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Société Les versets sataniques de Mgr Victor Tonye Bakot

Les versets sataniques de Mgr Victor Tonye Bakot

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Index de l'article
Les versets sataniques de Mgr Victor Tonye Bakot
L’Ucac à l’ère de l’épuration ethnique
Afin que nul n'en ignore: Mémorandum des prêtres autochtones de Douala intitulé «un éclairage nouveau»
Le paradis de Monseigneur Tonye Bakot
Toutes les pages

Une lettre du Grand chancelier de l’Ucac remet au goût du jour la question tribale au Cameroun. Elle suscite indignation.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Elle fait couler beaucoup d’encre et de salive. Parents d’élèves, étudiants et anciens étudiants de l’Université catholique d’Afrique centrale (Ucac) de Yaoundé, enseignants à l’Ucac, la communauté des chrétiens catholiques, intellectuels camerounais de tous bords ont perdu leur latin en prenant connaissance de la lettre n°VTB/06/12/106/2363/enn (cf fac similé) que le Grand Chancelier de l’Ucac, Mgr Victor Tonyé Bakot, par ailleurs archevêque métropolitain, a adressée, en juin 2012, au Révérend Père Martin Brida, doyen de la faculté des sciences sociales et de gestion de cette institution universitaire.

 

Dans cette correspondance qui a suscité l’indignation (presque) générale et donc l’objet est Statistiques, le Grand Chancelier écrit : « L’an dernier en 2011, le Conseil supérieur de l’Ucac m’a prié de me pencher sur les statistiques des étudiants et des enseignants de la Faculté des sciences sociales et de gestion. Au cours du dernier Conseil tenu à Nkolbisson du 07 au 09/06/12, j'ai eu à leur soumettre mon exposé avec quelques commentaires ».

Statistiques
Par la suite Mgr Tonye Bakot fournit ses statistiques. Dans sa correspondance, le prélat distingue deux catégories d’enseignants : les enseignants associés et les enseignants permanents.
Selon ses statistiques, durant la période 2009/2010, sur 109 enseignants associés « 52 viennent de l'Ouest, soit près de 48 % ; 55 […] du Centre, du Sud et du Littoral, soit près de 51 % représentant trois régions ; 4 […] du Nord Ouest et du Sud Ouest, soit environ 1,5 % ».
Commentant ses propres chiffres, Tonyé Bakot écrit : « On s'explique mal le pourcentage très élevé des enseignants associés venant d'une seule région à savoir l'Ouest Cameroun » (C’est nous qui soulignons)
En ce qui concerne les enseignants permanents, l’archevêque métropolitain dénombre 29.parmi lesquels « 11 de la région du Centre, 1  de l’Est, 4 du Littoral, 9 de l’ouest l'Ouest, et 4 non Camerounais. L'Ouest s'en tire avec un pourcentage de près de 31,5 %, alors que le Littoral et le Centre ont 50 % ».
Conclusion partielle du Grand Chancelier : « les enseignants permanents et associés viennent pour la plupart de l'Ouest. On peut se demander pourquoi sont-ils les plus nombreux dans cette faculté de Sciences sociales et de Gestion. » (C’est nous qui soulignons)
Poursuivant son décompte, il s’intéresse à la liste des étudiants camerounais au campus d’Ekounou. Les statistiques du prélat se présentent comme suit : « 194 [étudiants sont] du Centre, 9 de l’Est, 214 du Littoral, 32 du Nord, 36 du Nord Ouest-Sud Ouest, 115 du Sud, 721 de l’Ouest. » Avant de s’interroger : « Comment se fait-il que la seule région de l'Ouest compte près de 60 % des étudiants à Ekounou ? Est-ce parce qu'ils embrassent les filières scientifiques et commerciales plus que tes autres ? Ou bien est-ce parce qu'ils bénéficient d'un traitement de faveur ? Ou est-ce parce qu'ils trichent ? »
Et de poursuivre : « Autant de questions que l’on se pose quand on observe le poids écrasant des étudiants de l'Ouest. Un enseignant très curieux donnait un cours dans une salle de classe il y a quelques années. Il lui fut donné de constater que sur les 42 étudiants qu'il avait en face de lui, 30 venaient d'un seul département : Bafang (Ouest).
Lorsque ces questions furent posées au Conseil Supérieur, nous avons estimé nécessaire de parler au Doyen que vous êtes, et nous avons jugé opportun de vous recommander de bien vouloir rétablir les choses la ou on le peut, et ce progressivement. »

Directives
Le Grand Chancelier dans sa lettre n’hésite pas à formuler quelques propositions et recommandations lourdes d’insinuations qui s’apparentent aux directives que devrait désormais suivre le doyen de la faculté des sciences sociales et de gestion.
Le prélat propose: « A valeur égale sur le plan intellectuel, il vaudrait penser aussi à recruter des enseignants venant d'autres régions et, si possible, respecter les quotas de telle manière que l'Ouest ne soit plus majoritaire en enseignants associés ni en enseignants permanents.
- Il en est de même du nombre d'étudiants dont l'Ouest porte un nombre plus que significatif. Outre les corrections anonymées, nous proposons de diversifier les correcteurs le plus possible pour éviter de privilégier un groupe grâce a des enseignants correcteurs venant de la même région, parce que, nous dit-on, il y a des stratégies de signes qui permettent d'identifier l'origine des candidats.
- Nous vous recommandons également de redoubler de vigilance et de continuer à donner à notre Faculté de Sciences sociales et de Gestion la belle image qu'elle a toujours véhiculée les années précédentes.
On est plutôt gêné de constater qu'une attestation de Licence, que nous estimons fausse, vienne de votre Faculté, et le bénéficiaire de ce faux diplôme vient de l'Ouest. Il s'agit de Tonleu Dongmo Yannick, née 20 juin 1984 à Maroua, qui aurait obtenu la Licence en Comptabilité et Finance pour l'année universitaire 2008/2009. Or, quand on parcourt la liste des étudiants de cette année-là, il n'y a aucune trace de cet étudiant. Il y a lieu de s'interroger sur l'origine de ce faux diplôme ! Le Père Ludovic Lado l'aurait-ii signé ? J'en doute ! Je ne pense pas que le Vice Doyen l'ait fait. Toutefois, il faudrait lui poser la question pour qu'il nous rassure. »

Réactions d’indignation
Comme il fallait s’y attendre, la lettre de Mgr Tonyé Bakot a suscité de vives réactions d’indignation. Sur le forum 237medias des journalistes, chacun est allé de son commentaire.
Parfait Siki, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Repères estime « la lettre de Tonye Bakot ne [le] choque pas. [Il] aimerai[t] bien avoir des réponses aux questions qu'il y pose. À sa place, avec les mêmes stats [il] poserai[t] les mêmes questions, quelle que soit la Région concernée. Au moins pour comprendre.[Il] n'y voi[t] toujours pas de tribalisme. En tout cas pas dans les termes de la lettre en question. »
Martin Camus Mimb de la chaine de télévision Voxafrica estime que « le tribalisme existe fortement au Cameroun. Il n'est pas dirige contre une ethnie de façon précise. C'est la conséquence d'un jeu d'intérêt de la classe mafieuse  régnante. Que fais-tu des thèses de Mgr Dongmo qui demandait aux bamilekes  de se multiplier plus et rapidement pour dominer par le nombre? L'Ucac est une école privée. Bakot a pose des questions intelligibles à ses collaborateurs de démontrer que les ressortissants de l'ouest sont plus nombreux parce que plus intelligents! »
Réagissant à ce post Goni Waday précise et dévoile qu’il y aurait un lien entre la correspondance de Tonyé Bakot et la présidence de la République du Cameroun (Prc). Goni Wadaï écrit : « la lettre de Tonye Bakot, aurait été écrite par lui, selon une source à l'Ucac. Il y aurait même un lien entre cette lettre et la PRC. Elle participerait donc des luttes de clans à coloration tribale au Kamerun. Néanmoins, Tonye Bakot n'a pas le droit de mener des gens à la haine de l'autre. Si ces statistiques sont utiles aux propriétaires de l'Ucac qui voudraient apparemment diversifier la provenance ethnique de leurs étudiants et enseignants, il importe de noter que ses commentaires sont en effet trop tendancieux et visiblement destinés à attiser la haine. Par ailleurs, je serais intéressé de lire le fameux texte (invisible jusqu'alors) de Albert Ndongmo appelant les Bami à faire beaucoup d'enfants. Même s'il l'avait dit, ce serait une marque de stupidité, car la forte natalité en pays bamiléké et dans la diaspora bamiléké précède la naissance même de cet évêque. Alors, comment cet enfant a-t-il pu enseigner à ses pères une politique sociale qu'ils pratiquaient longtemps avant sa conception? »
Shanda Tomne, président de a simplement adressé deux lettres : l’une (Réf: 00514/SPEC/DIS/0712) à Son Excellence le Nonce apostolique, Ambassadeur du Vatican au Cameroun, Haut représentant de l'Église Catholique Romaine, l’autre (Réf: 00515/SPEC/DIS/0712) au ministre de l’Enseignement supérieur. La première est une « Demande de clarification relative à la lettre de Mgr Victor Tonye Bakot Archevêque de Yaoundé, au Doyen de la faculté des sciences sociales de l'Université catholique d'Afrique Centrale ». La deuxième sollicite la réaction du ministre de l’Enseignement supérieur «relative à la lettre de Mr Victor Tonye Bakot, Archevêque de Yaoundé, au Doyen de la faculté des sciences sociales de l'Université catholique d'Afrique centrale »
Victorin Hameni Bieuleu, président de l’Union des forces démocratiques du Cameroun (Ufdc) n’y est pas allé des mains mortes pour assener sa vision de la chose. Il estime que les Bamiléké doivent cesser avec les jérémiades. Hameni Bieuleu écrit : « Les Bamiléké doivent arrêter de se plaindre et faire la politique comme les autres. Au lieu de se plaindre du fait que les autres Camerounais ne les aiment pas alors qu`ils les admirent, les Bamiléké doivent se préparer et s`organiser pour prendre le pouvoir et sortir notre pays de l`ornière. Le problème du Cameroun aujourd`hui est tribal  Il faut cesser de rêver. »

Diaspora
La lettre de Mgr Victor Tonyé Bakot n’a pas laissé la diaspora camerounaise indifférente.
Jean-Marc Soboth, actuellement au Cananda, s’est contenté de citer Mongo Beti. Pour le Pape de la dissidence, «Les Camerounais n'ont jamais nié leur diversité; au contraire, ils l'ont toujours présentée comme un facteur d'enrichissement de la communauté nationale. Ainsi, à l'instar des WASP aux États-Unis, des Prussiens en Allemagne, des Anglais au Royaume-Uni, les Bamilékés sont, au Cameroun, la communauté ethnique économiquement et socialement dominante. Il n'y a là rien d'extraordinaire ni de choquant. Ce qui l'est, en revanche, c'est l'acharnement des dictateurs, qui ont hérité cette politique de l'administration coloniale et qui y sont aujourd'hui encouragés sournoisement par l'Élysée, à combattre les Bamilékés accusés tantôt de communisme, tantôt d'hégémonisme et, en définitive des tous les péchés d'Israël, à seule fin de les tenir à l'écart du pouvoir, ce qui revient à contrecarrer le développement du pays. Il n'y a pas d'exemple dans l'actualité ni dans l'histoire des peuples que le groupe social le plus inventif et le plus dynamique, et de surcroît le plus important numériquement, n'ait pas exercé le pouvoir politique ou, du moins, n'y ait été associé, sans que cette obstruction ait eu des conséquences désastreuses pour l'ensemble de la communauté nationale ni que son développement en ait été tragiquement retardé.
C'est une chose d'établir le constat, comme l'ont fait les ethnologues, de la diversité régionale et culturelle du Cameroun; c'en est une autre d'en faire un argument pour condamner le pays à la fatalité des luttes tribales et justifier ainsi la mainmise de Paris sur son devenir. On a fait toutes les déductions imaginables, y compris les plus absurdes, à partir des tribus. On les a prises longtemps à témoin pour exalter le parti unique, seul remède, déclarait-on dogmatiquement, pour guérir les maladies que leur fourmillement entraîne […] Aujourd'hui, on agite les ethnies comme grelots pour applaudir sinon encourager le clan des dirigeants faillis aux chimères de la partition»(Mongo Beti, La France contre l'Afrique, Paris, La Découverte, 1993 pp.188189)
L’écrivain
Patrice Nganang pense que « dans le paradis de Monseigneur Bakot, les Bamiléké n’ont pas le droit d’être trop nombreux. Qui a encore dansé de joie ? C’est que dans une lettre honteuse, le prélat n’a pas seulement donné des chiffres à son infamie, il a aussi tiré des conclusions demandant au bas mot à la sélection. À vrai dire ses mots sont trop sidérants, trop méchants pour être cités ici. Car ce dont il s’agissait au fond, et que sa plume venimeuse a recommandé, c’est tout simplement l’épuration ethnique : la diminution progressivement dosée du nombre admissible de bamilékés de ce groupe social qu’est l’université catholique, sur la base du critère simple qu’ils sont bamilékés. » (Lire Le paradis du monseigneur Tonye Bakot)
De son côté Franklin Nyamsi Agrégé de philosophie, Paris, France, écrit : «  La publication récente d’une lettre de Monseigneur Tonye Bakot, Archevêque de Yaoundé et Grand Chancelier de l’Université catholique d’Afrique centrale replace au cœur du débat l’une des épines dorsales de la crise du vivre ensemble au Cameroun : la question ethniciste. En celle-ci, j’ai vu depuis belle lurette l’une des sources vives du ravitaillement quotidien de l’obscurantisme et du dogmatisme à la camerounaise. Quelques polémiques désormais célèbres, m’ont du reste, en ces matières, opposé ces derniers mois aux prétentions des Mono Ndjana, Mouangué Kobila, Shanda Tonmé, entre autres, à nous priver du fond du débat sur l’ethnicisme.
Privés de citoyenneté par 60 ans de mascarades électorales et de bricolages politiciens, livrés à la misère rampante par 50 ans d’indépendance gérée par une élite anti-nationale, privés d’éducation, de santé et d’avenir par deux régimes violents et ivres de mensonges, les Camerounais se sont repliés dans leurs bantoustans ethniques, espérant y trouver l’ultime barrage contre la malemort et l’insignifiance sans vergogne qui les étreignent. À la misère matérielle, l’empire ubuesque de la corruption d’État dans les mœurs collectives a ajouté les affres d’une misère morale et intellectuelle qui désormais, s’attaque aux fondements mêmes de la spiritualité de la personne humaine, telle que la proclament les textes les plus généreux du christianisme. Incapable de construire un paradigme d’universalité exemplaire pour la communauté nationale, voici que les universités elles-mêmes s’agenouillent devant le veau d’or du repli ethniciste. » (Lire Réflexion sur les scandales universitaires de l’ethnicisme camerounais)

Ludovic Lado limogé
On en était encore à spéculer sur l’authenticité et le contenu des versets sataniques de Mgr Victor Tonyé Bakot, selon l’expression d’un Camerounais, que l’on apprenait avec stupéfaction le limogeage du Père Jésuite Ludovic Lado, pour, dit-on, « faute professionnelle ». Réagissant à l’interpellation des anciens élèves de l’Ucac, l’infortuné confirme la mauvaise nouvelle : «Le document est authentique, malheureusement! Le grand chancelier a demandé et obtenu mon départ de l'Ucac, mais qu'on y ajoute des calomnies aussi grossières, je ne puis l'admettre. C'est ma réputation qui est en jeu, c'est celle des jésuites qui est en jeu, puisque la gestion de la faculté leur est confiée! Je saisirai les instances supérieures pour qu'une enquête soit menée et que justice soit faite, surtout que la devise de l'Ucac est bien: "Au service de la justice et de la vérité." Il faut bien qu'on démasque les auteurs de cette cabale...car l'avenir de l'Ucac en dépend.  Qu'on ne veuille plus de moi, je peux comprendre! Mais...une telle manipulation des chiffres est une insulte à l'intelligence. » Le Père jésuite est revenu à la charge en adressant à Mgr Tonye Bakot une lettre rendue publique ce jour. Celle-ci s'intitule "Un chétien n'a pas de région". Dans cette missive il revèle que son départ de l'Ucac est lié aux raisons politiques. Le Père Lado écrit: «Le Grand Chancelier a demandé et obtenu mon départ proche de l’Ucac pour des raisons politiques et non professionnelles. Et c’était bien avant la sortie de cette lettre ! Il faut que cela soit clair ! Je l’assume et je m’en vais ailleurs, serein et le cœur léger, servir la jeunesse africaine. Un Jésuite est un pèlerin…et sa paroisse c’est le monde. Mon horizon de service de l’humanité n’est pas une région, même pas le Cameroun mais le monde ! Je ne suis pas un saint, mais de grâce…on n’a pas besoin pour me noyer de m’accuser de rage. Je connais mes péchés, et ce ne sont ni la discrimination ni le faux.»
De là à considérer que ce limogeage marque le début d’une épuration ethnique à l’Ucac, il y a un pas que certains Camerounais n’hésitent pas à franchir. D’autres, qui craignent déjà pour la vie de ce prélat qui n’a pas sa langue dans la poche, estiment que c’est le début d’une chasse aux sorcières à l’Ucac. Pour ceux-ci, « la sortie de Tonye était un prétexte pour bannir ce  jésuite qui dérange et dont le sort était scellé depuis quelque temps compte tenu de son engagement. Il faut donc craindre qu'il ne soit déjà bien avancé sur la trajectoire qu'on a fait subir aux Pères Mveng et Jean Marc Ela, ou à Mongo Béti, entre autres. »

Serge Alain Ka'abessine