecam) est inconstitutionnel. Pour la simple raison que je me pose la question de savoir si on devait créer une structure dont les membres sont nommés par le président de la République. Pour moi, la réponse est négative. Notre constitution est claire : le Conseil constitutionnel veille sur la régularité des élections. Une autre disposition indique qu’il proclame les résultats des élections législative et présidentielle. Il a donc en matière électorale deux fonctions : la fonction de la proclamation et celle de la veille sur la régularité. Sur cette dernière fonction, la veille est préventive et curative. Elle est préventive dans la mesure où il s’agit de faire en sorte qu’il n’y ait pas de dysfonctionnements dans le processus et le système électoral. Et si telle est la fonction d’Elecam, alors on note qu’il y a empiétement de la loi portant création de Elecam sur la constitution. Nous sommes ici dans un cas de violation matérielle et même procédurale de la constitution. Mais, passons.
Envisageons la chose d’une autre manière, en France le député André Laignel disait à ces collègues députés à l’Assemblée nationale : « vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire ». En clair le Conseil constitutionnel a une autre fonction aujourd’hui : c’est un correctif aux défauts de la démocratie majoritaire qui a aussi ses vertus. Le Conseil constitutionnel fait en sorte que la majorité n’écrase pas la minorité parce qu’il n’est pas évident que la majorité ait toujours raison.
C’est la raison pour laquelle depuis la création du Conseil constitutionnel, le sens et le contenu de la démocratie ont évolué. De nos jours, on ne parle plus de démocratie majoritaire, mais plutôt de la démocratie constitutionnelle, c’est-à-dire celle qui allie les exigences de la majorité aux exigences de protection de l’État de droit par la constitution.
Et tous les problèmes que nous avons au Cameroun sont liés au fait que nous n’avons pas un conseil constitutionnel. Je nuance mes propos, l’organe n’existe pas, mais la fonction est remplie à travers la chambre constitutionnelle de la Cour suprême. Parce que cette chambre constitutionnelle ne joue pas réellement son rôle, nous nous retrouvons dans une situation où l’organe qui devait assurer l’existence d’une démocratie constitutionnelle et réguler la démocratie n’existe pas. La démocratie est donc orpheline d’un organe de régulation. D’où les excès et les violations que nous observons
C’est peut-être la raison pour laquelle la mise en place du Conseil constitutionnel met du temps. Le droit n’est pas qu’une superstructure. C’est le discours du pouvoir. Le droit c’est aussi ce que le pouvoir veut qu’il soit. C'est ce qui s’observe partout dans le monde. Nous ne ferons pas violence à un pouvoir de vouloir faire ce qu’il fait. C’est normal qu’un pouvoir veuille se maintenir et se perpétuer. C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel n’est pas mis en place. Je l’avais écrit. J’avais dit depuis 1996 « ce conseil, attendons de voir si un jour on le mettra en place ». Et [20] ans après j’ai le regret de constater que j’avais raison. Pourquoi ? Parce que tout le monde sait quelle est la place du Conseil constitutionnel dans un État aujourd’hui.
Une précision importante : dans tous les pays du monde, la mise en place des institutions rencontre des difficultés. D’ailleurs, en droit il est admis qu’aucune constitution ne peut être mise en place en bloc, d’un seul coup. Il faut toujours du temps. Mais la question demeure : combien de temps ? C’est pourquoi deux techniques sont utilisées pour la mise en place des institutions prévues par la constitution. Soit on donne tous les pouvoirs au président de la République afin qu’il légifère par voie d’ordonnance - cette technique avait été utilisée en France en 1958, au Cameroun en 1960, 1961 et en 1972, mais curieusement abandonnée en 1996 pour une politique de progressivité (c’est-à-dire que les institutions sont mises en place progressivement, mais en attendant les anciennes continuent de fonctionner). Si on reste dans cette logique, cela signifie qu’elle est organisée. Le problème se pose à partir du moment où on dit que l’on mettra en place progressivement sans limiter dans le temps, sans indiquer les délais donc dispose les pouvoirs publics pour mettre en place les institutions contenues dans la constitution.
Le président de la République est constitutionnellement chargé de veiller au respect de la constitution. Lorsqu’en plus on lui donne la mission de mettre en place les institutions prévues par la constitution, cela suscite deux réflexions : d’abord il est quelque peu contradictoire de donner à celui qui est chargé de veiller au respect de la constitution, le pouvoir de mettre en place les institutions prévues par la constitution. ; ensuite à partir du moment où c’est le président de la République, clé de voûte du système qui est chargé de la mise en place des institutions et que par ailleurs, [20] ans après, ces institutions ne sont pas mises en place, n’y a-il pas responsabilité du président de la République ? Une responsabilité politique, sans doute, mais également une responsabilité juridique. Le retard de la mise en place n’est pas le problème. Le problème ici est celui du temps mis pour mettre en place cette institution importante. Je prends quelques exemples. Le conseil constitutionnel italien a été mis en place après 9 ans, celui de l’Allemagne après 6 ans, celui de l’Espagne 11 ans parce que l’Espagne sortait de la dictature franquiste. Mais le problème est qu’ici au Cameroun, nous n’avons pas les circonstances qui justifiaient qu’ailleurs la mise en place des institutions soit retardée. C’est qui est observable, c’est la sérénité. On nous dit que nous n’avons pas de problèmes au Cameroun. Mais nous nous interrogeons ; « si ça va bien pourquoi le Conseil constitutionnel n’est pas mis en place ? Pourquoi les régions ne sont pas mises en place ? etc. »
La mise en place du Conseil constitutionnel est politique. Pourquoi est-elle politique ? Pour comprendre pourquoi elle est politique, il convient de se poser la question de savoir quel est le rôle du Conseil constitutionnel dans la démocratie camerounaise et celle de savoir ce qu’il va apporter à la démocratie camerounaise. Les deux questions sont liées.
Lorsque j’observe le fonctionnement des pouvoirs publics, je me dis que c’est bizarre de fonctionner comme si le Conseil constitutionnel pouvait changer quelque chose alors que toutes les dispositions juridiques ont été mises en place pour qu’il ne change rien. Je suis de ceux qui pensent que le Conseil constitutionnel n’apportera rien de nouveau dans l’environnement juridique actuel.
Je vous prends deux exemples. 1) Le Conseil constitutionnel peut être saisi par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, un tiers des députés, un tiers des sénateurs, le président des exécutifs régionaux lorsque les intérêts de leur région sont en cause. En l’état actuel de l’Assemblée nationale, 1/3 des députés équivaut à 60 députés. Or, ce ne sont pas les députés de la majorité liés par la discipline du parti qui saisissent le Conseil constitutionnel. Dans tous les pays du monde, ce sont des députés de l’opposition. À l’Assemblée nationale le nombre de députés de l’opposition n’atteint pas 40, ils sont précisément 32. Il en est de même au Senat ou leur nombre n’atteint pas le 1/3 des sénateurs, c’est-à-dire 33 sénateurs. Conclusion, il n’y aura aucune saisine du Conseil constitutionnel. Ces chiffres sont tels qu’ils ne peuvent même pas saisir la chambre constitutionnelle de la Cour suprême. Pourquoi donc mettre en place le Conseil constitutionnel dans un tel environnement que nous connaissons aujourd’hui ?
En plus, lors de la validation des mandats des députés, la chambre constitutionnelle avait été saisie. Celle-ci avait annulé certaines dispositions du règlement intérieur relatives à la validation des mandats des députés. Le lendemain de l’annulation par la chambre constitutionnelle, le président de la République l’avait promulgué. Or, selon les textes, le président de la République ne peut pas promulguer une loi qui a été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel. En d’autres termes, c’est seulement après avoir corrigé l’inconstitutionnalité que l’on peut promulguer la loi. La promulgation rend la loi immédiatement applicable et la sort du champ de compétence du Conseil constitutionnel. Nous avons adopté le système du contrôle a priori de la constitutionnalité des lois, c’est-à-dire que la constitutionnalité de la loi ne peut être contrôlée que lorsqu’elle n’est pas encore promulguée, autrement dit, entre le vote au Parlement et la promulgation. Ce système de contrôle a priori fait en sorte que toutes les lois même anciennes qui avaient été promulguées ne peuvent plus être contrôlées, même si elles sont illégales. Sur ce point, le Cameroun est en arrière, parce qu’ayant suivi mécaniquement la France qui avait elle aussi adopté le système de contrôle a priori, mais qui est en train d’adopter ce que l’on appelle l’exception d’inconstitutionnalité qui permet que des lois déjà promulguées fassent l’objet d’un contrôle de constitutionnalité. Un peu comme cela se passe en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Gabon, au Benin. Le dénominateur commun de tous ces pays occidentaux cités, que ce soit l’Allemagne ou l’Espagne est que ce sont des pays qui sortaient des dictatures. L’exception de constitutionnalité des lois avait pour but d’effacer toutes celles qui étaient liberticides et qui avaient été votées soit pendant la dictature franquiste, soit pendant la dictature hitlérienne, etc. À partir du moment où on n’adopte un contrôle de la constitutionnalité des lois par voie d’exception, on est en train de dire « les nouvelles peuvent toujours être contrôlées, mais les anciennes, même si elles sont liberticides demeurent ». C’est là tout le problème du constitutionnalisme camerounais.
Si on ajoute à cela le fait que la durée du mandat des conseillers est de six (6) ans éventuellement renouvelables, on est en droit de questionner l’indépendance du Conseil constitutionnel. En ajoutant l’expression « éventuellement renouvelable», c’était comme pour dire ceci aux conseillers: « là vous êtes, vous avez des salaires mirobolants, mais si vous voulez y rester, vous me devez allégeance parce que je peux éventuellement proroger, renouveler votre mandat ». C’est bien une technique de capture, c’est-à-dire pour les maintenir en captivité.
Vous comprenez mesdames et messieurs que le Conseil constitutionnel en tant que juridiction ne peut véritablement s’épanouir que si elle est mise en mouvement. À partir de moment où les personnes susceptibles de mettre cette machine en mouvement n’ont plus la possibilité de le faire, alors pour moi, je ne fonde pas beaucoup d’espoir sur ce Conseil constitutionnel. Dans la configuration actuelle, il aurait dû changer beaucoup de chose, mais il ne changera rien. Puisque de toute façon une question reste brulante, celle de savoir ce que va servir le Conseil constitutionnel. Et c’est là la problématique de notre environnement juridique, de notre système constitutionnel, mais surtout la problématique de notre démocratie. Tant qu’une réponse ne sera pas donnée à cette question, ce sera le statu quo.