• Full Screen
  • Wide Screen
  • Narrow Screen
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size
Société Comment le sciage artisanal nourrit la corruption des fonctionnaires

Comment le sciage artisanal nourrit la corruption des fonctionnaires

Envoyer Imprimer PDF
Note des utilisateurs: / 0
MauvaisTrès bien 
De nombreuses organisations non gouvernementales œuvrant dans la préservation des forêts n’ont eu cesse de le dénoncer, mais le commerce de bois de manière informelle fournit une importance source de revenus à des fonctionnaires corrompus et pas un seul franc à l’État.
C’est la substance d’une étude réalisée par Paolo Cerutti et Guillaume  Lescuyer. Dans leur état des lieux  du marché domestique  du sciage artisanal au Cameroun, les deux chercheurs du Cifor sont plus que formels : « Plusieurs éléments nous ont poussés à conduire ces recherches sur le secteur domestique du bois de manière parallèle dans plusieurs pays du bassin du  Congo. Dans tous ces pays couverts, ce secteur représente une part non négligeable des bois réellement exploités, parfois supérieurs à celle du secteur officiel », soulignent en chœur les deux fins limiers. Avant d’expliquer que ce secteur se définit par opposition à celui du bois qui est abattu ; transformé et exporté par le secteur industriel.
En tout cas Paolo Cerutti et Guillaume Lescuyer indiquent que depuis 1996, le volume de bois récolté au Cameroun pour alimenter le marché intérieur et les marchés régionaux a été multiplié par dix. Mais 75% du bois destiné au marché intérieur est produit par des opérateurs de tronçonneuses  travaillant sans titre, en d’autres mots, illégalement. Le document occasionnel « le marché  domestique  du sciage artisanal  au Cameroun, état des lieux, opportunités et défis en expliquent d’ailleurs ses contours. « Les ventes annuelles moyennes,  évaluées entre juillet 2008 et juin 2009, s’élèvent au total à environ 99000 m3 de bois d’œuvre scié. La consommation totale est estimée à environ 860000 m3 puisqu’environ 130000 m3 sont vendus d’un marché à l’autre avant d’atteindre l’utilisateur final » , indique le rapport qui révèle encore que ce commerce de bois exploité de manière informelle  fournit un moyen de subsistance  à plus de 45000 personnes. Un secteur que Charlie Pye-Smith juge lucratif. «  À Bertoua, la capitale de la région de l’Est du Cameroun, écrit-il, les négociants en bois sont confrontés à deux grands problèmes. Le premier (et vous entendrez la même plainte sur tous les marchés du pays), c’est la baisse de l’offre… Mais notre plus grand problème, c’est le harcèlement des fonctionnaires qui exigent des paiements informels». Une manière de dire pots-de-vin. Une partie du bois qui passe par le marché de Kano, à Bertoua est vendue à des acheteurs de Yaoundé, la capitale du pays, mais la majeure partie est destinée au Tchad, à plus de 1250 kilomètres au nord. Un voyage onéreux. « Entre Bertoua et la frontière, on compte une vingtaine de barrages routiers tenus par des fonctionnaires du ministère de la Forêt et de la Faune, de la gendarmerie et de la police et la seule manière de passer est de leur verser de l’argent », explique Charlie Pye-Smith

Pots-de-vin

Aussi les personnes impliquées dans ce commerce illégal de sciages doivent, selon Paolo Omar Cerutti et Guillaume Lescuyer, régulièrement verser des pots-de-vin aux représentants des administrations pour poursuivre leur activité.  Deux tiers des scieurs interrogés par le Cifor déclarent corrompre systématiquement agents du ministère des Forêts et de la Faune, de police et gendarmes.  Les mêmes scieurs reconnaissent d’ailleurs  que  leur principal problème est le harcèlement qu’ils subissent de la part des fonctionnaires. Conséquence, l’État ne tire aucun bénéfice de la récolte du  bois et toutes les tentatives de légaliser cette activité ont souvent été contrariées par  les fonctionnaires censés faire appliquer  la loi.
« Nous avons été surpris de nos découvertes », indique  Paolo Cerutti. Non sans avoir constaté que la quantité de bois vendu  était bien supérieure à leurs prévisions, l’intégralité du secteur  fonctionnant comme une économie parallèle illégale. Une économie parallèle illégale très minée par la corruption régie ici par la ritournelle « Il faut négocier ». Entendue dans les forêts, aux barrages routiers et sur les marchés, ce terme est bien connu des négociants en bois. Souvent, les responsables forestiers commencent par demander 100 à 200 Fcfa par planche mais le scieur tentera de faire baisser ce prix. S’il y parvient, un camion chargé par exemple de Sapelli rapportera 40000 Fcfa aux fonctionnaires. Quand on sait que leur salaire mensuel est d’environ 100000 Fcfa, on voit bien qu’il s’agit d’une activité rentable. Aussi ceux-ci deviennent des harceleurs  de la pire des espèces et des corrompus hors pair.
D’où le vœu de Paolo Cerutti et de Guillaume Lescuyer de voir le cadre légal s’accompagner d’importantes poursuites légales envers les personnes acceptant ou exigeant des pots-de-vin. « Si le gouvernement souhaite éradiquer  la corruption dans le secteur forestier, des sanctions plus sévères sont nécessaires. Notamment des peines de prison pour les actes les plus graves», explique Paolo Cerutti. Et le même de suggérer « tout d’abord que gouvernement prévoie un nouveau cadre juridique pour la filière nationale du sciage, qui soit aussi bien adapté aux besoins de la population des zones rurales qu’à la disponibilité du bois. Il suggère également que l’accès aux titres d’exploitation, et donc à la ressource, soit décentralisé, comme prévu à l’origine par la loi de 1994».
En somme, cette énième étude  du Cifor montre comment la filière nationale du sciage domestique est contrôlée par un réseau étendu de corruption dans lequel de nombreux fonctionnaires du ministère des Forêts et de la Faune jouent  un rôle actif.
Junior Etienne Lantier

Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir