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Gouvernance: Etoudi, le Centre de l'Inertie

Gouvernance: Etoudi, le Centre de l'Inertie

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Index de l'article
Gouvernance: Etoudi, le Centre de l'Inertie
Concertation : le bal des caméléons?
Protocole d'Accord ministres/responsables syndicaux
La permanence de la roublardise
La (dé)fête de la jeunesse camerounaise
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Paul Biya, le cœur de l’inertie au Cameroun
Paul Biya a souvent décrié l’inertie dans la marche des affaires publiques. Pourtant, il est le premier responsable des maux qui minent le pays. Parce que toujours en courts séjours privés au Cameroun.
Au cours d’un conseil ministériel réuni le 3 juillet 2008, quelques jours après avoir limogé le Premier ministre et quelques autres personnalités de son gouvernement d’une soixantaine de membres, Paul Biya a vertement tancé toute son équipe. L’annonce même de cette réunion du gouvernement augurait de cette colère du président, qui ne réunit presque jamais son équipe. « Les résultats obtenus n’ont pas été à la hauteur de toutes nos attentes. Il était donc nécessaire de se demander pourquoi, d’identifier les obstacles rencontrés et d’en tirer les leçons », a-t-il expliqué dès l’entame de ce conseil ministériel. le président de la République n’a pas eu de mots assez durs : « Certes, la crise mondiale qui a atteint le Cameroun il y a quelques mois, a compliqué notre tâche. [...] Mais la crise n’explique pas tout. Globalement en effet, notre économie

a été plutôt moins touchée que d’autres. Pour dire les choses clairement, je crois que nous avons manqué de dynamisme. L’inertie que j’ai souvent dénoncée a repris le dessus. Malheureusement aussi, la corruption, même si elle est vigoureusement combattue, continue de freiner notre action », a-t-il dit à ce gouvernement, réuni au grand complet au Palais de l’unité.
Mais est-ce vraiment ce gouvernement qui est responsable de l’inertie alors qu’il est unanimement admis que le Cameroun est pays où la prépondérance constitutionnelle et effective du président de la République ne fait aucun doute ? La preuve que Paul Biya est lui-même la cause première de l’inertie qui verrouille toute initiative politique d’envergure saute aux yeux.
Un exemple significatif est l’annonce qu’il a faite devant ses militants, au sujet de la mise en place du Senat : « A côté de l’Assemblée nationale qui fonctionne de façon exemplaire devrait siéger avant la fin du septennat en cours le Sénat prévu par notre Constitution. Nous disposerons alors d’un système parlementaire comparable à celui des grandes démocraties ». Où donc est passé ce Senat dont personne ne s’est aperçu de la création ? Autre serpent de mer annoncé, par le champion de la dénonciation de l’inertie, on compte la relance de l’école des cadres du parti, elle aussi introuvable. Concernant le fonctionnement de son appareil politique, Paul Biya y était également allé de ses diagnostics clairs, froids, aux accents quelque peu populistes. Face aux militants, il annonçait que seul le mérite conduira à la promotion des camarades militants aux postes de responsabilités : « Je le dis et je le répète, le Rdpc doit être un parti de militants et non un parti d’état-major. […]  les “ personnes dites ressources ”, soit en raison de leurs fonctions, soit en raison de leur situation matérielle, éclipsent les présidents de section issus des rangs des militants. Cela n’est pas normal. …) Les instances supérieures du Rdpc doivent veiller à garder le contact avec la base et rester accessibles. C’est le mérite et le militantisme vrai qui doivent présider au choix des responsables et des investitures. Ce n’est ni l’argent, ni la capacité d’organiser des fêtes où l’on danse plus qu’on ne pense. En effet, le folklore n’a pas grand-chose à voir avec l’engagement politique ». Là encore, le dernier congrès du Rdpc a donné à constater que le parti du chef de l’État n’a pas beaucoup progressé dans le sens de la valorisation des militants de base, ou des adhérents de première heure. De plus, son parti est resté cette structure où on « danse plus qu’on ne pense », et qui est surtout une impressionnante machine à pondre des motions de soutien aussi creuses que redondantes : « le Rdpc ne doit pas être qu’une simple machine électorale que l’on fait fonctionner tous les cinq ans à l’approche des échanges. Notre parti c’est l’âme du Renouveau, c’est l’avant-garde de la démocratie, c’est le levier qui nous permettra de vaincre la pauvreté. “ Force d’écoute et de proposition ”, il doit continuer à inspirer notre action dans tous les domaines. Cette redynamisation nécessaire devrait s’accompagner de campagnes d’adhésion qui seront d’autant plus prometteuses que le Rdpc donnera l’impression d’être un parti où le dialogue et la tolérance l’emportent sur l’arbitraire et les réflexes d’autorité ».

Fonctionnement trop vertical

Saint Eloi Bidoung, et Tobie Ndi, les challengers de Biya pour la présidence du Rdpc sont des exemples vivants de l’absence de démocratie dans ce parti où du reste, les organes dirigeants n’ont pas été renouvelés depuis quinze ans. Ayah Paul, Adama Modi, et quelques autres qui ont osé exprimer le moindre désaccord par rapport au fonctionnement trop vertical du parti, ont également payé cher leur outrecuidance. Ils se croyaient dans un parti démocratique.
Cela nous amène à parler de l’agriculture qui d’après le Chef de l’Etat, « constitue une mine de richesses énorme pour notre pays, mais son potentiel reste encore largement sous exploité. La conséquence la plus paradoxale est que notre pays, pour nourrir ses populations, est obligé d’importer des denrées que non seulement il pourrait produire, mais aussi qu’il pourrait exporter… et ceci évidemment aggrave le déficit de notre balance commerciale au lieu de le résorber… Une telle situation n’est pas tolérable ». Statu quo ante. Cinglant diagnostic fait par Paul Biya lui-même lors du Comice Agricole d’Ebolowa l’année dernière. Sauf qu’un an après ce constat qui tient lieu d’un mea culpa Urbi et Orbi, rien de concret n’a été fait pour améliorer la situation du monde rural. La banque agricole tarde toujours à voir le jour, la mécanisation ne suit pas, au contraire, l’on trouve le moyen d’abandonner dans la broussaille près d’un millier de tracteurs. De quoi mettre en doute la volonté des pouvoirs publics à améliorer véritablement les conditions de vie des populations, et de mettre un bémol sur «  l’intensification des programmes d’accès à l’eau potable et d’électrification par une utilisation optimale des sources d’énergie alternatives ». Quand on n’arrive pas à se nourrir normalement, quand on ne peut pas se soigner convenablement, quand l’éducation créée l’apartheid pour les enfants d’un même pays ayant les « mêmes droits », on comprend que ce n’est pas au niveau de l’habitat social ou de l’emploi que l’on parlera de l’équité. Grosso modo, les Camerounais doivent comprendre que l’année 2012 a commencé comme 2011 et les années précédentes sont terminées.
Sur le plan diplomatique, le langage s’est enrichi depuis le 31 décembre 2010, au soir, d’un nouveau concept : la Renaissance diplomatique. Il a été abordé par le patron de la diplomatie camerounaise, lui-même, au cours de son traditionnel discours de fin d’année à la Nation. Paul Biya a effleuré le sujet se réservant « de revenir plus en détail prochainement sur ce que l’on pourrait appeler la « renaissance » de notre diplomatie ». Sortant en fin de sa léthargie, Paul Biya a en effet pourvu, toutes les chancelleries du Cameroun de chef de mission depuis lors. Ils étaient jusqu’à la mort de Joseph Fofé, ambassadeur du Cameroun à Bangui et la nomination de Mbarga Nguellé au poste de délégué général à la sûreté nationale, 35 ambassadeurs camerounais dans le monde. Les représentations diplomatiques en Turquie et en Inde récemment créées et celle de Libye annoncée à la presse locale n’ont pas encore été pourvues. En outre, il a fait restaurer les bâtiments hébergeant l’essentiel des chancelleries camerounaises à l’étranger. On cite pelle mêle dans les milieux diplomatiques, ceux de Paris, d’Abuja etc. Mieux le Cameroun est propriétaire du bâtiment qui abrite son ambassade à Brasilia au Brésil. Mais alors qu’on pensait que la diplomatie est enfin guérie de l’inertie présidentielle, le chef de l’Etat a stoppé net son action. C’est pour cette raison que des observateurs de la scène politique estiment que ce concept serait un mot vain si Paul Biya n’organise pas, une bonne fois pour toutes, la conférence des ambassadeurs qui se tient chaque année, sous d’autres cieux. Le dernier en date au Cameroun remonte à 1985. C’est au cours de cette réunion de tous les ambassadeurs et autres chefs de mission du Cameroun en poste à l’étranger que peut être abordée la question du statut particulier des diplomates. Le texte qui régit cette profession est vieux de 36 ans et paraît désuète. Selon des sources crédibles, le président avait marqué son accord pour l’organisation depuis 3 ans. Mais depuis lors, plus rien n’a été dit. C’est également dans ce cadre que le ministre en charge des Affaires étrangères pourrait être désigné comme chef de la diplomatie de fait. Comme en France ou aux États-Unis. Cela donnerait, selon des diplomates, plus d’allant aux dossiers relevant de ce domaine. D’après de nombreux diplomates, ce n’est que par ce moyen qu’on peut prétendre faire intégrer la diplomatie dans le Pib (produit intérieur brut) ou pratiquer la politique de placement de citoyens camerounais même aux postes les plus banals au niveau des organisations internationales. Car le fait qu’on attende une décision d’Etoudi qui a de nombreux « chats à fouetter » constitue une sérieuse pesanteur… Des vœux pieux avant le dévoilement de la Renaissance de la diplomatie camerounaise par son concepteur.
Il en va de même pour la réforme de des Enseignements secondaires et de l’Éducation de base dont les projets de décrets d’application croupissent dans les tiroirs de la présidence depuis une dizaine d’années ; du statut particulier des enseignants du secondaire qui peine à trouver entière application ; de l’application de la constitution de 1996, etc. Tous ces actes dépendent exclusivement du président Paul Biya pour leur application, aucun ministre, fut-il le premier d’entre eux, n’ayant le pouvoir de leur donner application indépendamment de la volonté du chef de l’État.
Alain Didier Olinga, dans son ouvrage intitulé «Propos sur l’inertie», démontre que l’inertie est entretenue par un système dont le parti unique est le ferment. Il est vrai que dans son questionnement, l’auteur en arrive au constat que l’inertie n’est pas la «propriété naturelle» des Camerounais. Encore moins un principe de vie ; pas plus que le mode normal de fonctionnement. De ce point de vue, l’inertie, de par son ampleur, semble avoir atteint un état qui la rend résistante au changement. Le discours présidentiel sur le vocable visé, cible la sphère administrative et les dérives de la gouvernance à la dimension de l’État.
Une idée qui renforce, chez Alain Didier Olinga, la lecture selon laquelle l’inertie fait partie au moins d’une partie de l’histoire récente du pays. Au point que «le problème n’est donc pas l’inertie en tant que telle, […] le problème est notre inertie à chacun de nous, notre absence de mouvement ou notre résistance individuelle, sectorielle ou collective au mouvement, notre absence de dynamisme, de pro activité, de prompte réactivité, de rigueur, de professionnalisme, d’ardeur au travail, de capacité d’adaptation à un contexte nouveau ayant des exigences nouvelles, d’humanité à se remettre en cause et à se perfectionner, etc.»
Junior Etienne Lantier