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Ces sous-préfets français qui gouvernent en Afrique

Ces sous-préfets français qui gouvernent en Afrique

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Index de l'article
Ces sous-préfets français qui gouvernent en Afrique
L’Élysée, blanc Palais noire Cellule
PS : quelle rupture avec Sarkozy l'Africain ?
Quand Elf hisse Paul Biya au pinacle
Gabon : au nom du père et du fils
Alassane Dramane Ouattara : installé à coups de canon
Comment la France soutient une dictature sortie des urnes
La France donne un coup de main aux Cobras
La France donne un coup de main aux Cobras
Toutes les pages

Sous-préfets français d'Afrique ou dirigeants souverains
C’est l’observation que Calixte Baniafouna fait de la faune de dinosaures au pouvoir dans le précarré français. Le chef de l’État français recrute en Afrique des dirigeants qu’il installe au pouvoir, soutient dans l’exercice de leurs fonctions et protège par des interventions armées en temps de crise.
Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville doit son retour au pouvoir en 1997 à la France. Sa guerre de reconquête menée contre  le président élu Pascal Lissouba n’aurait jamais eu lieu sans le soutien de l’Élysée, pas plus qu’elle n’aurait fait autant de morts et détruit le pays.
L’Ivoirien Laurent Gbagbo aurait fait l’économie d’une guerre civile dans son pays sans le magistral montage par la France d’une rébellion dans le nord, équipée et dressée contre les institutions en place pour chasser du pouvoir le président élu qu’il était.
C’est contre la volonté du peuple tchadien que la France, grâce à l’appui  des présidents successifs à l’Élysée soutient le régime d’Idriss Deby au Tchad. Au Togo la gestion de la crise de succession de feu Gnassingbe Eyadéma

et l’auto-proclamation de son fils, Faure, à la présidence de la République illustrent les interventions éhontées de la cellule Afrique de l’Élysée dans les affaires intérieures d’un État dit indépendant.
En Centrafrique, le soutien militaire de l’Elysée au président François Bozizé contre son prédécesseur démocratiquement élu Angé Félix Patassé.
C’est au nom de la stabilité politique, surtout des intérêts à sauvegarder, au Cameroun, au Gabon au Burkina Faso que l’Elysée juge que tant qu'elle n'a pas encore trouvé un potiche pour remplacer les sous-préfets français en poste l'alternance politique doit attendre dans ces pays, où la dictature a pris la forme d’un long fleuve tranquille, depuis un bon nombre de décennies.
A l’évidence, dépendre de la France des libertés, de l’égalité et de la fraternité quand on cherche à développer un pays jadis colonisé est une souffrance. D’abord parce que la liberté est sélective. Ensuite parce que l’égalité est sélective. Enfin parce que la fraternité est sélective. Mais qui a dit que la décolonisation rime avec libre choix ? Qui a dit qu’indépendance rime avec souveraineté ? Les rapports « décolonisateurs/décolonisés » tissés depuis les années d’indépendance n’ont été pour la France qu’une stratégie consistant de faire semblant de partir pour mieux rester.

L’Élysée, blanc Palais noire Cellule

L’hôtel particulier qui a ensuite pris le nom de Palais de l’Élysée, situé au 55 rue du Faubourg-Saint-honoré à Paris dans le VIIIe arrondissement, dont l’architecture a été largement modifiée au cours des siècles, est la résidence officielle du chef de l’État français, siège de la Présidence et de la diplomatie avec les chefs d’État africains d’anciennes colonies françaises. Il existe dans cet hôtel une pièce spécialement réservée à la gestion des anciennes colonies françaises d’Afrique noire : la Cellule africaine de l’Élysée.
La Cellule africaine de l’Élysée est un groupe de collaborateurs proches du Président de la République chargés de veiller à la sauvegarde des intérêts de la France en Afrique(1). Ce groupe a été créé dans les années 1960, au moment des indépendances, et dirigé par Jacques Foccart, qui coordonnait l’action d’un vaste réseau d’hommes politiques, de diplomates, d’hommes d’affaire français et africains. A ce double titre, cet hôtel particulier est un lieu hautement symbolique de la République française et de son histoire commune avec l’Afrique. Une histoire mouvementée d’autant par son architecture, par la succession de propriétaires que par la dépendance des chefs d’État africains d’anciennes administrations coloniales. Si, pour la France, cet hôtel particulier est classé monument historique(2), pour l’Afrique, il reste encore un enjeu de luttes pour ses libertés fondamentales. Libertés fondamentales enserrées dans des réseaux opaques d’un système néocolonial appelé «Françafrique », et qui, au nom des intérêts français, accorde des privilèges illimités aux dirigeants africains au détriment des populations locales. Plus particulièrement à ceux d’entre eux qui, au sein de la classe politique française de gauche comme de droite, ainsi que de ses anciennes colonies d’Afrique noire, sont unis par la gestion du gaullisme et de l’héritage de Jacques Foccart. Ce dernier reste la référence incontournable dans la constitution des équipes de travail chargées de mettre en œuvre la diplomatie d’influence pratiquée vis-à-vis de l’Afrique par tous les chefs d’État, depuis de Gaulle jusqu’à Sarkozy. Un Sarkozy qui - face aux énormes enjeux politiques et financiers de l’héritage -s’investit plus à la concorde familiale qu’à une rupture mort-née. Aussitôt élu, il a pris soin de ne ni clamper ni nouer le cordon ombilical, ce qui a permis d’éviter l’arrêt de la circulation sanguine entre le père fondateur, Foccart, et le bébé qu’il semblait encore être au sein de la Françafrique. D’où le recours fait à Jacques Toubon, membre de l’ex-équipe de Jacques Foccart. Il faut noter en effet que Jacques Toubon est président du Club89 - devenu le « Club de réflexion de la majorité présidentielle » - à une époque où le Secrétariat général de ce mouvement politique, qui mobilisait pour Jacques Chirac, était feu Maurice Robert, l’homme de l’ombre de Jacques Foccart. Le « monsieur Afrique » de ce mouvement était alors Robert Bourgi(3), aujourd’hui le Foccart pur-sang de Nicolas Sarkozy, aux côtés du Secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant. C’est donc à Jacques Toubon que Nicolas Sarkozy a chargé de préparer l’initiative «2010, année Afrique, pour fêter le 50e anniversaire de la Françafrique. Autre Noir de l’Élysée au service de Nicolas Sarkozy, Patrick Balkany, député-maire de Levallois qui, lui aussi, était déjà bien impliqué dans la famille Foccart notamment en 1994 pour le compte du Premier ministre, Édouard Balladur. Du doyen Omar Bongo au maréchal Mobutu en passant par le doux Biya, il sillonnait Libreville, Gbadolité, Yaoundé... sans avoir besoin d’un plan de la ville. Sarkozy a pris tout le goût qui lui manquait de l’Afrique et en a découvert les merveilles. Entouré des africanistes comme l’ancien ministre Olivier Stirn — chargé de mission pour la liaison entre l’Union pour la Méditerranée (Upm) et l’Union Africaine (UA) -, Alain Bauer- ancien Grand maître du Grand Orient de France (Gof) -, Bruno Joubert, Rémi Maréchaux, Romain Serman, le général de brigade Didier Castres, le directeur Afrique du Quai d’Orsay, Nathalie Delapalme ou l’ambassadeur, Louise Avon, chargée de rédiger le rapport sur la « rénovation des sommets Françafrique »... plus malin serait celui qui trouvera dans la configuration les pistes d’une rupture.
Sur le chemin de la mondialisation qui a laissé la France portes ouvertes à la réconciliation avec l’Allemagne, à l’Europe monétaire ou à l’Amérique de Barack Obama, seule l’Afrique ne semble pas avoir le droit de s’ouvrir la porte aux libertés et droits de l’homme. Rien de plus accablant qu’un mariage incestueux. En signant le privilège du partenariat avec son colonisateur, l’Afrique ne s’imaginait-elle pas qu’un colon n’a pour seule obsession qu’une relation fusionnelle : de maître à esclave?  Ne connaît qu’un seul mode de partage : le partage inégal ? N’a qu’une seule logique d’échange : l’exploitation ? Ne sait se servir autrement que par le pillage ? N’incite le camp adverse - pour mieux en tirer profit - qu’à la barbarie, aux violences et à la mal gouvernance ? Des oublis qu’elle paiera au prix fort.
Calixte Beniafouna
Sources : Calixte Beniafouna, Les Noirs de l’Elysée. Un  palais pas comme les autres, Paris, L’Harmattan, 2009, pp.9-10.
1- Claude Wauthier, Quatre présidents et l’Afrique : De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand : quarante ans de politique africaine. Seuil, 1995, 717p.
2- Roland Pozzo di Borgo, Les Champs-Elysées : trois siècles d’histoire, édit. de La Mattinière, 1997,399 p.
3- Le retour du refoulé françafricain sous la présidence de Nicolas Sarkozy s’est opéré en deux actes : à Paris, puis à Libreville (Gabon). Le premier a le charme discret des réunions de famille. Le palais de l’Élysée sert de cadre. Le 27 septembre 2007 au soir, en présence de plusieurs ambassadeurs africains, de la fille du président gabonais Omar Bongo et du fils de son homologue sénégalais Abdoulaye Wade, Nicolas Sarkozy fait Robert Bourgi chevalier de la Légion d’honneur. Avocat né à Dakar voici 63 ans, il sert de missi dominici officieux tant aux présidents africains que français depuis des décennies. Il est le dernier héritier direct de Jacques Foccart, le patron historique des réseaux gaullistes en Afrique.


Objectif Élysée 2012
PS : quelle rupture avec Sarkozy l'Africain ?
Alors qu'il souhaite opérer un virage à 180 degrés de la politique africaine de la France, le "monsieur Afrique" de François Hollande, Kofi Yamgnane, est tempéré par les techniciens du staff de campagne. Analyse.
Dépourvu d'à priori sur l'Afrique mais pas franchement attiré par ce continent, le candidat du PS, François Hollande, laisse prospérer les réflexions sur ce que devrait être la nouvelle politique africaine de la France en cas de victoire à la présidentielle de mai. Le 25 janvier, son directeur de campagne, Pierre Moscovici, a rejoint le staff "Internationa!" et les membres du pôle coopération (LC n°627} pour une soirée de débats autour de ces questions au siège du PS. Un principe cardinal semble déjà acquis en cas de victoire : François Hollande devrait s'efforcer de contourner les pays peu portés sur le respect des droits de l'homme. La visite de Barack Obama au Ghana, en juillet 2009, pour "promouvoir la démocratie", est montrée en exemple. Une perspective qui fait déjà cauchemarder plusieurs chefs d'État africains...
Mais sur d'autres sujets, la rupture peine à se conceptualiser. Au cours de cette soirée, le "monsieur Afrique" de la campagne, Kofi Yamgnane, auquel François Hol¬lande a fait appel en novembre, a abordé les problèmes frontalement : disparition des bases militaires en Afrique, fin de l'aide liée, suppression du ministère de la coopération et de la cellule Afrique de l'Élysée, refonte de l'Agence française de développement (AFD), redéfinition du rôle des ambassadeurs nommés en Afri¬que, augmentation substantielle de l'aide vers la coopération décentralisée. Léger silence dans l'assistance... Face à ¡'ancien secrétaire d'État de François Mitterrand, des personnalités comme Jean-Michel Severino, Kader Arif et Thomas Mélonio ont préféré nuancer le périmètre de la rupture. Oui, par exemple, pour la montée en puissance de la coopération décentralisée. En revanche, d'autres thèmes tels que l'abandon du franc CFA - "l'exception monétaire franco africaine" et sujet tabou par excellence - ont été rapidement éludés. Trop sensibles. La priorité de l'équipe reste de convaincre François Hollande de se rendre au sud du Sahara pour y délivrer un discours fondateur, sur le même modèle que celui prononcé par Nicolas Sarkozy à Cotonou, en 2006. Kofi Yamgnane ne désespère pas de convaincre le candidat socialiste de se rendre au Liberia. Or, selon nos sources, celui-ci n'a pas du tout l'intention de descendre plus bas que le Maroc. Vous avez dit rupture ?
Source: La Lettre du Continent n°628 du 2 février 2012

Quand Elf hisse Paul Biya au pinacle

La France est très attentive à la manière dont Paul Biya gère le Cameroun. Elle n’hésite pas à donner des « injonctions ».
Récemment dans une sortie médiatique qui a fait date, L’avocat Robert Bourgi, homme de l’ombre qui a été le « Monsieur Afrique » de l’Élysée, fils spirituel de Jacques Foccart et habitué des palais présidentiels africains, a fait trembler la République française et certains sous-préfets français d’Afrique, appelés pour la forme chef d’État, en déclarant avoir transporté pendant des années des mallettes en provenance de Côte d’Ivoire, du Congo-Brazzaville, de Guinée Équatoriale et bien sûr du Gabon. Le nom de Paul Biya n’apparaissait pas dans ses déclarations. Ce qui avait poussait certains Camerounais à dire que Paul Biya, président toujours en transit au Cameroun depuis 1982, n’avait jamais envoyé des mallettes d’argent à Paris et par conséquent, ne faisait pas partie des financiers occultes de la Françafrique.
Ces prises de position surprenantes visaient à occulter les liens étroits qu’entretiennent Paul Biya et son système avec l’Hexagone, liens sans lesquels le vacancier au pouvoir à Yaoundé n’aurait jamais été chef de l’État, si on en croit Le Floch-Prigent.
En effet, « dans sa confession publiée par L’Express (12 décembre 1996), le lointain successeur de Guillaumat, Le Floch-Prigent, cite de nombreux exemples attestant du rôle de « faiseurs de rois » joué par Elf.  C’est la Compagnie qui « fait » Bongo au Gabon ; c’est la compagnie qui aide Paul Biya à Devenir président du Cameroun. C’est Elf qui, à la demande du gouvernement français, étend sa d’influence au Nigeria et au Tchad.»(Gilles Gaetner et Jean-Marie Pontaut, L’homme qui en savait trop. Alfred Sirven et les milliards de l’affaire Elf, Paris, Bernard Grasset,2000, p.47). Il est aussi de notoriété publique que Paul Biya est le produit de Louis Paul Aujoulat avec qui il entretenait des relations d’amitié. Mongo Beti raconte : « C’était un ami de Louis-Paul Aujoulat […] Aujoulat a formé une espèce de génération d’intellectuels anti-upécistes. Et Biya en était. Et je ne sais pas pourquoi Biya lui a tellement plu. » (Ambroise Kom, Mongo Beti parle, p.115)
C’est dire si Paul Biya est redevable à la France et s’est toujours comporté comme un sous-préfet français en service au Cameroun.
Les récentes sorties de Nicolas Sarkozy après l’élection présidentielle du 9 octobre 2011 tendent à corroborer cette perception de la réalité des relations existant entre la France et le Cameroun.
En effet, après la réélection de Paul Biya pour un nouveau mandat de 7 ans à la tête du Cameroun,  cette autre sous-préfecture française du Golf de Guinée, Nicolas Sarkozy le félicitait en déclarant : « Je connais votre intension, annoncée pendant la campagne électorale, de parachever sans plus tarder la mise en place des institutions prévues par la constitution de 1996. Je m’en réjouis car celles-ci seront le gage d’un pays stable, confiant en lui-même et résolument tourné vers l’avenir.
Par ailleurs, alors que votre pays connaitra de nouveau des élections en 2012, je ne doute pas que vous saurez, d’ici là, mettre en œuvre les réforme et les moyens nécessaire au bon fonctionnement d’Elecam et, par voie de conséquence, au renforcement de la démocratie au Cameroun »
. Ce message sonnait aux oreilles de certains Camerounais comme des directives que le chef de l’État français donnait à son laquais.
Tout en restant ouvert à la critique et en faisant semblant de refuser le diktat sur la question électorale, Paul Biya, dans son discours prononcé le 3 novembre 2011, à l’occasion de la prestation de serment devant l’Assemblée nationale, déclarait : « Je tiens à réaffirmer ma volonté de perfectionner sans répit notre système électoral. En deux décennies, beaucoup a été fait pour la tenues d’élections libres, transparentes et régulières, nul ne peut valablement douter de ce que ceux qui exercent le pouvoir au Cameroun tiennent leur légitimité du peuple souverain. Si les progrès accomplis dans le domaine de la démocratie électorale sont indéniables, il n’en demeure pas moins que certains réglages sont à faire au niveau de notre organe électoral en vue de son meilleure. Aussi restons-nous, aujourd’hui comme hier à l’écoute des suggestions et recommandations ». Aussi, n’avait-il pas hésité de répondre favorablement à l’ « injonction » de Nicolas Sarkozy en ces termes : « L’Assemblée nationale sera bientôt épaulée par le Sénat. Le pouvoir législatif sera alors exercé par un Parlement complet où les collectivités territoriales décentralisées seront, elles aussi, représentées. Par ailleurs, le processus de décentralisation, qui se poursuit de façon satisfaisante, sera mené à son terme avec un transfert complet des compétences et la mise en place des conseils régionaux prévus par notre Loi Fondamentale. Nous disposerons en conséquence d’une architecture assurant aux citoyens une meilleure participation à la vie publique, avec un bon équilibre entre l’État et les collectivités décentralisées. Il nous faudra également installer le Conseil Constitutionnel qui est un organe essentiel pour le fonctionnement de nos institutions. »
Pareillement, après l’audience à lui accordée par Paul Biya, le 30 janvier 2012, Bruno Gain, ambassadeur de France au Cameroun avait-il dévoilé à la presse qu’au cours de cet entretien ils ont évoqué les questions électorales. Selon lui, il était logique que soient évoqués la perception que Paul Biya a de l’action d’Elecam ; les réglages à apporter à la législation électorale au Cameroun ; les réformes institutionnelles, notamment la mise en place des institutions prévues par la constitution : le Senat et le Conseil constitutionnel. Ce qui a poussé les Camerounais à dire que « l’ambassadeur de France, sorte de commandant du cercle, était allé donner les instructions à Paul Biya » On ne percevrait pas autrement la refonte de la liste "ordonnée par la France", pardon, par Paul Biya alors que depuis le début de l'année 2012 les (ir)responsables d'Elecam affirmaient mordicus qu'ils n'allaient procéder qu'à la révision des listes électorales.
Junior Etienne Lantier

Gabon : au nom du père et du fils

Avec le soutien de la France, Ali Bongo a été installé sur un fauteuil présidentiel occupé par son père pendant…42 ans.
La formule adéquate a été trouvée par l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique . Dans son édition du 19 septembre 2009, ce journal, parlant du Gabon, écrit : « présidentielle, une affaire française ». On y apprend que la France qui déclare ouvertement ne pas avoir de candidat lors de l’élection du 30 août soutenait, en coulisse, Ali Ben Bongo. Comment pouvait-il en être autrement ? Bongo père n’avait-il pas rendu assez de services à la France-au détriment de son peuple-pour que le pays de l’« Egalité-Liberté-Fraternité » ne lui retourne pas l’ascenseur même à titre posthume ?
Les faits le confirment. Robert Bourgi, l’un des conseillers officieux de Nicolas Sarkozy  sur les questions africaines l’a vu en ces termes : « Au Gabon, la France n’a pas de candidat, mais le candidat de Robert Bourgi, c’est Ali Bongo. Or je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy. De façon subliminale, l’électeur le comprendra », ces propos relayés le 30 août, jour de l’élection par le quotidien français Le Monde avait l’avantage de la précision. Le résultat, on le connait : le candidat de la France a été élu. Du moins, malgré les irrégularités observées lors du scrutin, malgré les contestations  de l’opposition qui criait au hold-up électoral, Ali Ben Bongo a été déclaré élu avec 41,73 % des voix, contre25,64 % pour  Pierre Mamboundou  et 25,33 % pour André Mba Obame. Faute de moyens et de soutien à l’international, ces derniers ont dû se conformer à la « victoire » de leur adversaire qui avait pour seul mérite, le fait d’être fils d’ « un grand ami de la France ».
Mais, la mascarade n’a pas résisté à la lumière des fins limiers, décidés à savoir comment un néophyte en politique comme Ali Bongo a pu battre les caciques tels que Pierre Mamboundou et André Mba Obame. La première once de cette lumière vient de Patrick Benquet. Après la disparition du Doyen des chefs d’États françafricains d’Afrique centrale Omar Bongo Ondimba, Benquet a enquêté pendant douze mois sur les réseaux occultes de la France en Afrique. Il découvre que Bongo père a, pendant des décennies, financer les hommes politiques français à coups de billets de francs CFA ou de baril de pétrole, comme le Gabon sait en être riche. En retour, ses « partenaires », français lui garantissait une éternité au pouvoir. Éternité puisqu’il avait eu l’assurance de pouvoir placer un autre Bongo sur son fauteuil présidentiel. Aussi aura-t-il le soutien de la « mère patrie », toujours.
Comme première preuve de cette assurance, Ali Bongo, dans ses différents tests de présidentiable est reçu à l’Élysée par Nicolas Sarkozy au mois de juin 2008. En mai 2009, lors de son hospitalisation à Neuilly-sur-Seine, il reçoit la visite du secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant, un intime du président français. Pour couronner, le 24 février 2010, Nicolas Sarkozy  décore Ali Bongo comme Grand Officier de la Légion d’honneur. La France n’abandonne jamais ses « soldats ». C’est dans cette logique qu’elle a soutenu son « Grand officier » dans la bataille pour la conquête de la présidence gabonaise. Au mépris de la volonté populaire qui voulait tourner la page de 42 ans de pouvoir néocolonial. C’est à se demander où se trouve la Rupture promise par le président Nicolas Sarkozy au moment où il sollicitait les suffrages de ses compatriotes.
Kompa Mahamat

Alassane Dramane Ouattara : installé à coups de canon

Le sous-préfet français de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara au pouvoir à Abidjan depuis huit mois est le nouveau béni oui-oui de la France.
« Je viens d’abord remercier le président Sarkozy et son gouvernement pour l’intervention menée en avril sous-mandat des Nations–unies », confie au journal Le Monde du 26 janvier 2012  Alassane Dramane Ouattara en visite d’État à Paris.
Le sous-préfet français de Côte d’Ivoire montre ainsi  les premiers signes de soumission à la France. En effet, à l’ordre du jour de sa tournée, Alassane Ouattara a signé plusieurs accords stratégiques avec les autorités françaises. L’un des plus importants est celui de nouveaux accords de défense visant le maintien des forces françaises armées en Côte d’Ivoire. Le chef de l’État ivoirien précise à cet effet que « la France doit rester dans notre pays plus longtemps et de manière plus substantielle ». Pour le politologue Alain Fogué Tédom, « remettre la défense de son territoire  et de ses intérêts aux mains d’une puissance étrangère est une cécité géopolitique. C’est  la marque d’une soumission totale ».
L’on se souvient qu’a l’issue des élections présidentielles du 28 novembre 2010, la force française Licorne, en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années, est intervenue dans la capture du président Laurent Gbagbo. Ce dernier a refusé de s’agenouiller devant les occidentaux. Refuser de répondre au téléphone à Barack Obama et à Nicolas Sarkozy est un «  délit de non-génuflexion ».
Dans la plupart des interventions de Ouattara, l’on retrouvait ces termes : Communauté internationale, États-Unis, France, Onu, Fmi. Omettant de se référer au peuple ivoirien qui a voté  pour Laurent Gbagbo à 52% à Abidjan et à 48% sur l’ensemble du territoire de Côte d’Ivoire. Ces États  et organismes internationaux ont joué un rôle de premier plan dans l’arrivée au pouvoir de l’actuel chef d’État ivoirien. Les pays et organismes ci-dessus sont des acteurs majeurs des relations internationales. Ils n’offrent jamais leur service pour rien. Leur unique but était de placer à la tête de la Côte d’Ivoire une personne soumise. Ce pays est le plus riche de la sous-région ouest africaine et représente par ricochet un enjeu stratégique considérable pour les grands pays consommateurs de matières premières stratégiques. La Côte d’Ivoire a plus du tiers du PIB de toute l’Afrique de l’ouest. Abidjan est le 2 plus grand port de la région. Première productrice de cacao avec plus de 40% du marché mondial, la Côte d’Ivoire occupe le premier rang africain pour beaucoup de productions agricoles (café, coton, caoutchouc, palmier à huile…). Elle constitue donc un terrain incontournable pour les investissements internationaux. M. Alassane Ouattara est la personne idoine voué à l’acceptation des visées occidentales en Côte d’Ivoire et même dans toute cette partie de l’Afrique.

« Le sous-préfet de Côte d’Ivoire »

Le docteur Gilles Ardinat,  spécialiste de géographie, écrit dans le magazine Diplomatie n°54 que les dernières élections législatives ivoiriennes du 11 décembre 2011 « était un test de légitimité grandeur nature » pour Alassane Ouattara. C’était un rendez-vous démocratique raté parce que le taux de participation selon le Fpi (Front patriotique ivoirien) de l’ancien président Laurent Gbagbo a été de 15 ou 20%. Le taux d’abstention était historique. Ceci montre que le peuple ivoirien désavoue Ouattara toujours présenté par les puissances étrangères comme « le champion de la légalité ». Ardinat confie  qu’Alassane Ouattara est perçu « comme l’homme de la Françafrique, celui qui a été choisi par l’ancien colonisateur. L’intervention de l’armée française dans la bataille d’Abidjan ainsi que l’implication personnelle de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé dans cette affaire ont semé le trouble dans l’opinion ivoirienne ». Le  président est souvent traité de « préfet de Côte d’Ivoire ». Les premiers mois de gouvernance de M. Ouattara ont déçu les ivoiriens. Ardinat remarque que « beaucoup d’électeurs qui voyaient en Ado un pacificateur  impartial ont vite déchanté. Le nouveau président prompt à poursuivre des partisans du Fpi, continue à protéger les miliciens qui l’ont aidé à prendre le pouvoir ».
Nicolas Sarkozy voulait avant tout installer quelqu’un de malléable et qui dans le cas d’espèce est un ami. D’ailleurs Ouattara témoigne que « Nicolas Sarkozy est bien mon   ami ». C’est Sarkozy alors maire à Neuilly qui a marié le couple Dominique et Alassane Ouattara.
Pointcom

Comment la France soutient une dictature sortie des urnes

Portrait d’un sous-préfet français nommé Idriss Deby Itno
Novembre 2007, au plus fort d’une querelle opposant la France et le Tchad, alors que les autorités françaises se contentent de demander un jugement en France des personnes inculpées au Tchad, dans le cadre de l’affaire de L’Arche de Zoé, Nicolas Sarkozy franchit  un palier supplémentaire, mardi 6 novembre, en annonçant haut et fort son intention d’aller «chercher tous ceux qui restent, quoi qu’ils aient fait», ajoutant que «le rôle du chef de l’Etat est de prendre en charge tous les Français», titrait le journal Le Monde.
Ces propos ont provoqué un tollé au Tchad. Le président Idriss Déby Itno lui a répondu que la justice se ferait «au Tchad» estimant qu’il n’était «pas question» d’extrader les six Français. Des images de Nicolas Sarkozy, président français de la Ve république, fraichement arrivé à la tête de la France, font le tour du monde. Des idées choquantes, du fait que, lui le président « himself » est  venu délivrer des français « quoi qu’ils aient fait », en bisbille avec la justice tchadienne.  Le sommet du ridicule est atteint : l ’arche de Zoé du nom du bateau dont l’opération visait à emmener en France des ‘’orphelins’’ affectés par le conflit du Darfour, région de l’ouest du Soudan en proie à la guerre civile qui défraya en son temps la chronique, étale les contradictions  d’une liaison dangereuse, avec ses dessous bien sales et obscures au sommet des Etats. Teintés  de bonne volonté affichée, l’opération s’avère un coup foireux de trafic d’enfants et  fait oublier les péripéties d’une lutte sans merci  opposant Mahamat Nour  à Idriss Déby rhabillé en général commandant en  chef des forces armées tchadiennes pour la circonstance. C’est que le pouvoir du tombeur d’Hissène Habré vient d’être ébranlé. Comme dans un jeu de quilles, Zorro fait une expédition punitive pour remonter les bretelles à Deby. Il s’agit en effet de faire respecter la seule loi qui vaille, celle des français injustement retenus par des juges tchadiens effrontés. Mais une interrogation cependant, de qui Idriss Deby tient-il  son pouvoir.
Comme par enchantement, le pouvoir d’Idriss Deby, devenu Itno pour ressusciter ses ascendants, vacille. Mahamat Nour  est aux portes de  Ndjamena avec  ses hommes. Le  leader du Front uni pour le changement a le vent en poupe. Après avoir conquis les localités de l’Est et du Sud-est du pays, notamment les villes d’Adré, de  koku,  et de Harez et Mangueigne. Heureusement pour Deby, après une volte-face où l’Élysée l’a mis à l’épreuve en faisant semblant de le lâcher pour mieux lui montrer ensuite qu’il doit revoir ses ambitions d’émancipation à la baisse, Deby conduit lui-même les opérations d’éloignement des colonnes rebelles à l’assaut de la capitale. En effet, à 60 ans Deby en a vu d’autres. Depuis les lendemains de la Baule, Paris le préfère à Habré devenu ingérable. De Mitterrand à Sarkozy en passant par Chirac, Idriss Deby s’est refait le profil, non plus de va-t’en- guerre, mais  d’un démocrate  « façon Paris » à la tête du nouvel  émirat pétrolier qu’est devenu le Tchad. On se souvient alors de ce que François Mitterrand avait professé : « Il y aura une aide normale de la France à l’égard des pays africains, mais il est évident que cette aide sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire, et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas vers la démocratisation… »
C’est désormais, une prime à la démocratisation des régimes africains. Faisant le point sur la situation au Tchad, le président tchadien, Hissène Habré, regrette, alors, que l’on demande aux Etats africains de faire en même temps de la démocratie et une politique économique et financière qui limite quelque peu leur souveraineté… L’Afrique est victime d’une sorte d’écrasement idéologique. Et c’est peu dire. Le ras le bol de la France contre Habré n’avait que trop duré. Lui qui avait osé exiger de Paris qu’elle diminue son contingent de militaires français installés dans sa base, lui permettant de surveiller les mauvais élèves, conformément aux accords vieux de près de 30 ans, devrait payer d’avoir essayé de secouer le joug. Ainsi, c’est de justesse que le militaire Deby sauve la mise malgré les conseils de Paris l’invitant à quitter le palais. De cet épisode, on s’en souviendra, car étant à l’image des soubresauts et du tango dansé au refrain d’un « je t’aime, moi non plus ». Deux poids deux mesures, ou plutôt autre temps, autre attitude. En effet selon que le locataire de l’Elysée c’est Chirac, Mitterrand ou Sarkozy, les intérêts en présence impactent sur la donne. Le nouveau Deby est là, la rupture sarkozienne a mordu la poussière.
Jeanlin

La France donne un coup de main aux Cobras

La conférence nationale souveraine du Congo l’avait pourtant écarté. Des élections dès le premier tour en 1992, l’avaient disqualifié. Le discours de la Baule, croyait-on, avait fait des émules. L’avènement de Pascal Lissouba apportait une autre vision.  Remplaçant pourtant élu, il resta plus universitaire que politique. La preuve, Sassou ne se gêna point pour revenir occuper  le  palais présidentiel du plateau de Brazzaville en marchant sur des cadavres tombés pendant les mois et années  de combat opposant Ninja et Cobra.
« L’élection tend à devenir un mode normal de dévolution du pouvoir en Afrique… il faut en finir avec les coups de force ou d’Etat, les putschs, les juntes, les pronunciamientos et toutes les manifestations de transition violentes..» Tels sont les propos de Jaques Chirac devant le parlement congolais un jour de juillet 1996 à Brazzaville. Au regard de ce qui précède, on ne sait si on doit rire ou pleurer. De la coupe aux lèvres…ou bien, entre ce que pense le cœur et ce que dit la bouche d’un politique… on comprend alors tout. Les non-dits de la déclaration selon laquelle la démocratie est un luxe que ne peuvent se permettre les Africains, parole avisée...
Comment comprendre autrement, lorsque la rupture claironnée tambour battant de Sarkozy se heurte à la Françàfrique de papa emportant au passage Jean Marie Bockel.  Très  inspiré de refaire la cartographie  des rapports décomplexés à hue et à dia, hélas, seulement dans les discours qui n’engagent que ceux qui y croient, Bockel vit l’acte de décès de la françàfrique ajourné à la saint glinglin.
De la sorte, une nouvelle expérimentation se fait jour, et le triomphe de la dynastocratie selon le néologisme bien à propos de Joe la conscience fait fureur. Si au Gabon un Bongo se fait un prénom, au Togo un Faure dégage tout en envoyant en taule son frère et se met sur les traces de son digne Eyadema de père. Gbagbo est mis au frais avec la bénédiction du conseil de sécurité par une résolution. Kadhafi  moins chanceux est 4  pieds sous terre. Tant  que les diamants  de centrafrique peuvent échapper à l’étalonnage de kimberly au bénéfice de certains amis de la France, Bozizé Yagovonda peut dormir en paix. Lui qui remplaça sans coup férir un président démocratiquement  élu et pas du goût de Paris. Ce qui a fait dire à l’auteur de  les Noirs de L’Élysée, in volume2 « De Dacko à Bokassa en Centrafrique, de la privatisation de l’Etat par les dictateurs africains, la gestion collatérale du pouvoir est assimilée à un pouvoir détenu par un clan[…] de la RDC où l’assassinat de l’une des filles de Kabila père a été attribué à son cousin détenteur du pouvoir laissé par le père, au Togo où  Eyadema fils-successeur a jeté en prison son cousin prétentieux en passant par la rébellion de rue suscitée par  ce mode de succession(contre Ali Bongo au Gabon), les crises dynastiques s’annoncent comme un nouveau type de conflits que l’on attribuera bientôt aux petits nègres qui passeraient le temps à se battre pour le pouvoir»
Jeanlin

France-Afrique: Quelle politique pour la France en 2012

Certains pensaient que l’absence totale de curiosité de Nicolas Sarkozy envers l’Afrique allait permettre à la France de tourner la page d’un certain mode de relation avec le continent. Non seulement il n’en fut rien, mais on a assisté à une recentralisation vers l’Élysée de la politique africaine selon des modalités rappelant les années Foccart.
Après ces années de régression, marquées par une vision utilitaire et vénale des relations franco- africaines, le chantier du renouvellement est immense. L’Afrique a connu des évolutions majeures durant la dernière décennie : raréfaction des coups d’État, éclosion économique, irruption des émergents... Elle est confrontée à d’importants défis : diversification de l’économie et industrialisation, déficit en ressources humaines bien formées, démographie, choix d’un développement respectueux de l’environnement. Face à ces transformations, la France demeure dans une posture de citadelle assiégée, refusant de s’engager dans une collaboration bilatérale avec ses partenaires européens.
En cas d’alternance, quelle politique une majorité de gauche devrait-elle mener vis-à-vis du continent le plus proche de l’Europe ? Cette note s’attache à lancer des pistes pour une politique rationalisée, à même de servir les intérêts de la France et de l’Afrique sur le long terme :
- accepter le changement en Afrique, l’anticiper, l’accompagner, en favorisant l’émergence d’acteurs politiques de qualité, et un travail de fond vis-à-vis de la société civile, via par exemple le Fonds social de développement ;
s’appuyer sur les relations sociales qui, à tous les niveaux, relient Français et Africains, et se sont effritées au fil des ans du fait d’une politique de visas restrictive, en réinventant le concept de codéveloppement ;
- penser les intérêts français à long terme, en aidant, avec l’Europe, l’Afrique à franchir un palier supplémentaire sur la voie de la démocratisation, en développant la démocratie concrète et les contre-pouvoirs, conditions indispensables pour un développement économique et humain ;
- refonder l’aide au développement, dans un contexte où la fin des annulations de dette massives va assécher l’aide « réelle » et reléguer la France au rang d’acteur de second plan, en organisant par exemple des «états généraux» impliquant tous les secteurs de l’Etat, des collectivités locales et de la société civile intéressés ;
- parler aux «Afriques» plutôt qu’à l’Afrique, en privilégiant les «sous-régions» regroupées dans des organisations cohérentes et solides pour certaines;
- dans le domaine monétaire, mettre fin à la parité fixe avec l’euro au profit d’une parité flexible, à même d’éviter de réitérer l’ajustement brutal par dévaluation ;
- européaniser la présence en Afrique, en réengageant les partenaires européens, réticents à s’impliquer après des années d’une politique française consistant à faire financer par les Européens sa propre action d’influence en Afrique.

Le fait que le cinquantenaire des indépendances africaines se soit déroulé en 2010 sans susciter en France ni débat d’envergure, ni tentative de diagnostic de la relation franco-africaine est significatif. On ressent une difficulté pour notre pays à trouver sa juste place vis-à-vis d’un continent où il resta, dans la foulée des indépendances, un acteur de référence, avant d’être en l’espace de quelques années marginalisé économiquement et politiquement par d’autres puissances, notamment les pays émergents.
L’enjeu pour un gouvernement de gauche sera de refonder sur des critères rationnels la politique de la France envers le continent qui lui est le plus proche, d’accompagner les développements positifs que connaît déjà l’Afrique et de mettre fin aux pratiques d’un autre âge.

1 - Sarkozy et l’Afrique, un rendez-vous manque aux effets désastreux

S’il est un domaine de la politique étrangère où la majorité sortante s’est montrée sans doctrine ni ligne directrice, c’est celui de la relation avec l’Afrique. Cette dernière a été, sous Nicolas Sarkozy, basée - au gré des circonstances - sur trois ingrédients :
- une méconnaissance assumée (et même revendiquée) du continent, dont le trop fameux «discours de Dakar» fut l’illustration par excellence ;
- le clientélisme de l’Élysée et de ses obligés, révélé notamment par le retour en force des intermédiaires tels que Robert Bourgi et la mainmise sur les affaires africaines du secrétaire général de l’Elysée ;
- le storytelling à destination de l’opinion publique française, perceptible notamment à l’occasion des engagements militaires au Tchad, en Côte d’Ivoire et en Libye.
La promesse sarkozienne de « tourner la page des réseaux d’un autre temps, des conseillers officieux, des officines, des émissaires de l’ombre» n’a pas fait longtemps illusion. Visiblement redevable à certains chefs d’État africains, Nicolas Sarkozy réservait son premier déplacement sur le continent à Mouammar Kadhafi, Omar Bongo et Abdoulaye Wade, et remettait personnellement la Légion d’Honneur à l’homme lige des autocrates africains, Robert Bourgi, qui se comportait dès lors ouvertement en conseiller Afrique du Président, aux dépens des conseillers en titre.
Le désastreux « discours de Dakar » réussit, en une heure de temps, à « plomber » pour plusieurs années l’image de la France en Afrique. Trois ministres de la coopération en cinq ans, méconnaissant totalement l’Afrique, ne parlant pas anglais, constamment humiliés par la diplomatie parallèle de l’Élysée, n’arrangeront rien. Le premier d’entre eux, le crédule Jean-Marie Bockel, sera congédié sur simple demande des parrains africains de Nicolas Sarkozy. Le deuxième, Alain Joyandet, se comportera en petit télégraphiste de Claude Guéant et en porte-parole d’une vision instrumentale de l’Afrique(2). Le troisième, Henri de Raincourt, rétif aux déplacements en avion - à la différence de son prédécesseur, laissera juste le souvenir d’une banale erreur de casting.
Pour Nicolas Sarkozy lui-même, ce sera très rapidement le «service minimum» en ce qui concerne l’Afrique. Un discours au Cap pour rattraper la bourde de Dakar, une visite au siège de l’Union africaine pour faire passer la pilule de l’intervention militaire française en Côte d’Ivoire, et quelques déplacements éclair dont la brièveté ne pouvait être ressentie que comme humiliante par les pays concernés. Le sommet Afrique-France de Nice se muait en tête à tête entre patronats français et africain, tandis que le reste de la société civile, principal vecteur d’amélioration des conditions de vie et de réforme de la gouvernance, était soigneusement tenue à l’écart.
De l’ingérence désastreuse dans la crise à Madagascar à la complaisance coupable envers Abdoulaye Wade ou Idriss Déby, en passant par le favoritisme déraisonnable (et suspect) envers l’Ivoirien Alassane Ouattara (350 millions prêtés par l’Agence française de développement (Afd) avant même le feu vert du Fmi, plus un contrat de désendettement de deux milliards d’euros), la France a constamment slalomé en fonction des amitiés présidentielles, sincères ou obligées.
Le caractère erratique du quinquennat Sarkozy s’est aussi révélé dans la gestion du phénomène Aqmi. Ne parvenant pas à définir des objectifs clairs, l’Élysée a géré ce dossier stratégique au coup par coup, cautionnant le paiement de rançons un jour, s’attaquant violemment aux preneurs d’otages le lendemain, au prix de la vie de plusieurs Français. Le gouvernement sortant s’est positionné comme la cible privilégiée des islamistes tout en se montrant inefficace dans le traitement du problème, notamment en raison de son incompréhension de l’agenda de ses interlocuteurs sahéliens et algérien.
Nicolas Sarkozy ne s’est pas contenté de se laisser mener par les événements. Il s’est aussi activement employé à réduire dramatiquement le personnel diplomatique et s’est efforcé de miner l’exceptionnel outil qu’est l’Afd en nommant à sa tête un de ses fidèles, aux méthodes contestées.
De ce bilan, quels acquis restera-t-il demain ? La renégociation des accords de défense, trop longtemps repoussée - y compris par la gauche lorsqu’elle était au pouvoir - reste inachevée. Les liens diplomatiques ont été renoués avec le Rwanda, ce qui était souhaitable. Et la Françafrique est malgré tout ébranlée, sous l’effet du travail obstiné de la société civile et d’une poignée d’élus, de juges et de policiers.

2 - État des lieux : une Afrique dynamique mais confrontée à des défis importants

Une Afrique dynamique et convoitée
Bien qu’il soit difficile de parler de « l’Afrique » comme d’un ensemble homogène, les évolutions majeures de la dernière décennie au Sud du Sahara ont été la raréfaction des coups d’État, l’éclosion économique de certains pays et l’irruption des émergents en tant qu’acteurs sur le continent.
Aux clichés misérabilistes se substitue progressivement le visage plus réaliste d’un continent constituant l’un des principaux réservoirs de croissance économique, la plus importante réserve de ressources naturelles et le plus grand marché en devenir. Vu d’Europe, l’engagement en Afrique par devoir de solidarité, par culpabilité historique ou par « abus de faiblesse » a laissé place à un investissement raisonné pariant sur les atouts réels du continent (dont témoigne notamment la multiplication des fonds d’investissement spécialisés sur l’Afrique). Du fait de leur rentabilité, les investissements directs étrangers en Afrique ont été multipliés par huit en huit ans (72 milliards de dollars en 2008 contre 9 milliards en 2000).
Cette évolution positive est inégalement répartie sur le continent, tient fortement aux investissements du secteur extractif et reste tributaire de la manière dont les États sont gérés. Face aux convoitises dont ils sont l’objet, certains pays africains parviennent à s’affirmer et connaissent une amélioration visible de leur mode de gouvernance et de leurs critères de développement (Ghana, Tanzanie, Botswana...). Mais beaucoup d’autres - notamment parmi les anciennes colonies françaises - stagnent ou régressent (Zimbabwe, Côte d’Ivoire, Togo, Centrafrique, Madagascar...).

L’irruption des émergents

La France n’a pas à paniquer face à l’irruption de nouveaux acteurs sur le continent. L’implication de la Chine, qui a fait naître tant de fantasmes en France, suscite déjà des réactions hostiles dans certains pays. Ils se rendent compte que l’intérêt de la Chine (comme des autres émergents) n’a rien de philanthropique, quelle que soit la rhétorique teintée de tiers-mondisme et d’anticolonialisme qui l’accompagne3. Plutôt que de chasser les nouveaux venus dans notre «pré carré » (ce qui serait illusoire), l’enjeu actuel pour notre pays serait plutôt d’entretenir et de susciter l’intérêt pour l’Afrique auprès d’acteurs nouveaux, notamment parmi les Vingt-Sept. Hubert Védrine, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, avait concrètement marqué cette volonté en effectuant plusieurs déplacements sur le continent en binôme avec ses homologues britannique, belge et néerlandais. Aujourd’hui, la France officielle est plutôt dans une posture de citadelle assiégée, considérant avec suspicion toute idée de collaboration bilatérale avec ses partenaires européens, et exploitant mal son soft power au sein des institutions européennes.

Une démocratisation en trompe-l’œil

La revendication démocratique qui a ébranlé les régimes autoritaires africains entre 1989 et 1992 a vite été contrée. Ces régimes se sont « réinventés » sous le couvert du multipartisme. Et les groupes dominants qui les contrôlaient ont bien souvent su détourner à leur profit les mesures de libéralisation économique, en particulier les privatisations, qu’imposaient les programmes multilatéraux d’ajustement structurel. Néanmoins, la restauration autoritaire ne l’a pas emporté partout : des alternances sont survenues, le nombre de coups d’Etat militaires a décru. Dans des pays comme le Ghana, le Mali ou le Botswana, le régime représentatif semble s’être institutionnalisé de manière durable.
Si la grande vague de revendication démocratique d’il y a vingt ans n’a pas modifié en profondeur les lignes de l’inégalité sociale, elle a transformé les conditions de l’exercice du pouvoir par la banalisation du multipartisme et de la vie associative, et souvent une libéralisation de la presse (notamment grâce à Internet). Dans le sillage des conférences nationales des années 1990 et avec l’aide de l’Union européenne, les élections pluralistes se sont multipliées sur le continent. Elles ont permis à nombre de pays de sortir avec un certain succès d’une période de conflits (Liberia, Sierra Leone, Burundi). Mais ces élections sont trop souvent considérées par la « communauté internationale» comme une fin en soi, synonyme à elle seule de règlement de la crise. Quant aux gouvernants africains, ils tendent à voir dans les élections un exercice obligé destiné à complaire aux bailleurs de fonds et servant en réalité à habiller un accaparement durable du pouvoir politique et économique (Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Gabon, Congo, Rwanda...). Or, la plupart des crises et des conflits qui se sont développés ces dernières années en Afrique sont des crises de la citoyenneté portant sur la question des droits, individuels et collectifs.

D’importants défis à relever

Si, comme on l’a relevé plus haut, l’économie de l’Afrique connait globalement une évolution positive, il convient de garder à l’esprit qu’une part importante de la croissance africaine repose sur des facteurs extérieurs (hausse des matières premières, demande des émergents...) tandis que les structures des économies ont, dans l’ensemble, peu évolué depuis les indépendances. Le défi de la diversification reste entier si l’on veut que la croissance africaine soit durable, créatrice d’emplois et moins dépendante des exportations de matières premières brutes. Cela devra passer par une industrialisation progressive du continent, qui pourrait commencer par l’étape de la transformation primaire des matières premières, notamment agricoles.
Actuellement, c’est le déficit en ressources humaines bien formées plutôt que le manque d’investisseurs potentiels qui freine ce mouvement. La France peut jouer un rôle moteur en la matière, par exemple en développant le concept des écoles inter-Etats qu’elle soutient déjà en Afrique de l’Ouest, qui forment des ingénieurs et des cadres que les entreprises s’arrachent. Associer davantage ces entreprises au financement de telles institutions pourrait augmenter encore leur impact sur le développement du continent le plus affecté par la « fuite des cerveaux ».
Sur le chemin de l’émergence économique, la démographie explosive de l’Afrique reste un handicap majeur. La population de l’Afrique subsaharienne est passée de 100 millions d’habitants en 1900 à 860 millions aujourd’hui et elle devrait doubler encore d’ici à 2050, atteignant environ 1,8 milliard d’habitants. Tant qu’elle perdure, cette situation empêche l’Afrique de bénéficier du « dividende démographique ». En effet, il est scientifiquement démontré que c’est l’accélération de la transition démographique (baisse de la mortalité et de la fécondité) qui a permis aux pays d’Asie de « décoller ». A ce sujet, il faut noter qu’à la différence de l’Asie, l’Afrique a encore la possibilité de baser son développement futur sur des choix respectueux de l’environnement, pour peu qu’elle y soit incitée et aidée. Ajoutées à celle du genre, ces deux thématiques - démographique et environnementale - devraient être explicitement présentes dans les projets de développement soutenus par la France et l’Europe.

3 - Quelle politique africaine pour la France demain ?

Parmi les paramètres sous-tendant la politique de la France en Afrique depuis 1960, beaucoup sont caducs : rivalité impérialiste avec les puissances anglophones, prétendue nécessité de bases militaires permanentes, contreparties politiques et militaires aux échanges économiques...
D’autres objectifs stratégiques restent d’actualité : assurer l’indépendance énergétique du pays, défendre l’usage de la langue française, préserver un volant de votes au Conseil de sécurité, lutter contre le trafic de drogue et d’êtres humains, combattre (si possible intelligemment) le terrorisme.
Dans ce contexte, quels pourraient être les contours d’une politique différente à l’égard de l’Afrique ?

Accepter le changement, l’anticiper, l’accompagner

Les gouvernants français des deux dernières décennies sont restés obsédés par la stabilité, ou plutôt par l’illusion de la stabilité en Afrique. Ils ont fondamentalement peur du changement et restent inspirés par une vision différentialiste des relations internationales, qui n’est pas dénuée de racialisme. Le cliché selon lequel « l’Afrique n’est pas mure pour la démocratie » n’est hélas pas mort. Pourtant, la France et l’Europe devraient avoir à l’égard de l’Afrique subsaharienne l’attitude cohérente que l’UE adopta à l’égard des pays de l’Europe centrale et orientale, liant transition vers l’économie de marché et démocratie.
Si l’implication militaire forte de la France dans la crise ivoirienne, avec pour objectif affiché le respect du verdict des urnes, a été salué par de nombreux Africains, il crée chez ceux-ci des attentes que la France doit satisfaire autrement que militairement. En effet, aux yeux de beaucoup, l’interventionnisme armé et le recours très «orienté» à la Cour pénale internationale incarnent une nouvelle mission civilisatrice occidentale, rappelant à bien des égards la «pacification» de l’ère coloniale. Pour rompre avec de tels clichés, il appartiendra à la future majorité d’achever la renégociation des accords de défense noués avec une partie des anciennes colonies, en associant davantage le Parlement à ce processus.
Une politique qui favorise l’émergence d’acteurs politiques de qualité en Afrique, plutôt que de maintenir sous perfusion de vieux présidents «amis», serait nécessaire. Cela passe par un travail de fond de la part d’ambassadeurs qui «parlent à tout le monde», et spécialement à la société civile, comme le font (souvent excellemment) les diplomates américains. Un outil comme le Fonds social de développement (Fsd), très bel instrument d’aide à la société civile, devrait être étendu et voir ses moyens accrus, malgré les contraintes budgétaires.

S’appuyer positivement sur les liens entre France et Afrique

Si la France a réussi, pendant plus de trente ans, à conserver un lien fort avec le continent, ce n’est pas seulement grâce aux alliances politiques et aux réseaux personnels qui s’étaient établis au plus hauts échelons de l’État. C’est surtout par la vertu des relations sociales qui, à tous les niveaux de la société, établissaient des ponts de communication entre Français et Africains. On a pourtant le sentiment que cette connaissance mutuelle, ces liens intimes ne pèsent pour rien dans la politique actuelle en direction de l’Afrique.
Au fil des ans, notamment sous l’effet d’une politique de visas restrictive, ce ciment relationnel s’est effrité pour laisser place à une incompréhension mutuelle. C’est ce qui conduit une part croissante de l’élite africaine à préférer les États-Unis, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne à la France, notamment en matière d’études supérieures. Pour restaurer notre influence, il est capital de retisser des liens humains dans les deux sens et de faciliter la circulation des hommes et pas seulement des marchandises. En ce domaine, il faudra être attentif aux échos venus des entreprises et Ong françaises implantées en Afrique, qui ont l’expérience du terrain et la conscience des besoins qui en remontent.
Avec un peu d’inventivité, il y aurait beaucoup à gagner à développer les échanges, à s’appuyer sur les diasporas, à miser sur la volonté des Français d’origine africaine d’aider au développement non seulement de leur pays d’origine mais plus largement de l’Afrique. Tel qu’il était défini sous le gouvernement Jospin, le concept de co-développement cherchait à canaliser et soutenir cet élan. Il a malheureusement été dévoyé pour s’inscrire dans la politique de «conditionnalité migratoire», mais il serait bon de le réinventer sous un autre terme.

Penser les intérêts français à long terme

L’acharnement mis par les gouvernants récents à défendre le «dogme de la stabilité», évoqué plus haut, a aliéné à la France une part importante de l’opinion africaine. Dans certaines crises récentes (Gabon, Mauritanie, Sénégal, Madagascar), il y a de bonnes raisons de penser que des choix politiques influant sur le destin de peuples entiers ont été tranchés à Paris en fonction d’intérêts privés. Il faut redonner de la crédibilité et de la respectabilité à la France : son intérêt à moyen et long termes réside dans le soutien à une évolution, qui ne pourra être que progressive, vers un désamorçage des conflits en Afrique par le politique. Ce travail nécessaire devra donner lieu, à l’égard de certains pays (Cameroun, Madagascar, Rwanda...), à un travail de mémoire à même de déboucher sur la reconnaissance d’erreurs et de crimes commis au nom de la France.
Pour la France et l’Europe, ce sera un enjeu majeur dans la décennie qui s’ouvre que d’aider l’Afrique à franchir un palier supplémentaire sur la voie de la démocratisation en développant une «vie démocratique» entre deux élections, ce qui passe par l’existence de contre-pouvoirs. Ce volontarisme en faveur d’une démocratie concrète est d’autant plus nécessaire que les nouveaux acteurs économiques que sont les pays émergents, à commencer par la Chine, ne mettent en avant aucune exigence de cet ordre dans leur relation avec l’Afrique. Il ne s’agit naturellement pas d’avoir d’un côté les vieilles puissances moralisatrices et de l’autre les émergents sans scrupules, mais de prouver par des actes que nous, Européens, croyons que la démocratie et l’État de droit constituent les conditions indispensables pour un développement économique et humain, en Afrique comme ailleurs.
Il convient de ne pas générer des prophéties auto réalisatrices, par exemple en soutenant des politiques perçues comme «anti-islamiques» en Afrique de l’Ouest4, ce qui ne ferait qu’alimenter les ennemis contre lesquels on prétend lutter, en gonflant les rentes de situation de ces ennemis supposés mais aussi de ceux qui prétendent les combattre. La lutte contre Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) devrait faire l’objet d’une remise en perspective sous des angles qui ne soient pas exclusivement militaires et sécuritaires.

Refonder l’aide au développement

Le débat international sur l’aide publique au développement (Apd) a été vif ces dernières années. Tandis que certains praticiens africains du développement réclamaient une interruption pure et simple de l’aide extérieure, attribuant à ses effets pervers tous les maux de l’Afrique, le cap des 0,7 % du Pib consacré au développement est resté un dogme hypocritement défendu, alors même qu’on le sait pratiquement inatteignable. À l’échelon français, des mutations intéressantes ont eu lieu : première expérience de financement innovant à travers la «axe Chirac» sur les billets d’avion, augmentation spectaculaire de la part des prêts dans les fonds décaissés par l’Agence française de développement, devenue «l’opérateur pivot» de l’aide.
Les annulations de dette massives, qui gonflent artificiellement les statistiques de l’Apd, vont prendre fin à très court terme, dévoilant l’assèchement de l’aide «réelle». Cette situation est en passe de reléguer la France au rang d’acteur de deuxième, voire troisième rang, saupoudrant l’aide dans une zone d’intervention toujours aussi large quand d’autres Etats (Grande-Bretagne, Allemagne) ont fait le choix de la sélectivité des zones et des domaines d’intervention.
Ce cap inéluctable devrait être l’occasion de repenser notre politique d’aide, pourquoi pas dans le cadre d’«états généraux» impliquant tous les secteurs de l’État, des collectivités locales et de la société civile intéressés. Ces états généraux pourraient aider à définir des lignes directrices à même de guider la politique française de développement : faut-il privilégier les francophones, les plus pauvres, les plus démocratiques, les émergents de demain ? Certaines caractéristiques de l’aide française (fort transfert par les organisations multilatérales et les fonds mondiaux, faible transfert par les Ong, principe des 14 pays prioritaires de l’aide) pourraient ainsi être discutées de manière transparente, en associant la représentation nationale.

Parler aux « Afriques » plutôt qu’à l’Afrique

S’il ne fait pas de doute que l’existence d’une Union africaine regroupant l’ensemble des 54 pays du continent fait sens et doit être soutenue, il est tout aussi certain que c’est à tort que cette instance est considérée comme le pendant de l’Union européenne (y compris par cette dernière). Il faudra probablement encore des décennies avant que les États africains aient atteint un degré suffisant de convergence dans leur développement pour permettre l’existence d’une plateforme véritablement communautaire à l’échelon continental. D’ici là, les « sous-régions », déjà regroupées dans des organisations cohérentes, solides pour certaines et néanmoins souples dans leur composition, devraient être des interlocutrices privilégiées pour la France et l’Union européenne. Cela se justifie d’autant plus que la Réunion et Mayotte seront peut-être appelées un jour à rejoindre ces organisations comme observateurs ou membres associés.
La même démarche devrait exister en matière monétaire. En effet, héritage de l’époque coloniale, 14 pays d’Afrique ont pour monnaie un franc (Cfa et comorien) arrimé à l’euro via un accord monétaire avec la France. Pour diverses raisons5 (le commerce ouest-africain est globalement déficitaire, le commerce d’Afrique centrale excédentaire), il serait dans l’intérêt de ces deux zones économiques de mettre fin à la parité fixe avec l’euro au profit d’une parité flexible, à même d’éviter de réitérer l’ajustement brutal par dévaluation. Cette évolution devra s’inscrire dans une politique ambitieuse d’intégration de l’Afrique dans la gouvernance mondiale, notamment à travers ses chefs de file économiques que sont l’Afrique du Sud et le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique et l’un des plus négligés par la France.

Européaniser la présence en Afrique, une priorité vitale

Le caractère erratique de la politique récente en Afrique a annihilé le début d’européanisation amorcé au début des années 2000. Par exemple, le succès des deux opérations militaires européennes en soutien à l’Onu en République démocratique du Congo en 2003 et 2006 a été ruiné par l’organisation au forceps par la France en 2007-2008 de l’opération Eufor Tchad-Rca, à la nécessité contestable et aux objectifs ambigus. Résultat : alors même que la France aurait intérêt à mettre fin à sa présence militaire anachronique sur le continent et à passer le relais à l’Europe pour la formation des armées africaines et des interventions militaires ponctuelles, très peu d’États européens sont aujourd’hui prêts à s’impliquer. Ils sont braqués contre l’attitude hypocrite dont a fait preuve la France au cours des dernières années, consistant de facto à faire financer par les Européens sa propre action d’influence en Afrique(6). En outre, le point d’honneur mis par la France à assurer les opérations d’évacuation de ressortissants étrangers lorsque des crises le nécessitent déresponsabilise totalement ses partenaires (et justifie au passage la survivance - sans équivalent - de bases militaires françaises sur le continent). Ce type d’opérations, tout comme les missions ponctuelles de rétablissement de la paix en appui à l’Onu, devraient être menées par les groupements tactiques européens (EU battlegroups) créés en 2007 à cette fin dans le cadre de l’Ue.
Un travail de conviction important, gagé sur un changement visible de la politique de la France en Afrique, sera nécessaire pour dénouer ce blocage. Cette tâche d’inflexion de la politique européenne en Afrique pourrait constituer, avec la réforme de la coopération, la feuille de route pour un ministre de la coopération connaissant l’Afrique et ne craignant pas d’arpenter le terrain. Symboliquement, son premier déplacement officiel sur le continent pourrait être mené en commun avec un homologue allemand ou britannique pour marquer la volonté de travailler en commun et dans la transparence.

En conclusion : normaliser la relation pour sauver nos intérêts

Dans un article récent(7), Jean-François Bayart appelait de ses vœux une politique africaine à même de «s’adapter à ce qu’est l’Afrique aujourd’hui et anticiper ce qu’elle est en passe de devenir». Faire cela constituerait déjà un énorme progrès par rapport au quinquennat qui s’achève. La recentralisation à outrance de la politique africaine à l’Élysée, le règne des émissaires officieux et de la diplomatie parallèle, l’absence de réflexion collective sur les priorités françaises en Afrique (par exemple à l’échelon interministériel) : tout cela peut et doit prendre fin pour laisser place à une politique charpentée, basée sur une doctrine réfléchie et assumée.
Les Africains sont las des discours moralisateurs d’une France qui, à force de les étreindre, les étouffe. Ils préfèrent que la France, comme les autres puissances, affiche clairement ses intérêts et traite avec eux comme avec n’importe quel autre interlocuteur dans le monde. Paradoxalement, c’est dans la banalisation de la modalité de ses relations avec l’Afrique que la France pourra (peut-être) y conserver une influence. Cette leçon du «printemps arabe» devrait être comprise avant qu’un certain nombre de pays subsahariens ne vivent à leur tour des soulèvements populaires du même ordre - et motivés par le même genre de motifs - que leurs devanciers nord-africains. En matière de contacts avec les sociétés civiles en Afrique, la diplomatie française n’a qu’insuffisamment tiré les leçons des événements du Maghreb.
À l’égard de l’opinion française, un travail pédagogique est aussi à effectuer pour justifier l’existence d’une inflexion spécifique en faveur de l’Afrique, basée sur des intérêts et des principes bien établis.
Une nouvelle majorité pourrait, par des actes forts (enterrement des Accords de partenariat économique tels que Bruxelles s’ingénie à vouloir les imposer, réforme du Franc Cfa, reconnaissance d’une responsabilité dans certains drames historiques en Afrique) marquer la volonté française de rompre définitivement avec la Françafrique. Cela pourrait passer par un nouveau « discours de Brazzaville » : une déclaration d’orientation et de clarification de nos objectifs qui soit, simultanément, un discours émancipateur marquant la sortie définitive du legs colonial.
Dans un second temps, après un dialogue élargi portant sur la politique de coopération au développement, des collaborations originales en faveur de l’Afrique pourraient s’instaurer, entre un groupe de pays pionniers au sein de l’Union européenne ou avec des émergents comme la Turquie, désireuse de lancer des projets communs avec la France en Afrique, où elle vient d’ouvrir 17 ambassades. Une organisation internationale de la Francophonie sortie de sa torpeur pourrait aussi jouer un rôle renouvelé. Bref, il y a beaucoup à inventer et à rénover, et c’est ce que de nombreux Africains attendent et espèrent de la France.
Luc Machet
*Luc Machet est le pseudonyme d’un chercheur sur les questions africaines.
Source Terra Nova
2-Alain Joyandet se flattait de « ne pas avoir peur de dire aux Africains qu’on veut les aider, mais qu’on veut aussi que cela nous rapporte », in Libération du 24 juin 2008.
3- Jean-Christophe Rutin, « Le temps des paradoxes. La France et l’Afrique, cinquante ans après les indépendances », Le Débat n°163, janvier 2011.
4-Jean-François Bayart, « Le piège de la lutte anti-terroriste en Afrique de l’Ouest », Mediapart, 28 Juillet 2010. http://bloqs.mediapart.fr/bloq/iean-francois-bavart/280710/le-pieqe-de-la-lutte-anti-terroriste-en-afrique-de-louest
5- Bien développées par Thomas Mélonio dans sa note « Quelle politique africaine pour la France en 2012 ? », Fondation Jean Jaurès, juin 2011.
6-Parallèlement, alors que la France est le deuxième contributeur du Fonds européen de développement, elle a été assez peu regardante sur son utilisation, notamment sous le mandat de Louis Michel
7-« Quelle politique africaine pour la France ? », Politique africaine n°121, mars 2011.

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