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Réformes à lancer en Afrique dès 2013 : la bonne année panafricaine d’un économiste

Réformes à lancer en Afrique dès 2013 : la bonne année panafricaine d’un économiste

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L’histoire a ceci de particulier qu’elle est faite une fois pour toute. Elle ne se pose jamais de questions sur elle-même et n’imagine jamais les conjectures contrefactuelles que nous faisons sur elle. Le passé est ce qui est advenu et non ce qui aurait pu ou dû advenir. Parler de l’Afrique économique en 2013 et au-delà montre cependant l’importance du passé car cela est un exercice qui exige une extrapolation des résultats passés sur le futur en essayant de modifier la trajectoire économique du continent. Réfléchir sur l’avenir de l’Afrique c’est croire fermement que nous pouvons encore le changer par des réformes idoines issues d’anticipations extrapolatives. Cela exige donc d’utiliser la technique du rétroviseur afin que notre discours sur l’Afrique économique de 2013 prenne racine sur des faits concrets passés et présents.

• La croissance économique et le défi de la diversification de ses sources
Les investisseurs internationaux qui, il y a quelques années, parlaient d’une Afrique perdue ou très mal partie sur le plan économique, sont les mêmes qui, aujourd’hui, ne jurent que par l’Afrique considérée comme un continent d’avenir. Après les décennies perdues du développement suite aux politiques d’ajustement structurel, le continent noir a en effet un taux de croissance moyen de 5 % depuis l’an 2000 malgré son fléchissement à 3,5 % observé en 2012 suite à la crise mondiale. Lorsqu’on ergote sur la croissance sous contrainte de la crise économique mondiale, on pense en premier à la Chine et à d’autres émergents en oubliant que les champions du monde dans ce domaine sont africains : la Gambie, la Zambie, le Mozambique et le Ghana auront en 2013 un taux de croissance avoisinant les 8 %, au dessus de la prévision moyenne de 5,5 % sur laquelle table le FMI pour toute l’Afrique. Mais là s’arrête les comparaisons car alors que les pays émergents ont largement diversifié leurs structures productives, les pays africains ont toujours une croissance erratique et fragile parce que largement dépendante des cours mondiaux des matières premières et des produits de rente. Jeter un regard sur les dessous des cartes de la croissance africaine permet de constater qu’en dehors de l’Afrique du Sud, aucun pays africain n’a construit un modèle productif diversifié et capable de créer de la richesse de façon indépendante des produits de rente et de leurs cours mondiaux. Autrement dit, les économies africaines sont toujours extraverties et hautement dépendantes des décisions qui se prennent ailleurs. A cela s’ajoute le fait qu’elles sont price-taker (preneuses de prix) et que l’élasticité-prix, c'est-à-dire la variation des quantités exportées par rapport à la variation des cours mondiaux des produits de rente est très faible. Les moteurs exogènes de la croissance africaine sont donc la croissance des pays émergents et la consommation des matières premières qu’elle entraîne, les investissements directs étrangers et la conjoncture mondiale favorable au cours des produits de rente. Cela est une externalité positive de la mondialisation économique sur l’Afrique subsaharienne. Cette externalité positive est cependant à relativiser car les dessous des cartes de la croissance africaine prouvent que ce continent est bloqué dans une spécialisation rentière incapable de transformer l’économie par la diversification, incapable de construire de nouveaux avantages comparatifs par la recherche et l’innovation, et incapable de créer plus d’emplois alors que d’après Bruno Losch, chercheur au Cirad, 330 millions de jeunes Africains arriveront sur le marché de l’emploi les quinze prochaines années. Cette spécialisation rentière fait que le haut taux de croissance qu’affichent de nombreux pays africains est une croissance purement nominale au sens de devises que la vente du pétrole fait entrer par exemple en Guinée Equatoriale. Un autre défi est donc d’être méticuleux dans l’investissement des surplus actuels des réserves de change afin de diversifier les économies. Ici apparaît la problématique du Fcfa car comment par exemple la Guinée Equatoriale peut investir de façon autonome ses réserves de change si celles-ci sont gérées par le Trésor public français, personnification financière d’un Etat étranger ?

• Le défi de la répartition des fruits de la croissance économique subsaharienne
Un autre défi à relever par les pays africains est celui d’éviter de tomber dans le fétichisme de la croissance économique qui deviendrait une fin pour elle-même sans effets positifs sur le bien-être des populations. Alors que nous menions une enquête sur la croissance dans un marché béninois il y a quelques années, les vendeurs et les vendeuses d’un marché populaire de Cotonou nous ont lancé cette boutade : « nous ne voyons pas cette croissance-là dans nos vies ; la croissance ne se mange pas ! ». Ce ressenti de l’homme de la rue par rapport à la rengaine officielle sur la bonne santé des économies africaines dans un monde en pleine crise économique, n’est pas à négliger. Il interpelle à la fois les pouvoirs publics africains sur une meilleure répartition des fruits de la croissance et les économistes africains dans l’explication des termes qu’ils utilisent et les méthodes de calcul. S’agissant de la répartition des richesses, l’Afrique reste le continent le plus inégalitaire au monde avec une polarisation de plus en plus prononcée entre les très riches et les très pauvres malgré l’émergence d’une classe moyenne dans certains pays comme l’Afrique du Sud. Aucune croissance n’est durable en Afrique subsaharienne avec de tels écarts de revenus entre les populations car la majeure partie de la population africaine n’a pas le minimum du revenu requis pour consommer et faire tourner l’économie. Qui plus est, la corrélation n’est pas toujours positive entre la hausse durable d’un indicateur de dimension (signification de la croissance économique) et l’amélioration du bien-être. De nombreux travaux faits en Occident montrent que le bien-être des Occidentaux ne se s’améliore pas avec la hausse de la croissance économique. La responsabilité de l’économiste africain est donc aussi de ne pas répéter à tort et à travers tel un perroquet des statistiques sur la croissance sans les relativiser et sans en expliquer les méthodes de calcul qui changent tout de façon considérable. Permettre à un taux positif de croissance économique qu’affiche un pays africain de traduire quelque chose de concret dans la vie réelle des populations, implique de reconnaître qu’il y a un grand écart entre ce que dit un indicateur métrique comme le PIB dans un environnement où le mesurable est encore marginale, et les conditions matérielles de production et d’amélioration réelles de la vie. Parler d’un taux de croissance moyen de 5 % en Afrique depuis l’an 2000 cache beaucoup d’inégalités entre les pays et au sein de ceux-ci car la moyenne nationale ou africaine est une statistique trompeuse avec des valeurs aberrantes au dessus d’elle et en dessous d’elle. Le calcul des indicateurs en Afrique et leurs significations présentent donc un défi épistémologique majeur pour le futur si on ne veut pas que comme en Tunisie, le discours macroéconomique sur les performances économiques positives ne devienne une façon de couvrir le pourrissement politique et sociale d’une société qui finit toujours par exploser en montrant ainsi la vacuité des indicateurs qui n’ont aucune pertinence dans la vie réelle. L’Afrique des affaires, du tourisme, des investissements directs étrangers et du pétrole n’est pas l’Afrique des peuples qui, majoritairement, croupissent encore dans la misère. Cela exige de relativiser ce qu’indiquent les indicateurs. On ne peut y arriver que par une pensée économique autonome, c’est-à-dire inspirée par la vie réelle en Afrique.

• Le défi du passage de la consommation à la production
Les 54 pays africains représentent un marché de consommateurs de 1,04 milliard d’habitants en 2012 sachant que ce chiffre devrait passer du simple au double d’ici vingt ans en faisant de l’Afrique le berceau de 20 % de la population mondiale. Si cette puissance démographique est non négligeable aucun pays riche au monde n’ayant une faible population, il faut néanmoins noter que cette croissance démographique est aussi une bombe à retardement car l’Afrique, notamment la partie subsaharienne, consomme tout et ne produit rien. Cela est vrai du jouet offert aux enfants pendant les fêtes de fin d’année à l’avion présidentiel en passant par le téléphone portable. Il est évident qu’elle ne peut aller nulle part si elle reste dans une telle situation. Les investisseurs internationaux qui vantent l’Afrique subsaharienne en la présentant comme la terre promise du futur, ne parlent d’elle qu’en termes de grand marché de consommateurs. C’est de bonne guerre car c’est pour leurs intérêts de producteurs, de vendeurs et d’investisseurs dans une Afrique qui a le second meilleur retour sur investissement au monde. Se situer au stade de la consommation en pleine mondialisation économique est le signe que ce continent n’occupe aucun des segments porteurs, c'est-à-dire à haute valeur ajoutée au sein de l’économie mondiale. La consommation est le stade qui précède la putréfaction et les déchets. C’est l’innovation, la conception et la distribution qui sont aujourd’hui porteurs dans un commerce mondial où la logique coloniale de complémentarité dans laquelle sont encore englués les Etats africains est battue en brèche par les échanges intra-branches entre pays se concurrençant dans les mêmes segments hauts de production. Il apparaît ainsi que la question de la diversification des structures productives est liée à celle de l’affectation des surplus actuels elle-même liée à celle de la monnaie qui elle-même joue un rôle majeur dans le développement financier lui-même central dans la mise en place des productions locales via la promotion d’une industrialisation du continent. Dans un continent africain où plus de la moitié de la population est âgé de moins de 20 ans, le capital humain, la recherche et l’innovation sont les choses qui permettront à l’Afrique d’éviter d’être pauvre avant d’être vieille comme le prévoient les démographes. C’est le travail, l’éducation, le progrès technique et l’organisation synergique de tout cela avec les réalités locales qui constituent les moteurs du développement économique.

• Le défi de la mise en place des systèmes politiques favorables à une émancipation ouverte à tous et à toutes
Parler d’économie africaine en 2013 sans évoquer le rôle que le champ politique doit y jouer serait une attitude de courte vue propre à l’économiste obtus qui oublie qu’une répartition moins inégalitaire de la richesse est un argument de croissance économique. Quoique l’on vive en pleine mondialisation économique, c’est toujours le politique qui met en place des politiques économiques même si le capitalisme, une fois qu’il a pris son envol, échappe souvent aux Etats qui le promeuvent au départ. Sans systèmes politiques démocratiques, c'est-à-dire promouvant une émancipation ouverte à toute la société africaine, les fruits de la croissance africaine resteront le monopole des coalitions élitistes au pouvoir. En fait, qui contrôle l’économie de rente en Afrique subsaharienne, contrôle le pouvoir politique et qui contrôle l’économie de rente, contrôle le pouvoir politique. C’est le cercle vicieux que construit une spécialisation rentière des économies africaines car la rente est toujours là qu’on travaille ou pas, qu’il y ait démocratie ou pas, qu’il y ait Etat de droit ou pas. D’où le fait que la diversification des structures productives africaines afin de dépendre moins de la rente des matières premières, est aussi la clé de sortie d’un champ politique immobile et des Etats mieux géré comme des vaches à lait car ils ne seront plus le seul canal via lequel les Africains peuvent accumuler. Si le système d’émancipation est ouvert alors le peuple africain participerait à la production des richesses par la hausse de son pouvoir d’achat. Si ce n’est pas le cas, les conflits armés autour du partage de la rente économique vont continuer comme c’est actuellement le cas en RDC et en Centrafrique. Ce qui est dommageable pour l’activité économique car la stabilité sociale est une variable essentielle pour la confiance des investisseurs. La réaliser revient donc à ouvrir l’émancipation socioéconomique à toutes les populations via l’Etat de droit, la démocratie et une meilleure répartition des richesses nationales.

• Le défi de la protection des embryons d’industries locales face à l’ogre chinoisLes pays africains sont à nouveaux économiquement attractifs non grâce à des réformes endogènes mais parce que la conjoncture mondiale leur est favorable comme cela fut le cas de 1960 aux années 1980. Ce qu’il ne faut pas oublier c’est que la prospérité des années 60 à 80 s’est abimée dans une crise totale avec la faillite des Etats africains endettés jusqu’au coup. La bonne santé purement statistique actuelle ne doit donc pas faire perdre de vue des mesures à prendre face aux nouveaux partenaires majeurs du continent. L’Afrique doit à nouveau avoir la main face à la multiplication de la demande qui s’adresse à ses matières premières. Les USA y sont dans le but de desserrer leur dépendance au pétrole moyen-orientale, les anciennes puissances coloniales essaient de préserver leurs prés carrés et la Chine doit alimenter sa croissance très énergivore. Ce que nous entendons par avoir la main veut dire que l’Afrique subsaharienne a en face d’elle une multitude  de demandeurs qu’elle doit mettre en concurrence afin de signer des contrats avec le mieux disant sur le plan de son développement social et économique. Dès lors, coopérer avec la Chine devrait fonctionner suivant un principe directeur incontournable basé sur les intérêts et non sur une pseudo amitié tiers-mondiste : que la situation des Africains après les contrats sino-africains soit mieux que leur situation avant lesdits contrats : le contraire est inadmissible et scandaleux. Cela exige donc aussi que l’Afrique subsaharienne protège certains secteurs de la convoitise chinoise. Le secteur agricole, industriel et du petit commerce doivent bénéficier de protections ad hoc si l’Afrique veut donner un peu d’air aux producteurs locaux. Le fait d’avoir la main peut aussi conduire à mettre en place ce que la Chine fait elle-même, c'est-à-dire exiger des transferts technologiques et des formations de techniciens locaux à la technologie chinoise d’un secteur spécifique. L’Afrique le peut si elle le veut. La Bonne année 2013 que j’adresse à l’Afrique est donc l’espoir que 2013 soit le début de telles réformes car être indépendant c’est aussi tenter des choses et en assumer l’entière responsabilité de la réussite ou de l’échec.
Thierry AMOUGOU,
Macro économiste, enseignant-chercheur, Faculté de sciences économiques, sociales et politiques, Université Catholique de Louvain & Ecole doctorale thématique et études du développement, Belgique.