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Le changement, c’est maintenant ! À Hollande qui reçoit le doyen de la Françafrique

Le changement, c’est maintenant ! À Hollande qui reçoit le doyen de la Françafrique

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Qu’ils soient du parti au pouvoir ou de l’opposition, les hommes politiques ne peuvent se défaire de la propagande. Elle est pour eux ce que la réclame est pour le commerçant. Le but ultime de la publicité est en effet, soit de faire croire qu’un produit est plus performant que d’autres de même nature que lui, soit de susciter chez le consommateur une demande latente ou inexistante dudit produit. Dans le cadre de la visite de Biya en France, le consommateur de l’offre politique du régime et de l’opposition autour de cette visite est l’opinion publique camerounaise, internationale et le citoyen du monde.
En conséquence, le Rdpc et ses antennes extranationales, notamment celles de France, font du tintamarre par scénographie et spectacularisation d’une visite du Président camerounais en France alors qu’il relève de la banalité historique la plus consacrée qu’un Président Français rencontre un dictateur africain. Mobutu, Eyadema, Omar Bongo, Blaise Compaoré, Ahmadou Ahidjo, Idriss Deby, Sassou-Nguesso et bien d’autres autocrates africains figures de proue de la « Françafrique » ont été reçus maintes fois par des présidents français sans que cela ne change leur reconnaissance par l’histoire politique mondiale comme des dictateurs et des sanguinaires impénitents et patentés.
Du côté de l’opposition politique camerounaise, notamment de sa dimension diasporique, c’est aussi de la propagande politique d’opposition comme si la banalité historique d’un non-évènement qu’est la rencontre entre le dictateur camerounais et François Hollande, changerait quelque chose au bilan calamiteux de trente ans de Renouveau National au Cameroun. D’où le fait qu’en dehors de quelques exceptions qui confirment la règle de la stéréotypie propagandiste, l’essentiel d’un questionnement politique qui se voudrait pertinent est évincé par un opportunisme politique de l’instant d’une visite à fructifier par les uns et les autres. C’est de bonne guerre car le Biyaïsme crépusculaire ne peut rater la bouée de sauvetage médiatique que lui offre Hollande pas plus que la section RDPC de Paris ne peut bouder l’opportunité de goûter une fois de plus aux ressources financières de « la mangeoire camerounaise ». L’opposition camerounaise de son côté ne peut « zapper » une visite en France de son ennemi politique juré même s’il se trouve que plusieurs autres opposants médiatiques ne disent rien sur cette visite car ils espèrent le soutien de la France au cas où la providence les mènerait au pouvoir à Yaoundé. Cette visite devient donc un révélateur spectral de plusieurs stratégies d’acteurs politiques camerounais. Sortir de la sournoiserie et de la fourberie politiques qui ont tué le Cameroun depuis 1960 exige pourtant de penser plus aux autres qu’a soi en disant la vérité.
Si nous laissons de côté cet aspect compréhensible du jeu politique camerounais, l’actualisation de la banalité des rapports historiques entre la France et les dictatures africaines semble une zone d’attaque critique, non seulement de la visite actuelle de Biya en France, mais aussi et surtout du slogan de campagne de François Hollande à savoir, le changement c’est ici et maintenant !

  • La France et l’invention des dictatures camerounaises

Le changement c’est ici et maintenant ! disait le slogan de campagne présidentiel de François Hollande. Bien sûr, étant encore au début de son mandat présidentiel, l’actuel Président français a encore le bénéfice du doute. Cela n’enlève cependant rien au fait que les rapports denses, profonds et épais qui lient la France à l’Afrique subsaharienne, militent pour une résonnance tout à fait particulière de ce slogan dans les esprits africains avides de liberté. Aussi, quand un Président français dit le changement c’est maintenant, les Africains exclus du destin de leur pays depuis plus de cinquante ans à cause, entre autres, du soutien de la France aux dictatures en place, reçoivent cela comme la naissance d’un nouveau monde, d’une nouvelle Afrique et des nouveaux rapports franco-africains.
Dans le cas du Cameroun, la France est aux fondements de la naissance des deux dictatures camerounaises d’Ahidjo et de Biya. C’est en menant une guerre coloniale atroce et meurtrière aux indépendantistes camerounais que le régime de Biya, prolongement de celui d’Ahmadou Ahidjo, a été possible en 1982. L’action politique de la France au Cameroun est donc aux sources de la naissance des ces deux dictatures camerounaises et de tous les dégâts humains et sociétaux qu’elles ont générés depuis l’Etat-colonial relayé par les collabos. Dès lors, le Président camerounais que la France s’apprête à recevoir est une invention politique atavique de la répression des forces camerounaises de la liberté par l’Etat français à un moment où la République française entra, par cupidité et besoins hégémoniques morbides, en contradiction avec sa devise : Liberté, Fraternité et Egalité.
Si le peuple Camerounais vous prend aux mots, alors il vous rappelle à votre slogan de campagne : le changement c’est ici et maintenant ! La question n’est pas de vous demander de ne pas recevoir un Président fût-il l’archétype du dictateur africain à tancer. Cela est courant et banal comme la « Françafrique » dont nous espérons aussi la fin de la dimension mafieuse.  Ce qui est crucial pour l’avenir du Cameroun, c’est le discours que vous tiendrez à Monsieur Biya. Ce qui est vital pour demain c’est la nature des rapports entre votre France et un Président africain qui est la personnalisation politique contemporaine d’une Afrique défaillante inventée par la France par liquidation physique et politique des leaders nationalistes africains en faveur des épouvantails.
Monsieur Hollande, le changement c’est ici et maintenant vous invite à dire stop à la dictature camerounaise afin de rectifier l’erreur historique de la France au Cameroun. Il faut solder la dette historique de la France envers le peuple camerounais. Ne ménagez pas le chou et la chèvre, le peuple camerounais a tant souffert de cela. Rejoignez l’histoire réelle et courageuse de l’anticolonialisme français.

  • Le Hollandisme et le Biyaïsme ne peuvent faire bon ménage

La propagande du Rdpc et de l’équipe dirigeante camerounaise autour de cette visite s’apparente à un déni de réalité. Tout se passe comme si rencontrer Hollande est une opération de bénédiction urbi et orbi dans une philosophie d’achat des indulgences auprès d’un grand prêtre occidental. Tout est présenté comme un contournement de la réalité camerounaise qui deviendrait ainsi autre après avoir vu le Président français. Il suffirait de voir Hollande pour que le Renouveau National prenne une cure de jouvence et ressorte requinqué tel un cycliste dopé après à une transfusion sanguine frelatée de produits illicites. La réalité est cependant têtue car il ne suffit pas d’être en visite en France pour que les maux trentenaires du Cameroun s’évanouissent. La réalité camerounaise reviendra d’autant plus rapidement par la fenêtre une fois les portes des salons feutrés fermées qu’il y a une incompatibilité dirimante entre le Biyaïsme et le Hollandisme.
En effet, après la visite de Monsieur Biya en France, le changement c’est ici et maintenant, paradigme politique qui structure les contours politiques du Hollandisme, sera toujours une ineptie et un mirage au Cameroun : les Camerounais et les Camerounaises seront toujours sans eau potable, sans électricité, sans travail, sans justice républicaine, sans élections libres, sans Constitution respectée, sans commission électorale indépendante et sous la férule d’une dictature dont le seul objectif est le pouvoir jusqu’à ce que mort s’en suive. Dès lors, si  le changement c’est ici maintenant  est l’essence politique du Hollandisme, sa matérialisation politique dans la « Françafrique » doit automatiquement consister à dégager le Biyaïsme et les autres dictatures qui comptent sur le soutien de la France. Ceci ne veut pas dire que les Camerounais invitent la France à s’ingérer dans la vie politique camerounaise mais plutôt à laisser les Camerounais la définir sans soutenir un des protagonistes en concurrence. Le changement c’est ici et maintenant n’équivaut pas à endiguer par des pactes faustiens la demande d’exit du Biyaïsme qui émane du peuple camerounais, mais plutôt à dire Biya dégage ! C’est pourquoi le meilleur service à rendre au peuple camerounais est que votre personnage conceptuel, à savoir le changement c’est ici et maintenant, s’incarne au Cameroun en personnage réel comme cela fut le cas en Tunisie et en Egypte respectivement par « Ben Ali dégage ! » et « Moubarak dégage ! »

  • Les intérêts du Medef ne sont pas ceux du peuple camerounais

L’argent c’est le nerf de la guerre. Le Cameroun connaît un taux de chômage massif de sa jeunesse et son Président, au pouvoir depuis trente ans, donne rendez-vous aux jeunes en 2035, le temps de mourir plusieurs fois ! La France ne va guère mieux angulée qu’elle est depuis la crise des crédits hypothécaires de 2007 dans les basses pressions de la production des richesses. S’il peut se comprendre, dans ces conditions, que Monsieur Hollande rencontre un dictateur africain afin que le Medef et les hommes d’affaires français se lancent via le Cameroun vers le nouvelle eldorado des investisseurs qu’est de nouveau l’Afrique subsaharienne, il est moins crédible de penser que les relations économiques entre la France et le Cameroun puissent, par cette visite, changer leur fusil d’épaule et assurer l’épanouissement du peuple camerounais. Les intérêts du Medef seront certainement satisfaits mais pas ceux du peuple camerounais car investir dans une dictature où les droits de l’homme sont bafoués est une assurance sécuritaire pour le capitalisme sans scrupules qui peut ainsi se faire des marges plantureuses sur le dos des populations dans un univers où prévaut la loi de la jungle.
L’historique des rapports économiques entre la France et l’Afrique montre que les multinationales françaises et les pouvoirs dictatoriaux africains sont devenus une hydre à deux têtes qui bouffent le continent, ses richesses et ses peuples par désynchronisation d’intérêts entre l’hydre à deux têtes et le désir populaire d’émancipation. Cela se concrétise par le fait que l’Afrique des peuples est très souvent prise en contradiction dans des activités économiques françaises en soutien aux dictatures africaines dont le propre est la négation de la vie. La conséquence à cela est l’existence de plusieurs multinationales française qui polluent dans le Golf de Guinée sans vergogne et exploitent sauvagement les forêts africaines quand elles ne font pas des coups d’Etat tout en finançant des guerres civiles à l’instar de Elf au Congo Brazzaville. De nombreux éléphants blancs sont nés en Afrique dans la même logique sans que l’Afrique et le Cameroun en tirent profit alors que les multinationales françaises avaient participé à l’étude de la viabilité des ces projets inadaptés : la Cellucam en témoigne au Cameroun. Ce système encourage ainsi les parrainages français des responsables et chefs d’Etats, pratique à la source de la médiocrité et des incuries qui ravinent l’Etat africain tout en renforçant son incapacité à produire du développement.
Monsieur Hollande, sortir de cette identité remarquable négative des actions des multinationales françaises en Afrique revient à appliquer concrètement votre paradigme politique du changement c’est ici et maintenant. C'est-à-dire à sortir de la désynchronisation installée durablement par l’hydre à deux têtes dont nous parlons pour une resynchrononisation entre les aspirations économiques de la France en Afrique et les velléités émancipatrices des peuples africains et camerounais. Il s’agit de couper les deux têtes de l’hydre vampire pour que le peuple camerounais et africain retrouve enfin la force de faire pousser la sienne. Monsieur François Hollande, le changement c’est ici et maintenant !
Thierry Amougou
Macroéconomiste, enseignant-chercheur, Faculté des sciences économiques, sociales et politiques, Université catholique de Louvain & Ecole doctorale thématique en études du développement, Belgique.