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Dégage! - Page 10

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Index de l'article
Dégage!
Le Renouveau atteint de cécité stratégique
Mensonges explosifs
Paul Biya : l’immobile à grand pas vers l’émergence
Hôpitaux : des mouroirs du Renouveau
Paul Biya, le président du verbe
Paul Biya ou le degré zéro de la communication
Paul Biya, un jouisseur impénitent
Insécurité : le lourd passif du Renouveau
Un destin si funeste
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Un destin si funeste

1- Ceux qui nous gouvernent ont posé comme intangible la résolution suivante : ne montrer aucun signe de faiblesse. Ils l’ont tenue et appliquée, en l’interprétant ainsi : il ne faut faire aucune concession, sinon pour la forme, en la vidant de tout contenu ou à titre de ruse et de diversion avant d’user de la force. Jamais, aucun membre de ce régime n’a reconnu d’erreur sinon en termes généraux et abstraits du genre : « nul n’est parfait », « toute œuvre humaine est perfectible ». Tripartite, législative, présidentielle ont été menées quand et comme ils l’ont entendu. Il n’est pas douteux qu’ils continuent de la sorte.
2- Ils ont posé que le pouvoir d’État consistait dans le monopole de la violence et des ressources financières nationales. Gouverner, en ce cas, ne consiste pas à prévoir, à permettre à une communauté historique donnée de prendre les décisions et d’entreprendre les actions qui assurent la survie et la vie bonne à l’encontre des forces de la nature et des ennemis du dedans et du dehors. User de ses capacités d’intimider, d’emprisonner, de tuer, ne devient acte de gouvernement que si cela est reconnu comme partie du contrat immémorial qui lie l’homme à l’institution politique, où l’on donne contre la protection et la confiance. Mais, quand l’État est devenu le plus grand agent provocateur d’insécurité, quand l’entretien de celle-ci est un moyen ordinaire de régner, il n’y a plus d’État.
Il en va de même des ressources et des avantages sociaux. On en a conçu l’usage de la façon suivante : les donner à ses amis, frères et alliés pour s’assurer leur attachement ; pour constituer avec eux ceux qui peuvent réduire les autres à être leurs clients ou leurs dépendants ; enfin pour avoir avec eux les moyens de repousser toute tentative de porter atteinte aux privilèges acquis, soit en réprimant, soit en corrompant. Or, la juste répartition des biens matériels et moraux est constitutive de la société politique et c’est d’y veiller et d’y pourvoir qui justifie l’exercice du pouvoir. Citons les deux principes de la justice qu’on ne peut négliger structurellement ou constamment sans renoncer à la prétention d’être un État, et surtout un État moderne, sans perdre toute légitimité : « En premier lieu : chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base légale pour tous, qui soit compatible avec le même système pour les autres. En second lieu : Les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, (a) l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun et (b) qu’elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous ».
3- La troisième maxime du pouvoir établi est que la domination des hommes, par la répression, le mensonge, leur mise au pas, est la condition nécessaire et suffisante pour le redressement économique. D’abord la politique (tranquillité de l’«ordre ») et les investissements, les affaires, les aides, suivent nécessairement. Une telle option signe l’exclusion de notre État de la modernité, de sa rationalité, du principe d’efficacité. On ignore que c’est la recherche de la production et de la productivité qui exige la liberté des individus, l’égalité devant la loi et la participation juste aux biens sociaux. Les Droits de l’Homme, les droits civiques, ne sont pas un luxe. Ils sont une condition de survie de l’État moderne et de ses citoyens. Ils sont devenus une « nécessité technique ». C’est elle qui exclut les considérations tribales, religieuses, les différences de statut, les vaches sacrées de toutes sortes « l’Etat qui veut rester moderne sur le plan du travail social parce qu’il veut être capable de résister à la concurrence, à la pression et, le cas échéant, à la violence et autres, n’a pas la possibilité de renoncer à ce qui fonde ce travail moderne.
Or, il ne peut y avoir de travail universel là où interviennent des considérations autres que celles de l’efficacité, où donc un certain pourcentage des forces humaines disponibles (intellectuelles et physiques) est laissé en dehors du jeu et n’est pas recruté pour la lutte avec la nature extérieure. L’industrie moderne, non par conviction morale mais par nécessité technique, a poussé l’abrogation de toutes les formes d’esclavage ; l’organisation sociale a tout fait pour supprimer les différences de statut personnels ; la forme même du travail a exigé que la loi fût rationnelle (cohérente et ainsi calculable dans ses effets) et que, au lieu des sentiments, des vues et des convictions d’une personnalité sage, juste, divine, les règles de formalisme juridique fondent les jugements ». Il faut y insister : les idéaux de liberté, d’égalité s’alimentent aux sources « ethico-mythiques » de l’Occident gréco-romain et judéo-chrétien, mais leur mise en œuvre effective est requise par la structure économique des sociétés d’accumulation capitaliste, de science appliquée à la production et à la productivité. C’est cette société-là, du travail et du progrès, qui chante la grandeur et la splendeur des Droits de l’Homme et qui va en croisade en leur nom. Pour elle, l’égalité veut d’abord dire que l’industrie, la croissance, la production ainsi que la compétition demandent « l’emploi de toutes les forces disponibles, le formalisme juridique, c’est-à-dire, la possibilité de tous les différends pouvant survenir entre ceux qui jouent les rôles sociaux.»
Fabien Eboussi Boulaga
Source : Lignes de résistance, Yaoundé, Clé, 1999, pp. 59-61.