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Jeunes et Politique: Démystifier la politique

Jeunes et Politique: Démystifier la politique

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Aucune société n'est à l'abri des conflits. L'histoire nous enseigne que de tout temps, les interactions autorité/liberté, ordre/justice, conservatisme/progressisme, se traduisent, de façon permanente, par la  recherche de nouveaux compromis, gages de paix. Les régimes dictatoriaux ou pseudo-démocratiques se caractérisent par l'absence d'un contrat social reconnu et accepté par tous. On peut alors y déceler, en politique comme dans d'autres secteurs de la vie nationale, de véritables conflits de génération. Pour ce qui est spécifiquement des jeunes, ils sont soit mis à l'écart du champ politique, soit intégrés et exploités à des fins inavouées. "Jeunes et politique", le sujet mérite d'être examiné, tant le terme " politique", sous nos cieux, ne suscite que la suspicion et même la peur. Mais, pourquoi justement en sommes-nous si effrayés? Pourquoi les jeunes en sont-ils tenus à l'écart tout en étant constamment sollicités? Pendant des années, à défaut de nous enfermer dans un monolithisme rétrograde,  on nous a laissés croire que la politique est en soi une mauvaise chose. Tout a été mis en œuvre pour la mystifier et en éloigner des générations de Camerounais. Il a fallu attendre trois décennies après les indépendances pour qu'à grand peine les citoyens puissent enfin s'exprimer librement. Au nom de quoi donc l'interdirait-on aux jeunes, fussent-ils scolaires, comme pourrait laisser penser cette célèbre plaisanterie de mauvais goût du monarque présidentiel Paul Biya : "L'école aux écoliers, la politique aux politiciens " ?

A dire vrai, la politique - entendue comme étant « l’ensemble des efforts que l’on fait en vue de participer au pouvoir ou d’influencer la répartition du pouvoir, soit entre les Etats, soit entre les divers groupes à l’intérieur d’un même Etat » (Max Weber, 1959 :125) -  ne peut être dangereuse que, comme c'est le cas dans la plupart des pays africains, si elle cesse d'être un jeu pour devenir une guerre sans merci dont les principales victimes sont très souvent les…jeunes. "Une étonnante lassitude se fait jour, en réaction à l'impérialisme du politique. Les pouvoirs africains ne semblent avoir des jeunes qu'une vision instrumentale, alors que la vie et les aspirations de ceux-ci ne se réduisent ni à la politique, ni à la production économique, ni aux impératifs des unités nationales. En s'obstinant à ne voir dans les jeunes que des instruments de politiques à l'élaboration desquelles ils ne sont pas par ailleurs associés, la gestion des logiques étatiques en Afrique aboutit à accélérer, en milieu de jeunes, le rejet de la politique. Celle-ci est considérée, dans la plupart des cas, comme un jeu sordide et malsain organisé autour des luttes violentes et sans règles. Lieu privilégié de mensonge et d'hypocrisie, elle déchaînerait à leurs yeux d'immenses passions qui, souvent ne s'assouvissent que dans les effusions sanglantes ", constate Achille Mbembe dans son ouvrage Les jeunes et l'ordre politique en Afrique noire.

De nos jours, malgré la logique prédominante d’autosatisfaction et d’autoglorification qui caractérise notre monarchie élective, une nécessité s'impose : au lieu d'instrumentaliser les jeunes, de les écarter de l'arène politique, on devrait plutôt leur en parler, les impliquer et leur confier des responsabilités politiques afin qu'ils puissent y voir plus clair. On sortirait ainsi de l’ère où les élites produites par l’aggiormento colonial se reproduisent d’elles-mêmes.(A. Mbembè, Ibid).

Surtout que l'histoire ne ment pas. Ils sont légion les exemples où, peu au fait de ce qui se passait réellement, les jeunes se sont retrouvés dans de sordides traquenards, piégés par d'habiles politiciens. La fougue juvénile et surtout la naïveté des enfants les poussent à l'action. Très souvent, pendant les mouvements sociaux, on les retrouve, c'est le cas de le dire, sur la ligne de front. Le 04 novembre 1995 à Jérusalem, c'est la main de Ygal Amir, jeune juif proche des mouvements d'extrême droite, qu'on a armé pour abattre M. Ytzhak Rabin, ex- Premier Ministre israélien, alors qu'il venait de signer deux ans plus tôt, le 13 septembre 1993, avec Yasser Arafat, chef de l'Organisation de libération de la Palestine (Olp)  et après d'âpres négociations secrètes, l'accord de Washington qui contient un accord de reconnaissance mutuelle et la Déclaration de principe sur l'autonomie des territoires occupés.

L'exemple le plus illustratif et surtout le plus désolant nous vient du Pérou. Ce pays d'Amérique latine fut, plusieurs années durant, en proie à une terrible guerre civile. Animée par un groupe dénommé "Le Sentier Lumineux", groupe révolutionnaire péruvien fondé en 1970, dont le but est d'instaurer au Pérou un régime marxiste d'inspiration maoïste. Cette guérilla y a causé la mort et la désolation dans plusieurs villages jusqu'à ce que son cerveau, leader et fondateur du mouvement rebelle, Abigaël Guzman, soit arrêté 1992,  condamné à la prison à perpétuité et incarcéré dans une prison de haute sécurité à El Callao.

Abigaël Guzman avait mis au point une structure complexe et remarquablement organisée permettant à son organisation d'agir en toute impunité. Professeur de philosophie de son état, il avait aussi profité de ses enseignements et surtout de son ascendance sur ses élèves, pour les détourner et en faire des soldats qu'il avait mis au service de son ambition politique. Voilà un cas typique de dévoiement des jeunes qu'on ne peut éviter que si ces derniers sont suffisamment informés sur la pratique politique. L'école, comprise dans son sens le plus large, est le lieu où se sécrètent les idéologies. Mais il faut éviter simplement qu'elle en devienne le champ d'expérimentation.

Mai 1968 en France, ce fut tour à tour, soutient Anthony Rowly, poésie, apocalypse et nouvelle pentecôte ; prétexte de dénonciation de la société de consommation et des pouvoirs confisqués par les chefs séniles, petits ou grands, occasion d'échapper aux hiérarchies familiales ou sociales et de donner l'esquisse d'un sens à sa vie. Chez nos ancêtres les Gaulois, ce sont encore les jeunes qui ont alors envahi la rue. La carrière politique du général De Gaulle en avait pris un sérieux coup.

A Madagascar, en Tunisie et en Egypte, les jeunes ont pris ou prennent une part très active dans les mouvements sociaux qui ont abouti à la fuite de Marc Ravalomanana, de Zine el-Abidine Ben Ali, et qui a emporté Mohammed Hosni Moubarak.

Plus près et surtout chez nous, pendant les "villes-mortes", les jeunes avaient monté des barricades, allumé les feux, cassé, pillé. D'autres étaient même venus à la télévision reconnaître qu'ils ont été recrutés par certains leaders politiques pour "casser". A l'université des groupuscules, tels "Essingan" "Auto-défense" etc., étaient manipulés par des politiciens rusés. Lors des émeutes de la faim des 25-28 février 2008, les jeunes sont encore montés au front. Plusieurs d'entre eux ont été arrêtés, traduits en justice, jugés de manière expéditive, condamnés. Par la suite, le président de la République avait accordé sa grâce à la plupart d'entre eux.

Les mouvements sociaux en Tunisie et en Egypte marquent-ils la fin d’une époque ? Est-ce une nouvelle espérance? Les puissances occidentales, après avoir réussi à noyauter les armées de ces pays, sont-elles en train d’expérimenter un nouveau mode d'alternance politique en Afrique après avoir compris que le verrouillage des systèmes est tel que l'alternance par les urnes est impossible dans certains pays ?

Tout  laisse à penser, si nous admettons le postulat selon lequel il n’y a pas révolution spontanée.

Jean-Marc Piotte avertissait en 1987 : « A chaque cycle historique, certains, voulant développer une vue altière sur l’histoire, parlent de la fin d’une époque (le déclin) ou du début d’une autre (le post-moderne). Je préfère plus simplement me situer au sein de l’histoire et, compte tenu de ce que je sais des XIXè et XXè siècles, prévoir qu’une  phase contestatrice succédera à la présente phase conservatrice. Si nous renouons avec l’ensemble de notre passé, nous pourrons résister dans le présent et accueillir avec sympathie les mouvements sociaux de la prochaine décennie. Nous ne serons pas au centre de ceux-ci : ce seront encore des mouvements de jeunesse » (Jean-Marc Piotte, 1987, 133-134)

Parce qu'elle est le Cameroun de demain, il nous semble que la jeunesse doit prendre conscience de ses responsabilités présentes et futures. Surtout, cette importante frange de la population doit être préparée à prendre la relève, afin de mieux assurer les destinées de la Nation. L’ère de la résolution des problèmes « à coup d’incantations pieuses et de conversions miraculeuses » (Mbembe, Ibid) est révolue.

Ce que les jeunes refusent aujourd’hui, ce ne sont pas les valeurs des adultes, mais leurs incohérences, les structures et institutions  qui servent d’abord leurs intérêts alors qu’elles sont censées être au service des jeunes, leurs désintéressements grandissant à leur égard. Bref, bien de monde s’occupent autour d’eux, mais pas grand monde ne s’occupe d’eux.

Le moment nous semble venu de faire comprendre à la jeunesse qu'adhérer à un parti, c'est choisir une idéologie, un programme politique et non un homme, fût-il du même village que soi. Ce n'est donc pas en éludant la question politique qu'on l'y aidera. Bien au contraire, c'est en abordant les questions politiques sans mystification, c'est en éduquant les jeunes à la gestion de la Res publica, que ceux-ci choisiront en toute lucidité d'en faire une carrière ou de se consacrer à autre chose. L'essentiel n'est-il pas d'apporter sa pierre à l'édification de Nation ?

Jean-Bosco Talla