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Le Cameroun à l'épreuve de Boko Haram : la démocratie, la paix et la stabilité peuvent-elles être hypothéquées ?

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alt« Ce n’est pas le Boko Haram qui va dépasser le Cameroun. Nous continuons le combat et nous les vaincrons. », Paul Biya, 02 août 2014.

A l’occasion de la 36e édition de La Grande Palabre, le groupe Samory éditeur de Germinal et ses partenaires (Harmattan Cameroon, La Fondation Gabriel Péri, Dynamique citoyenne, le quotidien Le Messager, Radio Cheikh Anta Diop, Addec et Human Rights Initiatives (HRI)) invitent le public à prendre part à une réflexion (Conférence-débat) qu’ils organisent ce jeudi 28 août 2014 à l’hôtel Franco, sis au quartier Longkak, en face du collège Matamfen, à 14 heures.

Thème de la discussion
Le Cameroun à l'épreuve de Boko Haram : la démocratie, la paix et la stabilité peuvent-elles être hypothéquées ?

Contexte
Incontestablement, la secte islamiste armée dénommée Boko Haram est un défi à l’unité, à la paix et la stabilité au Cameroun.

Ses faits d’armes sont, à eux seuls, édifiants. Pour preuve, le premier enlèvement de ressortissants occidentaux qu’elle revendique a lieu le 19 février 2013. Ce jour-là une famille française est enlevée au parc national de Waza dans le nord du Cameroun. Elle est ensuite conduite au Nigeria. Les otages sont : Tanguy Moulin-Fournier, 40 ans, cadre de GDF Suez, son épouse Albane, 40 ans, leurs quatre fils âgés de 5 à 12 ans et, Cyril, le frère de Tanguy. L'enlèvement est revendiqué dans une vidéo publiée le 25 février 2014. Les islamistes réclament alors la libération de combattants, de femmes et d'enfants détenus par le Nigeria et le Cameroun. Le 21 mars, elle rend publique une seconde vidéo dans laquelle Abubakar Shekau, le chef de ce mouvement déclare : « Nous sommes fiers d'affirmer que nous retenons les sept otages français. Nous les retenons parce que les autorités nigérianes et camerounaises ont arrêté des membres de nos familles, qu'ils les brutalisent et que nous ne savons rien de leurs conditions d'emprisonnement. Nous affirmons au monde que nous ne libérerons pas les otages français tant que nos familles sont emprisonnées. La force ne servira pas à les libérer, nous sommes prêts à nous défendre avec force ». Les négociations s’engagent essentiellement entre la secte et le gouvernement camerounais. La famille est libérée le 19 avril 2013, lors d'un échange de prisonniers. Selon certaines sources dont L’œil du Sahel et iTélé (qui cite des sources opérationnelles locales), sept millions de dollars auraient été versés pour la libération des otages. Ils auraient pu être versés directement sur les fonds du président Paul Biya ou par le groupe GDF-Suez. Cette information est cependant démentie par le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault.
Par la suite, dans la nuit du 13 au 14 novembre 2013, la secte islamiste récidive. Georges Vandenbeusch, un prêtre catholique français de 42 ans, est enlevé à Nguetchewé, au nord du Cameroun. Il est libéré le 31 décembre 2013. Boko haram déclare alors à l'AFP n'avoir reçu aucune rançon et affirme que : « La direction a décidé de libérer le prêtre par compassion. Le prêtre a offert ses services médicaux à des membres [du groupe] malades pendant sa période de captivité. La direction a senti qu'il n'y avait plus besoin de le garder. » Cette version ne convainc pas grand monde. D’ailleurs, ces propos sont contestés par Georges Vandenbeusch qui déclare : « Je ne suis ni infirmier ni médecin. S'ils m'avaient amené quelqu'un à soigner avec une hémorragie, j'aurais fait ce que je pouvais, mais ils ne l'ont pas fait. Ils n'ont de compassion pour personne ».
Dans la nuit du 4 au 5 avril 2014, à Tchère, à environ 20 kilomètres de Maroua, située à l'extrême nord du Cameroun, deux prêtres italiens, Giampaolo Marta et Gianantonio Allegri, et une religieuse canadienne, Gilberte Bussière, sont enlevés par des hommes armés. La secte Boko Haram est soupçonnée mais ne revendique pas l'enlèvement (d’aucuns soutiennent, à cette occasion, la thèse de l’existence d’une branche camerounaise autonome de la secte islamique se traduisant par un embryon de rébellion armée). Les trois religieux sont finalement relâchés dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2014.
La nuit du 16 au 17 mai 2014, des islamistes transportés par cinq véhicules attaquent un camp de travailleurs du secteur routier, près de Waza, au nord du Cameroun. Un civil chinois est tué, et 10 autres sont enlevés par les assaillants. La secte islamique n’a jamais revendiqué cette attaque.
Depuis lors, les attaques attribuées à la secte islamique sont montées en puissance tout en prenant une tournure clairement militaire. Même les membres du gouvernement camerounais ne sont pas épargnés, comme l’atteste l’attaque opérée à Kolofata en territoire camerounais.
À la suite de cet évènement, presque à la volée, après avoir évoqué le voyage qu’il entreprenait pour les États-Unis d’Amérique, que Paul Biya parle de la situation sécuritaire à l’extrême nord du pays. C’était la deuxième fois que le chef de l’État s’exprime en public sur ce qu’il appelle « le Boko Haram ». La première fois, c’était à Paris, lors du sommet de l’Élysée convoqué par François Hollande, tenu le 17 mai 2014. Paul Biya avait d’ailleurs  déclaré qu’ils étaient là : «pour déclarer la guerre à Boko Haram », tout en mentionnant le caractère sournois de la secte.
Au terme de cette rencontre, un plan pour combattre cette entreprise djihadiste de la terreur avait été arrêté et l’on a pu noter au niveau du Cameroun un déploiement des forces de défense et sécurité sur le terrain. Paul Biya l’a rappelé à l’occasion de sa seconde prise de parole sur ce sujet : « Il vous souvient qu'il y a quelques semaines, nos forces ont marqué des points importants contre le Boko Haram. Mais c'est une lutte longue, on a affaire à un ennemi pervers, sans foi ni loi, qui attaque la nuit, qui égorge, et qui a évidemment fait des exactions à Kolofata et à Hile-Halifa ».
Pratiquement au lendemain de l’attaque, le chef de l’État signait deux décrets relevant le colonel Gédéon Yossa, commandant de la légion de gendarmerie du Nord, et le lieutenant-colonel Justin Ngonga, commandant du 34ème bataillon d’infanterie motorisé. Mais, dans sa réponse à la question sur la situation dans l’Extrême-Nord, le chef de l’État avait surtout parlé de la suite de la bataille qu’il envisage au Cameroun, mais également à l’extérieur. Il avait parlé notamment d’une stratégie régionale dont il pourrait discuter aux États-Unis avec les présidents Obama, Goodluck, Déby et Yayi Boni. « Alors, ce que je peux dire, c'est que les Camerounais doivent garder confiance. Le chef d'État-Major, je l'ai envoyé là-bas pour réorganiser notre dispositif ; j'ai envoyé des secours, des renforts en hommes et en matériels. Je ne peux pas en dire plus. Nous avons renforcé notre potentiel et je crois que les jours à venir montreront que nos efforts pour organiser une riposte et une défense de notre territoire sont efficaces », dit-il pour ce qui est des mesures en interne.
Seulement, les propos de Paul Biya sur la menace qui pèse sur le Cameroun intriguent plus d’un observateur. Parlant des actions engagées contre Boko Haram, Paul Biya, piètre communicateur, par maladresse, les compare à d’autres épreuves difficiles traversées par le Cameroun. Le chef de l’État déclare : « Pour tous les Camerounais, je dis ceci : dans la vie d’une nation, il y a des moments difficiles. À ces moments-là, il faut faire preuve de courage, de solidarité et de patriotisme. Pour ce cas précis, je dis que le Cameroun a eu à traverser d’autres épreuves. On a eu à lutter contre ce même Nigeria pour Bakassi et avant, on a éradiqué les maquis (des mouvements révolutionnaires), on est venu à bout des villes mortes ; ce n’est pas le Boko Haram qui va dépasser le Cameroun. »
Or, les exemples qu’il convoque au soutien de sa thèse laissent perplexe. Quelle comparaison peut-on en effet faire entre le conflit de la péninsule de Bakassi, le maquis au Cameroun ou encore les villes mortes? Cette sortie de Paul Biya ouvre la voie à de multiples interprétations. D’aucuns y décèlent des non-dits significatifs et n’hésitent pas à penser qu’en réalité cette guerre est menée par des Camerounais opposés au régime en place à Yaoundé et ayant pris le masque de Boko Haram.
De plus l’assimilation de Boko Haram au Nigeria laisse perplexe. Car, si pour Bakassi le Cameroun était opposé à l’État nigérian et à son armée, ce n’est pas le cas cette fois-ci puisque Boko Haram est également un ennemi déclaré du gouvernement fédéral du Nigeria. D’où le risque que les autorités nigérianes, qui doivent s’accorder avec celles du Cameroun pour combattre le même ennemi, prennent mal cette allusion inopportune.
À l’évidence, si on s’en tient aux actes posés ces derniers temps par le chef de l’État tels que l’avènement des quatrièmes régions militaires et de gendarmerie ( Décret N°2014/308 du 14 août 2014 portant modification du décret n°2001/180 du 25 juillet 2001 portant réorganisation du commandement militaire territorial ; Décret n°2014/309 du 14 août 2014 portant modification du décret n°2001/181 du 25 juillet 2001 portant organisation de la gendarmerie nationale) et la nomination des responsables à la tête desdites régions (Décret N° 2014/314 du 14 août 2014 et Décret N° 2014/311 du 14 août 2014, portant nomination de responsables au ministère de la Défense), on peut dire qu’il a pris la mesure du péril islamiste qui menace la sureté de l’État, la sécurité des Camerounais et qu’il est déterminé à relever cet autre défi.
Seulement, ce challenge ne sera relevé que si les dirigeants camerounais prennent conscience de la nécessité d’élaborer et de définir un cadrage stratégique fondé sur l’analyse systémique et systématique de la situation préoccupante qui ne laisse aucun Camerounais indifférent.
Manifestement, le Cameroun est à l’épreuve de la secte islamo-terroriste Boko Haram qui, à travers un « business lucratif », les enlèvements des otages occidentaux et les demandes des rançons, a amassé un impressionnant trésor de guerre, estimé 125 millions de dollars (New York Times).
Le durcissement et la radicalisation de la subversion terroriste ne laissent plus place à la placidité, à l’indolence et à la passivité. On ne saurait aussi occulter le fait que Boko Haram est une sorte de pain béni pour la survie de régime de Paul Biya et la prolongation du bail de certains ministres à la mangeoire. En focalisant tous les discours sur la lutte contre la secte islamo-terroriste et en invitant les Camerounais à une union sacrée derrière les forces de défense et de sécurité, Paul Biya et ses partisans enferment leurs adversaires politiques dans le piège de l’antipatriotisme, ce qui a pour objectif de reléguer au second plan les autres problèmes sociaux embarrassants qu’ils souhaitent éluder. Le chorus d’indignation, autrement dit la convergence d'opinion dans la réprobation et dans le soutien au chef des armées, prouve que la stratégie adoptée par le régime est payante.
Les différentes postures de Paul Biya suscitent pourtant un questionnement. La secte islamique Boko Haram est-elle une chance pour le régime de Paul Biya ? Comment comprendre sa présence au Cameroun : insurrection armée, crise socio-économique ou dynamique de déterritorialisation. Comment éviter les dérapages ou abus des forces de défense et de sécurité qui, au nom de la lutte contre Boko Haram, peuvent tout se permettre ?  Au regard de la situation sur le terrain, peut-on inférer que la démocratie, la paix et la stabilité sont hypothéquées au Cameroun? Les panélistes conviés à cette session de La Grande Palabre répondront à cette question centrale.

Les axes de la discussion
1- Lecture politico-stratégique de la menace Boko Haram sur le Cameroun, Mathias Éric Owona Nguini, socio-politiste.
2- Le système camerounais de défense et de sécurité face au défi terroriste posé par Boko Haram, Denis Nkwebo, Journaliste, Le Jour,
3- L'intelligence et le renseignement dans la lutte contre la menace asymétrique Boko Haram, Guibaï Gatama, journaliste, directeur de publication de L’œil du Sahel
4- Boko Haram au Cameroun : insurrection armée, crise socio-économique ou dynamique de déterritorialisation ? Njoya Moussa, doctorant en Science politique, Soa
5- La doctrine politico-religieuse du djihad chez Boko Haram, Cabral Libii, doctorant de droit international/Chercheur, Université de Yaoundé II, Soa

Modérateurs
Jean-Bosco Talla, Journaliste, Point focal de La Grande Palabre
Francis Mbagna, Journaliste, Chargé de programme, Forum Cameroun
En direct sur les ondes de Radio Cheikh Anta Diop, FM 101.1