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D'accord avec le débat

D'accord avec le débat

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Pour inaugurer ma collaboration d’éditorialiste à Germinal, je voudrais faire partager à ses lecteurs, aux fins de méditation, une correspondance qu’un vieil ami m’a adressée il y a quelques heures, en souhaitant que la nouvelle année nous donne l’occasion, à lui et moi, de discuter des préoccupations qu’il y exprime avec une amertume justifiée. Je cite.
« …Tu sais, Jean-Baptiste, de quelle Upc je me réclame, celle qui s’efforce de rester “fidèle” aux idéaux de notre lutte, à l’esprit de cette lutte tel que défini par les Um, Moumié, Ouandié, Kingue, Osendé, etc. Nous sommes de celles et ceux des compatriotes qui jugent que le principal n’est pas de siéger à l’Assemblée, ni d’être ministre, la question de l’orientation et du but étant préjudicielle: député ou ministre pour quoi faire, et au profit de qui? En somme, pour les paysans pauvres, les ouvriers, les employés petits et moyens, les gagne-petit de l’informel, ou bien, au contraire, en faveur des oligarques étrangers et de leurs “gérants” et sous-traitants nationaux?
Les piétinements des luttes depuis 1990,

pour prendre un repère, prouvent que la question de fond se pose de cette façon, et Um, en 1957, le disait déjà, en réponse à Assigui Tchungui qui le pressait de renoncer à la lutte armée et de prendre un strapontin à l’Assemblée, pour lors “Territoriale”.
Pourquoi / Pour quoi tout ce rappel? C’est qu’il n’y a guère que le journaliste pour rappeler ce retour répétitif de la même problématique de fond, sans être stupidement taxé de passéisme ou de gardien du temple comme on croit devoir nous brocarder parfois, mais à tort, bien sûr!
Mais surtout; il n’y a qu’un journaliste respecté en raison de ses états de service pour s’y employer en déclenchant, du même coup, comme une sorte de campagne de presse visant à relever le niveau du débat politique dans le pays: Tout semble, à présent, se réduire au changement d’hommes, alors que le changement de politique est le vrai problème. On s’englue dans les questions de personnes et de tribus, et les journalistes, ces historiens du présent, laissent faire! »
Mon ami Guillaume-Henri Ngnépi, puisqu’il ne faut pas le nommer, a tout à fait raison d’indiquer à quelle Upc il appartient, tant il est vrai qu’il n’y a pas pire Eglise protestante (et ses chapelles)  que le Mouvement créé en 1948 par Ruben Um Nyobe et ses compagnons, aux fins d’obtenir la libération du Cameroun. Mais, qu’est-ce que cela change de confesser son appartenance à une tendance ou une autre quand toutes les tendances se réclament des mêmes héros, et dans un contexte camerounais du jour, où les 2/3 de la population n’ont que l’âge du règne de Paul Biya ?
Je ne suis pas Upéciste. Mais, j’ai mal à l’Upc en tant que patriote d’un certain âge, et surtout comme journaliste connaissant un bout de l’Histoire du Cameroun qui n’a jamais été enseignée, et ayant souvenance du rôle essentiel que l’Union des population du Cameroun joua jadis, dans l’éveil de la conscience nationale du pays. Conscience nationale qui, 75 ans plus tard, se trouve en voie de disparition,  au profit des replis communautaristes certes explicable, mais injustifiable.
Suffit-il aujourd’hui de « rester fidèle aux idéaux » d’une lutte qui ne s’exprime plus ou qui bégaie, pour atteindre ou revenir aux objectifs de l’Upc originelle qui sont restés inachevés ? Est-il vraiment démocratique de décréter de son seul point de vue que d’autres n’ont pas le droit de proposer ou de choisir d’autres stratégies de « lutte », quitte à les juger sur les résultats ? Et quand ils auraient échoué, est-il bien indiqué de jeter l’enfant avec l’eau du bain ?
« Pour quoi faire ? Et au profit de qui ? » Dans le Cameroun d’aujourd’hui, cette question ne se pose pas seulement à ceux qui sont ou veulent aller à l’Assemblée nationale ou au gouvernement. Que peuvent faire et pour qui, ceux qui traitent les autres de « collabos », avec un radicalisme politique qui, par couardise ou par calcul matérialiste, ne peut pas aller au bout de sa logique forcément insurrectionnelle ?
Le blocage politique que connaît le Cameroun aujourd’hui n’offre aux combattants du changement que l’ultime choix, entre deux stratégies de solution à la problématique de survie pour « les paysans pauvres, les ouvriers, les employés petits et moyens, les gagne-petit de l’informel », victimes résignées des «  oligarques étrangers et de leurs “gérants” et sous-traitants nationaux » : la stratégie institutionnelle et la stratégie insurrectionnelle.
Ceux des Camerounais qui sont ou se croient encore militants du Mouvement pionnier qu’était l’Upc, devraient aujourd’hui traduire leur fidélité par l’abandon du fonds de commerce légitimiste, consistant en la sempiternelle évocation à tout propos, des noms et de la pensée d’une demi-douzaine de héros et toujours les mêmes. Pour quoi faire d’autre ?
Lorsqu’on voit avec quelle frénésie l’opposition camerounaise, toutes composantes confondues, court vers le pouvoir illégitime que détient M. Biya, en délaissant derrière elle la population citoyenne (source du pouvoir), dont elle doit d’abord promouvoir et défendre la souveraineté, une question coule de source : cette opposition est-elle capable de produire un autre modèle de société que celui où aucun dirigeant ne se sent honteux de s’embourgeoiser en vampirisant un peuple assujetti aux intérêts apatrides ?
Les partis d’opposition camerounais ont-ils à cœur seulement de « conquérir le pouvoir », comme l’affirme d’ailleurs une des factions upécistes, ou bien de permettre l’émergence dans la société, des dirigeants capables de vaincre cette triade infernale : pauvreté, chômage, inégalités qui spolie les citoyens de leur dignité et fierté, les contraignant à choisir entre survivre couchés dans la misère et mourir debout pour leur progéniture ?
Le fait est qu’on les voit depuis 1990, s’agiter plutôt dans des soubresauts émotionnels autour des thématiques ou interrogations porteuses de divisions dans ce qui pourrait pourtant être le front de l’opposition pour la transformation sociopolitique et économique du pays. Les opposants camerounais brillent dans les lettres ouvertes ou les discours pour demander à M. Biya de passer la main. Pas un seul mémorandum pour exiger l’enseignement de la vraie Histoire du Cameroun dans tous les ordres d’Enseignement du pays. Or, c’est là que devrait naître ou renaître la conscience nationale libératrice du pays.
Je suis d’accord avec Guillaume que le journaliste doit rappeler cette problématique de la libération du Cameroun et de l’Afrique, non seulement comme devoir de fidélité à l’Upc originelle pour tous les nationalistes, mais surtout pour y ancrer l’incontournable débat de fond sur la fin du système néocolonial, qui ne saurait se réduire au changement d’hommes. Pas même au changement de M. Biya qui a eu le temps en 30 ans, de montrer que son équation personnelle ne pesait d’aucun point sur l’insensibilité et le cynisme de son système mandataire.
Je ne finirai pas sans faire observer à Guillaume, et à travers lui, à tous les  enseignants dont il est, à tous les politiques et élites intellectuelles du pays, que si « les journalistes, historiens du présent, laissent (les Camerounais) s’engluer dans les questions de personnes et de tribus », c’est parce que, en retard d’une guerre, les élites politiques, économiques et culturelles camerounaises ont abandonné leurs Médias dans la précarité socioéconomique. Laquelle  précarité assujettit la presse et les journalistes aux fantasmes émotionnels de la société, et aux replis identitaires, au moment où dans le reste du monde il est admis que « l’émancipation politique, économique, sociale et culturelle des sociétés est essentiellement liée au développement des Médias ».
J’indique ainsi que de mon point de vue, la liberté d’expression et la responsabilité sociale du journaliste devra être pris en compte dans le débat que nous souhaitons tous.