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Société Problématique de l’hymne nationale : cabale autour d’une traduction

Problématique de l’hymne nationale : cabale autour d’une traduction

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Il m’a été demandé de donner mon opinion sur la grande polémique qui a cours en ce moment au sujet de notre hymne national, plus précisément de la traduction qui en a été faite, et dont le Dr Thomas Théophile Nug Bissohong est le porte-parole. En effet, il soutient que :
- les deux versions existantes de notre hymne national adoptées officiellement avec 21 ans   d’intervalle ont un contenu remarquablement  différent et ne véhiculent pas les mêmes valeurs ;
- Que l’hymne en anglais « écrit » par Bernard Fonlon au moment de la Réunification en 1961 n’a en commun avec la version française que le seul premier vers qui sert de titre aux deux ;
Dans les lignes qui suivent, je m’évertuerai à démontrer que le Cameroun n’a qu’un seul hymne qui a été traduit en anglais et que par conséquent les deux versions n’ont pas seulement en commun le seul premier vers qui leur sert de titre. Ensuite je démontrerai que la copie remise par le Dr Fonlon n’est pas un palimpseste, c’est-à-dire un parchemin manuscrit dont il aurait effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte qui n’a rien à voir avec celui qui s’y trouvait à l’origine. Enfin, je démontrerai que non seulement il n’a produit qu’une traduction, mais que cette traduction a été exécutée dans le respect strict des canons du métier. Je me réfèrerai régulièrement à l’interview que le Dr. Thomas Théophile Nug Bissohong a donnée dans l’Effort et qui est intitulée « Les paroles d’un hymne national sont quasi-sacrées » parce qu’il s’agit d’un document écrit par un intellectuel à la réputation avérée. On ne m’accusera donc pas de répondre aux rumeurs.

I.  Le Cameroun ne dispose que d’un seul hymne qui a été traduit en anglais et les deux versions n’ont pas seulement un seul vers en commun, mais presque tout !
Pour commencer, j’aimerais répondre au Dr. Bissohong qu’autant je suis d’accord avec lui « que les paroles d’un hymne national sont quasi-sacrées » autant je lui rappelle que les paroles ne se réduisent pas à la juxtaposition linéaire des mots, la traduction étant avant tout une opération de communication. De plus, l’hymne espagnol n’a pas de paroles ! Dire que les deux versions de notre hymne national n’ont en commun qu’un seul vers qui leur sert de titre (O Cameroun, berceau de nos ancêtres/ O Cameroon Thou Cradle of our Fathers) tout simplement parce qu’on ne peut pas établir entre les éléments des vers de la version originale et ceux de la version cible une translation rectiligne au sens technologique du terme relève soit manifestement de la malhonnêteté intellectuelle soit de la réduction de la traduction à une opération mécanique de recherche de correspondances ou d’équivalences. Si la traduction ne se réduisait qu’à cela, il y a longtemps que les traducteurs auraient été déjà tous mis au chômage par les ordinateurs. Heureusement, tout le monde s’accorde à reconnaître que la traduction automatique est un leurre, un mirage, une fumisterie, surtout en ce qui concerne la traduction littéraire et poétique qui véhiculent des émotions et des sentiments qu’aucune machine n’éprouvera. L’hymne national qu’il fallait traduire est un « poème-chant » composé de deux strophes. Il est formé d’un tout solidaire, indissociable. Comme tout texte littéraire et de surcroît poétique, tout se tient et ni la compréhension ni la traduction ne peuvent se réduire à une simple affaire de traduction et de substitution de mots. Si on estime que les deux versions n’ont en commun que le titre, que penser de  ces vers :
1.Tu es la tombe où dorment nos pères : Holy shrine where in our midst they now repose ;
2.Le jardin que nos aïeux ont cultivé : On thy hills and valleys once their tillage rose ;
3.Te servir que ce soit leur seul but/ Pour remplir leur devoir toujours : Their tears and blood and sweat thy soil did water ;
4.Que tes enfants du Nord au Sud/ De l’Est à l’Ouest soient tout amour:  From Shari, from where the Mungo meanders/ From along the banks of lowly Boumba Stream/ Muster thy sons in union close around thee/ Mighty as the Buea Moutain be their team;
5.De l’Afrique sois fidèle enfant : Foster , for Mother Africa a loyalty/ That true shall remain to the last;
6.Nous travaillons pour te rendre prospère:  Thy welfare we will win in toil and love and peace/ Will be to thy name ever true;
7.Espérant que tes jeunes enfants/ T’aimeront sans bornes à jamais: Dear Fatherland, thy worth no tongue can tell/ How can we ever pay thy due?
8.Tu es notre seul et vrai Bonheur : Thou of life and joy our only store
Ce tableau comparatif montre de façon irréfutable que non seulement les deux versions ont plus d’un vers en commun, mais que tous les thèmes fondateurs de l’original tels que le patriotisme, le panafricanisme, le travail, la paix, l’unité etc…contenus dans le texte de départ se retrouvent ré-exprimés dans le texte d’arrivée avec beaucoup plus de doigté, d’emphase et de bonheur. La méthode de comparaison objective et scientifique aurait consisté à procéder d’abord par la déverbalisation (oubli des mots et conservation du sens), en d’autres termes, l’opération par laquelle un sujet prend conscience du sens d'un message en perdant conscience des mots et des phrases qui lui ont donné corps » et ensuite la réexpression, c’est-à-dire la reformulation du vouloir dire en langue cible avec le retour aux mots. Malheureusement, il semble qu’on avait le couteau à la gorge et que le temps pressait ! Ainsi donc, contrairement à la cabale qui se trame, le Professeur Bernard Fonlon n’a pas écrit un nouvel hymne, différent du premier. Il s’est tout simplement contenté de traduire celui qui existait déjà en français et qui avait été déjà adopté quatre ans plus tôt par l’Assemblée nationale. Mais était-ce une bonne traduction ?

Traduction éclairée, patriotique et engagée

L’hymne que traduit M. Fonlon en 1961 n’est pas celui qu’on chante aujourd’hui. Il commençait ainsi : O Cameroun, berceau de nos ancêtres/Autrefois tu vécus dans la barbarie/ Comme un soleil, tu commences à paraître/ Peu à peu tu sors de ta sauvagerie. Le comble, pour un hymne que l’on a composé pour l’honneur et la gloire d’un pays ! Il crève les yeux qu’il a été conçu et écrit du point de vue du colonisateur pour le louer et lui rendre grâce pour sa mission civilisatrice au Cameroun. Il se dit même que le parolier René Jam Afane  s’est offusqué de ce qu’on ait modifié le cinquième vers du deuxième couplet du texte initial  qui disait plutôt que le Cameroun, « de la France soit fidèle enfant » !
En bon patriote, Fonlon ne peut cautionner que le Berceau de ses ancêtres ait jamais été un pays de barbares que la France se bat pour sortir de la sauvagerie. Il sait que l’hymne qu’il est en train de traduire n’est pas un simple travail qui lie un traducteur et son client pour des considérations financières, mais une œuvre qui engage le destin du Cameroun et qui passera à la postérité comme sa propre contribution. Il décide donc de ne pas traduire des vers infamants et insultants pour son pays. Il les supprime purement et simplement. C’était osé, mais il fallait le faire. Neuf ans plus tard, l’histoire lui donnera raison. En 1970, les vers querellés sont retirés de la version française et remplacés par« Va debout et jaloux de ta liberté/ Comme un soleil, ton drapeau fier doit être/ Un symbole ardent de foi et d’unité » ! Comme vous le voyez, il avait eu raison trop tôt et c’est peut-être cela qui le poursuit jusqu’à ce jour. Si on escamote cette précision, on peut bien présenter les quatre premiers vers « à un élève moyen de nos écoles primaires bilingues » pour le convaincre de ce qu’il ne s’agit pas d’une traduction, même pas d’une adaptation, mais d’un texte différent. Il sera d’autant plus vite convaincu qu’en dehors du premier vers, il ne verra pas les trois vers suivants dans l’autre version ! Qu’il est facile de faire avaler des couleuvres et de manipuler l’opinion lorsqu’on dispose de gros diplômes, d’un grand nom et d’une grande tribune !
Ainsi « décolonialisé », le texte à traduire, comme un oiseau qui s’échappe d’une cage, s’émancipe, s’affranchit  de la camisole de force de l’assimilation éditoriale insufflée par les anciens maîtres, déploie ses ailes et prend un nouvel essor. L’inspiration endogène authentique libérée envoie sa racine pivotante dans le plus profond de notre terre nourricière puiser la sève nécessaire à la construction de notre nouveau destin. Le nord et le sud cessent d’être des notions vagues de points cardinaux illusoires et désincarnés. Ils sont désormais repérables par nos esprits et par des topographes et peuvent même servir aux générations futures en cas de conflit de frontières. Notre nord nous renvoie au fleuve Chari (Logone et Chari, Kousseri) qui marque la frontière avec le Tchad et notre sud s’arrête sur le fleuve Boumba ( Bouba et Ngoko, Moloundou) à la frontière sud. Le Mont de Buea, le Char des dieux, bien visible au loin, devient la maquette de ce que sera le Cameroun quand tous ses enfants du Logone et Chari à la Boumba et Ngoko pourront s’unir et s’aimer ! Mais bien que libérées, l’inspiration et l’opération traduisantes ne s’éloignent ni ne rompent jamais avec l’esprit d’ensemble du texte original. La traduction de l’hymne national, telle qu’exécutée par Fonlon, est donc une traduction inspirée, éclairée, patriotique et hautement engagée.
Ses détracteurs lui reprochent ce coup de génie qu’ils qualifient «d’immersion dans le pays profond, immersion totalement absente dans la version française de telle sorte que les habitants de n’importe quelle contrée du monde pourraient bien chanter cette version en substituant au nom du Cameroun du premier vers le nom de leur propre pays ». Venant d’un intellectuel de la trempe du Dr Nug Bissohong, un tel reproche nous paraît vraiment curieux. J’ai toujours eu la naïveté de croire d’une part qu’un hymne national collait à un pays particulier pour exprimer ses spécificités, ses marques distinctives afin de le singulariser comme « entité unique au monde » comme le feraient des empreintes digitales et  d’autre part que c’est dans cette perspective que les Camerounais avaient voulu écrire un hymne pour leur seul pays. Mais, aujourd’hui, on nous apprend qu’il était plutôt question d’écrire un chant passe-partout, produit d’exportation que les « habitants de n’importe quelle contrée du monde pourraient bien chanter » en y ajoutant le nom de leur pays ! Ainsi donc, on reprocherait à M. Fonlon d’avoir, comme on dit au quartier, « gâté le marché des gens » en salissant l’hymne avec des indications géographiques et topographiques camerounaises !
Conseillant aux traducteurs de rendre les idées (sens) plutôt que les mots, le grand Cicéron écrit : « ... les idées restent les mêmes...je n'ai pas jugé nécessaire de rendre mot pour mot...Il ne sera pas toujours nécessaire de calquer votre langage sur le Grec (ou toute autre langue) comme le ferait un interprète (ou traducteur) maladroit [...] Quand je traduis les Grecs, si je ne puis rendre avec la même brièveté ce qui ne demande aux Grecs qu'une seule expression, je l'exprime en plusieurs mots  ». Aux yeux des normes de la traduction, M. Fonlon était donc bel et bien libre et autorisé à traduire « Que tous tes enfants du Nord au Sud/ De l’Est à l’Ouest soient tout amour » comme il l’a fait, en faisant le plus logiquement recours aux procédés de traduction permis tels que la dilution, l’aplatissement, l’étoffement, l’incrémentation, l’ennoblissement… Une traduction littéralo-linéaire a permis aux Nazis de détourner l’hymne allemand de son sens pour exacerber la supériorité de l'Allemagne et des allemands sur les autres pays et peuples du monde, conduisant ainsi à la deuxième Guerre Mondiale alors que le sens originel des paroles était un appel à l’Unité Allemande et aux Allemands dispersés dans de nombreux États en ce milieu de XIXe siècle à revenir dans leur pays.  Deutschland, Deutschland über alles, über alles in der Welt. Tenant compte du contexte, il fallait  donc comprendre que ces vers s’adressaient aux Allemands dispersés et n’avaient aucune intention de comparer l’Allemagne ou les Allemands aux autres pays et peuples du monde. Alors « L’Allemagne, l'Allemagne avant tout, par-dessus tout au monde » était la compréhension la plus appropriée pour inviter les Allemands de la diaspora à rentrer et non « l’Allemagne au-dessus de tout, l’Allemagne au-dessus de tout le monde » comme l’ont fait les théoriciens de la supériorité de la Race Aryenne !
 
Que dire du refrain?
Après avoir expurgé le chant patriotique des vers qui présentaient le Cameroun comme une terre de barbares et de sauvages à civiliser, le Dr Fonlon le montre désormais sous un nouveau jour : un pays dont tous les Camerounais doivent être fiers. Son patriotisme devient messianique. Le Cameroun cesse ainsi d’être un pays de misères, de coups, de travaux forcés, de corvées et de souffrances, stigmates de la colonisation et de l’aliénation. Il se révèle enfin comme le meilleur des mondes possibles, le jardin d’Eden où il y a tant de bonnes choses pour se nourrir et pour vivre : en un mot, un pays où le lait et le miel coulent en abondance, notre Terre Promise, notre Terre de Gloire/ (Land of Promise, Land of Glory), notre Seule source de vie et de joie (Thou of life and joy our only store) ! Il va au-delà de l’aride « Chère Patrie/ Terre chérie » qui n’invite ni au rêve ni à l’évasion, ni à l’espérance. Bien plus. Nous sommes en 1961 et beaucoup de patriotes camerounais, pourchassés par les Français et leurs relais locaux sont en exil. En introduisant dans notre hymne cette notion qui renvoie à l’exil et au retour à la Terre natale (à la chute et au rachat, à la faute et au pardon, à la mort et à la résurrection) Fonlon apporte une touche religieuse qui manquerait cruellement à la version française et fait un clin d’œil au gouvernement de l’époque pour la réconciliation, la réhabilitation des « martyrs » et le retour des Camerounais de toutes les sensibilités pour construire le Cameroun. Quand on sait que la chasse aux upécistes s’est poursuivie jusqu’en 1971 où les derniers Mohicans tels que Ouandie Ersnest, Wabo le Courant, Fotsing Raphael et autres ont été fusillé sur la place publique à Bafoussam, on peut mesurer le degré de patriotisme d’un traducteur visiblement prêt au martyre !

Traduction et fidélité.
Le Dr Nug Bissohong, en sa qualité de professeur de traduction exigeant, n’est pas du tout tendre avec la copie remise par « l’élève » Fonlon. De façon péremptoire, il déclare que ce qui tient lieu de « version anglaise n’est pas une traduction de la version française, comme peut le constater même un élève moyen de nos écoles primaires bilingues, ni une adaptation puisqu’on ne peut même pas dire que l’esprit d’ensemble a été sauvegardé ». En d’autres termes, le niveau de bilinguisme du Docteur Fonlon qui a tant écrit et donné pour la promotion du bilinguisme au Cameroun, est inférieur à celui d’un élève moyen de nos écoles primaires bilingues ! A sa place, j’aurais été un peu plus humble et il me serait même arrivé de penser que lorsque je frappe ma tête contre un vase et entends un bruit creux, ce n’est pas nécessairement le vase qui est creux, mais peut-être ma tête ! Mais dois-je vraiment croire que nous avons travaillé sur les mêmes textes ? Je me demanderai encore pendant bien longtemps pourquoi, en l’absence du Dr Fonlon, dans le souci du contradictoire, les traducteurs et les traductologues n’ont pas été jusqu’à présent associés à un débat sur un sujet aussi important relevant du domaine de leur métier ou leur spécialité. N’est-ce pas un peu étrange ?
Parlant de la fidélité, J.R.Ladlmiral nous enseigne que « Toute théorie de la traduction est confrontée au vieux problème du MEME et de L'AUTRE : à strictement parler, le texte cible n'est pas le MEME que le texte original, mais il n'est pas tout à fait un AUTRE ». Pourquoi Fonlon aurait-il échappé à cette règle, quand en plus on sait que la traduction est un parcours herméneutique, c’est-à-dire relatif à l’interprétation des textes, des symboles, des phénomènes du discours considérés comme signes ? Elle n’est ni liberté ni servilité totales. Elle n’est non plus le transcodage. C’est la compréhension d’un message et sa (re)transmission à un lecteur étranger. C’est la construction d’un pont entre deux cultures, deux histoires, deux communautés linguistiques. Les aspects linguistiques et culturels de la traduction doivent être au centre de la réflexion du traducteur, et c’est cette préoccupation fondamentale qui est bruyamment reprochée au traducteur de notre hymne. On nous a appris que la traduction s'appuie sur l’analyse formelle, linguistique et culturelle du texte. Celui qui l'entreprend doit donc étudier le génie de la langue source mais aussi le transmettre à travers le génie de la langue cible. Le traducteur est donc en position de créateur. Son travail n'est donc pas de recopier une œuvre mais bien de la recréer afin de la transmettre. Il ne copie pas. La traduction littéraire, bien davantage qu'une opération linguistique ou scientifique est décidément une opération littéraire et poétique, donc une re-création artistique.
La traduction de l’oeuvre poétique qu’est notre hymne ne pouvait donc pas se limiter à un mot à mot dont le résultat serait indigeste et impropre à la consommation. Au contraire, le devoir du traducteur dans ce cas est de se mettre dans l’état second, provoquer un niveau d’inspiration élevé, afin d'adresser au lecteur une œuvre artistique étrangère qui conserve à la fois son essence poétique (son esthétique, son style et son langage poétique, dialectal, archaïque etc.) et revêt l'aspect linguistique et culturel de la langue cible. C’est ce que le Dr Fonlon a fait.
On ne peut pas dire d’une traduction qu’elle est infidèle parce qu’elle cherche à atteindre le but qui est le sien, c’est-à-dire parce qu’elle se met à la fois au service de l'original et du lecteur en langue cible. En traduction, quand deux œuvres délivrent le même message et procurent les mêmes émotions, même si la langue et la culture ne peuvent se transmettre à l'identique parce que la société des lecteurs cibles, leur histoire et leurs représentations culturelles et linguistiques se distinguent des originaux, la traduction littéraire reste la création poétique d'une adaptation culturelle et linguistique d'un phénomène social déterminé.  Dans Traduire sans Trahir, Jean Claude Margot dit que le plus important pour tout acte traductionnel est de faire en sorte que l'effet laissé sur le lecteur par la traduction soit identique ou équivalent à celui laissé par le texte source. Pour ce faire, il faut adapter, acclimater et chercher des équivalences. Jusqu’à présent, personne ne nous a encore démontré que l’effet que produit la version anglaise sur les anglophones est différent de celui que produit la version française sur les francophones. Qu’est-ce qui fait donc problème ?
A l’argument selon lequel le texte en français ne pouvait être traduit littéralement parce qu’il est une oeuvre poétique interprétée en musique le Pr. Thomas Théophile Nug Bissohong ironise: « Les spécialistes de la traduction peuvent longuement discourir sur l’absurdité de  cet argument. Je signale tout simplement que le texte de Jam Afane et de ses camarades est bien traduit dans  plusieurs langues du Cameroun. En Bankon par exemple, on a même respecté le croisement des rimes de l’original français ! ».
Ainsi donc, la traduction littéraire et poétique n’a aucun secret pour lui. Je respecte son opinion et ne peut m’empêcher de lui rappeler que tout le monde n’est pas autant doué que lui en traduction en général et celle de la poésie chantée en particulier. La majorité de mes collègues et moi aurions bien voulu être aussi doués que lui. Le grand Du Bellay estimait que la poésie était intraduisible. Mais, par contre, je lui refuse ce terrorisme intellectuel qui lui octroie le droit d’imposer aux autres sa manière de traduire. De nombreuses possibilités s’offraient au Dr Fonlon qui a choisi celle qui correspondait le plus à son tempérament, à sa culture et à la meilleure façon de rendre le texte qu’il avait devant lui. Condamné à être indépendant pour pouvoir répondre de ses traductions, le traducteur est fatalement un décideur autonome, c’est-à-dire appelé à trancher d’après les normes qu’il s’est lui-même fixées et qui sont compatibles avec celles de sa profession. Selon le concept de Cicéron, pour justifier les additions et les suppressions opérées sur le texte original dans un but de cohérence et de beauté de style (comme l’a fait le Dr Fonlon), St Jérôme, par ailleurs Patron des traducteurs,  leur conseillait de livrer au lecteur non la même quantité, mais le même poids. Ce qui a amené Valéry Larbaud à parler de la « balance du traducteur » et faisant aussi de lui « un peseur de mots ». Et c’est justement là que le Dr. Fonlon excelle !
Le texte littéraire se distingue nettement des autres types de textes auxquels un traducteur peut être confronté parce qu’à la différence des textes scientifiques ou techniques, il est instable, sujet à de nombreuses interprétations selon les époques, les courants, les cultures et les lecteurs. Les choses se compliquent encore plus quand il s’agit d’un poème dont il faut respecter la métrique, le rythme, les sonorités, la musicalité, la tonalité, la rime…Comment le traducteur, qui est avant tout un lecteur qui interprète le texte peut-il traduire une réalité en mouvement, susceptible d’interprétations plurielles et différentes? Le texte littéraire, le Dr Bissohong le sait mieux que quiconque, n'est pas un article scientifique dont le contenu n'est ni sujet à des interprétations ni à la variabilité.  Ce qui a fait dire à Maurice Pergnier que pour être fidèle, le traducteur doit penser aux destinataires de sa traduction. C’est ce que Fonlon a fait et c’est ce qui semble lui être reproché ! Et dans le cas d’espèce, les destinataires, ce sont les Camerounais anglophones que nous sommes qui sont les consommateurs attitrés du produit fini. Partout dans le monde, c’est la théorie interprétative ou théorie du sens dont les éléments ont été mis en lumière par l’équipe de l’ESIT de Paris qui fait autorité. Elle prône « la fidélité au sens et rien qu’au sens ».
J’espère que cette critique excessive et non fondée de la traduction de l’hymne national que l’on chante depuis des décennies n’est pas en réalité un combat à fleuret moucheté pour une hégémonie socioculturelle et politique. Les gens voulaient réduire le traducteur au mot à mot, c’est-à-dire à la pratique du « thème-version » scolaire de phrases détachées pour enseigner le vocabulaire et la grammaire des langues étrangères à nos élèves des lycées. Mais lui qui ne voulait pas qu’une version soit supérieure à l’autre, ni qu’une culture absorbe l’autre, a choisi de procéder autrement.  Suffisamment habile et éclairé sur les auteurs, sur la langue source et ses enjeux culturels, historiques et sociaux, ainsi que sur le contexte culturel dans lequel l’œuvre a été écrite mais aussi dans lequel les personnages évoluent, le Dr Fonlon, quoi qu’on dise, nous a légué une œuvre du même calibre que son original. Chapeau bas, Maître ! Je sais que si tu étais encore vivant, face à ce procès en sorcellerie, comme tout intellectuel authentique dont la vocation est de se remettre perpétuellement en cause, tu aurais eu le sentiment d’imperfection ou d’inachèvement qui caractérise toute œuvre humaine, mais aussi fatalement la condition humaine tiraillée entre le paradoxe existentiel d’être à la fois mortel et promis à l’immortalité. Mais en ce qui nous concerne,  nous avons la conviction que par l’audace, l’inspiration et les émotions patriotiques de cette traduction éclairée et engagée, tu figures désormais dans le gotha des plus grands traducteurs que le Cameroun ait jamais produit et mérite d’être étudié dans les plus Grandes Ecoles de Traduction dans le monde. Salut l’artiste !
P.S
Pour mesurer les difficultés auxquelles le Dr. Fonlon a été confronté lors de l’exécution de son travail, je me suis donné la difficile corvée de faire une rétro-traduction de sa version définitive. Autant vous dire d’emblée que je n’ai pas pu le faire littéralement parce que j’estime que la littéralité, quand elle est possible, doit respecter la littérarité du départ. En d’autres termes, les transformations opérées lors du processus traductif ne doivent pas altérer la littérarité de l’original. Je me prépare donc à affronter les mêmes reproches. Je me dois aussi d’ajouter que contrairement au Dr. Fonlon, ma préoccupation est tout simplement le sens et non de respecter un rythme et une métrique imposée par une mélodie contraignante préexistante. Et dire que jusque-là j’ai failli faire exploser mon cerveau avec d’exténuantes acrobaties cérébrales auxquelles je n’étais pas habitué !

VERSION ORIGINALE en français                      RETRO-TRADUCTION   DE LA VERSION ANGLAISE

 

Premier couplet
O Cameroun, berceau de nos ancêtres,
Autrefois tu vécus dans la barbarie
Comme un soleil, tu commences à paraître
Peu à peu tu sors de ta sauvagerie
Que tous tes enfants du nord au sud,
De l’est à l’ouest soit tout amour,
Te servir que ce soit leur seul but,
Pour remplir leur devoir toujours.

 Deuxième couplet

Tu es la tombe où dorment nos pères,
Le jardin que nos aïeux ont cultivé.
Nous travaillons pour te rendre prospère,
Un beau jour enfin nous serons arrivés.
De l’Afrique sois fidèle enfant,
Et progresse toujours en paix,
Espérant que tes jeunes enfants
T’aimeront sans bornes à jamais
 
Refrain
Chère Patrie, terre chérie,
Tu es notre seul et vrai bonheur,
Notre joie et notre vie
À toi l’amour et le grand honneur

 

Premier couplet

O Cameroun, Berceau de nos ancêtres,

Tombeau sacré où ils dorment parmi nous.

De leurs larmes, de leur sang et de leur sueur, ils ont abreuvé ton sol,

Et les cultures ont jailli sur tes collines et tes plaines.

Chère Patrie, Trésor inestimable,

Comment te payer notre dette de reconnaissance ?

Par le travail, l’amour et la paix, nous te rendrons prospère

Afin que ton nom vive à jamais

 

Deuxième couplet

Des hauteurs du Chari où le Mungo prend sa source,

Le long des berges de la modeste Rivière Boumba,

Unis et rassemble tes enfants autour de toi,

En un bloc aussi puissant que le Mont de Buea ;

Apprends-leur à aimer les bonnes mœurs,

A regretter pour les erreurs du passé,

Et à rester fidèle à la Mère Afrique,

Jusqu’à la fin des temps.

 

Refrain

Terre Promise, terre de gloire,

Tu es notre seule source de vie et de joie!

Notre honneur, notre dévotion

À toi notre profonde tendresse pour toujours.

Jean Takougang